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« Le handicap n’est pas exclusivement lié aux crises, les complications/comorbidités impactent de façon majeure la qualité de vie des patients. » Sylvain Rheims

Service de Neurologie Fonctionnelle et d’Epileptologie, Hospices civils de Lyon

a-t-il eu une évolution des concepts au cours des toutes dernières Y années, dans votre domaine ? Au sens propre, je ne pense pas que nous puissions réellement parler de révolution des concepts. Cela me semble particulièrement net dans la compréhension de la physiopathologie de l’épilepsie. Malgré certains travaux particulièrement intéressants - dont par exemple le développement de l’approche par miRNA ou la suggestion que certaines malformations corticales considérées comme “innées” seraient en réalité l’expression d’une infection materno-fœtale -, force est de constater que la problématique de la genèse des crises n’a pas bénéficié d’évolution majeure. Sur le plan clinique, deux points importants sont néanmoins à noter : • Les dernières années ont vu se renforcer la vision que le handi-

« Intégrer le risque de SUDEP dans la prise en charge des patients est devenue une réalité quotidienne de notre activité. » cap dans l’épilepsie n’est pas exclusivement lié aux crises, mais qu’au contraire les complications/comorbidités de la maladie impactent de façon majeure la qualité de vie des patients. A ce titre, la prise en charge spécifique des troubles psychiatriques, en particulier thymiques, ou des troubles cognitifs, en particulier chez l’enfant, prend une place de plus en plus prépondérante dans la recherche en épileptologie et dans le

quotidien de la consultation. • Alors qu’il y a peu, on enseignait encore aux étudiants en médecine que hors état de mal et traumatisme, l’épilepsie ne s’associait pas à une surmortalité, la problématique des morts soudaines dans l’épilepsie (SUDEP) est devenue une préoccupation importante des épileptologues. Bien que les SUDEP restent un évènement rare, leur survenue élective chez des adultes jeunes représente toujours un traumatisme pour les familles. Intégrer le risque de SUDEP dans la prise en charge des patients, c’est-à-dire à la fois évaluer le risque de manière réaliste et tempérée et savoir l’évoquer de manière appropriée avec les patients, est ainsi devenu une réalité quotidienne de notre activité.

Quels ont été les grands changements dans votre pratique au cours des dernières années ? Comme noté ci-dessus, les principaux changements dans notre pratique ont été la prise en compte de plus en plus proéminente des comorbidités dans la prise en charge, et en particulier dans la gestion du traitement antiépileptique. Neurologies • Janvier 2014 • vol. 17 • numéro 164

De manière indubitable, cela a été rendu possible par l’explosion de la pharmacopée antiépileptique au cours des 15 dernières années. Ainsi, bien que l’impact de ces nouvelles molécules sur la pharmacorésistance soit probablement limité, leur spectre d’ef-

fets secondaires permet une bien plus grande adaptabilité en fonction de chaque patient. Bien qu’un peu anecdotique pour la pratique en France, un autre élément de la prise en charge médicamenteuse pourrait être 21


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cité. Il s’agit des premiers pas de la pharmacogénétique dans l’épilepsie sous la forme de l’utilisation du typage HLA dans l’évaluation du risque de toxidermie sévère sous carbamazépine. Si cela est pour l’instant limité à la population d’origine asiatique, l’impact reste réel et ouvre sans doute la voie à d’autres développements, y compris dans d’autres aspect de la tolérance des antiépileptiques.

«  L’explosion de la pharmacopée antiépileptique a eu un impact limité sur la pharmacorésistance, mais leur spectre d’effets secondaires permet une plus grande adaptabilité en fonction de chaque patient. » Sur le plan du diagnostic, peu de grands changements. Néanmoins, il est indéniable que le développement de nouvelles techniques de post-traitement en imagerie morphologique ou fonctionnelle a un

impact sur le bilan préchirurgical chez certains patients, en permettant d’individualiser des lésions autrement non visualisées et ainsi de mieux guider les investigations, en particulier le bilan intracrânien.

Quelles sont, pour vous, les avancées attendues pour les 2 ou 3 prochaines années dans votre domaine ? De mon point de vue, nous pouvons attendre dans les 2-3 prochaines années la poursuite des développements cités ci-dessus. Plus particulièrement, les techniques de post-traitement des données d’imagerie ou électrophysiologiques devraient se poursuivre permettant d’affiner certains diagnostics, en particulier dans le cadre du bilan préchirurgical. Sur le plan thérapeutique, les années qui viennent risquent malheureusement de sembler un peu vides de nouveauté. En effet, hormis une ou deux molécules qui ont achevé leur phase III, le pipeline des an-

tiépileptiques en développement s’assèche fortement et les dernières réunions internationales ont en partie été marquées par l’absence de nouvelles molécules. Quelques nuances à ce constat un peu pessimiste : • Certains cadres syndromiques pourraient bénéficier d’avancées intéressantes. C’est le cas par exemple de la sclérose tubéreuse de Bourneville dans laquelle on pourrait espérer que les données expérimentales récentes concernant les voies cellulaires spécifiquement impliquées puissent déboucher sur des traitements spécifiques.

• Bien qu’à court terme il soit peu probable que nous voyons arriver des traitements ayant démontré leur impact spécifique sur le risque de SUDEP, il est à espérer que des approches préventives préliminaires se développent. On pourrait citer les interventions thérapeutiques visant à diminuer le risque de troubles respiratoires post-critiques ou des modalités de surveillance et de détection permettant à l’entourage d’intervenir en cas de situation à risque, en particulier la nuit. Cela pourrait se faire via le développement de systèmes de détection fiables des crises éventuellement associés à la détection de troubles cardio-respiratoires.

Quels sont les problèmes qui vous semblent encore non résolus et les grands enjeux pour les années futures ? L’un des Graal de l’épileptologie reste bien sûr le développement de traitements anti­ épileptogènes et non plus seulement anti­convulsivants. Néanmoins, nous en sommes bien loin pour au moins deux raisons : 22

1. Les mécanismes qui soustendent l’épileptogenèse restent mal compris. Un réel effort en épileptologie préclinique est par conséquent nécessaire, passant probablement par une réévaluation des approches qui ont été utilisées au cours des 20 dernières

années, et en particulier les modèles animaux utilisés. 2. Néanmoins, quand bien même un traitement potentiellement antiépileptogène serait individualisé en préclinique, nous serions bien en peine de démontrer Neurologies • Janvier 2014 • vol. 17 • numéro 164


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«  L’individualisation du traitement devra s’envisager en termes d’efficacité sur les crises, mais aussi de comorbités/ complications de l’épilepsie (thymique, cognitive...) et du risque de SUDEP. » son efficacité chez les patients. En effet, nous sommes encore actuellement dans l’incapacité d’évaluer avec précision et de manière individualisée le risque de développer une épilepsie en cas de situation à risque, telle qu’un traumatisme crânien ou une lésion vasculaire par exemple. Dans ce contexte, on se retrouverait à évaluer un traitement dans une population où au mieux 20 à 30 % des patients sont réellement à risque. De tels essais sont quasiment voués à l’échec quel que soit le potentiel de la molécule à l’étude.

En parallèle des travaux expérimentaux, il est donc indispensable que la recherche clinique repense son approche de l’évaluation des nouveaux traitements. Plus particulièrement, il est important que nous nous donnions les moyens de développer des essais se focalisant sur des patients à haut risque chez lesquels l’intervention serait la plus à même d’être efficace. Cela pourrait passer par l’individualisation de nouveaux biomarqueurs de l’épilepsie, en utilisant le terme de biomarqueurs au sens large y compris biologique, d’imagerie, génétique ou électrophysiologique. • La deuxième problématique est celle de la personnalisation du traitement antiépileptique. Actuellement, nous pouvons, comme discuté plus haut, stratifier nos choix thérapeutiques devant une épilepsie nouvellement diagnostiquée en fonction du syndrome épileptique, du sexe du patient et des comorbités.

Correspondance Dr Sylvain Rheims Service de Neurologie fonctionnelle et d’Epileptologie Hospices civils de Lyon 59, Bd Pinel – 69677 Bron Cedex E-mail : sylvain.rheims@chu-lyon.fr

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En revanche, anticiper l’efficacité antiépileptique de la molécule à l’échelle du patient individuel reste très difficile. Nous sommes ainsi loin de ce que peuvent proposer les oncologues dans certaines situations en choisissant la chimiothérapie sur les caractéristiques moléculaires de la tumeur. De manière importante cette question de l’individualisation doit s’envisager en terme d’efficacité sur les crises, mais également en termes de comorbités/complications de l’épilepsie, y compris thymique, cognitive ou le risque de SUDEP. • Le troisième aspect est celui de la pharmacorésistance dont la fréquence reste globalement la même qu’il y a 15 ans. Ce constat d’échec relatif repose indéniablement la question du développement préclinique des antiépileptiques qui serait sans doute à repenser afin de mieux prendre la réalité des données apportées au fil du temps par l’épileptologie expérimentale. l

Mots-clés : Epilepsie, Handicap, Comorbidités, Troubles thymiques, Troubles cognitifs, SUDEP, Antiépileptiques, Pharmacorésistance, Pharmacogénétique, Bilan préchirurgical, Sclérose tubéreuse de Bourneville

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« L’enjeu majeur est d’identifier des marqueurs prédictifs de la maladie épileptique. » Louise Tyvaert

Service de Neurophysiologie Clinique, Hôpital Roger Salengro, Lille

a-t-il eu une évolution des concepts, au cours des toutes dernières Y années, dans votre domaine ? L’évolution la plus fondamentale est à mon sens celle de la définition de l’épilepsie généralisée et de ses mécanismes physio­ pathologiques. L’épilepsie généralisée, notam­ ment l’épilepsie-absence, était jusqu’alors définie par une im­ plication immédiate de la boucle thalamocorticale avec un enva­ hissement cortical d’emblée bi­ latéral de l’activité épileptique. Ces dernières années, sur la base de constatations électro-cli­ niques (paroxysmes EEG parfois latéralisés, prodromes cliniques

« Les connaissances de la physiopathologie des épilepsies généralisées ont évolué avec la mise en évidence d’une implication corticale focale initiale. » préictaux…), de nombreux tra­ vaux ont observé une origine focale aux bouffées de pointeondes généralisées, lors des ab­ sences typiques notamment. Cette première observation a été rapportée dans un modèle

de souris avec une implication des régions somatosensitives initiale [1]. Des données plus récentes chez l’Homme, notam­ ment en IRM fonctionnelle, ont permis d’observer cette impli­ cation corticale focale initiale avant celle de la boucle thala­ mocorticale dans les absences typiques [2-5]. Ces observations remettent en cause le concept d’épilepsie dite ”gé­ néralisée”, même si les mécanismes physiopathologiques restent à dis­ tinguer de ceux de l’épilepsie définie comme “partielle”.

Quels ont été les grands changements dans votre pratique au cours des dernières années ? Ma pratique s’est modifiée ces dernières années avec la prise en compte systématique des facteurs associés à l’épilepsie. Si l’épilepsie est caractérisée par la répétition de crises, elle ne se résume pas à cela. En effet, des troubles associés - notamment cognitifs et thymiques - sont couramment observés. Ils dépendent certes du type et de la fréquence des crises mais ils persistent également à distance de la survenue de ces dernières. Ils 24

participent pleinement au handi­ cap social, professionnel et fami­ lial. Certaines de ces difficultés cognitives et thymiques (atteinte mnésique, de la reconnaissance des émotions, de la théorie de l’esprit…) ont été précisément identifiées dans la littérature. Sensibilisée par l’existence de ces comorbidités et de leur impact sur la qualité de vie des patients mais également sur la sévérité même de leur maladie, je propose actuelle­ ment une évaluation dès que pos­ sible de ces difficultés auprès de

mes confrères psychiatres et neuropsychologues. La mise en évidence de ces troubles permet le plus souvent au patient de mieux identifier l’origine de ses difficultés (scolaires, profession­ nelles, familiales..) et de le décul­ pabiliser. Par la suite, dans certains cas, une prise en charge thérapeu­ tique ciblée (suivi psychologique, traitement antidépresseurs, prise en charge rééducatrice…) et une adaptation de l’orientation scolaire et professionnelle adaptée peuvent être proposées. Neurologies • Janvier 2014 • vol. 17 • numéro 164


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Quelles sont, pour vous, les avancées attendues pour les 2 ou 3 prochaines années dans votre domaine ? Le développement des nouvelles techniques d’imagerie multimodale (combinant données électrophysiologiques et IRM) ouvre de nouvelles perspectives sur l’exploration de l’épilepsie et son impact sur l’organisation anatomofonctionnelle cérébrale globale. Ainsi, il est probable que l’on puisse définir, dans quelques années, avec plus de précision - et ce pour chaque patient de manière non invasive

«  Les nouvelles techniques combinant électrophysiologie et IRM pourraient permettre la localisation du réseau épileptique pour chaque patient, de manière non invasive. » (possible actuellement en stéréoélectroencéphalographie pour un nombre restreint de patients) - la

localisation du réseau épileptique. Une définition systématique à large échelle du réseau épilep­ tique permettra d’identifier de nouveaux sous-types d’épilepsie. Cette nouvelle classification per­ mettra de mieux comprendre les disparités actuelles en termes de profils évolutifs (pharmacorésis­ tance, atteinte cognitive spéci­ fique, échec de la chirurgie...).

Quels sont les problèmes qui vous semblent encore non résolus et les grands enjeux pour les années futures ? L’enjeu majeur est d’identifier des marqueurs prédictifs de la maladie épileptique. L’identification de tels mar­ queurs permettrait de mettre

en place des mesures préven­ tives ralentissant et prévenant le processus d’épileptogenèse. Une prise en charge précoce de ce processus éviterait le déve­ loppement de l’épilepsie et de ce

Correspondance Dr Louise Tyvaert CHRU de Lille – Hôpital Roger Salengro Service de Neurophysiologie Clinique 2, av Oscar Lambret – 59037 Lille Cedex E-mail : louise.tyvaert@chru-lille.fr

fait l’avènement des crises. Elle préserverait également l’intégri­ té du développement anatomo­ fonctionnel normal du cerveau, essentiel notamment aux perfor­ mances cognitives. l

Mots-clés : Epilepsies, Physiopathologie, Epilepsies généralisées, Troubles cognitifs, Troubles thymiques, Imagerie multimodale, Marqueurs évolutifs, Prévention

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Neurologies • Janvier 2014 • vol. 17 • numéro 164

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