Neuropédiatrie
« L’orientation précoce vers un neuropédiatre doit être améliorée dans le futur. » Mathilde Chipaux
Unité de Neurochirurgie Pédiatrique, Fondation Ophtalmologique A. de Rothschild, Paris
a-t-il eu une évolution des concepts, au cours des toutes dernières Y années, dans votre domaine ? La neuropédiatrie est née de la rencontre de la pédiatrie – domaine en soi très vaste – et de la neurologie adulte, qui ignore souvent les pathologies spécifiques à l’enfant. Elle est devenue une discipline à part entière, dont le domaine de compétence s’étend du handicap, aux troubles cognitifs et des apprentissages, aux pathologies inflammatoires et neuromusculaires, jusqu’à l’épilepsie et aux mouvements anormaux, en passant par tous les âges, de la naissance à l’adolescence. Faire un bilan de son existence relève de la gageure. Il s’agit d’une discipline jeune, qui a été individualisée il y a peu de temps au regard de la neurologie adulte ; la neuropédiatrie n’en est qu’au stade de l’adolescence ! Les concepts fondateurs ont donc été définis récemment et ont relativement peu évolué pour l’instant. En épileptologie pédiatrique, le concept d’épilepsie rebelle pré14
coce émerge avec des critères différents de l’adulte. Si les critères adultes sont appliqués à l’enfant, en particulier l’enfant jeune, le délai avant l’orientation vers la chirurgie est beaucoup trop long et les conséquences cognitives liées à l’attente sont souvent irréversibles. De plus, le concept d’interaction entre la maturation cérébrale physiologique et la pathologie neurologique présentée par l’enfant a été affiné. Non seulement la pathologie altère la maturation, donc la mise en place des fonctions cognitives et motrices, mais la réciproque est vraie également, l’âge de maturation influe sur l’expression de la pathologie. Par exemple, une épilepsie s’exprimera sous forme de spasmes infantiles avant 1 an, puis pourra évoluer vers un syndrome de Lennox-Gastaut quand l’enfant grandira. • Quant au concept d’encéphalopathies épileptiques, il s’agit d’une entité relativement rare, mais qui prend une grande place au quotidien en neuropé-
diatrie, en raison des difficultés de diagnostic étiologique et de la complexité de la prise en charge de ces enfants souvent lourdement handicapés et nécessitant une polythérapie. Leur épilepsie est survenue précocement après la naissance, et a altéré la maturation cérébrale, entraînant un surhandicap ultérieur. Il est probable qu’un diagnostic et un traitement précoces (quand il est possible) pourraient amoindrir ce surhandicap. • Enfin, les dernières années ont vu l’enrichissement progressif de la recherche clinique et fondamentale en neuropédiatrie, recherche qui restait peu développée au regard de l’étendue des domaines couverts par la discipline. • Une recherche de type épidémiologique se met également en place, grâce à des cohortes de patients avec un suivi prospectif, par exemple en épileptologie (base de données Grenat) et en néonatologie (cohorte Epicure).
Neurologies • Janvier 2014 • vol. 17 • numéro 164
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Quels ont été les grands changements dans votre pratique au cours des dernières années ? En 2007, l’Agence européenne du médicament édicte une loi stipulant que tout nouveau médicament développé chez l’adulte doit également l’être chez l’enfant, et ce, dès les stades précoces de la recherche clinique. Cette loi a pour but de limiter les prescriptions hors AMM si fréquentes en pédiatrie, et apporte désormais des données de pharmacocinétique et de pharmacodynamie spécifiques à l’enfant. Les pédiatres ne veulent plus extrapoler empiriquement les doses à administrer à partir des seules données adultes, sans tenir compte des spécificités de l’enfant, qui n’est pas un adulte en miniature. Un autre changement récent dans nos pratiques quotidiennes est lié aux partenariats de plus en plus étroits avec les associations
de parents. Les liens créés ont permis, d’une part, de favoriser la visibilité du réseau de soins, pour orienter précocement et efficacement l’enfant malade vers le spécialiste adapté à sa pathologie et, d’autre part, d’obtenir la création de centres de référence et de compétences dans les différents domaines de la pédiatrie. Le réseau de soins et l’identification des différentes sous-spécialités de la neuropédiatrie ont été également facilités par le nombre croissant de neuropédiatres formés chaque année, qui vient combler la pénurie. Du point de vue thérapeutique, les progrès sont notables. On peut citer l’arrivée des nouveaux antiépileptiques, le développement de la thérapie génique et
l’amélioration de techniques chirurgicales, par exemple, le traitement endoscopique des hématomes hypothalamiques. La néonatalogie, elle aussi, a continué sa marche en avant, encadrée par un questionnement éthique permanent. La prise en charge des prématurés progresse en terme de survie et de séquelles cognitives et visuelles. Enfin, plusieurs nouveaux gènes ont été découverts, en particulier dans les encéphalopathies épileptiques (SCN1A, PCDH19, KCNT1…). Ils ont permis d’apporter un diagnostic - donc un conseil génétique aux familles - et, plus rarement, de guider les choix thérapeutiques (syndrome du déficit en Glut-1 ou maladie de De Vivo).
Quelles sont les avancées attendues pour les 2 ou 3 prochaines années dans votre domaine ? L’enjeu majeur des pathologies neurologiques de l’enfant est leur survenue sur un cerveau en développement. Le temps perdu ne se rattrape pas et le retard diagnostique ou thérapeutique peut donner lieu à des conséquences cognitives irréversibles. L’orientation précoce vers un neuropédiatre devra donc être améliorée dans le futur, en augmentant le nombre de médecins et en améliorant la formation des généralistes, des pédiatres et des pédopsychiatres, qui reçoivent les enfants en première ligne. Neurologies • Janvier 2014 • vol. 17 • numéro 164
Un réseau de soins entre les neuropédiatres et les autres spécialités médicales impliquées dans les pathologies neurologiques et le handicap serait souhaitable dans chaque région, afin d’améliorer la prise en charge des pathologies associées, en particulier, des comorbidités psychiatriques. En parallèle, l’accès aux examens paracliniques pourrait être travaillé, en particulier pour l’EEG et l’IRM. D’une part, l’EEG devrait systématiquement comporter suffisamment de voies
« L’enjeu majeur des pathologies neurologiques de l’enfant est leur survenue sur un cerveau en développement. Le temps perdu ne se rattrape pas... » d’enregistrement pour obtenir une résolution spatiale acceptable, et une vidéo concomitante permettrait les corrélations électrocliniques lors des crises épileptiques. Trop peu de centres hospitaliers proposent actuelle15
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ment des EEG prolongés de 24 h ou plus, dans le cadre de bilans diagnostiques ou dans le cadre du bilan préchirurgical de l’épilepsie, souvent en raison de la pénurie de
neurophysiologistes. D’autre part, l’accès à l’IRM est problématique chez les petits enfants ou chez les enfants avec retard mental, quand une anesthésie est requise.
Les patients attendent souvent plusieurs mois, ce qui interfère une fois de plus avec la course à un traitement efficace avant la fin de la période de maturation.
Quels sont les problèmes qui vous semblent encore non résolus et les grands enjeux pour les années futures ? Les enjeux futurs concernent principalement les âges “extrêmes” de la pédiatrie : les nourrissons pour lesquels l’accès au diagnostic et au traitement peut être retardé, et les adolescents, pour lesquels le relais entre le pédiatre et l’“adultologue” est souvent ardu. Des réseaux permettant un relais vers le neurologue plus optimal devraient se mettre en place dans le futur. Parmi les enfants les plus jeunes, les encéphalopathies épileptiques représentent un enjeu futur majeur en terme de diagnostic et de thérapeutique, le pronostic actuel de ces enfants étant très sombre à l’âge adulte. De nouveaux gènes devraient apparaître, qui pourraient permettre une amélioration de la prise en charge du patient et/ou de sa famille. D’autres réseaux, cette fois pluridisciplinaires, regroupant les spécialités médicales et paramédicales de la neurologie pédiatrique et du handicap, pourraient éclore pour faciliter le parcours de soins et le parcours éducatif du patient. Le neuropédiatre y a souvent un
rôle central de coordination des différents intervenants autour de l’enfant malade, qui en fait l’interlocuteur privilégié des parents. Ces réseaux pourraient regrouper orthopédistes, gastroentérologues, pédopsychiatres… autour du neuropédiatre, ainsi qu’orthophonistes, psychologues, psychomotriciens, kinésithérapeutes. Les acteurs du médicosocial pourraient y assurer l’intégration optimale du jeune dans le circuit scolaire classique ou adapté.
« Les encéphalopathies épileptiques représentent un enjeu futur majeur en terme de diagnostic et de thérapeutique, le pronostic actuel de ces enfants étant très sombre à l’âge adulte... » De plus, la loi sur le développement des médicaments pédiatriques, grande avancée de ces
Correspondance Dr Mathilde Chipaux Fondation Ophtalmologique A. de Rothschild Unité de Neurochirurgie pédiatrique 25, rue Manin – 75940 Paris Cedex19 E-mail : mchipaux@fo-rothschild.fr
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dernières années, doit maintenant être systématiquement appliquée pour donner aux enfants la même qualité de traitement médicamenteux qu’aux adultes. Enfin, le nombre de neurophysiologistes formés en pédiatrie reste notoirement insuffisant, alors que les demandes d’examens augmentent régulièrement. Ce gap entraîne des délais accrus pour la réalisation des examens et pour leur interprétation et, là encore, un retard dans la prise en charge de la pathologie. En conclusion, la jeunesse de la neuropédiatrie lui confère les avantages de son âge : des concepts relativement récents, un réseau fonctionnel de praticiens à l’échelle du territoire national, une recherche clinique en plein essor. En contrepartie, sa jeunesse l’oblige à se positionner vis-à-vis des autres disciplines médicales. L’intégration du neuropédiatre au sein d’un réseau de soins plus vaste et l’articulation pédiatre“adultologue” feront partie des enjeux pour les années futures. l
Mots-clés : Neuropédiatrie, Essais cliniques, Diagnostic, Prise en charge, Réseaux de soins, Epilepsie rebelle précoce, Encéphalopathies épileptiques, Génétique
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