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Gestion du traitement de fond dans la SEP rémittente Pourquoi et comment changer de traitement ? n L’utilisation des traitements de fond de première et deuxième lignes dans la sclérose en plaques répond à des critères d’autorisation de mise sur le marché basés sur des critères cliniques et radiologiques. Malgré tout, il existe parfois des situations complexes pour lesquelles la stratégie thérapeutique reste délicate. La mise à disposition de plusieurs molécules immunomodulatrices ou immunosuppressives dans un futur proche risque de complexifier la réflexion et la prise de décision pour le praticien.

Pourquoi est-on amené à discuter un changement de traitement de fond ?

Plusieurs situations peuvent amener à envisager une modification de traitement de fond :

1 - Par manque d’efficacité

La mise à disposition des traitements immunosuppresseurs spécifiques (natalizumab et fingolimod) a permis de définir le concept de “liberté d’activité de la maladie” (Fig. 1), correspondant à une situation de rémission clinique (absence de poussée et de progression du handicap défini par le score EDSS) et radiologique (absence de nouvelles lésions T2 et de prises de contraste par le gadolinium). De ce fait, l’exigence en terme d’efficacité vis-à-vis des traite-

*Service de Neurologie, CHRU de Nice, Hôpital Pasteur

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Mikael Cohen*

ments de première ligne devient de plus en plus stricte et peut amener à envisager un switch thérapeutique après une seule poussée survenant sous traitement immunomodulateur bien mené.

e nc le se el Ab ouv T2 n n de ésio l

Rémission

2 - Par crainte des risques liés au traitement

Cette situation concerne surtout les traitements de deuxième ligne actuels (natalizumab et fingolimod). En effet, ces traitements sont extrêmement efficaces, mais exposent le patient à des risques (principalement infectieux), surtout lorsqu’ils sont utilisés de façon prolongée. Le changement de traitement est alors motivé par la nécessité d’éviter un risque d’événement indésirable potentiellement grave. L’expérience de la gestion du risque de LEMP chez les patients traités par natalizumab a souligné toutes les difficultés et la

Ab s de de p ence co ris nt e ra ste

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Figure 1 - Illustration du concept de rémission ou liberté d’activité de la maladie (statut Disease Free en anglais).

complexité dans la gestion de ce type de situation, qui ne peut répondre à des recommandations très précises et nécessite une réflexion au cas par cas.

3 - Par manque d’adhérence au traitement Cette

troisième

situation

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concerne principalement les traitements de première ligne actuels. En effet, la voie d’administration par auto-injection et les effets secondaires potentiels de ces traitements peuvent parfois mener à une mauvaise observance et à une sensation de perte d’efficacité du traitement.

Gestion d’un traitement de première ligne

Pour un patient traité par un immunomodulateur (interféron bêta ou acétate de glatiramère), la principale problématique est de dépister le plus précocement possible les patients en échec thérapeutique. Cette situation peut résulter d’un manque d’efficacité ou d’une mauvaise adhérence au traitement, souvent liée à la voie d’administration et aux effets secondaires engendrés par cette classe thérapeutique.

La définition actuelle de l’échec thérapeutique

Actuellement, la définition de l’échec thérapeutique correspond au libellé de l’AMM des traitements immunosuppresseurs de deuxième ligne disponibles sur le marché (natalizumab et fingolimod) (voir encadré ci-contre).

Définition de l’échec thérapeutique Chez un patient bénéficiant d’un traitement immunomodulateur bien mené depuis au moins 1 an, l’échec thérapeutique se définit par : • la survenue d’une poussée documentée et traitée pendant les 12 derniers mois ; ET • la présence d’au moins 9 lésions en hypersignal T2 sur une IRM datant de moins de 3 mois ou la présence d’une lésion rehaussée par le gadolinium.

L’échec au traitement immunomodulateur implique-t-il obligatoirement une escalade thérapeutique ?

Lorsqu’un patient est considéré en échec thérapeutique d’un traitement immunomodulateur, le choix le plus courant est d’envisager d’emblée une escalade thérapeutique vers un traitement de deuxième ligne. Cependant, ces traitements - beaucoup plus efficaces - exposent le patient à des risques plus importants. Il se pose donc parfois la question de savoir si un changement de traitement de première ligne peut être proposé au patient. Plusieurs études dans la littérature se sont intéressées à cette question et permettent d’apporter des réponses importantes pour la pratique quotidienne. Parmi ces études, celle réalisée

par l’équipe Barcelonaise de Xavier Montalban [1] a colligé une cohorte de 915 patients présentant une SEP rémittente traitée par un immunomodulateur. Parmi ces patients, 255 ont bénéficié d’un changement de traitement et 165 d’entre eux ont changé pour un autre traitement immunomodulateur. Les résultats montrent que le changement d’immunomodulateur permet d’obtenir une réduction significative du taux annualisé de poussées, quel que soit le schéma thérapeutique envisagé : interféron bêta (IFN) vers interféron bêta, IFN vers acétate de glatiramère (AG), ou AG vers IFN (Tab. 1). Cette efficacité peut être mise sur le compte d’un mode d’action différent entre l’IFN et l’AG, et probablement d’une meilleure adhérence au deuxième traitement lors de la réalisation du switch.

Tableau 1 - Taux annualisé de poussées durant les différentes périodes de traitement. Quel que soit le schéma thérapeutique, le changement de traitement immunomodulateur a permis d’obtenir une réduction significative du taux annualisé de poussées. D’après Rio et al. [3]. Taux annualisé de poussées avant introduction du premier traitement immunomodulateur

Taux annualisé de poussées sous premier traitement immunomodulateur

Taux annualisé de poussées sous deuxième traitement immunomodulateur

Interféron bêta vers interféron bêta

1,1

0,9

0,27

Interféron bêta vers acétate de glatiramère

1,2

1,1

0,25

Acétate de glatiramère vers interféron bêta

1,1

0,82

0,16

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D’autre part, les patients développant des anticorps neutralisants contre l’interféron bêta peuvent également être candidats à un changement de traitement de première ligne. Un article de synthèse, publié en 2010 par un groupe d’experts international [2], recommande le dosage des anticorps anti-interféron de façon systématique après 1 à 2 ans de traitement. Les principales mesures de précaution résident dans l’utilisation d’une technique de dosage fiable et le respect des seuils de significativité, qui varient selon la molécule envisagée (interféron bêta-1a ou 1b). Un changement de traitement est recommandé pour les patients développant des anticorps neutralisants à taux significatif et confirmé sur deux prélèvements successifs.

Choix d’un traitement de deuxième ligne

Si une escalade thérapeutique est envisagée, le choix du traitement se discutera principalement entre le natalizumab et le fingolimod. Aucune donnée n’est disponible à ce jour pour comparer l’efficacité de ces deux molécules, qui possèdent les mêmes critères d’AMM. Le choix

se fera donc en accord avec le patient, après avoir exposé les modalités d’administration et les risques liés à chaque traitement. Le tableau 2 reprend les éléments principaux qui peuvent contribuer au choix entre les deux molécules.

Perspectives envisageables avec l’arrivée des nouvelles molécules immunomodulatrices

L’arrivée prochaine ou lors des années à venir de plusieurs nouvelles molécules immunomodulatrices (tériflunomide, fumarate, laquinimod) modifiera probablement la stratégie thérapeutique globale des patients. Ces nouvelles molécules apporteront non seulement un plus grand confort pour le patient grâce à leur mode d’administration par voie orale, mais également de nouvelles perspectives thérapeutiques du fait de leur mode d’action totalement différent par rapport aux molécules disponibles actuellement. Cela renforcera probablement l’intérêt d’un changement de traitement de première ligne chez les patients considérés comme “répon-

Tableau 2 – Arguments permettant d’orienter le choix entre le natalizumab et le fingolimod. Natalizumab

Fingolimod

Patients à haut risque de LEMP Sérologie JC positive Traitement immunosuppresseur préalable Obstacles au diagnostic de LEMP Troubles cognitifs Obstacles à la réalisation d’IRM régulières

Patients séronégatifs pour le VZV Vaccination obligatoire Patients à haut risque sur le plan cardiovasculaire Mise en garde dans le RCP du produit Patients ayant un risque accru d’œdème maculaire Antécédent de rétinopathie Antécédent de maculopathie Antécédent de diabète Présence de cicatrices d’uvéites Patients peu compliants

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deurs partiels”, à savoir des patients qui ne remplissent pas les critères d’échec thérapeutique, mais qui ne sont pas en “rémission”, selon les critères énoncés précédemment. Il faudra cependant, au préalable, établir des critères d’évaluation précoces et utilisables à l’échelle individuelle, propres à chaque traitement. Plusieurs études publiées dans la littérature se sont déjà intéressées à ce sujet pour les traitements immunomodulateurs actuels, notamment l’interféron bêta. Les travaux les plus aboutis ont été publiés par l’équipe de Barcelone [3] qui propose d’évaluer l’efficacité du traitement de façon systématique, un an après son instauration, par un examen clinique et une IRM encéphalique. Un score est coté entre 0 et 3 pour définir la réponse au traitement (encadré p. suivante). L’étude a évalué l’intérêt de ce score (calculé après 1 an de traitement) pour prédire une progression du handicap 3 ans plus tard. Les résultats montrent que les patients présentant un score de Rio supérieur ou égal à 2 (soit, le plus souvent, la présence d’une activité clinique et radiologique) ont un risque de progression du handicap beaucoup plus élevé que le reste de la cohorte. Les patients ayant un score calculé à 1 (activité clinique ou radiologique isolée) ont un risque de progression du handicap nettement inférieur mais légèrement plus important que les patients en “rémission”. Ces patients, considérés comme “répondeurs partiels” pourraient donc être candidats dans les années à venir à une réévaluation de la stratégie thérapeutique.

Gestion d’un traitement de deuxième ligne

Les traitements de deuxième Neurologies • Février 2014 • vol. 17 • numéro 165


Gestion du traitement de fond dans la SEP rémittente

ligne présentent une très grande efficacité sur la réduction du risque de poussées et de progression du handicap, mais exposent le patient à des risques (principalement infectieux et carcinologiques) liés à l’immunosuppression prolongée. Dans cette situation, le changement de traitement est principalement motivé par la crainte de survenue d’un événement indésirable grave.

L’expérience de la gestion du risque de LEMP sous natalizumab

L’expérience la plus grande concerne la gestion actuelle du risque de LEMP pour les patients traités par natalizumab. Pour éviter ce risque, de nombreuses stratégies ont été envisagées dans un premier temps : allongement des intercures, réalisation d’une fenêtre thérapeutique, retour à un traitement immunomodulateur… Les résultats sont concordants et globalement décevants. L’interruption permanente ou transitoire du traitement par natalizumab engendre un retour de l’activité inflammatoire de la maladie survenant entre 3 et 4 mois après l’arrêt du traitement [4], quel que soit le traitement utilisé en relais aux perfusions (méthylprednisolone ou immunomodulateur). Dans un deuxième temps, la mise sur le marché du fingolimod a ouvert la possibilité d’un switch thérapeutique qui permettrait d’éviter le risque de LEMP, tout en maintenant un traitement immunosuppresseur d’efficacité comparable au natalizumab. Cette stratégie n’avait cependant pas été évaluée, et aucune recommandation n’a été établie à ce jour par les Neurologies • Février 2014 • vol. 17 • numéro 165

Score de Rio (selon Rio et al., 2006) [3] Critère “IRM” = 1 point, si l’IRM montre l’apparition d’au moins 2 nouvelles lésions T2 ou 1 prise de contraste par le gadolinium. Critère “poussée” = 1 point, si le patient a présenté au moins 1 poussée. Critère “progression” = 1 point, si le score EDSS a progressé d’au moins 1 point de façon confirmée sur une période de 6 mois.

autorités de santé concernant les modalités d’un éventuel switch.

Ne pas négliger les risques liés à l’accumulation des molécules immunosuppressives

La réalisation d’un switch thérapeutique chez un patient traité par immunosuppresseur doit prendre en compte à la fois le risque de réactivation de la maladie, mais également le risque de toxicité ou d’événement indésirable. Pour illustrer cette problématique, une étude publiée cette année [5] souligne le risque de survenue d’une LEMP après l’arrêt du natalizumab. L’article a colligé 17 cas de patients ayant arrêté le natalizumab et chez qui le diagnostic de LEMP a été posé plus de 30 jours après la réalisation de la dernière perfusion (le délai du diagnostic pouvait aller jusqu’à 6 mois). Le switch doit donc être réalisé avec prudence et idéalement en documentant l’évolution de la façon la plus précise possible pour pouvoir argumenter l’imputabilité éventuelle des différents traitements en cas de survenue d’un événement indésirable.

Les résultats de l’étude ENIGM

L’étude ENIGM a colligé une cohorte française de patients ayant bénéficié d’un switch du natalizumab vers le fingolimod [6]. L’ensemble des centres tertiaires

de prise en charge de la SEP en France a participé à ce recueil prospectif, qui a permis de colliger 333 patients. Dans près de 50 % des cas, le switch était motivé par la crainte du risque de LEMP chez des patients présentant une sérologie positive pour le virus JC et ayant été traités par natalizumab pendant plus de 2 ans (30 perfusions en moyenne). Pour les autres patients, le switch était motivé par le développement d’anticorps neutralisants, la survenue de réactions allergiques graves, ou par décision du neurologue ou du patient. Les résultats soulignent un risque de réactivation de la maladie corrélé à la durée de la fenêtre thérapeutique : une durée supérieure à 12 semaines multipliait par 4 le risque de survenue d’au moins une poussée pendant cette période. D’autre part, 20 % des patients ont présenté au moins une poussée durant les 6 premiers mois de traitement par fingolimod. Les patients ayant rechuté pendant la fenêtre thérapeutique avaient un risque relatif multiplié par 4. Enfin, 3 % des patients ont dû arrêter précocement le fingolimod pour des raisons de tolérance, d’inefficacité ou de mauvaise compliance. Les patients ayant bénéficié d’une fenêtre thérapeutique courte n’ont pas présenté d’augmentation du risque de survenue d’événements indésirables cliniques ou biologiques. Les conclusions suggèrent donc de 59


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réaliser une fenêtre thérapeutique courte (inférieure à 12 semaines) pour minimiser le risque de réactivation de la maladie. Un recul plus important sera néanmoins intéressant pour apprécier l’évolution des patients à plus long terme.

1er traitement de première ligne

Evaluation systématique

Réponse partielle :

autre traitement de 1re ligne

Répondeur optimal :

poursuite du traitement

Conclusions et perspectives

Le changement de traitement de fond est une problématique complexe, notamment lorsqu’il s’agit de discuter la poursuite d’un traitement immunosuppresseur au long cours. Dans ce type de situation, la décision est souvent discutée au cas par cas, avec le patient. Les résultats de l’étude ENIGM montrent par ailleurs qu’il faudra évaluer les différentes stratégies de switch lorsque de nouvelles molécules seront disponibles sur le marché. Pour les patients sous immunomodulateur, le changement vers un traitement de seconde ligne répond à des critères d’AMM

Echec thérapeutique : Traitement de 2e ligne

Evaluer les stratégies de switch et les risques liés à l'accumulation des traitements

Figure 2 - Synthèse de l’évaluation et de la gestion des traitements de fond.

précis, mais l’arrivée de nouveaux traitements dans un futur proche nécessitera de revoir l’ensemble de la stratégie thérapeutique, notamment pour les patients répondeurs partiels (Fig. 2). La mise en place de réunions de concertation thérapeutique depuis quelques années permet également de discuter et de formuler une proposition collégiale dans les situations les plus complexes. n

Correspondance Dr Mikael Cohen Service de Neurologie CHRU de Nice, Hôpital Pasteur BP 69 - 30, voie Romaine 06002 Nice Cedex E-mail : cohen.m@chu-nice.fr

Mots-clés : Sclérose en plaques, Traitement de fond, Switch, Immunomodulateurs, Immunosuppresseurs, Echec thérapeutique, Gestion des risques

Bibliographie 1. Río J, Tintoré M, Sastre-Garriga J et al. Change in the clinical activity of multiple sclerosis after treatment switch for suboptimal response. Euro J Neurol 2012 ; 19 : 899-904. 2. Polman CH, Bertolotto A, Deisenhammer F et al. Recommendations for clinical use of data on neutralising antibodies to interferon-beta therapy in multiple sclerosis. Lancet Neurol 2010 ; 9 : 740-50. 3. Río J, Nos C, Tintoré M et al. Defining the response to interferon-beta in relapsing-remitting multiple sclerosis patients. Ann Neurol 2006 ; 59 : 344-52.

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4. O’Connor PW, Goodman A, Kappos L et al. Disease activity return during natalizumab treatment interruption in patients with multiple sclerosis. Neurology 2011 doi:10.1212/WNL.0b013e31821e7c8a 5. Fine AJ, Sorbello A, Kortepeter C, Scarazzini L. Progressive multifocal leukoencephalopathy after natalizumab discontinuation. Ann Neurol 2014 ; 75 (1) : 108-15. 6. Cohen M et al. accepté pour publication dans JAMA Neurology au jour de rédaction de cet article.

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