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L’eslicarbazépine Ce qu’il faut savoir Benjamin Cretin*

En conséquence, certaines interactions médicamenteuses sont à prendre en compte [6].

Introduction L’eslicarbazépine (ESL, Zebinix®) est disponible dans le traitement en add-on des épilepsies partielles de l’adulte depuis 2012. Ce bref texte est une synthèse des informations pertinentes relatives au bon usage de ce nouvel antiépileptique.

Mécanisme d’action L’eslicarbazépine (ESL) est une molécule dérivée de la carbamazépine (CBZ, Tegretol®), à côté de laquelle elle vient donc se ranger dans l’arsenal des antiépileptiques disponibles. Elle est de fait cousine de l’oxcarbazépine (OXC, Trileptal®). Ces trois médicaments partagent le point commun d’être des inhibiteurs des canaux sodiques voltage-dépendants (VoltageGated Sodium Channel ou VGSC) [1]. Ainsi, l’ESL inhibe les neurones à décharge rapide dans certains modèles in vitro et elle a aussi démontré son efficacité in vivo (réduction de la fréquence et de l’intensité des crises dans plusieurs modèles animaux d’épilepsie) [2]. La particularité de l’ESL serait d’agir sur l’ouverture des VGSC, mais aussi sur leur phase de fermeture (période réfractaire du canal, dite aussi période d’inactivation, allongée par l’ESL) [3].

Pharmacologie L’ESL – dont le nom commercial en France est Zebinix® – est préparée *Département de Neurologie des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg ; Centre Mémoire, de Ressources et de Recherche d’Alsace (Strasbourg-Colmar) ; Laboratoire ICUBE, CNRS (UMR 7237), Université de Strasbourg ; Centre de Compétences des démences rares des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg

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• inhibiteur faible du CYP2C19 (principaux substrats : antidépresseurs tricycliques et IRSS, benzodiazépines, phénytoïne, barbituriques, warfarine).

sous forme conjuguée (acétate d’eslicarbazépine) et présentée sous forme de comprimés sécables. L’acétate d’ESL est rapidement absorbé après ingestion per os. Un premier passage hépatique permet un métabolisme rapide par hydrolyse : l’ESL est dissociée de l’acétate pour se retrouver sous forme libre et devenir le véritable principe actif du Zebinix®. Le pic plasmatique est ensuite atteint en 3 à 4 heures et la biodisponibilité est très élevée (> 90 %). Le catabolisme de l’ESL est majoritairement assuré par voie de glucurono-conjugaison hépatique puis d’élimination urinaire. Ainsi, la clairance de l’ESL dépend du débit de filtration rénale [4, 5]. Néanmoins, la transformation enzymatique de l’ESL libère certains métabolites en quantités modérées : l’oxcarbazépine et la R-licarbazépine. Notons que la demi-vie de la molécule est de 20 à 24 heures à l’état d’équilibre (obtenu après 4 à 5 jours de prise). Sur le plan enzymatique, l’ESL a un faible effet sur les cytochromes : • inducteur faible du CYP3A4 (principaux substrats : antiviraux, immunosuppresseurs, chimiothérapies, digoxine, contraceptifs) ;

• Avec les antiépileptiques L’ESL augmente les taux circulants de PHT (+30 % en moyenne) et diminue modérément (-15 %) ceux de la lamotrigine (LTG). Les taux de levetiracetam (LEV), de valproate (VPA), de topiramate (TPM) et de CBZ ne sont pas modifiés. A l’inverse, la phénytoïne (PHT) et la CBZ sont capables, par leurs forts effets inducteurs sur les cytochromes, de diminuer l’exposition à l’ESL. • Avec les traitements non antiépileptiques Il existe une diminution importante des taux de contraceptifs oraux (-37 à 42 %), de simvastatine (-50 %) et de warfarine (-23 %) ; cela peut avoir un impact clinique significatif.

Efficacité de l’eslicarbazépine L’ESL est d’indication restreinte actuellement : dans les épilepsies partielles de l’adulte, avec ou sans généralisation. Elle ne concerne pas les patients nouvellement diagnostiqués car elle n’a pas l’agrément pour être prescrite en monothérapie. L’ESL est donc réservée à la post-monothérapie, c’est-àdire qu’elle ne peut être utilisée qu’en association. D’autres indications viendront sans doute, mais le développement récent de la molécule n’a pas encore apporté de résultats suffisants. Neurologies • Décembre 2013 • vol. 16 • numéro 163


L’eslicarbazépine

S’agissant des épilepsies partielles, les résultats globaux ont été publiés dans trois études principales entre 2009 et 2010 [5, 7, 8]. Il faut en retenir que la dose de 400 mg/j (1/2 cp par jour) est en général insuffisante, avec un taux de répondeurs (diminution de la fréquence des crises ≤ 50 %) qui ne diffère pas statistiquement du placebo. A l’inverse, on observe un effet-dose pour les posologies de 800 mg et 1 200 mg/j, puisque le taux de répondeurs passe à 36 % puis 44 % respectivement. Ces résultats sont statistiquement significatifs. Cela dit, le taux médian de réduction des crises était de 35 % avec 800 mg/j et 39 % avec 1 200 mg/j. Les trois études contrôlées ont aussi montré qu’il n’y avait pas d’association médicamenteuse privilégiée pour l’ESL : elle peut être combinée autant à des inhibiteurs des VGSC qu’à d’autres types de molécules, sans différence d’efficacité [9]. Les études n’ont pas montré d’effet synergique de l’association de l’ESL avec un autre antiépileptique (au contraire du duo LTG-VPA par exemple), alors que l’association ESL-CBZ s’est révélée plutôt défavorable en termes de tolérance (donc à éviter, cf. infra). Pour finir, l’ESL est efficace indépendamment du sexe, de l’âge, de l’origine géographique, du nombre d’antiépileptiques concomitants, de la durée d’évolution de l’épilepsie et du type de crises (crises partielles simples vs complexes, frontales vs temporales…).

Tolérance de l’eslicarbazépine Au niveau clinique

Les effets secondaires de l’ESL Neurologies • Décembre 2013 • vol. 16 • numéro 163

sont dose-dépendants [9]. Ils surviennent en général en début de traitement et cèdent dans les 2 à 6 semaines suivantes. Le trio sensations ébrieuses-somnolence-céphalées concerne plus de 20 % des patients, et jusqu’à plus de la moitié d’entre eux [9]. Plus généralement, les effets iatrogènes sont classiques de l’imprégnation aux “zépines” (CBZ, OXC) : sensations vertigineuses voire vertiges vrais (20 à 80 %), impression de vue brouillée voire franche diplopie (8 à 15 %). Les troubles de la coordination segmentaire ou de la marche sont courants (5 à 10 %), nausées et vomissements aussi (8 à 15 %). On reconnaît ici les effets indésirables attribués au lacosamide [10], ainsi qu’à la LTG et à la PHT (effets-classe des inhibiteurs de VGSC). L’ESL a une meilleure tolérance cutanée que l’OXC et la CBZ (≈ 1 % de rashs cutanés pour l’ESL contre 6 à 7 % pour OXC ou CBZ) [5, 8, 9, 11]. Enfin, elle n’a pas d’incidence sur la prise de poids ou sur les constantes usuelles (tension artérielle, fréquence cardiaque, température corporelle). Globalement, la tolérance de l’ESL est bonne : taux total d’arrêt des études pour effets indésirables = 14 % [9]. Dans les évaluations randomisées, l’ESL était principalement associée aux trois molécules suivantes (par ordre décroissant) : CBZ, VPA et LTG [9]. LEV, TPM et PHT venaient ensuite. Aucune n’avait d’impact sur la fréquence des effets secondaires, exception faite de la CBZ qui induisait plus souvent une diplopie (≈ 6 fois

plus fréquente), des sensations ébrieuses ou des troubles de la coordination (2-3 fois plus fréquents) [9].

Au niveau biologique L’ESL n’a pas d’effets particuliers sur les paramètres de la coagulation ou sur la fonction rénale, et rarement sur les constantes hématologiques, hépatiques ou hydroélectrolytiques [9]. Bien que peu courants, des effets significatifs existent quand même (généralement peu graves) : • leucopénie et thrombopénie se rencontrent dans moins de 4 % des cas ; • l’hyponatrémie (< 125 mmol/l) survient dans moins de 1 % des cas, et presque exclusivement lors de l’association à la CBZ ; • l’augmentation des enzymes hépatiques apparaît pour moins de 1 % des patients ; • l’augmentation des LDL ne se rencontre que pour les doses de 1 200 mg/j [9].

Au niveau électrocardiographique L’ESL n’a pas d’effets cardiaques cliniquement significatifs (fréquence cardiaque, intervalle QT) mais un allongement du PR est possible ; il doit rendre prudent chez les patients affectés de bloc auriculo-ventriculaire ou de bradycardie [6].

Synthèse pratique L’ESL est un médicament autorisé en add-on dans les épilepsies focales de l’adulte, sans originalité de son mode d’action : il s’agit d’un dérivé de molécules connues à action spécifique sur les VGCS (ESL, CBZ, OXC, dites aussi “zépines” et en fait dibenz[/b,f/]azepines). Son intérêt est donc ailleurs : celui de présenter un profil 345


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pharmacologique plus avantageux que ses devancières (longue demi-vie, pas trop inducteur enzymatique ni trop pourvoyeur de dérivés époxydes), et donc une plus grande commodité d’utilisation (une prise par jour, peu d’hyponatrémie ou de rash cutané, bonne tolérance globale) [11]. Seule limitation : l’adaptation des doses pour une clairance de la créatinine < 60 ml/min (prescription interdite pour une clairance < 30 ml/min) [6]. Une surveillance biologique en début de traitement reste recommandée (NFS, bilan hépatique, ionogramme). L’ESL est efficace cliniquement, et ses performances se situent autant dans la moyenne des antiépileptiques usuels [10,12] que de ceux à venir (rétigabine, perampanel, carisbamate, brivaracetam) [13]. Malgré un mode d’action redondant avec celui de la LTG et de

la PHT (inhibition des VGSC), l’ESL peut leur être associée sans déperdition d’efficacité ni addition des effets secondaires. Par contre, ceci ne vaut pas pour la CBZ qui majore clairement la iatrogénie clinico-biologique [5,79]. L’explication provient vraisemblablement de métabolites partagés. L’association CBZ-ESL est donc déconseillée, de même que l’association ESL-OXC (l’OXC est un des métabolites de l’ESL). Bien que peu perturbatrice sur le plan enzymatique, l’ESL reste dotée d’une capacité d’induction dose-dépendante : • cela peut impacter significativement les taux de certains antiépileptiques (cf. pharmacologie) et avoir des conséquences sur le calendrier des crises des patients. De ce point de vue, la dose de 800 mg offre la meilleure efficience (rapport efficacité/tolérance) [9] ; • cela doit aussi être pris en compte lors de la prescription concomitante de contraceptifs

(perte d’efficacité) et dans la surveillance des effets osseux, voire fracturaires, du traitement (supplémentation en vitamine D). n Conflits d’intérêts Aucun. B. Cretin n’a notamment reçu aucune subvention de la part des laboratoires Eisai pour la rédaction de ce texte. Correspondance Dr Benjamin Cretin CMRR d’Alsace, Département de Neurologie des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, Pôle Tête et Cou Hôpital de Hautepierre 1, avenue Molière 67200 Strasbourg E-mail : benjamin.cretin@chrustrasbourg.fr

Mots-clés : Epilepsie, Eslicarbazépine, Inhibiteurs des canaux sodiques voltagedépendants, Pharmacologie, Efficacité, Tolérance, Prescription

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