Sclérose en plaques
« Il n’y a pas de consensus pour affirmer que les thérapeutiques utilisées à ce jour retardent l’apparition de la phase secondairement progressive. » Patrick Vermersch
Clinique Neurologique, Pôle des Neurosciences et Appareil locomoteur, Hôpital Roger-Salengro, CHRU de Lille
a-t-il eu une évolution des concepts, au cours des toutes dernières Y années, dans votre domaine ? • La communauté neurologique et scientifique a, ces dernières années, renforcé la conviction que la sclérose en plaques (SEP) était bien une maladie dégénérative, et ce dès le début. Les travaux ont montré que la SEP était une maladie beaucoup plus diffuse que nous pouvions l’imaginer : non seulement elle est très vite dissé-
minée dans la substance blanche, mais surtout avec une atteinte précoce de la substance grise, corticale et également profonde, notamment thalamique. Ces anomalies expliquent en partie la précocité et l’évolutivité des troubles cognitifs. • Sur le plan plus fondamental,
à côté des rôles bien identifiés de l’immunité adaptative, notamment par les lymphocytes B et T, des études ont mis en exergue une implication précoce de l’immunité innée. Des travaux ont mis en évidence des modifications astrocytaires et un rôle clef des cellules microgliales.
Quels ont été les grands changements dans votre pratique au cours des dernières années ? • L’analyse des cohortes de patients après un seul événement, sur les plans clinique et IRM, a permis de modifier les critères diagnostiques, maintenant appelés “critères McDonald 2010”. Ces critères, par rapport à ceux de 2005, n’ont pas véritablement modifié les sensibilité et spécificité mais, par contre, ils sont d’une part plus simples et, d’autre part, ils permettent de poser un diagnostic plus rapidement. Considérant ces nouveaux critères, les lésions diffuses et la précocité de l’atteinte dégénérative, objectivées dans les traNeurologies • Janvier 2014 • vol. 17 • numéro 164
vaux radiologiques par la mise en évidence d’une atrophie, les neurologues ont bien compris la nécessité d’un traitement précoce, et selon les critères de l’AMM, parfois après un seul épisode neurologique. • Dans le suivi des patients, le grand changement est notre prise en compte des troubles non physiques de la maladie et notamment des troubles cognitifs, même si aucun consensus n’existe quant aux méthodes d’évaluation, leur prise en charge et leur place dans nos algorithmes thérapeutiques. Néanmoins, ces
troubles cognitifs sont souvent évolutifs, avec un impact majeur sur le handicap du patient, mais ils sont aussi prédictifs d’une dégradation physique ultérieure. • Les réseaux de santé - formalisés ou non - ont continué d’apporter beaucoup dans le cadre de la nécessaire approche multidisciplinaire. • Enfin, les données apportées par les études immunologiques et l’épidémiologie ont incité de très nombreux neurologues à supplémenter en vitamine D leurs patients atteints de SEP. 9
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Quelles sont, pour vous, les avancées attendues pour les 2 ou 3 prochaines années dans votre domaine ? • Nous espérons une uniformisation de l’évaluation des troubles cognitifs avec la validation définitive d’un test de dépistage qui pourrait être une version orale de la SDMT (Symbol Digit Modalities Test) et d’une batterie courte comme la BICAMS, en cours d’évaluation dans de nombreux pays. • En imagerie, des efforts sont menés pour rendre plus accessible l’évaluation de l’atrophie, et probablement plus rapidement la détection des lésions corti-
cales par des séquences du type “DIR” (Double Inversion Récupération). • Sur la plan thérapeutique, nos algorithmes thérapeutiques seront modifiés avec l’arrivée de nouvelles thérapeutiques par voie orale et en première ligne (tériflunomide, diméthylfumarate, peut-être laquinimod), ainsi que par la mise à disposition d’autres anticorps monoclonaux comme l’alemtuzumab en 2e ou 3e lignes ou dans un schéma d’induction dans
des formes très actives d’emblée. Enfin, les prescriptions du natalizumab seront guidées par l’utilisation de l’index d’anticorps apportant une meilleure précision quant aux risques de leuco-encéphalopathie multifocale progressive. L’OFSEP - Observatoire Français de la SEP - permettra de fournir des éléments intéressants quant à l’impact de ces traitements, et notamment leur sécurité d’utilisation.
Quels sont les problèmes qui vous semblent encore non résolus et les grands enjeux pour les années futures ? Les nombreuses avancées thérapeutiques ne concernent malheureusement à ce jour que les formes rémittentes de la maladie. Néanmoins plusieurs essais thérapeutiques, y compris de phase III, sont en cours dans les formes progressives. Aucune étude n’a apporté de preuves formelles qu’un agent a une action neuroprotectrice directe. Un meilleur contrôle de la composante inflammatoire de la mala-
die n’implique pas formellement une diminution de la part dégénérative. Autrement dit, même si quelques études de cohortes donnent quelques éléments de réponse, il n’y a pas de consensus pour affirmer que les thérapeutiques utilisées à ce jour retardent l’apparition de la phase secondairement progressive. Le suivi rigoureux de grandes cohortes de patients colligeant des données cliniques incluant des tests cognitifs et IRM permettant d’obtenir une évaluation pratique
Correspondance Pr Patrick Vermersch Clinique Neurologique Pôle des Neurosciences et appareil locomoteur Hôpital Roger Salengro - CHRU de Lille - 2, Av Oscar Lambret - 59037 Lille Cedex E-mail : patrick.vermersch@chru-lille.fr
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et standardisée de l’atrophie, nous permettra de répondre à cette question. l
« Le suivi rigoureux de grandes cohortes de patients colligeant des données cliniques incluant des tests cognitifs et IRM permettra d’obtenir une évaluation standardisée de l’atrophie. »
Mots-clés : Sclérose en plaques, Physiopathologie, Critères diagnostiques, Traitement précoce, Troubles cognitifs, Atrophie, Thérapeutique, Vitamine D, Voie orale, Anticorps monoclonaux, Natalizumab
Neurologies • Janvier 2014 • vol. 17 • numéro 164
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« La notion d’évaluation du handicap (moteur, cognitif, social) entre beaucoup plus dans nos pratiques. » Claude Mekies Polyclinique du Parc, Toulouse a-t-il eu une évolution des concepts, au cours des toutes dernières Y années, dans votre domaine ? A mon sens, ces dernières années ont été essentiellement marquées par une évolution des concepts dans deux domaines : • celui de la critériologie diagnostique ; • et celui d’une meilleure connaissance de la physiopathologie de la SEP. Concernant les critères diagnostiques, même si ceux-ci ne dérogent pas aux critères de dissémination spatiale et temporelle, ils évoluent depuis plusieurs années, avec pour seul but la possibilité de faire un diagnostic plus précoce avec une meilleure sensibilité tout
en gardant une spécificité et une valeur prédictive positive identique (Polman et al., 2011). Concernant la physiopathologie de la SEP, l’évolution des concepts se situe à plusieurs niveaux : • au niveau neuropathologique, avec, aux côtés de l’oligodendrocyte, un rôle probablement important des cellules microgliales et astrocytaires ; • au niveau immunologique, avec un rôle revisité de l’immunité humorale, donc de l’importance des lymphocytes B, aux côtés bien évidemment
des lymphocytes T dont l’implication est beaucoup plus connue ; • au niveau de l’imagerie, avec un rôle très important de l’inflammation dite “diffuse” qu’on ne mesure pas sur nos imageries conventionnelles (en opposition avec l’inflammation dite “focale” représentée par les plaques visibles en IRM), et qui est probablement le mieux corrélée à l’atrophie cérébrale et le plus en adéquation avec le handicap. Plusieurs travaux mettent, par ailleurs, en avant l’implication très importante de l’atteinte de la substance grise notamment du cortex cérébral, dans le handicap.
Quels ont été les grands changements dans votre pratique au cours des dernières années ? C’est certainement le fait que le diagnostic de SEP est établi de manière plus précoce, ce qui implique, en pratique quotidienne, une annonce diagnostique et la mise en route d’un traitement spécifique à un stade souvent très précoce de la maladie. Cela nous conduit de plus en plus à mettre en place une éducation à la maladie afin de bien faire comprendre à nos patients que, malgré l’absence apparente de symptômes, la maladie peut avoir un profil évolutif potentiellement grave pour lui et justifie un traitement. Neurologies • Janvier 2014 • vol. 17 • numéro 164
Par ailleurs, au-delà des poussées, qui ont été jusque-là les symptômes pris en compte pour la mise en place d’un traitement de fond (AMM) et pour le suivi de la réponse clinique, la notion d’évaluation du handicap (moteur, cognitif, social) entre beaucoup plus dans nos pratiques. Plusieurs échelles de mesure sont à disposition des praticiens pour évaluer ce handicap dans toutes ses dimensions, afin de proposer des mesures symptomatiques (médicamenteuses ou non), et de pouvoir établir un suivi individuel.
« Le diagnostic de SEP est établi de manière plus précoce, ce qui implique une annonce diagnostique et la mise en route d’un traitement à un stade souvent très précoce de la maladie. » La prise en compte et la prise en charge de ces dimensions du handicap, présent même à un stade très précoce de la maladie, ont 11
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considérablement amélioré qualité de vie de nos patients.
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Enfin, on ne peut éviter de parler des nouveaux traitements de
fond par voie orale, et notamment de la mise sur le marché récente de la première forme orale, certes pour sa grande utilisation en deuxième intention, mais qui
modifie considérablement la prise en charge thérapeutique et notre réflexion sur différents aspects, notamment l’adhésion au traitement.
Quelles sont, pour vous, les avancées attendues pour les 2 ou 3 prochaines années dans votre domaine ? C’est très probablement la mise sur le marché prochaine de nombreux traitements par voie orale qui va modifier la prise en charge thérapeutique de nos patients. Ce seront les premiers traitements par voie orale qu’on pourra utiliser en première intention et la question posée portera sur l’utilisation future des immunomodulateurs. Est-ce la fin des voies injectables ? Par ailleurs, la multitude de molécules dans notre arsenal thérapeutique va rendre très complexe le passage d’une molécule à l’autre. Nous aurons donc à mener une réflexion sur des algorithmes de prise en charge thérapeutique et nos décisions seront de plus en plus des décisions partagées.
« La multitude de molécules va rendre complexe le passage d’une molécule à l’autre. Nous aurons à établir des algorithmes de prise en charge et nos décisions seront de plus en plus des décisions partagées. » L’autre avancée sera très probablement la prise en compte plus prépondérante d’autres paramètres de suivi que la poussée. Les différentes dimensions du handicap (cognition, handicap social) entre-
ront très probablement dans les critères d’évaluation de nos études. Concernant l’évaluation de l’efficacité de nos traitements, nous allons probablement évoluer vers une réponse optimale, avec absence d’activité clinique et radiologique (patients libres de toute activité), ce qui impliquera de faire entrer l’IRM dans le suivi systématique pour l’évaluation de nos traitements. L’atrophie cérébrale, paramètre le mieux corrélé au handicap, est établi à l’échelon d’un groupe au travers des études, mais son application à l’échelon individuel est encore difficile ; il n’est pas impossible que l’on ait, à l’avenir, la possibilité de mieux apprécier cette atrophie dans la pratique quotidienne.
Quels sont les problèmes qui vous semblent encore non résolus et les grands enjeux pour les années futures ? Bien que de nombreuses avancées aient été faites en matière de physiopathologie, celle-ci reste toujours très complexe, et la SEP ne doit plus être considérée ce jour comme une maladie uniquement inflammatoire et comme une maladie ne touchant que la substance blanche. Cela va amener à réfléchir sur des biomarqueurs de la maladie
assez pertinents pour pouvoir suivre l’évolution de la maladie et la réponse aux traitements.
SEP. Ceci sera probablement à l’origine d’un traitement dit “à la carte”.
Par ailleurs, il n’est pas impossible que, dans un avenir proche, la pharmacogénétique et la pharmacogénomique permettront de déterminer pour chaque patient une thérapeutique adaptée à sa propre pathogénie de la
Enfin, au-delà des traitements immunomodulateurs et immunosuppresseurs, d’autres approches très intéressantes - rémyélinisation, utilisation de cellules souches - verront probablement le jour. l
Correspondance Dr Claude Mekies – Polyclinique du Parc 105 rue Achille Viadieu – 31400 Toulouse E-mail : c.mekies@wanadoo.fr
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Mots-clés : Sclérose en plaques, Physiopathologie, Diagnostic précoce, Handicap, Atrophie, Traitements de fond, Voie orale Neurologies • Janvier 2014 • vol. 17 • numéro 164