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Maladie de Parkinson

« Plutôt qu’un objectif de neuroprotection, le plus raisonnable à moyen terme : développer des traitements symptomatiques efficaces sur les signes cliniques résultant de l’atteinte non-dopaminergique» Pierre Krystkowiak*

* Service de Neurologie, CHU d’Amiens

a-t-il eu une évolution des concepts, au cours des toutes dernières Y années, dans votre domaine ? La maladie de Parkinson a longtemps été considérée comme une maladie purement motrice. Puis, l’on a découvert que cette pathologie comportait également des troubles cognitifs, certains troubles psycho-comportementaux et le concept de maladie neuropsychiatrique a émergé. Ainsi, pendant longtemps, la MP a été considérée comme étant une maladie purement «cérébrale» mais, plus récemment, grâce notamment aux travaux de Braak, c’est le concept de maladie systémique qui a commencé à émerger. Il a ainsi été suggéré que les agrégats d’alphasynucléïne, qui constituent les corps de Lewy, marqueur neuropathologique de la maladie, étaient détectés très précocement dans les plexus nerveux myentériques (dans la muqueuse gastro-intestinale) mais également dans le bulbe olfactif avec l’hypothèse suivante : un initiateur externe est ingéré et/ou inhalé et met en branle un processus de dégénérescence caudo-rostral ascendant au niveau encéphalique, à partir du bulbe olfactif (stades de Braak), mais également un processus de dégéné2

rescence rétrograde à partir de la muqueuse gastro-intestinale jusqu’aux noyaux du nerf vague dans le tronc cérébral. Certaines données suggèrent que cet initiateur externe pourrait être un toxique d’ordre environnemental, et certaines données épidémiologiques et certains modèles animaux (par exemple celui à la roténone) suggèrent la possible responsabilité des pesticides. Ce mécanisme irait de pair avec des facteurs de susceptibilité génétique dont les études les plus récentes suggèrent qu’ils seraient au nombre de 28, sur 24 loci identifiés. La cause précise de la maladie dans sa forme sporadique reste toutefois encore méconnue. Le corolaire de ce pattern temporo-spatial de neurodégénérescence est l’identification d’un stade pré-moteur de la maladie, la dégénérescence des neurones dopaminergiques de la substance noire (corrélée au syndrome parkinsonien) ne survenant finalement qu’assez tardivement, soit 15 à 20 ans après le tout début de la maladie :

« Longtemps, la MP a été considérée comme une maladie purement «cérébrale» mais, plus récemment, c’est le concept de maladie systémique qui a commencé à émerger. « troubles olfactifs, constipation, dépression, troubles du comportement en sommeil paradoxal notamment, autant de signes qui surviennent AVANT l’apparition du syndrome parkinsonien. L’idée est donc de diagnostiquer plus tôt, dans le but de soigner plus tôt, en l’occurrence avant les premiers signes moteurs dont on sait qu’ils surviennent alors que 70 à 80 % des neurones dopaminergiques ont disparu. Ce concept nécessite cependant la mise au point de traitements neuroprotecteurs qui, pour le moment, peinent encore à émerger malgré certaines études encourageantes (rasagiline dans l’étude ADAGIO). Un autre concept qui a émergé Neurologies • Janvier 2014 • vol. 17 • numéro 164


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très récemment, et qui est en plein essor, est la possible propagation de l’alphasynucléïne pathologique de neurone en neurone selon un mécanisme

prion-like. Qui plus est, cette alphasynucléine anormale pourrait favoriser l’agrégation de l’alphasynucléine du neurone dans lequel elle serait passée. Cette

idée a récemment été étayée notamment par les travaux de P. Brundin et pourrait déboucher sur de nouveaux espoirs thérapeutiques.

Quels ont été les grands changements dans votre pratique au cours des dernières années ? Dans la pratique quotidienne, une attention toute particulière est désormais portée aux signes non moteurs de la maladie, que ce soit la dysautonomie, les troubles cognitifs, les troubles psychiatriques, les douleurs, etc. Alors qu’ils ont été pendant longtemps considérés comme secondaires par rapport aux signes moteurs, les études ont montrés à quel point ils étaient impliqués dans l’altération de la qualité de vie des patients et, par conséquent, à quel point il était nécessaire de les détecter (nombre de questionnaires ont émergé en ce sens) pour mieux les prendre en charge. Ils sont en effet présents à tous les stades de la maladie, que soit chez des patients de novo, en lune de miel, au stade des fluctuations - fluctuations sensitivo-douloureuses, fluctuations dysautonomiques, fluctuations cognitivo-psychiques - ou à des stades plus tardifs encore. Depuis la conférence de consensus, qui date désormais de 13 ans, les choses ont également sensiblement évolué en terme de stratégie médicamenteuse : alors que

les recommandations stipulaient de prescrire des agonistes dopaminergiques chez les sujets jeunes jusqu’à une posologie maximale, avant d’envisager l’ajout de L-dopa, et ce afin de retarder l’apparition des fluctuations motrices et des dyskinésies, l’émergence des «nouveaux» effets indésirables des agonistes dopaminergiques que sont les troubles du comportement hyperdopaminergiques (avec notamment les troubles du contrôle des impulsions) a changé la donne. Par ailleurs, nombre de techniques de stimulation dopaminergique continue ont progressivement trouvé leur place dans le paysage thérapeutique, que ce soit la pompe à apomorphine, l’instillation intra-duodénale d’un gel de L-dopa (Duodopa®) ou la stimulation cérébrale profonde dont certaines études (EARLYSTIM) ont montré l’intérêt à un stade beaucoup plus précoce que l’on ne le proposait antérieurement. Ainsi, avec le passage progressif de ces différentes techniques dans la «routine», l’on craint moins l’émergence des fluc-

« Une attention particulière est désormais portée aux signes non moteurs, que ce soit la dysautonomie, les troubles cognitifs, les troubles psychiatriques, les douleurs...» tuations motrices et des dyskinésies lorsque l’on instaure un traitement par L-dopa. Pour toutes ces raisons, on prescrit ainsi volontiers la L-dopa beaucoup plus tôt, notamment chez le sujet jeune, sans atteindre la posologie maximale de l’agoniste. Mentionnons enfin l’émergence de la rasagiline comme possible neuroprotecteur (doublé d’un effet symptomatique), ce qui tend à modifier la stratégie dichotomique habituelle agonistes/L-Dopa en proposant cet IMAO-B aux stades les plus précoces de la maladie, quel que soit l’âge.

Quelles sont, pour vous, les avancées attendues pour les 2 ou 3 prochaines années dans votre domaine ? On peut raisonnablement attendre la mise au point de biomarqueurs qui offriront la possibilité de diagnostiquer la maladie à un stade de plus en plus précoce, que ce soit par exemple avec des biopNeurologies • Janvier 2014 • vol. 17 • numéro 164

sies coliques ou de glandes salivaires, avec l’étude de l’échogénicité de la substance noire, avec des tests cognitifs ou des biomarqueurs électrophysiologiques. L’idée est d’être prêt,

lorsque les traitements neuroprotecteurs viendront à émerger, à diagnostiquer la maladie à un stade pré-moteur, c’est-à-dire à un stade où la dégénérescence neuronale n’est pas à un stade 3


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trop évolué. Cela nécessite néanmoins d’être capable d’identifier les patients au stade pré-moteur de la maladie et cela n’est pas simple : certaines études de cohorte (européenne, Arizona, Hawaï) sont en effet en

cours et leur objectif est de déterminer la valeur prédictive de chacun des biomarqueurs utilisés, seul ou surtout de façon combinée. Une fois cette étape atteinte, il sera alors indispensable de disposer de traitements neuroprotec-

teurs. En attendant, on peut miser sur le développement de traitements symptomatiques tels que l’IPX066 - une «vraie» L-dopa à longue durée d’action -, les modulateurs des récepteurs à l’adénosine ou du glutamate.

Quels sont les problèmes qui vous semblent encore non résolus et les grands enjeux pour les années futures ? Cependant, la mise au point des traitements neuroprotecteurs s’avère pour le moins périlleuse et pour le moment, mis à part l’espoir suscité par la rasagiline, force est de constater que les déceptions ont été au rendez-vous, que ce soit avec les traitements médicamenteux (ganglioside GM1, pramipexole, isradipine pour ne citer que les études les plus récentes) mais également avec les approches de thérapie génique (GDNF, neurturine).

L’on peut peut-être davantage espérer du renouveau de la thérapie cellulaire avec l’émergence des cellules souches, mais les difficultés restent nombreuses. L’émergence des mécanismes inflammatoires dans la mort neuronale et de la théorie du prion pourraient être à la base du rationnel des traitements destinés à limiter l’accumulation et l’agrégation de l’alphasynucléïne, par exemple avec les vaccins, mais les écueils restent également

Correspondance • Pr Pierre Krystkowiak Service de Neurologie - CHU Hôpital Nord Pôle C - CHU d’Amiens Place Victor Pauchet - 80054 AMIENS CEDEX 1 E-mail : HYPERLINK «mailto:krystkowiak.pierre@chu-amiens.fr» \o «mailto:krystkowiak. pierre@chu-amiens.fr - http://www.orpha.net/consor/cgi-bin/Directory_Contact

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nombreux. Très récemment, une étude de thérapie génique conduite par S. Palfi (utilisant un vecteur lentiviral, le Prosavin®, ayant pour but d’accroître la conversion intra-striatale de L-dopa en dopamine) a montré des résultats préliminaires encourageants. Cependant, sur un plan symptomatique, peut-être est-il plus raisonnable d’espérer à moyen terme le développement de traitements efficaces sur les signes cliniques qui résultent de l’atteinte de systèmes non-dopaminergiques, que ce soient les troubles cognitifs, la dysautonomie ou les signes moteurs axiaux tardifs (chutes, instabilité posturale). l

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