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revue pluridisciplinaire en neurologie

d www.neurologies.fr

dossier

Les aphasies Coordonné par Catherine Thomas-Antérion Les formes “classiques” d’aphasie - aphasie de Broca, aphasie de Wernicke et aphasie de conduction - et les aphasies transcorticales • L’analyse du langage (praxie, phonologie, sémantique, syntaxe), de la compréhension, du langage écrit... • Explorer les troubles du langage : quel sont les “bons” outils ? APHASIE : « trouble du langage secondaire à une atteinte des réseaux neuronaux de l’hémisphère dominant. »

On en parle...

Le travail posté augmente-t-il le risque d’AVC ? Jean-Bernard Henrotin, Yannick Béjot et Maurice Giroud

Sclérose en plaques

Peut-on prédire la sévérité de la prochaine poussée de SEP ? Caroline Bensa

Septembre 2013 • Volume 16 • n°160 • Cahier 1 • 9 €


Revue pluridisciplinaire en neurologie

Directeur de la publication : Dr Antoine Lolivier • Chef du Service Rédaction : Odile Mathieu • Relectrice : Fanny Lentz • Chef de Fabrication et de Production : Gracia Bejjani • Assistante de ­Production : Cécile Jeannin • Chef de publicité : Emmanuelle Annasse • Service Abonnements : Claire Lesaint • Impression : Imprimerie de Compiègne 60205 Compiègne Rédacteur en chef Pr Franck Semah (Lille).

sommaire www.neurologies.fr

n ActualitÉs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 234

appels d'offre, prix, rendez-vous de l'industrie

Comité de rédaction Dr Alain Ameri (Meaux), Dr Stéphane Auvin (Paris), Dr Nadia Bahi-Buisson (Paris), Dr Yannick Béjot (Dijon), Dr Stéphanie Bombois (Lille), Dr Benjamin Cretin (Strasbourg), Dr Bénédicte Défontaines (Paris), Dr Romain Deschamps (Paris), Dr David Devos (Lille), Dr Michel Dib (Paris), Dr Valérie Domigo (Paris), Dr Olivier Gout (Paris), Dr Antoine Gueguen (Paris), Dr Gilles Huberfeld (Paris), Dr David Laplaud (Nantes), Dr Christine Lebrun-Frénay (Nice), Dr Christian Lucas (Lille), Dr Dominique Mazevet (Paris), Dr Christelle Monaca (Lille), Pr Yann Péréon (Nantes), Dr Sylvain Rheims (Lyon), Dr Catherine Thomas-Antérion (Saint-Etienne), Pr Emmanuel Touzé (Paris), Dr Tatiana Witjas (Marseille), Pr Mathieu Zuber (Paris).

n on en parle... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 236 Accidents vasculaires cérébraux et travail posté Des preuves encore insuffisantes Jean-Bernard Henrotin (Vandœuvre-Lès-Nancy), Yannick Béjot et Maurice Giroud (Dijon)

n Dossier

Comité scientifique Dr Claude Adam (Paris), Dr Annick Alperovitch (Paris), Pr Philippe Azouvi (Garches), Pr JeanLouis Baulieu (Tours), Dr Gérard Besson (Grenoble), Dr Arnaud Biraben (Rennes), Pr William Camu (Montpellier), Pr Mathieu Ceccaldi (Marseille), Pr Patrick Chauvel (Marseille), Pr François Chollet (Toulouse), Pr Michel Clanet (Toulouse), Pr Philippe Damier (Nantes), Dr Hubert Déchy (Versailles), Dr Jean-Fr ançois Demonet (Toulouse), Pr Didier Dormont (Paris), Pr Gilles Edan (Rennes), Dr Marie-Odile Habert (Paris), Pr Jean-Jacques Hauw (Paris), Dr Lucie HertzPanier (Paris), Dr Pierre Hinault (Rennes), Dr Laurent Laloum (Paris), Dr Gilles Lavernhe (Gap), Dr Denis le Bihan (Saclay), Pr Olivier Lyon-Caen (Paris), Pr Jean-Louis Mas (Paris), Pr Vincent Meininger (Paris), Dr Patrick Metais (Metz), Pr Thibault Moreau (Dijon), Pr Jacques Moret (Paris), Pr Jean-Philippe Neau (Poitiers), Pr Jean-Pierre Olié (Paris), Pr Jean Pelletier (Marseille), Pr Muriel Rainfray (Bordeaux), Dr Danièle Ranoux (Limoges), Pr Jean Régis (Marseille), Dr Pascal Rémy (Corbeil-Essonne), Pr Philippe Ryvlin (Lyon), Pr Yves Samson (Paris), Dr Isabelle Serre (Reims), Pr Pierre Thomas (Nice), Pr Pierre Vera (Rouen), Dr France Woimant (Paris) Neurologies est une publication ©Expressions Santé SAS 2, rue de la Roquette, Passage du Cheval Blanc, Cour de Mai 75011 Paris - Tél. : 01 49 29 29 29 Fax : 01 49 29 29 19 E-mail : neurologies@expressiongroupe.fr RCS Paris B 394 829 543 N° de Commission paritaire : 0117T78155 ISSN : 1287-9118 Mensuel : 10 numéros par an Les articles de “Neurologies” sont publiés sous la ­responsabilité de leurs auteurs. Toute reproduction, même partielle, sans le consentement de l’auteur et de la revue, est illicite et constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

p. 241

Les aphasies

Comité de lecture Pr David Adams (Le Kremlin-Bicêtre), Dr Caroline Arquizan (Montpellier), Dr Nadine Attal (Boulogne), Pr Jean-Philippe Azulay (Marseille), Pr Franck Baylé (Paris), Dr Catherine Belin (Bobigny), Dr Florent Borgel (Grenoble), Pr Emmanuel Broussolle (Lyon), Dr Gaëlle Bruneteau (Paris), Dr Catherine Chiron (Paris), Pr Christophe Cognard (Toulouse), Dr Bernard Croisile (Lyon), Pr Philippe Decq (Créteil), Dr Olivier Delalande (Paris), Pr Philippe Derambure (Lille), Dr Thierry Dubard (Reims), Pr Franck Durif (Clermont Ferrand), Dr Marie Girot (Lille), Dr Hassan Hosseini (Créteil), Dr Lucette Lacomblez (Paris), Dr Michel Lantéri-Minet (Nice), Dr Laurent Maurs (Tahiti), Dr Caroline Papeix (Paris), Pr Pascale Pradat-Diehl (Paris), Pr Didier Smadja (Fort-de-France), Dr Bruno Stankoff (Paris), Pr Marc Verny (Paris), Pr Hervé Vespignani (Nancy),

Septembre 2013 • Vol. 16 • N° 160 • Cahier 1

Coordonné par Catherine Thomas-Antérion

Introduction : Réviser nos classiques anatomo-cliniques, distinguer les principaux niveaux de traitement linguistique... Catherine Thomas-Antérion (Lyon)

1 n Les tableaux sémiologiques d’aphasie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 244 Aphasies de Broca, de Wernicke, de conduction, transcorticales, et autres aphasies... Aurélie Richard-Mornas (Saint-Etienne) 2 n Sémiologie des troubles du langage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Des tableaux le plus souvent hétérogènes... Anne Peillon (Bron)

p.

248

3 n Exploration des troubles du langage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 257 Evaluer les dimensions linguistique, neuropsychologique et pragmatique Sandrine Basaglia-Pappas (Saint-Etienne)

n Glossaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 261

n mise au point . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 264 Peut-on prédire la sévérité de la prochaine poussée de SEP ? Les données de la littérature Caroline Bensa (Paris)

n Bulletin d’abonnement

p. 247

Retrouvez-nous sur

www.neurologies.fr Cette publication comporte sur une cible partielle deux cahiers : Cahier 1 (40 pages),Cahier 2 (24 pages), Assemblés à cette publication : pré-programme des Rencontres de Neurologies (8 pages) et 2 bulletins d’abonnement (2 pages et 4 pages) Photo de couverture : © AMATHIEU - fotolia


actualités de la profession

Appels d’offre, bourses Fondation de France/ARSEP Appel d’offres pour des études multicentriques (au moins 1 centre français), sur 2 ans, destinées à étudier le retentissement social et familial, médico-économique et professionnel, la prise en compte des symtômes et signes de la maladie, et le rôle de l’activité physique dans la SEP. Informations : www.arsep.org Date limite : 10 octobre 2013. Douleur : Fondation CNP Assurances Appel à projets pour des initiatives sur les bonnes pratiques de prise en charge de la douleur physique et les stratégies de soins centrées sur le patient, et la prise en charge adaptée de la douleur physique en santé mentale pour les populations vulnérables ou dyscommunicantes. Informations : www.cnp. fr ou fondation@cnp.fr Date limite : 31 octobre 2013.

Pharmacovigilance

Trivastal® : réservé au Parkinson

L

’ANSM a restreint les indications de Trivastal® 20 mg et Trivastal® 50 mg LP (piribédil, agoniste dopaminergique non ergoté, laboratoire Servier) à la maladie de Parkinson en monothérapie ou en association à la dopathérapie. L’ANSM indique que le bénéfice thérapeutique ne permet plus de contrebalancer les risques d’emploi de ce médicament dans ses indications vasculaires (déficit patholo-

gique cognitif et neurosensoriel, artériopathie des membres inférieurs et manifestations ischémiques en ophtalmologie), et rappelle qu’il existe des effets indésirables sévères sur le plan neuropsychiatrique (accès de sommeil, syndromes confusionnels) et vasculaires (hypotension orthostatique) pouvant entraîner des chutes dont la gravité est avérée chez les sujets âgés.. ß

Démences

Alzheimer et maladies apparentées : toujours en augmentation

U

n travail de l’InVS publié dans le dernier Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire indique qu’en 2010, 316 115 personnes étaient en ALD15, 228 190 ont été hospitalisées avec une MA ou une démence apparentée (MAAD) et 54 291 sont décédées avec une MAAD. Ces chiffres mettent en évidence une augmentation “considérable” de la population française atteinte en seulement 3 ans : entre 2007 et

2010, le nombre de patients en ALD a augmenté de 14,6 %, le nombre de personnes hospitalisées avec une démence de 23,6 % et le nombre de décès avec une MAAD de 13,9 %, une grande partie pouvant s’expliquer par le vieillissement de la population. Mais les auteurs soulignent que ces chiffres sont probablement sous-estimés. Pour en savoir plus : Duport N. BEH n° 30, 10 septembre 2013. ß

Epilepsies

Epilepsies de l’enfant

L

a Fédération Française pour la Recherche sur l’Epilepsie (FFRE) organise le 1er octobre, avec le Lions Club, un dîner-conférence « Epilepsie - Enfant et adulte », au profit des enfants atteints d’épilepsie,

en présence de Didier Van Cauwelaert. Renseignements : laure.nollet@wanadoo.fr Tel. : 06 80 14 01 12 www.fondation-epilepsie.fr. ß

rendez-vous de l’industrie Sclérose en plaques

AMM pour Aubagio® et Lemtrada®

S

anofi et sa filiale Genzyme ont annoncé l’approbation par la Commission européenne d’Aubagio® (tériflunomide 14 mg PO, 1 prise/j, immunomodulateur, anti-inflammatoire) dans la SEP récurrente-rémittente, et de Lemtrada® (alemtuzumab 12 mg IV, anticorps monoclonal sélectif de la protéine CD52 des lymphocytes T et B) dans la SEP récurrente-rémittente active. • L’approbation d’Aubagio® repose sur les résultats des études de phase III TEMSO (TEriflunomide Multiple Sclerosis Oral) et TOWER (Teriflunomide Oral in people With relapsing remitting multiplE scleRosis) montrant une réduction significative du taux de rechute annualisé et de la progression du handicap à 2 ans vs placebo. Les effets indésirables les plus fréquents sont les suivants : élévation du taux d’ALAT, alopécie, diarrhée,

234

grippe, nausée et paresthésie. • Lemtrada® est administré en 2 cycles/an : 1er cycle 5 jours consécutifs, 2e cycle sur 3 jours consécutifs 12 mois plus tard. Les études de phase III ont comparé l’alemtuzumab à une forte dose d’IFN bêta-1a SC chez des patients ayant une forme active naïfs de tout traitement (CARE-MS I), ou ayant présenté une rechute sous traitement antérieur (CARE-MS II), et une étude de prolongation. Dans CARE-MS I, Lemtrada® a été significativement plus efficace que l’IFN bêta-1a sur le taux de rechute annualisé ; le résultat sur le ralentissement de la progression du handicap n’était pas significatif. Dans CARE-MS II, Lemtrada® a été significativement plus efficace que l’IFN bêta-1a sur le taux de rechute annualisé, et l’accumulation du handicap a été significativement ralentie chez les patients sous Lemtrada® vs IFN. Les effets indésirables les plus fréquents sont des réactions liées à l’injection, des infections, lymphopénies et leucopénies. n Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160


On en parle…

Accidents vasculaires cérébraux et travail posté Des preuves encore insuffisantes Jean-Bernard Henrotin1, Yannick Béjot2 et Maurice Giroud2

Introduction

L

e travail posté, incluant le travail de nuit, est une constante dans les sociétés industrielles modernes. En France, en 2011, la fréquence du travail en plages horaires effectuées entre minuit et 5h du matin parmi les ouvriers est de 20 %, et de 14 % parmi les cadres et professions supérieures (source INSEE 2011).

1 Département Epidémiologie en entreprise, INRS, VandœuvreLès-Nancy 2 Registre dijonnais des accidents vasculaires cérébraux, Département de neurologie, Centre Hospitalier Universitaire de Dijon

236

© Artwell - Fotolia

Nous présentons dans cet article les données épidémiologiques sur accidents vasculaires cérébraux (AVC) et travail posté (TP). Une étude de bonne qualité rapporte une association significativement positive, mais faible, entre TP et AVC. Globalement, les résultats se présentent contradictoires et le plus souvent non significatifs. Ainsi, les preuves épidémiologiques sont insuffisantes pour évoquer un lien de causalité entre TP et AVC. D’autres études spécifiques sont nécessaires. Toutefois, l’attention est attirée sur l’intérêt de mener une surveillance médicale des travailleurs postés sur le plan cardiovasculaire, comme le préconise actuellement la Société Française de Médecine du Travail.

Si la relation entre AVC et travail posté n’est pas formellement démontrée, une surveillance est cependant nécessaire.

Les travailleurs postés présentent plus de problèmes de santé que les salariés de jour [1]. Approximativement, 10-20 % des salariés postés présentent une intolérance à ce rythme de travail dans les deux premières années et le quittent. Pour les travailleurs postés, il est rapporté plus de troubles du sommeil, de problèmes gastro-intestinaux, de cancers, d’issues de grossesse

défavorables, de diabète et troubles métaboliques, et notamment de maladies cardiovasculaires [2]. Les maladies cardiaques ischémiques et accidents vasculaires cérébraux (AVC) sont des maladies multifactorielles qui ont en commun des facteurs de risque cardiovasculaire. S’il existe de nombreuses études ayant examiné l’association entre TP et maladies Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160


Accidents vasculaires cérébraux et travail posté

Tableau 1 - Etudes épidémiologiques examinant le lien entre le travail posté et la survenue d’AVC. Source

Exposition

Maladies

Design

Forces

Faiblesses

Index MINORS

Taylor [20], 1972 USA

TP rotation Travail de nuit

Lésion vasculaire du système nerveux central (fatal)

•C ohorte historique • n = 8 767 • Multi-secteur • S uivi 19561968

• Taux de participation •M esure indépendante de l’exposition et maladie • S alariés de secteurs professionnels différents

• Mesure de l’exposition imprécise • Pas de facteur de confusion pris en compte • Diagnostics des maladies sur certificat de décès • Comparaison externe nationale • Faible durée de suivi (15 ans)

13

Karlsson [10], 2005 Suède

Rotation lente, AVC ischémique 3 postes (fatal) schémas avec travail de nuit

• Cohorte historique • n = 5 442 • Industrie du papier • Suivi 19522001

• Exposition • Manque de contrôle détaillée, des facteurs de indépendante confusion des salariés • Faible nombre de cas • Population d’AVC (n=35) socio-écono• Diagnostics des mique homomaladies sur certificat gène (ouvriers) de décès • Longue durée de suivi (52 ans)

15

Fujino [5], 2006 Japon

Travail de nuit fixe TP Rotation

• Cohorte prospective • n = 17 649 • Population générale active • Suivi 19882003

• Design longitudinal • Contrôle des facteurs de confusion

15

Ellingsen [6], 2007 Qatar

TP en rotation AVC et hypertension

• Cohorte rétrospective, • n = 2 562 • Entreprise d’engrais • Suivi 19722003

• Longue durée du • M anque de contrôle suivi (31 ans) des facteurs de confusion •M esure de la maladie (pas de critères, pas de codage, non exhaustif, cas prévalents…) •M élange hypertension et AVC •B iais déclaratif possible (exposition liée à maladie)

8

Brown [4], 2009 USA

TP en rotation AVC ischémique (fatal et non fatal)

• Cohorte prospective • n = 1 660 • Hôpitaux • Suivi 19882004

•D esign longitudinal • Effectif large • F acteurs de confusion principaux recueillis •P opulation socio-économique homogène (infirmière)

• Durée du suivi (16 ans) courte pour AVC • Exposition : une seule mesure ; autodéclarée • Pas de prise en compte des données manquantes • Mesure de la maladie

17

Hermansson [21], 2007 USA

TP (sans précision)

• Etude cas• Design (cas-tétémoins moins nichée • n = 138 cas/ dans n = 469 témoins une cohorte) • Population • Facteurs de générale confusion • Suivi 1985importants 2000

• Durée du suivi (15 ans) courte pour AVC • Pas de suivi au-delà de 74 ans • Exposition : une seule mesure ; autodéclarée • Mesure de la maladie

14

Maladie cérébrovasculaire (fatal)

AVC ischémique (fatal et non fatal)

Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

• Peu de cas (n=132) • Exposition (autorapportée, une mesure) • Diagnostics des maladies sur certificat de décès • Faible durée de suivi (15 ans) • Pas seulement AVC ischémique

237


On en parle…

cardiaques ischémiques, à l’inverse, l’association entre TP et AVC a été moins explorée. C’est pourquoi il est proposé dans cet article de faire le point sur les études publiées dans la littérature ayant examiné le lien entre l’exposition au TP et la survenue d’AVC, et d’en examiner le niveau de preuve.

Source

ICR (IC 95 %)

Taylor PJ, 1972 [20] H,a,v, ✝

0,82 (0,63 -1,06)

Karlssonl B, 2005 [10] H,b,i, ✝

1,56 (0,98 - 2,51)

Fujino Y, 2006 [5]

H,c,v, ✝

0,88 (0,41 - 1,91)

Fujino Y, 2006 [5] H,b,v, ✝

1,12 (0,66 - 1,91)

Hermansson J , 2007 [21] F,a,i, ✧

1,0 (0,6 - 2,0)

Hermansson J , 2007 [21] H,a,i, ✧

1,2 (0,6 - 2,3)

Ellingson T , 2007 [6] F,b,v, ✧

1,6 (1,3 - 1,97)

Brown DL, 2009 [6] F,b,i, ✧

1,04 (1,01 - 1,07)✩

SMR SMR HR HR

OR OR HR HR

0,3

1

Indice comparatif de risque

4

H : Hommes ; F : Femmes a : TP en multiple schémas ; b : TP en rotation; c: TP nuit-fixe; v : accidents vasculaires cérébraux sans précision i : accidents vasculaires cérébraux ischémiques ; ✝ : cas fatal; ✧ cas non fatal ✩ Qualité d’étude satsfaisante : Index MINORS ≥16 (voir tableau 1)

Que dit la littérature ?

Les études de cohorte ou cas-témoins, publiées en français ou en anglais, de janvier 1970 à décembre 2012, et examinant la relation entre TP et AVC (cas fatals et/ou non fatals) ont été recherchées dans la base de données MEDLINE. Il n’existe pas de définition internationalement reconnue du TP. Il a été retenu comme TP, dans cette revue, tout travail réalisé sur des plages horaires de soirs réguliers (entre 15h et minuit) ou de nuits régulières (début après 23h, fin avant 11h) ou en rotation (jour, soir, nuit). Des recherches complémentaires ont été réalisées dans les bibliographies de publications sélectionnées et les revues repérées sur le sujet. La qualité méthodologique des études a été évaluée à partir de l’index MINORS (Methodological Index for Non-Randomized Studies) [3]. Un seuil de 16 ou plus était utilisé pour repérer les études de qualité intéressante. La recherche bibliographique a mis en évidence 6 études observationnelles ayant examiné l’association entre TP et AVC (Tab. 1). Globalement, la qualité des études reste faible, puisque seule une étude affiche un score de l’index MINORS supérieur à 16 (Tab. 1). Les forces d’association, entre 0,82 et 1,6, se présentent contrastées sans qu’il se dégage une véritable tendance globale (Fig. 1). Aucune étude de mortalité ne rapporte d’association significative. 238

SMR : standardized mortality ratio ; HR : hazard ratio ; RR : relative risk ; OR : odds ratio ; SHR : standardized hospitalization ratio.

Figure 1 - événements cérébrovasculaires (cas fatal ou cas non fatal et fatal).

Parmi les études de morbidité, deux études rapportent une association significativement positive. Au final, au regard des critères d’analyse utilisés dans cette revue, une seule étude [4] retient l’attention (Tab. 1). Dans cette étude de cohorte concernant 80 108 infirmières et examinant la survenue d’AVC ischémiques après TP, il est observé une augmentation de 4 % du risque de survenue d’AVC pour chaque période de 5 ans (test de tendance significative ; p = 0,01).

Que peut-on en retenir ?

Globalement, cette revue montre que les résultats issus d’études observationnelles de recherche étiologique examinant le lien entre AVC et TP ne sont pas actuellement consistants  : en 2013, les preuves épidémiologiques sont insuffisantes pour évoquer un lien de causalité. Cependant, à noter de manière très intéressante, qu’une étude de bonne qualité rapporte une association entre AVC ischémique et TP en rotation de nuit et cela, dans une relation dose-réponse [4].

Une analogie avec les risques cardiovasculaires

Ce résultat, insuffisant en soi car isolé, est en concordance avec des

résultats issus d’études examinant le lien entre maladies cardiaques ischémiques et TP. Certains auteurs ont conclu qu’une relation causale entre maladies cardiaques ischémiques et TP pourrait exister, tandis que d’autres auteurs restent encore prudents. Dans une récente métaanalyse, Vyas et al. [2], rapportent que le risque de survenue d’un évènement cardiaque ischémique était augmenté de 1,24 (CI95 % : 1,10-1,39). Par conséquent, compte tenu des facteurs de risque cardiovasculaire communs, la survenue d’AVC ischémique suite à une exposition au TP ne peut être exclue. Une augmentation de la fréquence de facteurs de risque cardiovasculaire chez les salariés en TP comparativement aux salariés en horaire de jour est rapportée. Cela est fréquemment observé pour le tabagisme [4-6].

Les conséquences métaboliques du travail posté

Concernant les habitudes alimentaires, des changements dans la fréquence, la qualité et le moment des repas parmi les salariés en TP sont signalés ailleurs [7]. Des déséquilibres alimentaires pourraient ainsi avoir un impact négatif sur le métabolisme. Des auteurs évoquent qu’une exposition au TP est associée à une augmentation de l’indice de masse corporelle supérieure à l’augNeurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160


Accidents vasculaires cérébraux et travail posté

mentation attendue pour l’âge [8, 9]. L’association entre TP et diabète a été examinée dans quelques études longitudinales, avec des résultats allant dans le sens d’une augmentation du risque de survenue de diabète lors du TP [10, 11]. Concernant la tension artérielle, plusieurs études de cohorte récentes, notamment japonaises, signalent une association avec le TP [9, 12]. L’impact du TP sur les paramètres lipidiques est également suggéré [13]. Des données d’étude prospective relèvent un risque significatif de survenue de syndrome métabolique plus important chez les salariés en TP [14, 15].

De possibles biais

Dans notre revue, les résultats contradictoires peuvent être expliqués par la chance ou une variation dans l’expression de différents biais. D’une part, la population au travail est attendue en meilleure santé que la population générale du fait de l’existence de biais de sélection à l’entrée ou durant la carrière professionnelle (« effet travailleur sain »). Ce phénomène particulièrement attendu pour le TP peut atténuer plus ou moins les relations entre TP et AVC selon les précautions méthodologiques prises dans les études.

Travail posté

Décalage des rythmes circadiens

Troubles des rythmes sociaux

Troubles du sommeil

Augmentation de la vulnérabilité

Désynchronisation interne

Isolement social Changements comportementaux (ex. : alimentaire, tabagisme)

Stress

Maladie

Figure 2 - Mécanismes de maladies chez les travailleurs postés. D’après Knutsson 2003 [3].

D’autre part, il a été suggéré que certaines augmentations des forces d’association pouvaient être positivement confondues par la variable “classe sociale”. Ce risque de biais a été particulièrement souligné par différents auteurs. Egalement, le TP n’est pas une entité homogène. Il n’y a pas de définition commune du TP utilisée dans les différentes études. Le TP peut impliquer un travail sur des schémas horaires, réguliers ou irréguliers, du soir, de nuit ou de matin par exemple. Le travail du soir pourrait être moins perturbant pour la santé que le travail de nuit en plage

horaire alternante. Ce manque de précision dans la mesure des expositions pourrait expliquer la difficulté à mettre en évidence une liaison entre TP et AVC. Aussi, par rapport aux maladies cardiaques ischémiques, il est sans doute plus difficile de mettre en liaison le TP avec la survenue d’AVC. Ces derniers pouvant survenir plus tardivement (environ 10 ans plus tard) et, comparativement aux IDM, il faut des durées d’observation plus longues dans les études pour les repérer. Enfin, le diagnostic, notamment de mortalité par AVC, est difficile à éta-

Tableau 2 - Recommandations de bonnes pratiques de la Société Française de médecine du Travail pour la surveillance médico-professionnelle des travailleurs postés et/ou de nuit [19]. Concernant le volet troubles cardio-vasculaires, nutritionnels et métaboliques* : q Il est recommandé de mesurer le poids et sa distribution (tour de taille, calcul de l’indice de masse corporelle) à la 1re visite médicale, et ensuite de façon annuelle lors des visites médicales de surveillance. q Il est recommandé de surveiller lors de chaque visite la tension artérielle. q Il est recommandé de s’assurer que les travailleurs postés et/ou de nuit bénéficient d’un bilan lipidique périodique et d’un dépistage du diabète de type 2 en fonction des autres facteurs de risque associés. Le médecin du travail peut utiliser le courrier type proposé […] pour adresser le salarié à son médecin généraliste traitant. q Un interrogatoire sur la fréquence et les modes de consommation alimentaire et sur la pratique d’une activité physique dans la surveillance de ces travailleurs. q Il est recommandé d’informer les travailleurs postés et/ou de nuit de l’importance de conserver 3 repas par 24 heures, selon les conseils du Plan National Nutrition Santé, en particulier sur les fréquences de consommation des groupes alimentaires. q Une concertation entre médecin du travail, médecin traitant et spécialiste est recommandée pour les sujets présentant des troubles cardiovasculaires. *consultable sur le site internet de la SFMT : www.chu-rouen.fr/sfmt/pages/Recommandations.php

Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

239


On en parle…

blir avec des erreurs de classement sur la maladie, pouvant biaiser la force d’association vers le bas.

Le rôle de la perturbation des rythmes circadiens ?

Concernant les mécanismes causaux, ceux-ci ne sont pas clairement définis actuellement [1]. Il est suggéré que plusieurs catégories de facteurs contribueraient à la survenue de pathologies cardiovasculaires et en particulier d’AVC (Fig. 2). On peut insister sur la perturbation des rythmes biologiques circadiens. Certaines fonctions physiologiques associées au système cardio-circulatoire telles que la pression sanguine, nocturne notamment, la fréquence cardiaque et la sécrétion d’hormones (mélatonine, cortisol, hormone de croissance, catécholamines), s’en trouveraient modifiées. Notamment, la décroissance régulière nocturne de la mélatonine lors du TP du fait de l’exposition à la lumière pourrait favoriser l’athérosclérose et avoir des méfaits cardiovasculaires [16]. Plus globalement, la perturbation des rythmes biologiques circadiens provoquerait aussi un dérèglement

de nombreuses horloges secondaires situées dans les tissus périphériques (foie, pancréas, muscles, tissu adipeux, cœur…), source potentielle, par voie de conséquence, de multiples désordres métaboliques (glucidique, lipidique…) [17]. Enfin, il a été démontré de façon expérimentale, que la privation chronique de sommeil influencerait la sécrétion d’hormones (leptine, ghréline) impliquée dans les mécanismes de régulation de l’appétit et des dépenses énergétiques [18].

Conclusion

Dans cette revue, une étude de bonne qualité rapporte une association significativement positive, mais faible, entre TP et AVC. Globalement, les résultats se présentent contradictoires et le plus souvent non significatifs. Ainsi, concernant l’association entre AVC ischémique et TP, les preuves épidémiologiques sont insuffisantes pour évoquer un lien de causalité. D’autres études spécifiques sont nécessaires pour améliorer les connaissances sur l’implication du

TP dans la survenue des AVC. Toutefois, l’attention est attirée sur l’intérêt de mener une surveillance médicale des travailleurs postés comme le préconise actuellement la Société Française de Médecine du Travail (Tab. 2) [19]. n Correspondance : • Dr Jean-Bernard Henrotin Département Epidémiologie en entreprise, INRS Rue du Morvan , CS 60027 54519 Vandœuvre-Lès-Nancy E-mail : jean-bernard.henrotin@inrs.fr • Dr Yannick Bejot Registre Dijonnais des Accidents vasculaires cérébraux, Département de neurologie, Centre Hospitalier Universitaire de Dijon - E-mail : ybejot@yahoo.fr Conflits d’intérêts : aucun.

Mots-clés : Accident vasculaire cérébral, Travail posté, Maladies cardiaques ischémiques, Risque cardiovasculaire, Rythmes circadiens

Bibliographie 1. Knutsson A. Health disorders of shift workers. Occup Med 2003 ; 53 : 1038. 2. Vyas MV, Garg AX, Iansavichus AV et al. Shift work and vascular events : systematic review and meta-analysis. BMJ 2012 Jul 26 ;345:e4800. doi : 10.1136/bmj.e4800. 3. Slim K, Nini E, Forestier D et al. Methodological index for non-randomized studies (minors) : development and validation of a new instrument. ANZ J Surg 2003 ; 73 : 712-6. 4. Brown DL, Feskanich D, Sánchez BN et al. Rotating night shift work and risk of ischemic stroke. Am J Epidemiol 2009 ; 169 : 1370-7. 5. Fujino Y, Iso H, Tamakoshi A et al. Japanese Collaborative Cohort Study Group. A prospective cohort study of shift work and risk of ischemic heart disease in Japanese male workers. Am J Epidemiol 2006 ; 164 : 128-35. 6. Ellingsen T, Bener A, Gehani AA. Study of shift work and risk of coronary events. J R Soc Promot Health 2007 ; 127 : 265-7. 7. Morikawa Y, Miura K, Sasaki S et al. Evaluation of the effects of shift work on nutrient intake : a cross-sectional study. J Occup Health 2008 ; 50 : 2708. 8. Parkes KR. Shift work and age as interactive predictors of body mass index among offshore workers. Scand J Work Environ Health 2002 ; 28 : 64-71. 9. Suwazono Y, Dochi M, Sakata K et al. Longitudinal study on the effect of shift work on weight gain in male Japanese workers. Obesity 2008 ; 16 : 1887-93. 10. Karlsson B, Alfredsson L, Knutsson A et al. Total mortality and causespecific mortality of Swedish shift- and dayworkers in the pulp and paper industry in 1952-2001. Scand J Work Environ Health 2005 ; 31 : 30-5. 11. Kawakami N, Araki S, Takatsuka N et al. Overtime, psychosocial working conditions, and occurrence of non-insulin dependent diabetes mellitus in Japanese men. J Epidemiol Community Health 1999 ; 53 : 359-63.

240

12. Oishi M, Suwazono Y, Sakata K et al. A longitudinal study on the relationship between shift work and the progression of hypertension in male Japanese workers. J Hypertens 2005 ; 23 : 2173-8. 13. Nakamura K, Shimai S, Kikuchi S et al. Shift work and risk factors for coronary heart disease in Japanese blue-collar workers : serum lipids and anthropometric characteristics. Occup Med 1997 ; 47 : 142-6. 14. Karlsson B, Knutsson A, Lindhal B. Is there an association between shift work and having a metabolic syndrome ? Results from a population based study of 27485 people. Occup Environ Med 2001 ; 58 : 747-52. 15. Sookoian S, Gemma C, Fernández Gianotti T et al. Effects of rotating shift work on biomarkers of metabolic syndrome and inflammation. J Intern Med. 2007 ; 261 : 285-92. 16. Tengattini S, Reiter RJ, Tan DX et al. Cardiovascular diseases : protective effects of melatonin. J Pineal Res 2008 ; 44 : 16-25. 17. Challet E. Circadian clocks, metabolic disorders and chronobesity. Obes 2009 ; 3 : 73-85. 18. Taheri S, Lin L, Austin D, Young T, Mignot E. Short Sleep Duration Is Associated with Reduced Leptin, Elevated Ghrelin, and Increased Body Mass Index. PLoS Med 2004 ; 1 : e62. 19. Société Française de Médecine du Travail. Surveillance médico-professionnelle des travailleurs postés et/ou de nuit. Recommandation de bonne pratique. Mai 2012. 269 p. (consulté le 13 avril 2013 sur le site http://www.chu-rouen.fr/sfmt/autres/Reco_HAS_Travai_%20poste-Argumentaire_30-05-2012.pdf) 20. Taylor PJ, Pocock SJ. Mortality of shift and day workers 1956-68. Br J Ind Med 1972 ; 29 : 201-7. 21. Hermansson J, Gillander Gådin K, Karlsson B et al. Ischemic stroke and shift work. Scand J Work Environ Health 2007 ; 33 : 435-9.

Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160


dossier

Les aphasies Coordonné par Catherine Thomas-Antérion (Lyon)

© amathieu - fotolia

« Un trouble du langage secondaire à une atteinte des réseaux neuronaux de l’hémisphère dominant. »

Introduction  : Réviser nos classiques anatomo-cliniques, distinguer les principaux niveaux de traitement linguistique ������������������������������ p. 242 Catherine Thomas-Antérion (Lyon)

1 Les tableaux sémiologiques d’aphasie : aphasies de Broca, de Wernicke, de conduction, transcorticales, et autres aphasies... �������������������������� p. 244 Aurélie Richard-Mornas (Saint-étienne)

2 Sémiologie des troubles du langage : des tableaux le plus souvent hétérogènes... ���������������������������������������������������������������������������������������������������� p. 248 Anne Peillon (Bron)

3 Exploration des troubles du langage : évaluer les dimensions linguistique, neuropsychologique et pragmatique ���������������������������� p. 257 Sandrine Basaglia-Pappas (Saint-étienne)

Glossaire �������������������������������������������������������������������������������������������������������������� p. 261


dossier

introduction Catherine Thomas-Antérion

Réviser nos classiques anatomo-cliniques, distinguer les principaux niveaux de traitement linguistique... Mais pourquoi diable un dossier sur l’aphasie ? D’une part, il nous a semblé bon de réviser nos classiques anatomo-cliniques et de revoir les tableaux sémiologiques d’aphasie, tant ces symptômes se rencontrent au quotidien en neurologie. Les neurologues, notamment en charge des patients vasculaires, doivent ainsi pouvoir repérer ou avoir le réflexe de rechercher des symptômes dans les AVC concernant les régions d’intérêt les plus classiques : régions pré- et rétro-rolandiques (le plus souvent à gauche) et sous-corticales. D’autre part, il apparaît nécessaire lorsqu’on est neurologue, ces révisions faites, de savoir distinguer les principaux niveaux de traitement linguistique : phonétique, phonologique, lexical, sémantique, syntaxique, discursif avec des notions issues de la psychologie cognitive contemporaine. L’examen neuropsychologique fait partie intégrante de l’examen neurologique. Cela permet alors de mieux repérer des difficultés (notamment lorsqu’elles sont subtiles), de comprendre le(s) niveau(x) de traitement perturbés, de lire les comptes-rendus des orthophonistes et de pouvoir reprendre avec les patients et leurs proches l’explication des déficits et les possibilités de les compenser.

242

En préambule, il convient de rappeler qu’il a fallu attendre les philosophes et les scientifiques des Lumières pour localiser le langage dans le cerveau. Historiquement, la localisation du langage dans l’hémisphère gauche - bien qu’elle soit attribuée à Paul Broca (1824-1880) - reste pour certains sujet de controverse, et cette découverte pourrait revenir à Marc Dax (1770-1837) [1]. Franz Joseph Gall (1758-1828) s’inscrivit dans la démarche anatomo-clinique en développant la phrénologie qui, bien qu’une imposture lui permit par l’observation de proposer que la mémoire des mots, était localisée à l’avant du cerveau, hypothèse confirmée par les observations neuropathologiques de Jean-Baptiste Bouillaud (1796– 1881). Les ouvrages ou articles cliniques du XXe siècle de Théodule Ribot, de Théodore Alajouanine, d’Henri Hécaen, de François Lhermitte (notamment un livre à la couverture cartonnée jaune) ou d’Alexandre Luria dorment dans les bibliothèques neurologiques et méritent encore d’être lus, tandis que les données les plus récentes issues de l’imagerie fonctionnelle - dont les principaux apports sont la connaissance des réseaux neuronaux impliqués simultanément et non seulement en cascade et la compréhension des mécanismes de compensation (recrutement de régions plus postérieures et bilatén rales) - doivent être assimilées.

Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160


les aphasies

Au sommaire de ce dossier... L’aphasie est définie comme un trouble du langage secondaire à une atteinte des réseaux neuronaux de l’hémisphère dominant, le plus souvent l’hémisphère gauche, impliqués dans les différentes étapes de traitement du langage. Selon les terminologies classiques, trois formes d’aphasies - aphasie de Broca, aphasie de Wernicke et aphasie de conduction - ont pour caractéristiques communes des difficultés de répétition. Elles s’opposent en cela aux aphasies transcorticales dans lesquelles cette capacité est préservée. La linguistique et la neuropsychologie permettent de développer une approche interprétative de la sémiologie, favorisant ainsi la démarche d’évaluation et de remédiation. L’approche pragmatique et l’apport des sciences sociales, ainsi que les nouvelles technologies de neuro-imagerie fonctionnelle font également partie intégrante de l’étude du langage. L’évaluation de l’aphasie comprend l’étude des capacités de langage et de communication. S’il convient d’avoir étudié quantitativement - à l’aide d’épreuves normées - et qualitativement les capacités d’expression, de compréhension, de répétition etc. -, il faut bien comprendre que les résultats aux différentes épreuves orthophoniques sont analysés transversalement afin de rechercher avec précision le(s) niveau(x) de fonctionnement altérés. En fin de dossier, un glossaire permettant d’utiliser les termes sémiologiques et linguistiques de base à bon escient est proposé.

Correspondance : Dr Catherine Thomas-Antérion • Laboratoire d’Etude des Mécanismes Cognitifs EA3082 Université Lyon 2 • Plein ciel, 75 rue Bataille 69008 Lyon E-mail : c.thomas-anterion@orange.fr

Mots-clés : Aphasie de Broca, Aphasie de conduction, Aphasie de Wernicke, Aphasie transcorticale, Langage, Communication, Expression, Compréhension, Répétition, Paraphasie, Dysarthrie, Lexique, Phonétique, Phonologie, Syntaxe, Sémantique, Discours, Bilan orthophonique

Bibliographie 1. Manning L, Thomas-Antérion C. Marc Dax and the discovery of the lateralisation of language in the left cerebral hemisphere. Rev Neurol 2011 ; 167 : 868-72. 2. Gil R. Abrégé de neuropsychologie, 5e édition. Paris : Masson, 2010. 3. Mazaux JM, Pradat-Diehl P, Brun V, Sauzeon H. Aphasies et aphasiques. Paris : Masson, 2007. 4. Chomel-Guillaume S, Leloup G, Bernard I et al. Les Aphasies : évaluation et rééducation. Paris : Masson, 2010. 5. Ducarne B. Test pour l’examen de l’aphasie. Paris : ECPA, 1989. 6. Mazaux JM, Orgogozo JM. Boston Diagnostic Aphasia Examination HDAE - échelle française. Paris : ESP, 1981. 7. Nespoulous JL, Lecours AR, Lafond D et al. Protocole Montréal-Toulouse d’examen linguistique de l’aphasie. Isbergues : Ortho-édition, 1986. 8. Gatignol P. De l’intérêt de l’évaluation assistée par ordinateur au bilan informatisé d’aphasie : BIA. Isbergues : Ortho-édition. 9. De Partz MP, Bilocq S, De Wilde V et al. Lexis : test pour le diagnostic des troubles lexicaux chez l’aphasique. Marseille : Solal, 2001. 10. Bachy-Langedock N. Batterie d’examen des troubles de la dénomination. Bruxelles : Editest, 1988. Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

11. Darrigand B, Mazaux JM. Echelle de communication verbale de Bordeaux ou ECV. Isbergues : Ortho Edition, 2000. 12. Delacourt A, Rousseaux M. Elaboration d’une nouvelle évaluation de la communication, le TLC. Glossa, 2000 ; 72 : 20-29. 13. Joanette Y, Ska B, Côté H. Protocole Montréal d’Evaluation de la Communication (Protocole MEC). Isbergues : Ortho Edition, 2004. 14. Ferré P, Joanette Y. Protocole Montréal d’Evaluation de la Communication de Poche (Protocole MEC-P). Isbergues : Ortho Edition, 2011. 15. Rondal, J.A. Evaluation du langage : langage oral. In : Rondal A, Seron X, Eds. Troubles du langage : bases théoriques, diagnostic et rééducation. Belgique : Mardaga, 2003 : 375-412. 16. Deloche G, Hannequin D. Test de dénomination orale d’images, DO 80, ECPA, Paris. 1997. 17. Gatignol et Marin-Curtoud. Batterie Informatisée du Manque du Mot (BIMM). 2008. 18. Hammelrath C. Test de dénomination des verbes lexicaux en images : DVL38. Isbergues : Ortho Edition. 19. Cardebat D, Doyon B, Puel M et al. Evocation lexicale formelle et sémantique chez des sujets normaux : performances et dynamiques de production en fonction du sexe, de l’âge et du niveau d’étude. Acta Neurologica Belgica 1990 ; 90 : 207-17.

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dossier

1 Les tableaux sémiologiques

d’aphasie

Aphasies de Broca, de Wernicke, de conduction, transcorticales, et autres aphasies... n

Les aphasies recouvrent des situations pathologiques et des expressions sémiologiques

variées. Les descriptions princeps de Broca, puis de Wernicke, ont insisté respectivement sur les troubles de l’expression et de la compréhension du langage, ainsi que sur l’implication de lésions de l’hémisphère gauche, antérieures (prérolandiques) dans l’aphasie de Broca et postérieures (rétrorolandiques) dans l’aphasie de Wernicke. On peut également opposer ces deux groupes d’aphasie en non fluentes et fluentes. Selon les terminologies classiques, trois formes d’aphasies (aphasie de Broca, aphasie de Wernicke et aphasie de conduction) ont pour caractéristiques communes des difficultés de répétition. Elles s’opposent en cela aux aphasies transcorticales dans lesquelles cette capacité est préservée [2].

Aurélie Richard-Mornas*

L’aphasie de Broca

Encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle présente deux traits sémiologiques majeurs : • le discours est non fluent ; • les productions sont caractérisées par des troubles articulatoires. Les difficultés sont surtout révélées dans le discours spontané. La réduction du discours est toutefois variable selon les patients, l’expression peut par exemple être limitée à une stéréotypie comme chez le célèbre patient de Broca qui ne produisait qu’une syllabe « tan ». L’élocution est souvent dysprosodique, dans certains cas cette modification évoque un “accent” étranger. *Unité de Neuropsychologie-CM2R, Service de Neurologie, CHU Nord, Saint-Etienne

244

Cortex moteur primaire

Circonvolution supramarginale

Circonvolution angulaire

Aire de Broca Aire de Wernicke

Aire primitive auditive

Figure 1 - Aires de Broca et Wernicke. Face latérale.

Les transformations phonétiques sont au premier plan, masquant des paraphasies phonémiques qui deviennent plus nettes au cours de la récupération. La répétition

est anormale, mais meilleure que l’expression spontanée ; les difficultés principales concernent la répétition des mots ou phrases dont l’expression spontanée est déjà la Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160


les aphasies

plus perturbée. Le langage “automatique” (énumérer les mois de l’année, les jours de la semaine) est également meilleur. La compréhension orale est variable, mais toujours supérieure à l’expression orale spontanée. Les difficultés portent surtout sur les structures grammaticales et syntaxiques complexes, les mots grammaticaux, les messages complexes, surtout lorsqu’un certain nombre d’informations sont déterminées dans une séquence ordonnée (par exemple toucher successivement différentes parties du corps). La lecture à haute voix et la compréhension écrite sont mauvaises. Là encore, les performances sont meilleures pour les mots isolés que pour les phrases, et la difficulté s’aggrave avec le degré de complexité syntaxique. Les troubles neurologiques associés à l’aphasie de Broca comportent fréquemment une hémiplégie sensitivo-motrice droite, une apraxie idéomotrice de la main gauche et une apraxie buccofaciale. Les lésions responsables de cette aphasie concernent classiquement le pied de la 3e circonvolution frontale gauche et les régions voisines (aires de Brodmann 44 et 45) (Fig. 1 et 2).

• L’aphasie de Broca en bref • Expression : - Réduction quantitative (manque du mot) et qualitative (lenteur d’élocution, mutisme) du langage - Production de stéréotypies - Dissociation automatico-volontaire - Troubles syntaxiques : agrammatisme • Compréhension : Troubles variables

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trouble sensitif, hémianopsie latérale homonyme. Les lésions responsables de cette aphasie concernent les parties postérieures des 1res et 2es circonvolutions temporales, ainsi que les gyri angulaire (aire 39 de Brodmann) et supramarginal (aire 40) de l’hémisphère gauche (Fig. 1 et 2).

• L’aphasie de Wernicke en bref

Figure 2 - Face latérale (haut) et médiale (bas) des aires de Brodmann.

L’aphasie de Wernicke

Encore appelée “aphasie sensorielle”, elle est caractérisée par un discours fluent et parfois logorrhéique, l’absence de troubles de l’articulation, la production de nombreuses paraphasies et d’importantes perturbations de la compréhension. Dans de nombreux cas, la lecture et l’écriture sont aussi perturbées (paragraphies). Il existe différentes formes d’aphasies de Wernicke  : pour certaines, les troubles de la compréhension orale prédominent, pour d’autres, les troubles du langage écrit. L’anosognosie fréquemment associée à ce syndrome, au moins au début, majore les troubles et explique en partie la logorrhée et l’absence d’auto-corrections chez ces patients. Les troubles neurologiques, associés à l’aphasie de Wernicke sont souvent peu marqués  :

•E xpression : - Discours abondant, logorrhéique - Paraphasies phonémiques, sémantiques et verbales - Dans le langage spontané, en dénomination et en répétition, jargon - Anosognosie du trouble • Compréhension Massivement atteinte

L’aphasie de conduction

Elle est caractérisée par un discours fluent et par de nombreuses paraphasies phonémiques que le patient, conscient de ses troubles, essaye de corriger. Une répétition très perturbée contraste avec une compréhension correcte. Le graphisme est préservé mais les troubles de l’expression écrite sont constants et dominés par les paragraphies phonémiques. Les troubles neurologiques associés à l’aphasie de conduction sont souvent peu marqués : trouble sensitif, amputation du champ visuel. Le plus souvent, la lésion est responsable d’une interruption du faisceau arqué, qui relie le cortex temporopariétal au cortex de la 3e circonvolu245


dossier tion frontale (l’aire de Wernicke à l’aire de Broca) (Fig. 3).

Sillon central (ou scissure de Rolando)

• L’aphasie de conduction en bref • Expression : - Manque du mot - Périphrases, conduites d’approche phonémique - Répétition impossible (boucle audio phonatoire mal utilisée) • Compréhension : Peu altérée

L’aphasie globale

Elle se traduit par une altération massive de l’ensemble des capacités de langage : expression orale nulle ou très réduite, compréhension nulle ou réduite à des ordres simples, expression écrite limitée à des traits ou des boucles. Une hémiplégie droite avec troubles sensitifs et troubles du champ visuel est fréquente. Les lésions sont très souvent des infarctus ou des hémorragies étendus fronto-temporo-pariétaux gauches.

Les aphasies transcorticales

Elles se distinguent des précédentes par la préservation des capacités de répétition. Cela témoigne de l’intégrité du support anatomique de la boucle audio-phonatoire : aire de Wernicke-faisceau arqué-aire de Broca.

L’aphasie transcorticale motrice

Très voisine de l’aphasie dynamique décrite par Luria, c’est une aphasie peu fluente avec un manque d’incitation et une réduction du langage. Les patients présentent également un “adynamisme” dans l’ensemble de leurs activités quoti246

Faisceau arqué

Aire de Broca Sillon latéral (ou scissure de Sylvius)

Aire de Wernicke

Figure 3 - Le faisceau arqué.

diennes. L’expression spontanée est limitée à quelques syllabes ou mots. Le langage automatique, s’il est initié par l’examinateur, est préservé. Les déficits neurologiques associés sont variables avec parfois une hémiplégie droite prédominant au membre inférieur et une apraxie idéomotrice. Les lésions responsables de cette aphasie peuvent atteindre le cortex prémoteur, en particulier l’aire motrice supplémentaire mais aussi le cortex préfrontal de l’hémisphère gauche. La récupération est généralement bonne.

• L’aphasie transcorticale motrice en bref • Expression : - Aspontanéité verbale, manque d’initiation verbale - Evocation déficiente (difficulté pour débuter un récit) - Répétition, dénomination bonne • Compréhension : Normale

L’aphasie transcorticale sensorielle

Elle est caractérisée par un discours fluent et bien articulé, émaillé de nombreuses paraphasies sémantiques, verbales formelles et plus rarement phonémiques. La dyssyntaxie contribue à l’incohérence du discours. La répétition est correcte et les phénomènes d’écholalie fréquents. Aucun trouble articulatoire, et le langage automatique est parfait. En revanche, la compréhension du langage parlé est médiocre. Les troubles du langage écrit sont proches de ceux décrits dans l’aphasie de Wernicke. Les déficits neurologiques associés sont inconstants ; les troubles sensitifs et les amputations du champ visuel sont les plus fréquents. La localisation des lésions cérébrales responsables de cette aphasie n’est pas univoque ; il s’agit généralement de régions voisines de l’aire de Wernicke. Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160


les aphasies

• L’aphasie transcorticale sensorielle en bref • Expression : - Répétition intègre, écholalie - Phrases hésitantes et incomplètes en langage spontané, manque du mot - Paraphasies verbales et sémantiques • Compréhension : Orale et écrite perturbée

L’aphasie amnésique

Appelée aussi aphasie anomique, elle se caractérise par un manque du mot très prononcé et isolé. La fluence, la prosodie, la syntaxe, l’articulation sont au contraire conservées. Le patient utilise des périphrases ou des mots “passe-partout”

pour pallier le manque du mot. Cette aphasie peut résulter de lésions diverses.

Les aphasies sous-corticales

Lorsqu’une lésion est limitée à une structure sous-corticale de l’hémisphère gauche (thalamus, noyaux gris centraux...), elle peut entraîner une aphasie. Une perte de l’activation normalement exercée depuis les structures sous-corticales vers le cortex est le plus souvent invoquée. Selon la localisation des lésions sous-corticales, les tableaux cliniques sont variés et peuvent correspondre à la typologie classique des aphasies. Toutefois, certains tableaux aphasiques ne s’intègrent pas aux classifications usuelles. Ces

présentations sont caractérisées par une aspontanéité verbale, une hypophonie, des paraphasies verbales et une incohérence du discours. A ces symptômes aphasiques s’ajoutent des troubles de la mémoire verbale. De nombreux travaux confirment l’implication des structures sous-corticales dans les aspects les plus élaborés du langage, notamment l’organisation du discours. n

Mots-clés : Aphasie de Broca, Aphasie de Wernicke, Aphasie de conduction, Aphasies transcorticales, Aphasie amnésique, Aphasies sous-corticales, Langage, Lecture, Ecriture

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dossier

2 Sémiologie des troubles

du langage

Des tableaux le plus souvent hétérogènes... n

L’aphasie recouvre une grande variété clinique. Les recherches menées en neurologie,

psychologie et linguistique permettent d’analyser la richesse sémiologique des manifestations linguistiques relevées lors d’un bilan de langage standardisé, cette analyse se faisant selon les niveaux de traitement linguistique : phonétique, phonologique, lexical, sémantique, syntaxique, discursif.

L’

aphasie, définie comme une atteinte du langage acquise dans les suites d’une lésion cérébrale, recouvre une grande variété clinique, que cliniciens, chercheurs, neurologues ou linguistes ont cherché depuis longtemps à classifier et définir à partir d’une sémiologie riche [3]. Ainsi, les manifestations cliniques observées ont-elles été décrites puis regroupées en syndromes, mis en relation avec les localisations cérébrales des lésions. Cette classification qui, dans un premier temps, a opposé une aphasie “en réduction” - motrice, de production - décrite par Paul Broca, à celle décrite par Karl Wernicke - sensorielle, de compréhension - s’est progressivement enrichie d’autres tableaux (conduction, transcorticale, sous-corticale...), s’appuyant sur une corrélation entre localisation cérébrale de la lésion et manifestations linguistiques. Paul Broca a donc initié une approche anatomo-clinique qui a

*Service de Neuropsychologie, Hôpital Neurologique, GHE, Bron

248

Anne Peillon*

marqué durablement l’aphasiologie, bien que, très tôt, la notion de zones cérébrales d’association ait été aussi avancée. L’opposition non fluent/fluent est aussi fréquemment utilisée et fait référence à une représentation proche de l’opposition Broca-Wernicke, mais sur la base de la production linguistique du sujet, et non d’une localisation cérébrale. Si ces classifications permettent de garder entre membres d’une communauté scientifique un langage commun, elles ne présentent plus grand intérêt pour l’approche clinique. En effet, les tableaux “purs”, tels que décrits dans la littérature, sont rares, la réalité clinique place le plus souvent les thérapeutes devant des tableaux hétérogènes et difficiles à classer, dont les manifestations vont évoluer au cours du temps. Par ailleurs, elles ne permettent pas de définir un programme thérapeutique puisqu’elles font référence à des symptômes, faits linguistiques observables qui constituent les manifestations de surface d’un trouble, et non aux atteintes des

processus cognitifs ou neurolinguistiques à l’origine de ce trouble, c’est-à-dire la structure profonde. Le clinicien manque alors d’indications sur la fonction altérée à l’origine du trouble en vue d’une démarche thérapeutique. La linguistique et la neuropsychologie ont permis de développer une approche interprétative de la sémiologie, favorisant ainsi la démarche d’évaluation et de remédiation. Parallèlement, l’approche pragmatique et l’apport des sciences sociales guident le clinicien dans une démarche fonctionnelle et écologique, considérant les aspects de la communication et des interactions. Les nouvelles technologies de neuro-imagerie fonctionnelle analysent l’activité cérébrale lors d’une stimulation langagière, observent l’activation de réseaux interconnectés, et confirment l’intérêt des modèles connexionnistes qui développent des modèles basés sur la simultanéité des activations. Les recherches menées en neurologie, psychologie et linguistique Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160


les aphasies

permettent d’analyser la richesse sémiologique des manifestations linguistiques relevées lors d’un bilan de langage standardisé. Cette analyse se fait selon les niveaux de traitement linguistique  : phonétique, phonologique, lexical, sémantique, syntaxique, discursif, et le thérapeute, à partir d’une démarche hypothético-déductive, cherche à définir le niveau cognitif altéré. L’atteinte peut être isolée ou globale, touchant plusieurs niveaux de traitement, prédominant ou non sur un des systèmes analysés. Les modèles développés en neuropsychologie cognitive permettent, grâce à une démarche interprétative, de confronter les résultats des tests de langage entre eux, et à partir de manifestations observées, c’est-à-dire de transformations langagières en production ou d’erreurs sur les tâches de compréhension, de formuler une hypothèse sur le niveau cognitif perturbé en référence aux modèles théoriques de la neuropsychologie cognitive. Cette approche guide l’évaluation, mais aussi la démarche thérapeutique de l’orthophoniste dont l’objectif sera de restaurer ou de compenser la fonction altérée.

Les niveaux d’analyse du langage

L’aphasie peut donc être définie comme un trouble du langage secondaire à une atteinte des réseaux neuronaux de l’hémisphère dominant - le plus souvent l’hémisphère gauche - impliqués dans les différentes étapes de traitement du langage. Les troubles de la voix (dysphonie), et de la parole (dysarthrie) trouble de la réalisation motrice de l’articulation, n’entrent pas dans cette définition, mais peuvent parfois exister dans certains tableaux Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

Tableau 1 - Distinguer dysarthrie et anarthrie. Dysarthrie

Anarthrie

• Trouble moteur de la réalisation de la parole • Pas de déficit langagier associé • Stabilité des transformations • Atteinte le plus souvent non corticale • Dysphagie possible • Formes variées selon niveau d‘atteinte

• Trouble de programmation des schèmes articulatoires (praxique) • Apraxie bucco-faciale fréquente • Déficit langagier associé • Peut céder à la dissociation automatico-volontaire • Atteinte corticale unilatérale • Formes variées : du mutisme à la dysprosodie

aphasiques. Ces perturbations se manifestent indépendamment d’une atteinte cognitive. Les troubles de la parole, conséquence de déficits complexes pouvant toucher l’articulation, la coordination de la respiration, les résonateurs, vont entrainer une atteinte plus ou moins sévère de l’intelligibilité, ou dans les cas les moins sévères, une production articulée inhabituelle. La sémiologie clinique de l’aphasie décrit des atteintes pouvant porter  sur : • la programmation des schèmes articulatoires (niveau praxique) ; • la production et/ou la réception de la forme sonore des mots (phonologie) ; • le traitement du sens des mots, en production et/ou réception (sémantique) ; • le traitement de la phrase en production et/ou compréhension (syntaxe). Les difficultés, les transformations, peuvent se manifester sur les quatre versants du langage, compréhension et expression, oral et écrit, à des degrés divers, ou altérer de façon isolée un de ces versants. Ces manifestations sont recueillies au cours d’un bilan orthophonique standardisé, comportant des épreuves variées, éta-

lonnées, corrélées entre elles, dont l’analyse va permettre de poser une hypothèse sur le niveau de traitement altéré.

Les troubles de l’expression orale

Ils font l’objet d’une littérature abondante en raison, d’une part, de la richesse de la sémiologie et, d’autre part, de la fréquence et de la significativité de leurs manifestations. Ce sont les premiers qui seront mis en évidence lors d’une évaluation, et qui seront relevés par le patient lui-même et son entourage.

Les troubles arthriques (Tab. 1, Vignette 1)

Ils correspondent à une difficulté de programmation des schèmes moteurs articulatoires, sans atteinte des organes effecteurs, fréquemment associée à une apraxie bucco-faciale, et se manifestent par des déviations phonétiques entraînant une modification du phonème. Ces transformations sont non systématiques et peuvent céder à la dissociation automatico-volontaire. Le patient produit des phonèmes qui n’appartiennent pas forcément au système phonologique de la langue, et sont difficilement transcriptibles. 249


dossier Les transformations vont généralement dans le sens d’une simplification (par exemple groupes consonantiques complexes) et d’une réduction. Dans les tableaux les plus sévères, il peut exister une tendance à persévérer sur un schème articulatoire, et un risque de stéréotypie, production articulée répétée, non informative, incontrôlée et envahissante (syllabe, mot, segment de phrase), empêchant toute autre production volontaire. Les formes les plus légères décrivent une dysprosodie (ou pseudo-accent étranger) correspondant à une difficulté de programmation de certaines caractéristiques du phonème (longueur, transition...). Le trouble arthrique, dont les manifestations varient en fonction de la gravité, a connu des appellations diverses : anarthrie, aphémie, désintégration phonétique, apraxie de la parole. Il se manifeste dans des tableaux d’aphasie non fluente, lié à une lésion corticale antérieure, il est à différencier de la dysarthrie, trouble moteur, permanent et uniforme, caractérisé par une certaine stabilité dans la production, sans atteinte langagière associée, qui affecte des niveaux périphériques de la motricité articulatoire, lié à une lésion généralement non corticale (voies pyramidales et extrapyramidales, cervelet, tronc cérébral...).

Les troubles lexicosémantiques (Tab. 2) ❚❚L’anomie Souvent appelée “manque du mot”, elle constitue le symptôme commun à tous les tableaux d’aphasie. Elle se révèle dans le discours spontané ou lors de tâches 250

Vignette 1 Troubles arthriques/dysarthrie Madame V., 58 ans, secrétaire de mairie, a présenté un AVC ischémique sylvien superficiel gauche. Le bilan orthophonique met en évidence une expression spontanée réduite, un manque du mot important, un agrammatisme et des déformations sur les phonèmes en production orale. La compréhension lexicale et contextuelle est bien préservée, il existe quelques difficultés sur les phrases longues et de structure syntaxique complexe (MT 86 : 33/38). On note une légère asymétrie faciale et une petite perte de tonus labial dues à une hémiparésie faciale droite centrale. Les déformations portant sur la production des phonèmes amènent à établir un diagnostic différentiel entre dysarthrie (trouble de réalisation motrice) et trouble arthrique (trouble de programmation des schèmes articulatoires). La question est résolue par l’observation et l’analyse des différents signes cliniques : les mouvements bucco-faciaux ne sont pas réalisés sur ordre ; en imitation la patiente peut tirer la langue, gonfler les joues, mais ne peut souffler. Par contre, elle peut éteindre une bougie en soufflant dessus, et elle soupire à plusieurs reprises, produisant ainsi de façon automatique le geste de souffler. De nombreuses déformations sont relevées sur les phonèmes, certains étant fréquemment altérés mais de façon non systématique. L’hémiparésie faciale ne permet pas d’expliquer les déformations car il n’existe pas de fuite d’air labiale, ni de perte de tonicité linguale. De plus, la présence de troubles langagiers associés, une apraxie bucco-faciale, l’instabilité des productions et la dissociation automatico-volontaire confirment le trouble praxique. Ce tableau est typique d’une aphasie non fluente, avec troubles arthriques et apraxie bucco-linguo-faciale. Ainsi, l’expression de Madame V., notamment lorsqu’elle est fatiguée, comporte tellement de transformations arthriques que les productions sont difficilement reconnaissables. Un travail sur la programmation des schèmes articulatoires est réalisé en rééducation orthophonique. Les déviations phonétiques sont nombreuses et ce travail demande une grande concentration à la patiente. Un jour, lors de la toilette matinale, un soignant éternue et Madame V. dit spontanément et distinctement « A vos souhaits ! », ce qui surprend ce soignant habitué à une expression orale très déformée. C’est une manifestation typique de la dissociation automatico-volontaire en spontané qui existe souvent dans les aphasies antérieures. Cette préservation d’automatismes verbaux est évaluée lors du bilan (production de séries automatiques : chiffres, jours de la semaine, mois de l’année) et utilisée lors de la prise en charge orthophonique pour faciliter la production de schèmes articulatoires variés.

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contraintes, telles les fluences verbales imposées, ou l’épreuve de dénomination, se manifeste par une absence de production ou un temps de latence élevé, des transformations de type paraphasie, et peut parfois être compensée par des gestes, des mimiques, des paraphrases ou des circonlocutions. L’observation et l’analyse de ces productions (qui constituent des manifestations de surface) permettent de déterminer la nature du déficit cognitif (structure profonde) à l’origine des transformations linguistiques : trouble du traitement phonologique (forme des mots), difficulté d’accès à l’étiquette lexicale, aux représentations sémantiques (sens du mot) ou altération de ces représentations. ❚❚Les troubles phonologiques Un trouble phonologique peut correspondre à une atteinte du pattern phonologique ou à une difficulté d’accès à cette représentation, voire à une difficulté de maintien de cette forme sonore en mémoire à court terme. Lorsque le pattern lui-même est atteint, le trouble peut se manifester par des paraphasies phonémiques ou phonologiques (canapé ➟ /kaponé/, intelligent ➟ /litajan/), voire des néologismes (arrosoir ➟ /boverli/), des absences de réponse ou la production de mots proches de sens lorsque le patient a conscience de ses erreurs et peut contrôler sa production. Le sujet rencontre une difficulté dans le choix et l’ordonnancement des phonèmes de la langue, pour la production du mot. Plusieurs facteurs vont entrer en jeu : la fréquence du mot, sa longueur et sa complexité phonologique. Ces difficultés seront particulièrement mises en évidence dans des tâches qui nécessiteront une transposition : répétition ou lecNeurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

Tableau 2 - Les types de paraphasie. • Erreur visuelle (pomme ⇒ ballon) • Périphrase (couteau ⇒ ça sert à couper) • Mots-valises (machin, truc) • Paraphasie verbale (un mot de la langue) • sans lien de sens (bougie ⇒ cible) • paraphasie sémantique = avec lien de sens (bougie ⇒ ampoule, raisin ⇒ pomme) • paraphasie visuo-sémantique (guitare ⇒ violon) • paraphasie verbale morphologique = forme proche (constitution ⇒ consultation) • Paraphasie morphémique (râpe ⇒ râpoir, dentiste ⇒ denteur, étagère/étage) • Paraphasie phonémique ou phonologique (dinosaure ⇒ /nidorose/) • Néologisme (bougie ⇒ /kadène/) Combinaison possible de transformations successives : guitare ⇒ /vilion/ (sémantique ⇒ violon, puis phonologique)

ture à haute voix, les réponses à ces épreuves fournissant des indications précieuses sur le niveau de traitement altéré. Parfois, seul l’accès aux représentations phonologiques est perturbé, manifestation appelée communément manque du mot, (ou « mot sur le bout de la langue » bien connu chez le sujet sain lorsque le trouble est a minima), l’effet de fréquence est alors important, l’ébauche orale facilitant la production, la répétition est alors préservée. Les difficultés liées à la boucle phonologique et au maintien en mémoire à court terme de la forme phonologique seront mises en évidence en particulier par un effet de longueur et de lexicalité (mots mieux répétés que non-mots). ❚❚Le trouble sémantique Il correspond à une difficulté à traiter le sens des mots. Généralement, chez le sujet aphasique, il s’agit le plus souvent d’une difficulté à accéder aux représentations sémantiques plutôt que d’une réelle détérioration des propriétés qui définissent l’objet,

comme cela est le cas dans certaines pathologies dégénératives (démence sémantique par exemple). Ce niveau est probablement le plus difficile à analyser, tant le traitement sémantique est un processus complexe. En effet, si l’on s’en tient à l’observation des transformations réalisées par le patient, la production d’une paraphasie sémantique (âne pour cheval par exemple) ne révèle pas nécessairement un déficit sémantique sous-jacent et ne suffit pas à affirmer que le sujet a perdu la capacité à activer les propriétés qui différencient ces deux objets. L’investigation de ce niveau de traitement nécessite donc de comparer des épreuves variées, dans des modalités différentes (expression et compréhension, orale et écrite) en référence à un modèle cognitif de traitement lexical. Les caractéristiques du mot, et donc les outils qui vont les évaluer, sont importants à prendre en compte : fréquence, concrétude, classe catégorielle, classe grammaticale, etc. 251


dossier Les troubles morpho-syntaxiques (Tab. 3)

Classiquement, deux types de perturbations du traitement de la phrase sont décrits, en relation avec les tableaux d’aphasie : • non fluente : l’agrammatisme ; • et fluente : la dyssyntaxie. Les travaux récents remettent en question cette distinction qui ne prend en compte que la manifestation linguistique observée, et non l’interprétation des processus cognitifs mis en jeu. Cependant, cette classification reste pertinente pour la description des troubles observés, qui peuvent se manifester en expression orale et écrite, ainsi qu’en compréhension. ❚❚L’agrammatisme Il correspond à une expression en réduction, avec diminution de la fluence verbale, privilégiant la production de mots porteurs de sens (les noms et, dans une moindre mesure, les verbes) au détriment de mots fonctionnels et de marqueurs grammaticaux (prépositions, pronoms, déterminants, conjonctions, marqueurs de temps et de personne sur les verbes...). Les règles de construction de la phrase ne sont pas respectées, et le sujet aura tendance à privilégier des structures syntaxiques simples et courtes. Ce déficit se retrouvera en compréhension, où le patient agrammatique s’appuiera sur les éléments sémantiquement porteurs de la phrase et pourra présenter des difficultés sur des formes complexes (relatives, passives, phrases enchâssées, etc.). ❚❚La dyssyntaxie Elle se manifeste lors de discours fluents, et se caractérise par une production de mots et de marqueurs grammaticaux nombreux, mais dont l’emploi est souvent 252

inapproprié (difficulté de choix) ou l’emplacement dans la phrase inadapté (ordre des mots). Cette difficulté d’organisation syntaxique, utilisation anarchique des règles de construction de la phrase, est fréquemment associée à un trouble lexical, phonologique ou sémantique, et peut aboutir à un jargon, discours dont l’informativité est faible. L’anosognosie (conscience altérée du trouble) vient souvent aggraver le tableau, le patient n’étant pas conscient des erreurs produites, il ne limite pas sa production et ne tient pas ou peu compte des interventions de son interlocuteur. En compréhension, ces mêmes difficultés se manifesteront par une mauvaise interprétation des mots grammaticaux et des désinences verbales, ou par un traitement erroné de l’ordre des mots de la phrase.

le discours font néanmoins partie des troubles qui apparaissent dans les tableaux d’aphasie lorsque celle-ci récupère, ou est d’emblée de forme peu sévère. Les perturbations lexicales et syntaxiques peuvent masquer des dysfonctionnements plus fins comme par exemple le traitement des inférences, la hiérarchisation des informations, la structuration du récit, la concision du discours. Ce niveau de traitement implique des fonctions cognitives multiples  : attention, mémoire de travail, fonctions exécutives, et leur évaluation est complexe. Ces troubles peuvent néanmoins perturber sensiblement l’activité langagière de patients et les situations de conversation et d’échanges.

Les troubles discursifs

Si les troubles expressifs sont les plus manifestes dans la sémiologie aphasique, les difficultés de compréhension, parfois plus discrètes,

Souvent moins bien décrits dans la littérature, et moins typiques de l’aphasie, les difficultés touchant

Les troubles de compréhension orale

Tableau 3 - Distinguer agrammatisme et dyssyntaxie. Agrammatisme

Dyssyntaxie

• Diminution de la fluence • Lexique disponible réduit • Structures syntaxiques simplifiées • Prédominance des substantifs (> verbes) • Omission/substitution mots fonctionnels • Réduction/absence des marqueurs grammaticaux • Réduction expansions verbe et nom • Absence/rareté de relatives, formes syntaxiques complexes • Difficulté construction et ordonnancement des éléments de la phrase

• Substitutions de monèmes fonctionnels • Utilisation anarchique des règles morpho-syntaxiques • Erreurs de morphèmes grammaticaux • Erreurs dans le choix des auxiliaires • Erreurs de classe grammaticale • Dérivations morphologiques • Accords en genre et en nombre • Ordre de la phrase non respecté

Exemple : « anniversaire… fille… beaucoup… après souffler bougies… pfff… content… moi larme, larme… content ma fille. »

Exemple : « je suis vendu ma voiture, il était beaucoup de distance ... de le travail fatigaire… c’est la plus long qu’il fait. »

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constituent une perturbation importante dans la communication du sujet. Elles sont souvent minimisées par le patient ou son entourage et nécessitent une analyse fine. L’opposition classiquement décrite entre aphasie fluente et non fluente associe une compréhension altérée pour les patients présentant une atteinte postérieure, par opposition à une compréhension préservée pour les sujets ayant une lésion antérieure. Cette dichotomie n’est pas si marquée dans la réalité clinique. Il est important, d’une part, de bien cerner la notion de compréhension et, d’autre part, de s’appuyer sur une observation fine des manifestations linguistiques pour mettre en évidence les dysfonctionnements dans le traitement de l’information verbale par le patient. Il s’agira de différencier une compréhension “en contexte” (Vignette 2) qui fait intervenir de nombreux éléments non verbaux (mimiques, gestes, intonation, situation...), et pour laquelle les compétences du sujet aphasique peuvent être assez bien préservées, de la compréhension purement linguistique  : traitement des sons de la langue, de la forme des mots (phonologie), de leur sens (sémantique) et de la phrase. Les difficultés observées en compréhension vont être analysées selon les mêmes niveaux de traitement qu’en production. Elles seront souvent associées à des transformations de même type sur le versant expressif.

Les troubles du traitement des représentations phonético-phonologiques

Ce premier niveau consiste en un décodage des sons du langage. Il peut être altéré, entravant ainsi la discrimination des sons de la Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

langue, les phonèmes, et ne permettant pas au sujet l’accès à la reconnaissance de la forme sonore du mot. Le sujet sera dans l’incapacité de différencier deux mots de forme proche (chapeau/chameau) ou de dire si une forme entendue est un mot de la langue ou non (/chalo/). Ce trouble peut, dans certains cas, contraster avec un accès préservé de la forme orthographique du mot, le sujet ne pouvant comprendre un mot produit oralement par l’examinateur, alors qu’il accède parfaitement au sens du

mot écrit, prouvant ainsi l’intégrité de ses capacités de traitement sémantique.

Les troubles du traitement des représentations sémantiques

Alors que leurs capacités de traitement phonologique (forme sonore du mot) sont bien préservées, comme peuvent en témoigner certaines épreuves (discrimination de formes proches...), certains sujets vont présenter des difficultés à accéder aux propriétés sémantiques des objets, en particulier des traits

Vignette 2 Compréhension “en contexte”/troubles de la compréhension orale Monsieur C., 66 ans, chauffeur de taxi retraité, a présenté un AVC ischémique sylvien profond gauche. Le bilan de langage, réalisé par l’orthophoniste, montre une aphasie fluente, avec de nombreuses paraphasies phonologiques, et des troubles de la compréhension des phrases complexes relevés lors d’une épreuve contrainte (score au MT 86 : 25/38, erreurs portant sur les propositions relatives, clivées sujet « c’est le garçon qui porte le chien », clivées objet « c’est le garçon que le chien regarde », relative enchâssée « l’homme qui porte un chapeau embrasse la femme »). Il est donc conseillé à l’équipe soignante et à la famille de produire des phrases courtes afin de faciliter la compréhension. L’entourage semble surpris par ces remarques : en effet, son épouse n’a pas constaté ces difficultés et assure que son mari « comprend tout ». Lorsqu’elle arrive dans sa chambre, elle lui parle du temps, lui demande s’il a besoin de quelque chose, fait un petit résumé de sa journée, lui parle de ses amis, de son chien. Elle lui demande ce qu’elle doit faire dans le potager… M. C. « participe » effectivement à l’échange, acquiesce, produit de nombreuses mimiques et commente par des propositions (« Ah ben si tu veux », « Comment ça se fait ? », etc.). Si l’on observe les échanges entre les deux époux, on constate, de la part de l’épouse, une utilisation importante de la mimogestualité, de l’intonation, la référence à un contexte commun, l’utilisation d’un lexique fréquent et de nombreuses questions fermées (réponse en oui/non). Il existe donc de sa part une adaptation inconsciente aux difficultés de son mari, une compensation par du non-verbal, et une compréhension globale de la situation, mais qui ne permet pas d’envisager des échanges plus complexes (type argumentatif, négociation, etc.). 253


dossier distinctifs qui vont opposer des représentations proches de sens (couteau/scie, zèbre/cheval...) ou, plus rarement, présenter une altération de ces représentations elles-mêmes. Les épreuves proposées devront déterminer s’il s’agit d’un défaut d’accès ou d’une atteinte des représentations. Pour cela, les manifestations observées dans des tâches de compréhension seront comparées aux épreuves proposées en expression, et complétées par des épreuves visant à délimiter les champs sémantiques perturbés, toujours en référence à un modèle cognitif de traitement lexical.

Les troubles de la compréhension syntaxique

Les difficultés de compréhension de la phrase peuvent coexister avec des troubles de compréhension lexicale ou se manifester alors que celle-ci est préservée ou restaurée. Plusieurs causes peuvent en être à l’origine : mauvais traitement des mots fonctionnels ou flexions verbales, atteinte des règles de structuration syntaxique et/ou de la mise en relation des éléments de la phrase, difficultés de mémoire de travail, etc. Le patient peut alors présenter des difficultés à traiter des structures particulières : formes réversibles (l’homme regarde la femme/la femme regarde l’homme), relatives, passives, etc. Lorsque le traitement lexical est préservé, le patient s’appuiera sur les éléments sémantiques de la phrase pour accéder au sens, faisant ainsi illusion en situation. Il sera alors particulièrement en difficulté lorsque les phrases comporteront peu de mots chargés de sens (noms, verbes...). 254

Les troubles du langage écrit

Les perturbations de traitement du langage écrit peuvent coexister avec les troubles du langage oral ou se manifester de façon isolée, sur le versant compréhension et/ou production. Une description classique, s’appuyant sur une corrélation anatomo-clinique, a permis d’établir des tableaux en relation avec les syndromes aphasiques classiques. Depuis une quarantaine d’années, l’approche cognitiviste a permis de mieux décrire les niveaux de traitement altérés, en s’appuyant sur les modèles des processus cognitifs établis chez le sujet normal.

La lecture

En ce qui concerne la lecture, une distinction est établie entre des dyslexies périphériques liées à une héminégligence ou à un déficit attentionnel, et les dyslexies centrales mettant en jeu des mécanismes de traitement cognitifs différents. Les dyslexies centrales se caractérisent par des troubles intervenant sur les voies de la lecture. Plusieurs types sont décrits ; nous retiendrons, dans un souci de simplification, les trois formes principales. ❚❚La dyslexie de surface Certains patients perdent la capacité à reconnaître des mots globalement, mais peuvent appliquer une règle de correspondance entre la lettre et le son (correspondance graphème/phonème), ce qui leur permet de lire des mots connus ou inconnus (non-mots ou logatomes) pourvu qu’ils soient “réguliers” : vélo, particularité, /rikapé/, alors que les mots “irréguliers” (ne respectant pas la règle de correspondance lettre/son) seront lus avec une régularisation (femme ➟/

fèm/, banc ➟ banque). On parlera alors d’atteinte de la voie lexicale. ❚❚La dyslexie phonologique A l’inverse, la dyslexie phonologique ne permet pas au sujet de lire par association des lettres, mais la reconnaissance globale du mot étant préservée, le sujet peut lire les mots connus. Cependant il sera en difficulté pour lire les mots nouveaux ou les non-mots (/rikapé/). Ce trouble correspond à une atteinte de la voie phonologique. ❚❚La dyslexie profonde Ces deux difficultés peuvent être combinées dans la dyslexie profonde qui associe un déficit important d’assemblage (voie phonologique) et, à moindre importance, de reconnaissance globale du mot (voie lexicale). Ces troubles vont se manifester particulièrement lors de la lecture à haute voix, entraînant des productions de type paralexie phonologique ou sémantique, des circonlocutions, des pauses... L’accès au sens peut être perturbé selon des modalités comparables à celles décrites à l’oral.

L’écriture

Parallèlement aux difficultés de traitement décrites sur le versant de la lecture, le même type de manifestation peut apparaître en écriture. On décrit alors des tableaux : • d’agraphie lexicale, préservant la capacité à écrire des mots réguliers ou des non-mots, mais altérant l’orthographe des mots irréguliers (erreurs plausibles phonologiquement : femme ➟ /fame/, fusil ➟ /fuzi/) ; • d’agraphie phonologique, les sujets ne pouvant produire que des mots connus, mais pas de mots nouveaux ou de logatomes ; • ou d’agraphie profonde, associant Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160


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une atteinte de la voie phonologique et partiellement de la voie lexicale.

Approche cognitive

L’émergence de ce courant dans les années 1970 a permis de construire une démarche thérapeutique en référence à des modèles de traitement de l’information établis chez le sujet normal. Ces modèles permettent de guider l’évaluation en établissant les niveaux de traitement altérés et préservés, de construire une thérapie en définissant des objectifs en référence aux niveaux déficitaires, et de choisir les outils thérapeutiques adaptés. Les thérapies cognitives nécessitent une analyse fine des troubles, et une évaluation en post-thérapie pour juger de son efficacité.

linguistique (phonétique, phonologie, sémantique, syntaxe), et ses compétences communicatives en situation de vie quotidienne. Ces situations font appel à des capacités souvent préservées chez les personnes aphasiques, qu’elles sont capables de mobiliser pour assurer une certaine fonctionnalité des échanges. Selon Audrey Holland, « les aphasiques communiquent mieux qu’ils ne parlent », ceux-ci s’appuyant sur une utilisation du non-verbal (gestes, mimiques, intonation, etc.). Dans la démarche de réhabilitation sociale du sujet aphasique, la prise en compte du handicap généré par l’aphasie et des difficultés à communiquer en vie quotidienne est tout aussi importante que le travail de restauration des déficits linguistiques. L’objectif, que ce soit pour le patient, son entourage, ou le thérapeute, est de favoriser la capacité à communiquer du sujet, l’efficacité de l’échange, plutôt que le respect d’une norme langagière ; la transmission d’une information est alors privilégiée par rapport à la qualité de production de l’énoncé. Les aspects verbaux et non-verbaux du message sont complémentaires, et l’accent est mis sur les compétences du sujet et non sur ses déficits.

Approche pragmatique

Aspects psychosociaux

Les erreurs vont apparaître en spontané, en dénomination écrite et en dictée. Une atteinte des processus périphériques peut perturber la production de la lettre isolée, par perte de la représentation abstraite de la forme de la lettre, ou une atteinte praxique.

Des approches complémentaires

La description de la sémiologie aphasique s’est construite grâce à des outils d’analyse issus de la linguistique et plus récemment, les apports de la psychologie cognitive ; la démarche thérapeutique tire un bénéfice évident de ces approches complémentaires. Cependant, le clinicien observe fréquemment une dissociation entre les capacités du sujet évaluées lors de bilans standardisés selon les niveaux de structuration Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

Cette approche de la communication plus globale du patient aphasique amène logiquement à prendre en compte ses interlocuteurs, et les habitudes communicatives du sujet et de son entourage. L’aphasie n’est plus considérée seulement comme un trouble linguistique impactant le patient cérébrolésé, mais comme une perturbation d’un système de communication dans lequel évoluent le patient aphasique et son

entourage. Il faut alors non seulement considérer le sujet aphasique, mais prendre en compte ses partenaires privilégiés, et les interactions qui s’établissent. Il existe un impact direct de l’aphasie sur l’environnement du patient, nécessitant que l’étude se porte sur la dynamique conversationnelle, les stratégies mises en place entre les interlocuteurs, et l’adaptation de l’entourage à la communication. L’analyse conversationnelle, menée à partir de vidéos réalisées au domicile du patient lors d’un échange naturel avec son partenaire privilégié de conversation, permet d’étudier les comportements de chacun des partenaires, et d’identifier les stratégies favorisant l’efficacité de la communication. L’impact de l’aphasie n’est pas que langagier, il est social et psychologique, entraînant une réduction quantitative et qualitative des relations sociales et familiales, avec un risque pour le patient de diminution de ses activités, de repli sur soi, de frustration, de souffrance psychique, de perte de l’estime de soi. Les personnes aphasiques expriment fréquemment un sentiment d’incompétence, de dévalorisation, et une perte de plaisir et d’envie à établir ou maintenir des relations sociales. L’aidant naturel exprime lui aussi une souffrance liée au surmenage, au stress, à la diminution des échanges et à la réduction des relations sociales. Les réactions dépressives se manifestent souvent dans les mois et années qui suivent l’aphasie, témoignant d’un deuil douloureux et difficile de « la vie d’avant ». Les difficultés langagières rendent encore plus difficile l’expression de cette souffrance psychique. 255


dossier La prise en charge des patients aphasiques est donc multiple : • linguistique bien sûr, • mais aussi sociale et psychologique, • en associant l’aidant comme partenaire privilégié de la démarche de rééducation et réadaptation.

Démarche thérapeutique

Au vu de la complexité de la sémiologie aphasique, et de la multitude de facteurs qui entrent en jeu, la question de la prise en charge des patients aphasiques ne peut avoir une réponse unique. Les procédés mis en place viseront de façon complémentaire, la restauration, la réorganisation et/ ou la compensation du ou des déficits [4]. Le type et le degré de sévérité du déficit, la nature et l’efficacité des mécanismes préservés, le moment de la prise en charge, l’implication du patient et de l’entourage, ses besoins et ses attentes, sont autant de facteurs qui vont déterminer d’une part les objectifs de la prise en charge et d’autre part les moyens et les types de thérapie proposés. Plusieurs courants théoriques

structurent la démarche thérapeutique, offrant aux orthophonistes des outils d’évaluation et de remédiation complémentaires. La prise en charge orthophonique est principalement individuelle, mais les thérapies de groupe peuvent être indiquées en complément ou à certaines étapes de la rééducation. Certains profils aphasiques, principalement en début de prise en charge, avec des atteintes portant sur des processus cognitifs bien identifiés, se prêtent particulièrement bien à des thérapies cognitives visant à restaurer une fonction altérée. Ces thérapies proposent un entraînement soutenu, élaboré à l’issue d’un bilan rigoureux, réalisé en référence à un modèle de traitement cognitif normal, soumis à évaluation pré- et post-thérapie, afin d’évaluer l’effet de cet entraînement et sa généralisation aux items non-entraînés. Des thérapies se situant plutôt dans un courant behavioriste, qui s’appuient sur un conditionnement opérant, ont aussi fait leurs preuves dans certains tableaux de réduction sévère de l’expression orale.

L’efficacité de la communication, comme objectif fonctionnel de la thérapie, privilégie une approche pragmatique et propose des thérapies qui vont permettre au sujet de développer les capacités préservées en favorisant l’utilisation de canaux non verbaux. La mise en situation du sujet dans des situations proches de la vie quotidienne permet un meilleur transfert des compétences communicatives, le développement de stratégies palliatives, et favorise l’adaptation réciproque du sujet aphasique et de son environnement. Enfin, la prise en compte de l’entourage et l’implication des aidants dans le processus de communication sont des facteurs essentiels pour optimiser l’efficacité de la prise en charge. n

Mots-clés : Aphasie, Sémiologie, Praxie, Phonologie, Sémantique, Syntaxe, Langage, Expression,Troubles arthriques, Dysarthrie,Troubles lexico-sémantiques, Fluence verbale, Anomie,Troubles morpho-syntaxiques,Troubles discursifs, Troubles de la compréhension, Lecture, Dyslexie, Ecriture, Agraphie

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Renseignements et inscriptions : 256 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 Expressions Santé • 2, rue de la Roquette, Passage du Cheval Blanc, Cour de Mai - 75011 Paris Tél. : 01 49 29 29 29 - Fax : 01 49 29 29 19 - E-mail : neurologies@expressiongroupe.fr


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3 Exploration des troubles

du langage

Evaluer les dimensions linguistique, neuropsychologique et pragmatique n Afin de pointer les troubles phasiques, une évaluation approfondie est nécessaire. Les outils sont nombreux et concernent plusieurs dimensions (linguistique, neuropsychologique et pragmatique). Une distinction peut être réalisée entre l’évaluation du langage, qui met en exergue les déficits linguistiques, et l’évaluation de la communication, qui cherche à mettre en évidence un éventuel handicap pour communiquer.

Quelques règles générales

L’évaluation du langage du sujet aphasique doit être rigoureuse. Suite à la passation, il convient d’établir une cotation quantitative, avec des scores, mais aussi qualitative, en analysant le type d’erreurs, en mettant en évidence les modes de facilitation… L’examinateur, face à ces données recueillies, doit être prudent quant à leur interprétation. Celui-ci ne peut se contenter de dire que le patient échoue à une épreuve de désignation par exemple, sans se préoccuper de déterminer si cet échec est en lien avec le déficit de la fonction linguistique testée ou du canal sensoriel utilisé pour évaluer cette fonction. Ainsi, l’examinateur doit s’interroger face à un échec et mettre en évidence un éventuel déficit de perception visuelle, auditive, d’un trouble de compréhension. *Unité de Neuropsychologie-CM2R, Service de Neurologie, CHU Nord, Saint-Etienne

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La plupart des épreuves sont normalisées et se réfèrent à un modèle théorique. En effet, la description symptomatologique est mise en relation avec un modèle psycholinguistique afin d’identifier la nature du déficit sous-jacent. Plusieurs modèles théoriques existent, comme le modèle de Hillis et Caramazza, ou encore des modèles plus spécifiques de production du langage oral comme le modèle connexionniste de Dell ou le modèle sériel de Levelt. L’examinateur se doit de les connaître afin de réaliser une interprétation cognitive des résultats obtenus la plus rigoureuse possible. Enfin, il est primordial de garder à l’esprit que les résultats aux différentes épreuves seront mis en relation à partir d’une analyse transversale, dans un but de recherche du niveau de fonctionnement altéré. Il ne s’agit donc pas de considérer les déficits de compréhension, de répétition… de façon isolée mais de faire des liens entre les résultats aux différentes épreuves.

Sandrine Basaglia-Pappas*

Avant tout, une anamnèse est indispensable. En effet, l’examinateur doit recueillir un grand nombre d’informations concernant le patient. Elles concernent : les données générales (l’âge de survenue des troubles, la latéralisation manuelle, le niveau de scolarisation, le niveau de pratique de la langue écrite), les troubles associés à l’aphasie, le terrain psychoaffectif… Il s’agit en quelque sorte d’un entretien dirigé. Il existe divers outils d’évaluation (Tab. 1). Certains vont permettre une approche globale, qui a pour but de réaliser un bilan général, global des troubles phasiques, et d’autres auront une approche spécifique. D’autres outils permettent d’évaluer les déficits de manière analytique ou de manière fonctionnelle en évaluant le handicap. Il est important de ne pas changer d’outil d’évaluation tout au long du suivi du patient pour valider longitudinalement les progrès et stagnations. Ainsi après un entretien dirigé et un examen clinique approfondi, 257


dossier les capacités linguistiques peuvent être explorées. Cette évaluation porte sur deux principales fonctions : l’expression et la compréhension, sur le versant oral et le versant écrit pour chacune. Reprenons chaque fonction.

Evaluation de l’expression orale Le langage spontané ou conversationnel

Le langage spontané est « le langage produit par un sujet en situation naturelle (ou quasi naturelle) » [15]. Il permet l’observation de l’ensemble des composantes du langage. Pour cette épreuve, l’examinateur induit souvent des questions pour guider le patient et l’amener à converser : on parle ainsi de langage provoqué. L’examinateur peut ainsi évaluer les capacités à communiquer. En cas de mutisme, il peut voir s’il existe un langage non verbal, si le patient produit des mimiques… Il évalue aussi l’informativité, les capacités d’accès au lexique, les structures syntaxiques, la cohérence du discours (pensée, raisonnement).

• Quels outils utiliser ? Par exemple des batteries générales, comme le BDAE ou le MT86, proposent une épreuve de langage spontané. Une analyse, quantitative mais aussi qualitative, peut être réalisée.

❚❚Le discours narratif Il permet de contrôler les réponses du sujet, et de ce fait suscite moins un discours naturel et varié, ainsi qu’une syntaxe et une morphologie complexes. Le discours narratif est apprécié à partir de la description de scènes imagées. Cette narration suscitera un langage moins naturel que pour l’épreuve 258

du langage spontané. Une analyse concernant le lexique et la syntaxe sera réalisée. L’examinateur vérifie également si le discours produit respecte la cohérence du récit et si le patient a accès aux inférences. Les productions sont aussi analysées sur les plans phonétique, phonologique ou sémantique.

lontaire (évocation des chiffres, des jours de la semaine, des mois de l’année, des nombres de 1 à 20, l’alphabet, une chanson ou encore la complétion de phrases et de proverbes). Cette épreuve permet de voir s’il existe une dissociation automatico-volontaire, fréquente dans les aphasies antérieures.

• Quels outils utiliser ? Par exemple, l’image de la scène “le voleur de biscuits” du BDAE, et celle du “hold-up” du MT 86 sont très souvent utilisées. Cette image scénique permet notamment de mettre en évidence des troubles perceptifs, une hémianopsie latérale homonyme ou une héminégligence : le patient ne décrit qu’une partie de la scène. La batterie BIA propose également une scène. Le patient dispose de deux minutes pour la décrire avec le maximum de détails.

• Quels outils utiliser ?

❚❚Les automatismes verbaux Ils correspondent à la production de séries pour produire du langage sans déclenchement vo-

• Quels outils utiliser ?

Cette épreuve existe dans les tests généraux d’évaluation de l’aphasie.

❚❚Les épreuves de dénomination d’images Elles explorent l’accès lexical. Peuvent être représentés des objets, des symboles, des formes géométriques, des couleurs, des nombres ou des actions. Les items sont proposés en fonction de critères de fréquence.

• Dans la batterie BDAE, par exemple, deux planches proposent des items de dénomina-

Tableau 1 - Les outils d’évaluation Les batteries générales, standardisées, d’évaluation de l’aphasie • Examen de l’aphasie de Ducarne [5] • Boston Diagnostic Aphasia Examination : BDAE-HDAE [6] • Protocole Montréal-Toulouse d’examen linguistique de l’aphasie : MT86 [7] • Batterie BIA, informatisée [8] Outils spécifiques élaborés dans le cadre théorique de la neuropsychologie cognitive • Test pour le diagnostic des troubles lexicaux chez l’aphasique ou Lexis [9] • Batterie d’examen des troubles de la dénomination ou Exa-Dé [10] Outils d’évaluation de la communication • Echelle de communication verbale de Bordeaux (ECVB) [11] • Test Lillois de Communication (TLC) de Rousseaux [12] • Protocole Montréal d’Evaluation de la Communication (Protocole MEC [13] et MEC de poche [14])

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les aphasies

tion. L’examinateur peut réaliser une évaluation quantitative avec mesure du temps, une évaluation qualitative avec étude des transformations (paraphasies phonémiques, sémantiques, verbales...). Cette batterie propose également une dénomination par le contexte. Un échec à cette épreuve ne suffit pas pour dire que le patient présente des difficultés pour accéder au lexique puisque cette épreuve fait intervenir la compréhension lexicale et syntaxique. • Dans la batterie MT86, une épreuve de dénomination de substantifs et de verbes est proposée. Plusieurs oppositions sont proposées : termes génériques, catégoriels (outils, meubles) ; parties d’un tout (manteau, boutons), manipulable versus non manipulable (échelle/village). • Dans la batterie BIA, plusieurs épreuves sont proposées : sur entrée visuelle (substantifs et verbes), sur entrée auditive et sur entrée tactile. • Des épreuves permettant d’évaluer de manière spécifique la dénomination comprennent davantage d’items. Il existe ainsi un meilleur contrôle des variables et des données sur les performances de la population normale. • Le test de dénomination orale d’images : DO80 [16] Il s’agit d’un outil pratique, adapté pour les besoins de la clinique, qui permet de situer rapidement les performances d’un sujet par rapport à un seuil de normalité établi suivant l’âge et le niveau socio-culturel (NSC). Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

• Le test pour le diagnostic des troubles lexicaux chez le patient aphasique : LEXIS Les objectifs du LEXIS sont de quantifier les troubles de la dénomination et de la compréhension de mots concrets (normes par épreuve selon l’âge et le NSC) et diagnostiquer d’éventuels troubles lexico-sémantiques. Cette batterie comprend trois tests utilisant des stimuli identiques : un test de dénomination, un test de désignation et un test d’appariement sémantique d’images. Le but est de comparer les différents traitements d’un même matériel. Ainsi, on peut comparer les possibilités de dénomination, de compréhension et de traitement sémantique. • La Batterie informatisée du manque du mot : BIMM [17] Cette batterie informatisée propose une dénomination de substantifs, de verbes et de sons. • Le test de dénomination des verbes lexicaux en images : DVL38 [18]. • La batterie d’examen de la dénomination : Exa Dé Cette batterie détaillée, rigoureusement construite, convient bien aux tableaux cliniques avec troubles de la dénomination prédominants ou isolés. Elle comprend 10 épreuves (296 mots au total) visant à évaluer les différentes variables en jeu dans l’activité de dénomination d’images. Il s’agit d’une épreuve générale croisant les critères longueur et fréquence, testant le rôle de l’affixation et de la composition, l’efficacité des aides et le rôle de la latence. L’examinateur peut établir des profils d’erreurs selon les variables étudiées et selon le champ sémantique.

L’évocation lexicale

Les épreuves de disponibilité lexicale (encore appelée fluence verbale) sans support visuel consistent à faire évoquer des items lexicaux suivant une contrainte sémantique ou formelle (intervention des fonctions exécutives) en un temps limité. L’examinateur observe la stratégie du patient : y a-t-il une organisation du système sémantique (fluence catégorielle) ou une organisation lexicale (fluence alphabétique) ?

• Quels outils utiliser ? • Les fluences de Cardebat, les plus utilisées [19] : pour l’évocation catégorielle, l’examinateur peut proposer les animaux, les fruits et les meubles. Pour les fluences formelles, il peut proposer les lettres /p/, /r/ ou /v/. Des normes existent, en fonction de l’âge et du niveau d’études. • Dans la batterie BIA, l’épreuve comprend deux fluences catégorielles : celle des animaux, catégorie la plus fréquente et la plus riche en éléments, et celle des meubles, qui est moins fréquente et plus réduite. Deux fluences littérales sont également demandées : l’une avec la lettre « m » et l’autre avec la lettre « v ». Le patient dispose d’une minute pour chaque fluence pour donner le plus de mots possible. La prise en compte de productions persévératrices par le patient est notée.

❚❚La répétition Des épreuves de répétition de mots, de logatomes et de phrases peuvent être proposées. On parle de transposition audio-phonatoire : on reste dans le même code, avec un input oral et un output oral. Cette épreuve est intéressante pour faire un diagnostic entre 259


dossier les différents types de tableaux d’aphasie, c’est-à-dire pour tester les capacités de transposition audio-phonatoire, à savoir le traitement de l’information linguistique, le transcodage d’un schème audio-phonatoire en un schème phonétique, l’encodage phonologique (enchaînement des différents phonèmes), l’intégrité du feedback auditif et les tâtonnements et les conduites d’approche.

• Quels outils utiliser ? Toutes les batteries générales proposent des épreuves de répétition.

❚❚Le langage élaboré Avec des définitions de mots, de proverbes, des antonymes, des synonymes, la construction de phrases à partir de 2 ou 3 mots, l’examinateur peut avoir des renseignements sur les processus descriptifs, explicatifs ou argumentatifs produits par le sujet, ou encore des renseignements sur sa fluence, la richesse et la pertinence du lexique utilisé, la syntaxe, la capacité à porter un jugement et argumenter, à organiser une suite logique, la capacité d’abstraction. Ces épreuves sont également intéressantes pour les patients qui n’ont pas de troubles du langage visibles (pas de distorsions grammaticales, syntaxiques notées, absence de troubles arthriques, assez bonne compréhension). Elles sont notamment proposées pour les patients présentant des troubles dysexécutifs.

• Quels outils utiliser ? La batterie Test pour l’examen de l’aphasie de Ducarne, le Test de Langage Elaboré (TLE) [19] et la BIA proposent cette épreuve.

260

❚❚La lecture à haute voix Cette épreuve donne des informations sur le mécanisme de transposition et de transcodage. Elle concerne des mots isolés, des non-mots, des phrases et textes.

• Quels outils utiliser ? Cette épreuve existe dans les batteries générales.

évaluation de la compréhension orale

Des épreuves de désignation d’images à partir d’une production verbale énoncée par l’examinateur sont proposées. Cette désignation s’effectue en situation de choix multiples. Ces épreuves utilisent le support visuel et nécessitent donc la préservation des fonctions visuoperceptives. D’autres épreuves font appel à une réponse gestuelle et requièrent des praxies gestuelles intactes comme pour les épreuves d’exécution d’ordres simples et complexes.

• Quels outils utiliser ? • Certaines épreuves étudient la compréhension contextuelle, d’autres proposent des exécutions d’ordres, avec et sans objet, plus ou moins complexes (batteries générales, 3 papiers de Pierre Marie). • Pour la compréhension lexicale (batteries générales), des épreuves d’association sont proposées : il s’agit d’apparier un mot entendu (par exemple : /bouton/), avec sa représentation picturale. Des distracteurs sont introduits : phonémique (bouton/mouton), sémantique (bouton/fermeture éclair), visuel (bouton/roue).

• Pour la compréhension syntaxique et morphologique (batteries générales), le sujet apparie une phrase produite par l’examinateur avec une image. Les phrases sélectionnées mettent en jeu un traitement plus ou moins complexe. L’intégrité lexico-sémantique et l’intégrité des procédés syntaxiques sont ainsi vérifiées. • Enfin, des épreuves étudient : - la compréhension de texte (batteries générales), avec une évaluation de la compréhension globale d’un texte, de détails ainsi que la compréhension plus implicite ; - la logique et le raisonnement (BDAE) : cette épreuve fait intervenir le contexte et des connaissances encyclopédiques ; elle fait référence aux connaissances du sujet et à sa capacité à raisonner ; - l’implicite (Gestion de l’implicite, MEC, MEC-P, Critique d’histoires absurdes du Test pour l’examen de l’aphasie) : ces épreuves permettent d’évaluer les troubles fins, fréquents chez les patients cérébrolésés droits ou présentant un syndrome dysexécutif. Exemples : Une épreuve de logique et raisonnement (BDAE) : « Est-ce que deux kilos de farine pèsent plus lourd qu’un seul ? Est-ce qu’un kilo de farine pèse plus lourd que deux ?  ». Une critique d’histoire absurde : « Les pieds de Jean sont si grands qu’il doit passer son pantalon par la tête ».

évaluation de l’expression écrite

Il est important de connaître le niveau antérieur du patient avant Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160


les aphasies

l’épisode neurologique pour évaluer l’écrit (expression ou compréhension) par rapport à ce niveau. L’expression écrite est parfois difficile à évaluer. En effet, un patient droitier peut présenter une hémiplégie droite. Des lettres mobiles peuvent alors être proposées. Il est important de tenir compte des troubles associés : moteurs, praxiques, visuels, en lien avec l’organisation spatiale (agraphie) ou une héminégligence.

• Quels outils utiliser ? Plusieurs épreuves existent : • écriture spontanée de l’état civil : nom, prénom, adresse ; • dénomination écrite (pour vérifier la préservation du lexique orthographique). Il existe parfois une dissociation, avec un manque du mot plus important à l’oral qu’à l’écrit. On utilise le même matériel qu’à l’oral ;

• copie (lettres, mots, phrases…) ; • dictée (mots, phrases, nonmots…) ; on parle de transcodage auditivo-graphique. Ces épreuves existent dans les batteries générales (MT86, BDAE).

évaluation de la compréhension écrite

Tout comme pour la compréhension orale, des épreuves de correspondance mot/image ou phrase/image sont proposées. Il existe également des épreuves de complètement de phrases écrites : on propose un mot pour finir la phrase, ou des exécutions d’ordres écrits.

• Quels outils utiliser ? Ces épreuves existent dans les batteries générales (MT86, BDAE).

En conclusion

L’examen du langage par l’orthophoniste doit être aussi complet que possible pour pouvoir faire une analyse transversale. En pratique clinique de première ligne chacun de ces niveaux doit être balayé par le clinicien afin de repérer des symptômes. n

Mots-clés : Aphasie, Bilan orthophonique, Batteries de tests, Neuropsychologie, Langage, Fluence verbale, Expression orale, Expression écrite, Compréhension.

Glossaire Termes sémiologiques

a •Agrammatisme : manifestation décrite dans les tableaux d’aphasie non fluente. Erreurs de construction grammaticale des phrases par réduction, simplification ou disparition d’éléments syntaxiques, mots fonctionnels (déterminants, prépositions, pronoms, auxiliaires, conjonctions...) et utilisation privilégiée des morphèmes lexicaux porteurs de sens (noms, adjectifs). •Anarthrie : trouble variable de la programmation motrice des schèmes articulatoires, en l’absence de trouble moteur ou sensoriel, qui peut s’accompagner d’une dissociation automatico-volontaire. Le plus souvent, les productions n’appartiennent pas au système phonolo-

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gique de la langue, et sont difficilement transcriptibles. La parole paraît laborieuse. Ce trouble est connu sous d’autres appellations : désintégration phonétique, trouble arthrique, apraxie de la parole. Il est fréquemment associé à une apraxie bucco-faciale. •Anosognosie : absence de conscience du trouble, peut se manifester sur un déficit langagier, moteur, visuel. • Apraxie bucco-faciale : difficulté, voire impossibilité, à effectuer des mouvements bucco-linguaux-faciaux sur ordre oral ou (dans les cas les plus graves) sur imitation, alors que ces mouvements sont parfaitement exécutés lors d’activités automatiques, en l’absence de trouble moteur ou sensoriel élémentaire. L’apraxie bucco-faciale est

fréquemment associée à un trouble de programmation articulatoire (anarthrie ou apraxie de la parole).

c • Circonlocution : production verbale qui permet d’évoquer des propriétés sémantiques d’un item, lorsque le sujet ne peut évoquer le nom (« couteau : ce qui sert à couper la viande »).

d • Dysarthrie : trouble de la réalisation motrice de la parole, lié à un mauvais fonctionnement des groupes musculaires responsables de la production, impactant l’articulation, la respiration, la phonation, les systèmes de résonnance, la prosodie. Le trouble est stable, décrit

261


dossier comme permanent et uniforme, ne cédant pas à la dissociation automatico-volontaire. • Dysprosodie : modification de la mélodie du discours. Elle peut être la manifestation la moins sévère d’un trouble arthrique et prendre la forme d’un pseudo-accent. • D yssynt a x ie : trouble de construction syntaxique se manifestant dans les tableaux d’aphasie fluente, avec l’emploi de morphèmes grammaticaux nombreux mais inadaptés (erreurs de nombre, de genre, prépositions, conjonctions…) et une difficulté dans l’organisation des unités de la phrase.

e • Echolalie : production en écho des paroles prononcées par l’interlocuteur, avec ou sans modification de la prosodie.

j • Jargon : discours fluide, avec de nombreuses déviations lexicales et syntaxiques, rendant le discours incompréhensible. Les transformations lexicales sont phonologiques et/ou sémantiques. La prosodie est respectée. L’anosognosie, souvent associée, ne permet pas au patient de limiter sa production.

l • Logorrhée : production langagière accrue (“diarrhée verbale”) irrépressible, fréquemment observée dans certaines aphasies fluentes.

m • Mutisme : suspension totale du langage oral.

p • Palilalie : production parasite correspondant à une répétition involontaire d’un ou plusieurs mots ou syllabes de la phrase. • Paragraphie : transformation à l’écrit qui correspond à la

262

paraphasie à l’oral. • Paralexie : transformation en lecture à haute voix, qui correspond à la paraphasie à l’oral. • Paraphasie : production verbale ne correspondant pas au mot attendu. Elle peut aboutir à un mot de la langue (paraphasie verbale), avoir un lien de sens (paraphasie sémantique) ou non, ou comporter une transformation sur la forme du mot (paraphasie phonémique, phonologique, morphémique) celui-ci restant reconnaissable. Lorsque le mot n’est pas reconnaissable (ou quand il y a moins de 50 % des phonèmes identiques à la cible) on parle de néologisme. • Persévération verbale : répétition d’un même mot produit une première fois de façon adaptée et qui réapparaît de manière inadéquate, souvent de façon envahissante et incontrôlée. De la même façon qu’il existe des persévérations au niveau verbal, on observe des persévérations gestuelles ou idéatoires (sur une idée).

s • Stéréotypie : production répétée systématique et automatique des mêmes phonèmes, mots, syntagmes, significatifs ou non, à chaque tentative d’expression, émise de façon involontaire et incontrôlée par le sujet, et qui envahit toute son expression, inhibant toute autre tentative de production. Cette manifestation s’observe dans les aphasies non-fluentes, généralement associée à un trouble de programmation articulatoire (trouble arthrique) et un manque du mot.

Termes linguistiques

g • Graphème : la plus petite unité du système graphique qui permet de transcrire les phonèmes. Il peut être composé d’une ou plusieurs lettres (o/au/eau).

l • Logatome : suite de phonèmes n’aboutissant pas à un mot de la langue mais respectant la phonologie et les règles de construction de celle-ci (« nuronli »).

m • Morphème : la plus petite unité linguistique ayant une forme et un sens, qui peut être libre (« fleur ») ou lié (« -iste », morphème indiquant une profession), c’est-à-dire n’existant que attaché à un autre morphème (« fleuriste »). Les morphèmes peuvent être lexicaux ou grammaticaux (« -ont » marque de la troisième personne du pluriel = morphème grammatical). De nombreuses transformations portant sur le mot peuvent toucher les morphèmes, aboutissant à des paraphasies morphémiques (denteur) et/ ou des transformations syntaxiques (« je mangeons »).

p • Phonème : la plus petite unité distinctive de la chaîne parlée, dont le changement avec une autre unité permet de modifier le sens (p et b : « poule/boule »). • Phonétique : étude des sons utilisés dans la communication verbale. • Phonologie : étude des sons d’une langue (les phonèmes) et de leur combinaison dans la chaîne parlée. • Pragmatique : branche de la linguistique qui s’intéresse aux aspects généraux de la communication : le langage, mais aussi les gestes, les mimiques, les regards, le contexte, les actes de langage, l’implicite et tous les éléments qui participent aux échanges.

s • Sémantique : étude du sens, de la signification des mots.

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mise au point

Peut-on prédire la sévérité de la prochaine poussée de SEP ? Les données de la littérature n Le spectre d’une prochaine poussée ultra-sévère fait souvent partie des craintes des patients. La question « Est-ce que je risque, du jour au lendemain, de me retrouver en fauteuil roulant à cause d’une poussée ? » est posée fréquemment lors des premières consultations. Dans quelle mesure pouvons-nous rassurer les patients ? Nous allons tenter ici d’y répondre, à partir des données de la littérature.

Caroline Bensa*

Le Contexte

Peut on prédire la prochaine poussée ?

Différents travaux visant à décrire l’histoire naturelle de la maladie ont montré que la fréquence des poussées diminue avec le temps. • Par exemple, dans la cohorte *Service de neurologie, Fondation A.-de-Rothschild, Paris

264

0.45

Taux annualisé de poussées

Quatre-vingt-cinq pour cent des scléroses en plaques débutent par une forme rémittente, se caractérisant par la répétition des poussées, avec une fréquence variable. Une poussée est définie par des symptômes neurologiques nouveaux ou récurrents, non associés à de la température ou une infection, qui durent au moins 24h, et sont séparés du début de la poussée précédente par au moins 30 jours. L’examen clinique peut, ou pas, être modifié au cours d’une poussée. Pour plus de robustesse, la plupart des protocoles de recherche clinique ne retiennent que les poussées avec modification de l’examen clinique, soit des poussées avec déjà un certain degré de sévérité.

0.40

Age au début de la maladie (ans) <20

20 à 30

30 à 40

40+

0.30 0.25 0.20 0.15 0.10 0.05 0 <20

20 à <30

30 à <40

40 à<50

50 à<60

60+

Age actuel des patients Figure 1 - Taux annualisé de poussées en fonction de l’âge de début de la maladie et de la durée d’évolution. D’après Tremlett et al. [5].

London-Ontario [1] regroupant 806 patients ayant développé une maladie rémittente et suivis en moyenne 28 ans, le taux annualisé de poussées (TAP) les deux premières années est de 0,93/an, passant ensuite jusqu’au début de la progression à 0,43/an en moyenne. • Au cours de certaines périodes, la fréquence moyenne des poussées est augmentée, comme pendant le

post-partum, lors des stimulations par agonistes de la LHRH avant une fécondation in vitro, au décours d’une infection virale des voies aériennes supérieures [2]. Certaines ethnies sont également plus à risque de poussées rapprochées, comme les Français nés au Maghreb ou les Afro-Américains [3, 4]. • A partir d’une cohorte de 2 477 patients, suivis 20 ans, l’équipe Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160


Qu’est-ce qu’une poussée sévère ?

Plusieurs définitions peuvent être données pour caractériser une poussée sévère. Si les neurologues se basent couramment sur des critères liés à l’échelle EDSS, et donc beaucoup sur l’existence, ou pas, de difficultés à la marche, il ne faut pas oublier que, du point de vue du patient, une poussée n’entraînant qu’un handicap discret peut avoir d’énormes conséquences personnelles, professionnelles et sociales. Par exemple, une discrète ataxie ou un discret tremblement de la main dominante pourra empêcher l’exercice de certains emplois. Des troubles sphinctériens peuvent brider une vie sociale, des troubles sexuels peuvent briser un couple… On ne peut pas caractériser la sévérité de la poussée sans tenir compte du contexte et des conséquences, parfois irréversibles, qu’elle entraîne. En dehors du handicap, la sévérité de l’atteinte en terme de retentissement psychologique et de qualité de vie est conséquente, parfois “sévère”, et variable d’un sujet à l’autre. Une étude de 226 poussées chez 144 patients [6] a d’ailleurs montré que la récupération en termes de qualité de vie et retentissement psychologique mettait encore plusieurs mois à s’établir, après la récupération du handicap. Une certaine “sévérité” peut aussi avoir une Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

5.5

EDSS moyen

de Vancouver [5] a montré que la fréquence des poussées était décroissante avec la durée de la maladie, et décroissante avec l’âge (Fig. 1). Seuls les patients dont la maladie débute à un âge très jeune, avant 20 ans, présentent initialement une petite ascension dans le rythme des poussées, avant ensuite de rejoindre les autres cohortes dans la décroissance du taux annualisé de poussées.

5.0 4.5 4.0

Baseline Rechute

2

6

12

Temps (mois)

Temps moyen de marche (sec.) sur 10 m

Peut-on prédire la sévérité de la prochaine poussée de SEP ?

16 15 14 13 12 11 10 Rechute

2

6

12

Temps (mois)

Figure 2 - Evolutions de l’EDSS et du temps de marche sur 10 m pré-, per-, post-poussée. D’après Hirst et al. [6].

définition légale, comme dans les AMM des traitements de seconde ligne, celle d’Elsep® (mitoxantrone) [7], pour laquelle l’indication peut être retenue s’il existe des “poussées avec séquelles”, et les AMM de Gilenya® (fingolimod) [8] et de Tysabri® (natalizumab) [9] qui reconnaissent l’indication dans le cadre de “poussées invalidantes”. Une poussée est-elle sévère si le score EDSS per-poussée est élevé ? Une poussée est-elle sévère si elle laisse des séquelles ? A ces deux questions, on peut répondre oui sans trop de doutes. Mais aussi, une poussée peut être considérée comme plus sévère qu’une autre, parce qu’elle est rapprochée dans le temps de la précédente. Ou bien, une poussée peut être considérée comme plus sévère parce qu’elle survient malgré un traitement actif. Il y a donc des façons nombreuses et variées de considérer qu’une poussée est sévère, toutes aussi vraies les unes que les autres. Néanmoins, pour la suite de cet article, nous nous baserons sur une définition en terme d’EDSS per- et post-poussée.

Peut-on prédire si la prochaine poussée sera sévère ? Sévérité immédiate

• Dans l’étude de Bejaoui et Rolak [10], les auteurs ont utilisé une

définition de la sévérité très stricte puisqu’ils ont compté les poussées qui laissaient comme séquelle un EDSS ≥ 6, quel que soit le handicap initial. En étudiant 2 587 poussées chez 1 078 patients, 7 patients ont été concernés par une poussée de ce type, dont 2 étaient sous traitement immunomodulateur. Ces patients n’avaient aucune caractéristique commune en termes de durée ou de sévérité de la maladie initiale. Les auteurs concluent qu’une poussée sur 517 est très sévère, et qu’un traitement de fond ne protège pas contre de tels épisodes. • Dans un autre travail publié en 2011 [6], une équipe galloise a étudié le déroulement de 226 poussées chez 144 patients, en disposant des EDSS pré-poussée et d’évaluations EDSS, Temps de marche sur 10 m, 9 Hole-Peg-Test (9HPT), MSIS 29, à M2, M6, M12 (Fig. 2). Les auteurs observent que 9,3 % des EDSS ne se modifient pas pendant la poussée. En moyenne, le score EDSS augmente de 1.6 point pendant la poussée. Trente pour cent des poussées sont considérées comme sévères (> +2 points EDSS) pendant l’épisode, et 11,4 % gardent une majoration sévère du handicap (> +2 points EDSS) 6 mois plus tard. Cinquante pour cent des patients retrouvent leur EDSS initial après 2 mois, et 60 % après 6 mois. Le temps de marche sur 10 m s’améliore essentiellement les 2 premiers 265


mise au point

• L’équipe d’Emmanuelle Waubant, à San Francisco, a publié en 2009 [11] le suivi prospectif de 330 patients (dont 224 femmes), en début de maladie, et étudié la sévérité et la récupération des 3 premières poussées. Le suivi moyen était de 759 ± 575 jours. Quatre-vingt pour cent des patients étaient caucasiens, les autres étant d’origine afro-américaine, latino-américaine, asiatique. Dans cette population, 93 % des IRM initiales étaient anormales. Les auteurs ont défini 3 catégories de sévérité de la poussée, celles de sévérité - légère (EDSS 0-1.5) ; modérée (EDSS 2-2.5) ; sévère (> 2.5) ; et 3 catégories de récupération de la poussée : récupération complète (FS = 0 ; EDSS = 0) ; incomplète (FS = 1 ; EDSS 1 ou 1.5) ; mauvaise récupération (>). Dans ce travail, prédisent une poussée sévère : un âge plus jeune, l’ethnie non caucasienne (afro- ou latino-américaine) et l’existence d’évènements antérieurs sévères et ayant mal récupéré. Les éléments qui prédisent l’absence de récupération sont les précédents d’autres poussées sévères, la récupération incomplète d’un événement antérieur. Ainsi, il semble que les patients qui débutent la maladie avec des poussées sévères et qui récupèrent mal, continuent à évoluer de la même façon, définissant une certaine homogénéité intra-individuelle de la pathologie. • La même équipe a réalisé le même type d’étude [12] chez des SEP pédiatriques, en recrutant 105 patients SEP ou CIS de moins de 266

Tableau 1 - Impact des poussées sur le délai d’atteinte de la phase SP et des différents seuils de handicap d’après les longues études de cohorte. D’après Tremlett et al. [25]. Cohorte

Critère

Meilleur pronostic

Göteborg, Suède (14,15)

EDSS 6

• Bonne récupération P1

Lorraine, France (16)

EDSS 6 SEP-SP

• Récupération complète P1 • Délai long P1-P2 • Peu de poussées les 5 premières années

Lyon, France (17, 18)

EDSS

• Récupération complète P1 • Délai long P1-P2 • Peu de poussées les 5 premières années

Lyon, France (19)

SEP-SP

• Délai long P1-P2

London, Ontario, Canada (20, 21)

EDSS 6

• Délai long P1-P2 • Peu de poussées les 2 premières années

British Columbia, Canada (22, 23)

EDSS 6

• Peu de poussées les 5 premières années

British Columbia, Canada (24)

SEP-SP

• Peu de poussées les 5 premières années

18 ans. Les patients ont été suivis au cours des 3 premiers évènements, soit en moyenne 3,5 ans. Les mêmes définitions des poussées sévères et des récupérations de bonne ou de mauvaise qualité étaient utilisées. Dans cette série pédiatrique, 43 % des poussées peuvent être considérées comme sévères, vs 10 % chez les adultes. Par contre la récupération complète de la première poussée est plus fréquente : 66 % chez les enfants vs 46 % chez les adultes.

A

Nombre de poussées les années 1 et 2 100

En analyse multivariée, il ressort comme paramètres prédictifs l’atteinte à type de névrite optique, qui est corrélée à la sévérité du premier événement. Comme chez les adultes, la récupération incomplète est corrélée à la sévérité de la poussée. Enfin, une récupération incomplète du premier événement prédit une récupération incomplète du 2e événement, et l’administration d’un traitement par perfusions de corticoïdes n’influence pas Intervalle entre la 1re et la 2e poussée

B 1 2 ≥3

80

100

Pourcentage de patients

mois, tandis que le 9HPT et le MSIS 29 s’améliorent encore jusqu’à 12 mois. Dans cette étude, le seul élément prédictif d’une poussée sévère était un âge jeune. Les éléments prédictifs d’une moins bonne récupération étaient un âge élevé et la sévérité de la poussée.

60 40 20 0

0-2 ans 3-5 ans >/= 6 ans

80 60 40 20 0

0

10

20

30

40

50

0

10

Temps (années)

20

30

40

50

Temps (années)

Figure 3 - Délai entre le début de la maladie jusqu’à EDSS 6 en fonction de : (A) nombre de poussées A1-A2 ; (B) délai P1-P2. D’après Scalfari et al. [1]. Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160


Peut-on prédire la sévérité de la prochaine poussée de SEP ?

l’importance de la récupération.

Hazard ratio 1

Conséquences à long terme

0.94

0.95 0.92

0.90

0.89 EDSS 6 La première poussée présente 0.85 0.85 0.86 EDSS 8 une sévérité inhérente, de par le 0.82 0.80 0.8 EDSS 10 fait qu’elle signe l’entrée dans la 0.78 0.78 0.76 maladie. Elle présente une sévé0.72 rité particulière liée au choc de 0.7 0.66 l’annonce diagnostique. Les premiers épisodes auront des sévérités 0.6 en termes pronostiques différentes, Nombre de poussées sur 3 ans selon l’importance du risque de conversion en SEP cliniquement Figure 4 - Risque d’atteindre l’EDSS 6 en fonction du nombre de poussées entre A3 et le définie. De nombreuses cohortes début de la progression. Inversement corrélé au risque d’entrer dans la phase secondaire prospectives ont étudié ce risque progressive, et au délai d’atteinte des seuils de handicap élevé. D’après Scalfari et al. [1]. (Tab. 1). Les cohortes de CIS de Queen Square, Barcelone, celles des études Temps jusqu'à EDSS 3 Nombre total de poussées avant le débit de la phase SP C D 100 CHAMPS, ETOMS ne montrent pas 1-2 ans 100 2-4 ans 0-2 ans de différence du taux et du délai de ≥ 5 ans 3-7 ans 80 ≥ 8 ans 80 conversion en SEP selon la topo60 graphie du CIS. Dans ces travaux, 60 à IRM cérébrale comparable, le 40 40 risque est le même. Par ailleurs, la!"#$%&'(&')"*++,&+ '+*%'-'./+' 20 20 récupération complète ou non de la première poussée serait un facteur 0 0 0 10 15 20 25 30 35 0 5 10 20 30 40 50 pronostique. La deuxième poussée a Temps (années) Temps (années) elle aussi une grande valeur pronostique, en terme de délai de survenue Figure 5 - Délai entre le début de la maladie jusqu’à EDSS 6 en fonction de : (C) délai P1 EDSS 3 ; après le premier événement.

Pourcentage de patients

0.9

(D) nombre total de poussées jusqu’au début de la progression. D’après Scalfari et al. [1].

• La cohorte London-Ontario [1] est un suivi prospectif prolongé, pendant 28 ans, d’une population de 806 patients. Les auteurs ont étudié les corrélations entre les poussées et les délais d’atteinte des seuils de handicap EDSS 6, 8, 10. Les groupes ont été stratifiés selon : - l’existence de poussées précoces, soit le nombre de poussées les 2 premières années ; - le nombre de poussées depuis la troisième année de la maladie jusqu’au début de la progression ; - le nombre total de poussées durant toute la phase rémittente ; - la durée de l’intervalle entre les deux premières poussées, intervalle P1-P2 ; - la durée de la période entre la première poussée et l’atteinte d’un Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

EDSS 3, intervalle P1-EDSS 3. Les patients qui ont plus de poussées les deux premières années, ou qui ont un intervalle P1-P2 plus court, atteignent plus rapidement le seuil d’EDSS 6 (Fig. 3). Les poussées des premières années ont un impact sur le pronostic à long terme. Par contre, le nombre de poussées entre la 3e année et le début de la progression est inversement corrélé au délai d’atteinte des seuils de handicap sévère que sont les EDSS 6, 8, 10 (Fig. 4) . Les poussées tardives seraient donc plutôt un élément de “bon pronostic à long terme”, probablement le marqueur d’une évolution qui se poursuit sur le mode inflammatoire. Les patients qui atteignent rapidement le seuil d’EDSS 3, atteignent

ensuite plus rapidement les seuils de handicap ultérieurs, EDSS 6, 8, 10 (Fig. 5 C). En revanche, le nombre total de poussées avant le passage à la progression n’influence en rien le délai d’atteinte des bornes de handicap sévère (Fig. 5 D), peut-être comme si l’effet négatif des poussées précoces était compensé par l’effet “positif” des poussées tardives. Cette hypothèse est précisée par la figure 6 qui reflète l’interaction entre les poussées précoces (A1-A2, abscisses) et les poussées ultérieures (A3-progression). Dans la balance, les poussées précoces ont plus de “poids péjoratif” que n’ont de “poids positif” les poussées ultérieures. • Un autre travail, canadien [13], a suivi 2 477 patients sur une 267


mise au point

Néanmoins, leur existence est un paramètre à prendre en compte quand un arrêt de traitement par natalizumab est envisagé.

3 2.5

2.43

2 1.5

1.80 1.34

1.26 1.18

1

1.69

1.58

2.28

2.13

2.00 0 poussée année 3 (SP)

1.48

1 poussée année 3 (SP) 2 poussées année 3 (SP)

1.10

3 poussées année 3 (SP)

En l’absence de récupération satisfaisante après des perfusions de méthylprednisolone à fortes doses IV, de manière prolongée, la possibilité d’échanges plasmatiques doit être envisagée [27-29]. La prescription, dès qu’elle est possible, d’une rééducation adaptée, fait partie ad integrum de la prise en charge.

0.5 0

1 poussée

2 poussées

3 poussées

Nombre de poussées les années 1 et 2

Figure 6 - Risque d’atteindre rapidement l’EDSS 6 depuis le début de la maladie, en fonction du nombre de poussées A1-A2 (x) et du nombre de poussées A3-SP (y). D’après Scalfari et al. [1].

Les poussées post-Tysabri®

durée prolongée, en moyenne pendant 20,6 ans et enregistré 11 722 poussées. Il montre le même effet pronostic péjoratif de la fréquence des poussées les premières années (Fig. 7). !"#$%&'(&')"*++,&+ '+*%'-'./+' Selon les auteurs, une poussée dans les 5 ans après le début est associée à un risque de handicap plus rapide : HR 0,48 pour EDSS 6 ; 0,29 pour le délai de passage à la progression. Alors que la même poussée entre 5 et 10 ans après le début aura beaucoup moins d’influence pronostique : HR 0,10 pour EDSS 6 ; 0,02 pour le délai de passage à la progression. Cet effet apparaît modulé par l’âge.

Il est difficile de parler des poussées très sévères sans évoquer le cas particulier des IRIS, autrement appelés rebonds, qui surviennent parfois à l’arrêt de Tysabri®, avec des EDSS per-poussée catastrophiques. La littérature n’est pas encore très abondante sur le sujet, mais dans une série de la Fondation Rothschild [26], la fréquence de tels épisodes est de 12 %. Il n’y a pas encore assez de données pour savoir dans quelle proportion récupèrent ces poussées particulières, et quel poids elles ont sur le pronostic ultérieur.

A

B

Proportion de patients

1.0

1.0 Taux de poussées < 0,2 Taux de poussées 0,2 à < 0,4 0.8 Taux de poussées ≥ 0,4

0.8 0.6

Taux de poussées < 0,2 Taux de poussées 0,2 à < 0,4 Taux de poussées ≥ 0,4

0.6

0.4

0.4

0.2

0.2

0

0 0

10

20

30

40

50

60

Temps jusqu'à EDSS 6 depuis la baseline (années)

0

10

20

30

268

50

Conclusion

Au final, si la SEP a un large spectre de profils de sévérité… les poussées aussi. On peut conclure en retenant que les poussées ultra-sévères sont rares (1/517 !). Mais aussi qu’il y a une certaine homogénéité intraindividuelle de la maladie, et que les patients qui font des poussées sévères, et qui récupèrent mal, en début de maladie, continuent à faire des poussées sévères au cours de l’évolution. Les poussées précoces sont liées au pronostic à long terme. Les poussées ultérieures ont beaucoup moins d’impact pronostique à long terme. Enfin, plus il y a de poussées… plus il y a de risque de poussée sévère. Et, par conséquent, les traitements limitant la fréquence des poussées ont toute leur place pour diminuer ce risque. n Correspondance : Dr Caroline BENSA Fondation A. de Rothschild Service de neurologie 25 rue Manin - 75019 Paris E-mail : cbensa@fo-rothschild.fr

60

Temps jusqu'à forme SEP-SP (années)

Figure 7 - Effet des poussées précoces sur la progression de la maladie. D’après Tremlett et al. [13].

40

La prise en charge d’une poussée sévère est-elle particulière ?

Mots-clés : Sclérose en plaques, Sévérité, Poussée, Récidive, Evolution, Progression, EDSS

Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160


Peut-on prédire la sévérité de la prochaine poussée de SEP ?

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formations

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