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« Une compréhension des facteurs de risque génétique et environnemental des différentes maladies du sommeil est nécessaire. » Yves Dauvilliers

Unité des troubles du sommeil et de l’éveil, Centre national de référence Narcolepsie et Hypersomnie, Inserm U1061, CHU de Montpellier

a-t-il eu une évolution des concepts, au cours des toutes dernières Y années, dans votre domaine ? Il existe un réel intérêt - bien qu’encore trop faible - de la communauté neurologique pour les pathologies du sommeil et la recherche en neurosciences dans cette thématique. Les mécanismes neurobiologiques et neurophysiologiques du sommeil normal (neurotransmetteurs et voies de signalisation des régions impliquées dans la régulation des différents états de veille et de sommeil) sont de mieux en mieux connus, tout d’abord appréhendés chez l’animal, puis plus récemment chez l’Homme (via des enregistrements intracérébraux, des dosages de biomarqueurs dans le LCR ou directement dans le cerveau par microdialyse…). La place de neurotransmetteurs impliqués dans certains troubles du sommeil a été démon-

trée, comme celle de l’orexine (encore appelée hypocrétine) dans la narcolepsie avec cataplexie, ou la carence en ferritine dans le système nerveux central dans le syndrome des jambes sans repos. L’impact de certains facteurs génétiques et environnementaux a aussi été récemment individualisé dans la régulation du sommeil normal et dans plusieurs pathologies du sommeil et des troubles du rythme circadien.

l’hypersomnie ; les définitions de la narcolepsie avec et sans cataplexie ont été modifiées.

La classification des troubles du sommeil vient d’être révisée avec le DSM-V publié en mai dernier, et la classification de l’ICSD est attendue pour janvier. Elle apporte de nouveaux cadres nosologiques permettant de mieux définir le “normal” et le “pathologique”. Les seuils sont ainsi un peu mieux validés, notamment pour

Enfin, il est maintenant bien établi que les pathologies du sommeil au sens large ou même les perturbations du sommeil sont des facteurs de risque de maladies cardiovasculaires. Ainsi, par exemple, un syndrome d’apnées du sommeil non traité est à risque de maladies cardio- et cérébrovasculaires.

«  Un syndrome d’apnées du sommeil non traité est à risque de maladies cardio- et cérébrovasculaires. »

Quels ont été les grands changements dans votre pratique au cours des dernières années ? L’un des changements majeurs est l’arrivée de biomarqueurs biologiques qui semblent de plus en plus intéressants et pertinents pour les diagnostics des patho­ logies de sommeil : • l’absence ou un taux bas d’hypo2

crétine dans le liquide céphalorachidien devient un critère diagnostique dans la narcolepsie avec cataplexie ; • les taux de ferritine bas dans le sang (20 %), dans le liquide céphalorachidien (quasi systématique) ou via des

séquences d’IRM particulière (R2*) sont très impliqués dans le syndrome des jambes sans repos. Le domaine de la génétique a également beaucoup progressé, grâce à de nombreux travaux sur Neurologies • Janvier 2014 • vol. 17 • numéro 164


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«  L’un des changements majeurs est l’arrivée de biomarqueurs pour les diagnostics des pathologies du sommeil : hypocrétine pour la narcolepsie avec cataplexie, ferritine dans le syndrome des jambes sans repos. » des modèles animaux réalisés ces dernières années, notamment dans le syndrome des jambes sans repos et la narcolepsie : mise en évidence des allèles à risque Meis1 et BTBD9 dans le syndrome des jambes sans repos, et HLA DQB1*0602 (à risque), 0603 (protecteur) et TCR alpha

(à risque) pour la narcolepsie avec cataplexie. Les chronotypes extrêmes du soir et du matin, les longs et courts dormeurs peuvent aussi être différenciés par certains gènes à risque comme PER3, DEC2.

drome d’apnées du sommeil, ont pour conséquence des anomalies de la régulation de la tension artérielle. Cette régulation anormale de la tension artérielle est une situation potentiellement à risque cardiovasculaire.

Les troubles du sommeil comme facteur de risque d’autres pathologies peuvent en faire un marqueur intéressant :

3. Sur le plan des parasomnies, le trouble du comportement en sommeil paradoxal idiopathique est à fort risque de maladie de Parkinson après 10 ans d’évolution. Un suivi strict de ces patients permet d’évaluer l’évolutivité naturelle de la maladie avant l’apparition des symptômes moteurs typiques. 
 Enfin, la prise en charge dans le cadre du Plan Maladies rares a permis la mise en place de centres de référence et de compétences pour les hypersomnies rares afin d’optimiser la prise en charge de ces patients.

1. La privation de sommeil chronique a d’importantes conséquences sur la vigilance, les performances, le risque accidentologique, le métabolisme, la tension artérielle, et la régulation de la nociception. 2. Les anomalies du système nerveux autonome dans la narcolepsie, mais aussi dans le syndrome des jambes sans repos et le syn-

Quelles sont, pour vous, les avancées attendues pour les 2 ou 3 prochaines années dans votre domaine ? La meilleure compréhension des facteurs de risque génétique et environnemental des différentes maladies du sommeil, et notamment de la narcolepsie, du syndrome des jambes sans repos, mais aussi du trouble du comportement en sommeil paradoxal, est nécessaire. Pour exemple, nous avons mis récemment en évidence l’association entre la narcolepsie avec cataplexie et le vaccin H1N1 (Pandemrix). Les formes familiales (60 % des cas) du SJSR ou du somnambulisme sont fréquentes et

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pourtant encore peu étudiées principalement par manque de moyens. Les traitements psychostimulants, en augmentant la transmission histaminergique, mais aussi hypocrétinergique, pourront être les traitements de demain pour les patients atteints d’hypersomnie. Nous venons de finaliser les premiers essais chez l’Homme d’agonistes inverses des récepteurs H3 histaminergiques, avec un effet très favorable sur la somnolence des différentes causes d’hypersomnie.

Les traitements par agonistes mélatoninergiques semblent aussi prometteurs pour un sous-groupe de patients insomniaques ou avec décalage de phase du rythme circadien. Le développement de traitements neuroprotecteurs est attendu dans le cadre de la maladie de Parkinson, la présence d’un trouble du comportement en sommeil paradoxal idiopathique étant un marqueur précoce d’évolution vers une maladie de Parkinson.

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Quels sont les problèmes qui vous semblent encore non résolus et les grands enjeux pour les années futures ? Le dépistage des troubles du sommeil est encore largement insuffisant, et ils ne sont pas assez bien pris en charge en 2013. Ainsi, on compte encore actuellement entre 10-12 ans avant que soit porté un diagnostic de narcolepsie. De même pour le dépistage du syndrome des jambes sans repos. Le domaine de la pharmacogénétique est à développer : on connaît déjà quelques gènes associés à des réponses différentes aux traitements psychostimulants, sans que ces données ne soient utilisées dans la pratique. Il n’existe que peu ou pas d’études sur les formes réfractaires aux traitements des insomnies, de la somnolence diurne, du syndrome des jambes sans repos, des parasomnies, mais

aussi des formes pédiatriques des troubles du sommeil. De façon générale on déplore le peu de financement de la recherche dans le domaine des troubles du sommeil, qui reste un parent pauvre de la recherche en neurosciences. Des travaux doivent être réalisés pour avancer sur la compréhension des mécanismes impliqués entre les troubles du sommeil, les maladies neurodégénératives, les maladies cardiovasculaires et la dépression. Enfin, nous devons répondre à la question de savoir si la prise en charge des troubles du sommeil peut prévenir les maladies cardiovasculaires, neurologiques et psychiatriques. Pour exemple, plusieurs études récentes semblent mettre en évidence des

Correspondance Pr Yves Dauvilliers Unité des troubles du sommeil et de l’éveil CHU Gui de Chauliac 80, avenue Augustin Fliche – 34 295 Montpellier Cedex 5 E-mail : y-dauvilliers@chu-montpellier.fr

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liens entre les taux d’hypocrétine et les taux des protéines bêtaamyloïdes en fonction des états de veille et de sommeil, condition à risque de développer une maladie d’Alzheimer. l

«  Nous devons répondre à la question de savoir si la prise en charge des troubles du sommeil peut prévenir les maladies cardiovasculaires, neurologiques et psychiatriques. »

Mots-clés : Sommeil, Narcolepsie avec cataplexie, Syndrome des jambes sans repos, Hypersomnie, Insomnie, Trouble du comportement en sommeil paradoxal, Biomarqueurs, Génétique, Risque cardiovasculaire, Thérapeutique, Dépistage

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