Neurologies160 partiel

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revue pluridisciplinaire en neurologie

d www.neurologies.fr

dossier

Les aphasies Coordonné par Catherine Thomas-Antérion Les formes “classiques” d’aphasie - aphasie de Broca, aphasie de Wernicke et aphasie de conduction - et les aphasies transcorticales • L’analyse du langage (praxie, phonologie, sémantique, syntaxe), de la compréhension, du langage écrit... • Explorer les troubles du langage : quel sont les “bons” outils ? APHASIE : « trouble du langage secondaire à une atteinte des réseaux neuronaux de l’hémisphère dominant. »

On en parle...

Le travail posté augmente-t-il le risque d’AVC ? Jean-Bernard Henrotin, Yannick Béjot et Maurice Giroud

Sclérose en plaques

Peut-on prédire la sévérité de la prochaine poussée de SEP ? Caroline Bensa

Septembre 2013 • Volume 16 • n°160 • Cahier 1 • 9 €


Revue pluridisciplinaire en neurologie

Directeur de la publication : Dr Antoine Lolivier • Chef du Service Rédaction : Odile Mathieu • Relectrice : Fanny Lentz • Chef de Fabrication et de Production : Gracia Bejjani • Assistante de ­Production : Cécile Jeannin • Chef de publicité : Emmanuelle Annasse • Service Abonnements : Claire Lesaint • Impression : Imprimerie de Compiègne 60205 Compiègne Rédacteur en chef Pr Franck Semah (Lille).

sommaire www.neurologies.fr

n ActualitÉs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 234

appels d'offre, prix, rendez-vous de l'industrie

Comité de rédaction Dr Alain Ameri (Meaux), Dr Stéphane Auvin (Paris), Dr Nadia Bahi-Buisson (Paris), Dr Yannick Béjot (Dijon), Dr Stéphanie Bombois (Lille), Dr Benjamin Cretin (Strasbourg), Dr Bénédicte Défontaines (Paris), Dr Romain Deschamps (Paris), Dr David Devos (Lille), Dr Michel Dib (Paris), Dr Valérie Domigo (Paris), Dr Olivier Gout (Paris), Dr Antoine Gueguen (Paris), Dr Gilles Huberfeld (Paris), Dr David Laplaud (Nantes), Dr Christine Lebrun-Frénay (Nice), Dr Christian Lucas (Lille), Dr Dominique Mazevet (Paris), Dr Christelle Monaca (Lille), Pr Yann Péréon (Nantes), Dr Sylvain Rheims (Lyon), Dr Catherine Thomas-Antérion (Saint-Etienne), Pr Emmanuel Touzé (Paris), Dr Tatiana Witjas (Marseille), Pr Mathieu Zuber (Paris).

n on en parle... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 236 Accidents vasculaires cérébraux et travail posté Des preuves encore insuffisantes Jean-Bernard Henrotin (Vandœuvre-Lès-Nancy), Yannick Béjot et Maurice Giroud (Dijon)

n Dossier

Comité scientifique Dr Claude Adam (Paris), Dr Annick Alperovitch (Paris), Pr Philippe Azouvi (Garches), Pr JeanLouis Baulieu (Tours), Dr Gérard Besson (Grenoble), Dr Arnaud Biraben (Rennes), Pr William Camu (Montpellier), Pr Mathieu Ceccaldi (Marseille), Pr Patrick Chauvel (Marseille), Pr François Chollet (Toulouse), Pr Michel Clanet (Toulouse), Pr Philippe Damier (Nantes), Dr Hubert Déchy (Versailles), Dr Jean-Fr ançois Demonet (Toulouse), Pr Didier Dormont (Paris), Pr Gilles Edan (Rennes), Dr Marie-Odile Habert (Paris), Pr Jean-Jacques Hauw (Paris), Dr Lucie HertzPanier (Paris), Dr Pierre Hinault (Rennes), Dr Laurent Laloum (Paris), Dr Gilles Lavernhe (Gap), Dr Denis le Bihan (Saclay), Pr Olivier Lyon-Caen (Paris), Pr Jean-Louis Mas (Paris), Pr Vincent Meininger (Paris), Dr Patrick Metais (Metz), Pr Thibault Moreau (Dijon), Pr Jacques Moret (Paris), Pr Jean-Philippe Neau (Poitiers), Pr Jean-Pierre Olié (Paris), Pr Jean Pelletier (Marseille), Pr Muriel Rainfray (Bordeaux), Dr Danièle Ranoux (Limoges), Pr Jean Régis (Marseille), Dr Pascal Rémy (Corbeil-Essonne), Pr Philippe Ryvlin (Lyon), Pr Yves Samson (Paris), Dr Isabelle Serre (Reims), Pr Pierre Thomas (Nice), Pr Pierre Vera (Rouen), Dr France Woimant (Paris) Neurologies est une publication ©Expressions Santé SAS 2, rue de la Roquette, Passage du Cheval Blanc, Cour de Mai 75011 Paris - Tél. : 01 49 29 29 29 Fax : 01 49 29 29 19 E-mail : neurologies@expressiongroupe.fr RCS Paris B 394 829 543 N° de Commission paritaire : 0117T78155 ISSN : 1287-9118 Mensuel : 10 numéros par an Les articles de “Neurologies” sont publiés sous la ­responsabilité de leurs auteurs. Toute reproduction, même partielle, sans le consentement de l’auteur et de la revue, est illicite et constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

p. 241

Les aphasies

Comité de lecture Pr David Adams (Le Kremlin-Bicêtre), Dr Caroline Arquizan (Montpellier), Dr Nadine Attal (Boulogne), Pr Jean-Philippe Azulay (Marseille), Pr Franck Baylé (Paris), Dr Catherine Belin (Bobigny), Dr Florent Borgel (Grenoble), Pr Emmanuel Broussolle (Lyon), Dr Gaëlle Bruneteau (Paris), Dr Catherine Chiron (Paris), Pr Christophe Cognard (Toulouse), Dr Bernard Croisile (Lyon), Pr Philippe Decq (Créteil), Dr Olivier Delalande (Paris), Pr Philippe Derambure (Lille), Dr Thierry Dubard (Reims), Pr Franck Durif (Clermont Ferrand), Dr Marie Girot (Lille), Dr Hassan Hosseini (Créteil), Dr Lucette Lacomblez (Paris), Dr Michel Lantéri-Minet (Nice), Dr Laurent Maurs (Tahiti), Dr Caroline Papeix (Paris), Pr Pascale Pradat-Diehl (Paris), Pr Didier Smadja (Fort-de-France), Dr Bruno Stankoff (Paris), Pr Marc Verny (Paris), Pr Hervé Vespignani (Nancy),

Septembre 2013 • Vol. 16 • N° 160 • Cahier 1

Coordonné par Catherine Thomas-Antérion

Introduction : Réviser nos classiques anatomo-cliniques, distinguer les principaux niveaux de traitement linguistique... Catherine Thomas-Antérion (Lyon)

1 n Les tableaux sémiologiques d’aphasie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 244 Aphasies de Broca, de Wernicke, de conduction, transcorticales, et autres aphasies... Aurélie Richard-Mornas (Saint-Etienne) 2 n Sémiologie des troubles du langage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Des tableaux le plus souvent hétérogènes... Anne Peillon (Bron)

p.

248

3 n Exploration des troubles du langage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 257 Evaluer les dimensions linguistique, neuropsychologique et pragmatique Sandrine Basaglia-Pappas (Saint-Etienne)

n Glossaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 261

n mise au point . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 264 Peut-on prédire la sévérité de la prochaine poussée de SEP ? Les données de la littérature Caroline Bensa (Paris)

n Bulletin d’abonnement

p. 247

Retrouvez-nous sur

www.neurologies.fr Cette publication comporte sur une cible partielle deux cahiers : Cahier 1 (40 pages),Cahier 2 (24 pages), Assemblés à cette publication : pré-programme des Rencontres de Neurologies (8 pages) et 2 bulletins d’abonnement (2 pages et 4 pages) Photo de couverture : © AMATHIEU - fotolia


actualités de la profession

Appels d’offre, bourses Fondation de France/ARSEP Appel d’offres pour des études multicentriques (au moins 1 centre français), sur 2 ans, destinées à étudier le retentissement social et familial, médico-économique et professionnel, la prise en compte des symtômes et signes de la maladie, et le rôle de l’activité physique dans la SEP. Informations : www.arsep.org Date limite : 10 octobre 2013. Douleur : Fondation CNP Assurances Appel à projets pour des initiatives sur les bonnes pratiques de prise en charge de la douleur physique et les stratégies de soins centrées sur le patient, et la prise en charge adaptée de la douleur physique en santé mentale pour les populations vulnérables ou dyscommunicantes. Informations : www.cnp. fr ou fondation@cnp.fr Date limite : 31 octobre 2013.

Pharmacovigilance

Trivastal® : réservé au Parkinson

L

’ANSM a restreint les indications de Trivastal® 20 mg et Trivastal® 50 mg LP (piribédil, agoniste dopaminergique non ergoté, laboratoire Servier) à la maladie de Parkinson en monothérapie ou en association à la dopathérapie. L’ANSM indique que le bénéfice thérapeutique ne permet plus de contrebalancer les risques d’emploi de ce médicament dans ses indications vasculaires (déficit patholo-

gique cognitif et neurosensoriel, artériopathie des membres inférieurs et manifestations ischémiques en ophtalmologie), et rappelle qu’il existe des effets indésirables sévères sur le plan neuropsychiatrique (accès de sommeil, syndromes confusionnels) et vasculaires (hypotension orthostatique) pouvant entraîner des chutes dont la gravité est avérée chez les sujets âgés.. ß

Démences

Alzheimer et maladies apparentées : toujours en augmentation

U

n travail de l’InVS publié dans le dernier Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire indique qu’en 2010, 316 115 personnes étaient en ALD15, 228 190 ont été hospitalisées avec une MA ou une démence apparentée (MAAD) et 54 291 sont décédées avec une MAAD. Ces chiffres mettent en évidence une augmentation “considérable” de la population française atteinte en seulement 3 ans : entre 2007 et

2010, le nombre de patients en ALD a augmenté de 14,6 %, le nombre de personnes hospitalisées avec une démence de 23,6 % et le nombre de décès avec une MAAD de 13,9 %, une grande partie pouvant s’expliquer par le vieillissement de la population. Mais les auteurs soulignent que ces chiffres sont probablement sous-estimés. Pour en savoir plus : Duport N. BEH n° 30, 10 septembre 2013. ß

Epilepsies

Epilepsies de l’enfant

L

a Fédération Française pour la Recherche sur l’Epilepsie (FFRE) organise le 1er octobre, avec le Lions Club, un dîner-conférence « Epilepsie - Enfant et adulte », au profit des enfants atteints d’épilepsie,

en présence de Didier Van Cauwelaert. Renseignements : laure.nollet@wanadoo.fr Tel. : 06 80 14 01 12 www.fondation-epilepsie.fr. ß

rendez-vous de l’industrie Sclérose en plaques

AMM pour Aubagio® et Lemtrada®

S

anofi et sa filiale Genzyme ont annoncé l’approbation par la Commission européenne d’Aubagio® (tériflunomide 14 mg PO, 1 prise/j, immunomodulateur, anti-inflammatoire) dans la SEP récurrente-rémittente, et de Lemtrada® (alemtuzumab 12 mg IV, anticorps monoclonal sélectif de la protéine CD52 des lymphocytes T et B) dans la SEP récurrente-rémittente active. • L’approbation d’Aubagio® repose sur les résultats des études de phase III TEMSO (TEriflunomide Multiple Sclerosis Oral) et TOWER (Teriflunomide Oral in people With relapsing remitting multiplE scleRosis) montrant une réduction significative du taux de rechute annualisé et de la progression du handicap à 2 ans vs placebo. Les effets indésirables les plus fréquents sont les suivants : élévation du taux d’ALAT, alopécie, diarrhée,

234

grippe, nausée et paresthésie. • Lemtrada® est administré en 2 cycles/an : 1er cycle 5 jours consécutifs, 2e cycle sur 3 jours consécutifs 12 mois plus tard. Les études de phase III ont comparé l’alemtuzumab à une forte dose d’IFN bêta-1a SC chez des patients ayant une forme active naïfs de tout traitement (CARE-MS I), ou ayant présenté une rechute sous traitement antérieur (CARE-MS II), et une étude de prolongation. Dans CARE-MS I, Lemtrada® a été significativement plus efficace que l’IFN bêta-1a sur le taux de rechute annualisé ; le résultat sur le ralentissement de la progression du handicap n’était pas significatif. Dans CARE-MS II, Lemtrada® a été significativement plus efficace que l’IFN bêta-1a sur le taux de rechute annualisé, et l’accumulation du handicap a été significativement ralentie chez les patients sous Lemtrada® vs IFN. Les effets indésirables les plus fréquents sont des réactions liées à l’injection, des infections, lymphopénies et leucopénies. n Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160


On en parle…

Accidents vasculaires cérébraux et travail posté Des preuves encore insuffisantes Jean-Bernard Henrotin1, Yannick Béjot2 et Maurice Giroud2

Introduction

L

e travail posté, incluant le travail de nuit, est une constante dans les sociétés industrielles modernes. En France, en 2011, la fréquence du travail en plages horaires effectuées entre minuit et 5h du matin parmi les ouvriers est de 20 %, et de 14 % parmi les cadres et professions supérieures (source INSEE 2011).

1 Département Epidémiologie en entreprise, INRS, VandœuvreLès-Nancy 2 Registre dijonnais des accidents vasculaires cérébraux, Département de neurologie, Centre Hospitalier Universitaire de Dijon

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© Artwell - Fotolia

Nous présentons dans cet article les données épidémiologiques sur accidents vasculaires cérébraux (AVC) et travail posté (TP). Une étude de bonne qualité rapporte une association significativement positive, mais faible, entre TP et AVC. Globalement, les résultats se présentent contradictoires et le plus souvent non significatifs. Ainsi, les preuves épidémiologiques sont insuffisantes pour évoquer un lien de causalité entre TP et AVC. D’autres études spécifiques sont nécessaires. Toutefois, l’attention est attirée sur l’intérêt de mener une surveillance médicale des travailleurs postés sur le plan cardiovasculaire, comme le préconise actuellement la Société Française de Médecine du Travail.

Si la relation entre AVC et travail posté n’est pas formellement démontrée, une surveillance est cependant nécessaire.

Les travailleurs postés présentent plus de problèmes de santé que les salariés de jour [1]. Approximativement, 10-20 % des salariés postés présentent une intolérance à ce rythme de travail dans les deux premières années et le quittent. Pour les travailleurs postés, il est rapporté plus de troubles du sommeil, de problèmes gastro-intestinaux, de cancers, d’issues de grossesse

défavorables, de diabète et troubles métaboliques, et notamment de maladies cardiovasculaires [2]. Les maladies cardiaques ischémiques et accidents vasculaires cérébraux (AVC) sont des maladies multifactorielles qui ont en commun des facteurs de risque cardiovasculaire. S’il existe de nombreuses études ayant examiné l’association entre TP et maladies Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160


dossier

Les aphasies Coordonné par Catherine Thomas-Antérion (Lyon)

© amathieu - fotolia

« Un trouble du langage secondaire à une atteinte des réseaux neuronaux de l’hémisphère dominant. »

Introduction  : Réviser nos classiques anatomo-cliniques, distinguer les principaux niveaux de traitement linguistique ������������������������������ p. 242 Catherine Thomas-Antérion (Lyon)

1 Les tableaux sémiologiques d’aphasie : aphasies de Broca, de Wernicke, de conduction, transcorticales, et autres aphasies... �������������������������� p. 244 Aurélie Richard-Mornas (Saint-étienne)

2 Sémiologie des troubles du langage : des tableaux le plus souvent hétérogènes... ���������������������������������������������������������������������������������������������������� p. 248 Anne Peillon (Bron)

3 Exploration des troubles du langage : évaluer les dimensions linguistique, neuropsychologique et pragmatique ���������������������������� p. 257 Sandrine Basaglia-Pappas (Saint-étienne)

Glossaire �������������������������������������������������������������������������������������������������������������� p. 261


dossier

introduction Catherine Thomas-Antérion

Réviser nos classiques anatomo-cliniques, distinguer les principaux niveaux de traitement linguistique... Mais pourquoi diable un dossier sur l’aphasie ? D’une part, il nous a semblé bon de réviser nos classiques anatomo-cliniques et de revoir les tableaux sémiologiques d’aphasie, tant ces symptômes se rencontrent au quotidien en neurologie. Les neurologues, notamment en charge des patients vasculaires, doivent ainsi pouvoir repérer ou avoir le réflexe de rechercher des symptômes dans les AVC concernant les régions d’intérêt les plus classiques : régions pré- et rétro-rolandiques (le plus souvent à gauche) et sous-corticales. D’autre part, il apparaît nécessaire lorsqu’on est neurologue, ces révisions faites, de savoir distinguer les principaux niveaux de traitement linguistique : phonétique, phonologique, lexical, sémantique, syntaxique, discursif avec des notions issues de la psychologie cognitive contemporaine. L’examen neuropsychologique fait partie intégrante de l’examen neurologique. Cela permet alors de mieux repérer des difficultés (notamment lorsqu’elles sont subtiles), de comprendre le(s) niveau(x) de traitement perturbés, de lire les comptes-rendus des orthophonistes et de pouvoir reprendre avec les patients et leurs proches l’explication des déficits et les possibilités de les compenser.

242

En préambule, il convient de rappeler qu’il a fallu attendre les philosophes et les scientifiques des Lumières pour localiser le langage dans le cerveau. Historiquement, la localisation du langage dans l’hémisphère gauche - bien qu’elle soit attribuée à Paul Broca (1824-1880) - reste pour certains sujet de controverse, et cette découverte pourrait revenir à Marc Dax (1770-1837) [1]. Franz Joseph Gall (1758-1828) s’inscrivit dans la démarche anatomo-clinique en développant la phrénologie qui, bien qu’une imposture lui permit par l’observation de proposer que la mémoire des mots, était localisée à l’avant du cerveau, hypothèse confirmée par les observations neuropathologiques de Jean-Baptiste Bouillaud (1796– 1881). Les ouvrages ou articles cliniques du XXe siècle de Théodule Ribot, de Théodore Alajouanine, d’Henri Hécaen, de François Lhermitte (notamment un livre à la couverture cartonnée jaune) ou d’Alexandre Luria dorment dans les bibliothèques neurologiques et méritent encore d’être lus, tandis que les données les plus récentes issues de l’imagerie fonctionnelle - dont les principaux apports sont la connaissance des réseaux neuronaux impliqués simultanément et non seulement en cascade et la compréhension des mécanismes de compensation (recrutement de régions plus postérieures et bilatén rales) - doivent être assimilées.

Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160


dossier

1 Les tableaux sémiologiques

d’aphasie

Aphasies de Broca, de Wernicke, de conduction, transcorticales, et autres aphasies... n

Les aphasies recouvrent des situations pathologiques et des expressions sémiologiques

variées. Les descriptions princeps de Broca, puis de Wernicke, ont insisté respectivement sur les troubles de l’expression et de la compréhension du langage, ainsi que sur l’implication de lésions de l’hémisphère gauche, antérieures (prérolandiques) dans l’aphasie de Broca et postérieures (rétrorolandiques) dans l’aphasie de Wernicke. On peut également opposer ces deux groupes d’aphasie en non fluentes et fluentes. Selon les terminologies classiques, trois formes d’aphasies (aphasie de Broca, aphasie de Wernicke et aphasie de conduction) ont pour caractéristiques communes des difficultés de répétition. Elles s’opposent en cela aux aphasies transcorticales dans lesquelles cette capacité est préservée [2].

Aurélie Richard-Mornas*

L’aphasie de Broca

Encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle présente deux traits sémiologiques majeurs : • le discours est non fluent ; • les productions sont caractérisées par des troubles articulatoires. Les difficultés sont surtout révélées dans le discours spontané. La réduction du discours est toutefois variable selon les patients, l’expression peut par exemple être limitée à une stéréotypie comme chez le célèbre patient de Broca qui ne produisait qu’une syllabe « tan ». L’élocution est souvent dysprosodique, dans certains cas cette modification évoque un “accent” étranger. *Unité de Neuropsychologie-CM2R, Service de Neurologie, CHU Nord, Saint-Etienne

244

Cortex moteur primaire

Circonvolution supramarginale

Circonvolution angulaire

Aire de Broca Aire de Wernicke

Aire primitive auditive

Figure 1 - Aires de Broca et Wernicke. Face latérale.

Les transformations phonétiques sont au premier plan, masquant des paraphasies phonémiques qui deviennent plus nettes au cours de la récupération. La répétition

est anormale, mais meilleure que l’expression spontanée ; les difficultés principales concernent la répétition des mots ou phrases dont l’expression spontanée est déjà la Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160


dossier

2 Sémiologie des troubles

du langage

Des tableaux le plus souvent hétérogènes... n

L’aphasie recouvre une grande variété clinique. Les recherches menées en neurologie,

psychologie et linguistique permettent d’analyser la richesse sémiologique des manifestations linguistiques relevées lors d’un bilan de langage standardisé, cette analyse se faisant selon les niveaux de traitement linguistique : phonétique, phonologique, lexical, sémantique, syntaxique, discursif.

L’

aphasie, définie comme une atteinte du langage acquise dans les suites d’une lésion cérébrale, recouvre une grande variété clinique, que cliniciens, chercheurs, neurologues ou linguistes ont cherché depuis longtemps à classifier et définir à partir d’une sémiologie riche [3]. Ainsi, les manifestations cliniques observées ont-elles été décrites puis regroupées en syndromes, mis en relation avec les localisations cérébrales des lésions. Cette classification qui, dans un premier temps, a opposé une aphasie “en réduction” - motrice, de production - décrite par Paul Broca, à celle décrite par Karl Wernicke - sensorielle, de compréhension - s’est progressivement enrichie d’autres tableaux (conduction, transcorticale, sous-corticale...), s’appuyant sur une corrélation entre localisation cérébrale de la lésion et manifestations linguistiques. Paul Broca a donc initié une approche anatomo-clinique qui a

*Service de Neuropsychologie, Hôpital Neurologique, GHE, Bron

248

Anne Peillon*

marqué durablement l’aphasiologie, bien que, très tôt, la notion de zones cérébrales d’association ait été aussi avancée. L’opposition non fluent/fluent est aussi fréquemment utilisée et fait référence à une représentation proche de l’opposition Broca-Wernicke, mais sur la base de la production linguistique du sujet, et non d’une localisation cérébrale. Si ces classifications permettent de garder entre membres d’une communauté scientifique un langage commun, elles ne présentent plus grand intérêt pour l’approche clinique. En effet, les tableaux “purs”, tels que décrits dans la littérature, sont rares, la réalité clinique place le plus souvent les thérapeutes devant des tableaux hétérogènes et difficiles à classer, dont les manifestations vont évoluer au cours du temps. Par ailleurs, elles ne permettent pas de définir un programme thérapeutique puisqu’elles font référence à des symptômes, faits linguistiques observables qui constituent les manifestations de surface d’un trouble, et non aux atteintes des

processus cognitifs ou neurolinguistiques à l’origine de ce trouble, c’est-à-dire la structure profonde. Le clinicien manque alors d’indications sur la fonction altérée à l’origine du trouble en vue d’une démarche thérapeutique. La linguistique et la neuropsychologie ont permis de développer une approche interprétative de la sémiologie, favorisant ainsi la démarche d’évaluation et de remédiation. Parallèlement, l’approche pragmatique et l’apport des sciences sociales guident le clinicien dans une démarche fonctionnelle et écologique, considérant les aspects de la communication et des interactions. Les nouvelles technologies de neuro-imagerie fonctionnelle analysent l’activité cérébrale lors d’une stimulation langagière, observent l’activation de réseaux interconnectés, et confirment l’intérêt des modèles connexionnistes qui développent des modèles basés sur la simultanéité des activations. Les recherches menées en neurologie, psychologie et linguistique Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160


les aphasies

3 Exploration des troubles

du langage

Evaluer les dimensions linguistique, neuropsychologique et pragmatique n Afin de pointer les troubles phasiques, une évaluation approfondie est nécessaire. Les outils sont nombreux et concernent plusieurs dimensions (linguistique, neuropsychologique et pragmatique). Une distinction peut être réalisée entre l’évaluation du langage, qui met en exergue les déficits linguistiques, et l’évaluation de la communication, qui cherche à mettre en évidence un éventuel handicap pour communiquer.

Quelques règles générales

L’évaluation du langage du sujet aphasique doit être rigoureuse. Suite à la passation, il convient d’établir une cotation quantitative, avec des scores, mais aussi qualitative, en analysant le type d’erreurs, en mettant en évidence les modes de facilitation… L’examinateur, face à ces données recueillies, doit être prudent quant à leur interprétation. Celui-ci ne peut se contenter de dire que le patient échoue à une épreuve de désignation par exemple, sans se préoccuper de déterminer si cet échec est en lien avec le déficit de la fonction linguistique testée ou du canal sensoriel utilisé pour évaluer cette fonction. Ainsi, l’examinateur doit s’interroger face à un échec et mettre en évidence un éventuel déficit de perception visuelle, auditive, d’un trouble de compréhension. *Unité de Neuropsychologie-CM2R, Service de Neurologie, CHU Nord, Saint-Etienne

Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

La plupart des épreuves sont normalisées et se réfèrent à un modèle théorique. En effet, la description symptomatologique est mise en relation avec un modèle psycholinguistique afin d’identifier la nature du déficit sous-jacent. Plusieurs modèles théoriques existent, comme le modèle de Hillis et Caramazza, ou encore des modèles plus spécifiques de production du langage oral comme le modèle connexionniste de Dell ou le modèle sériel de Levelt. L’examinateur se doit de les connaître afin de réaliser une interprétation cognitive des résultats obtenus la plus rigoureuse possible. Enfin, il est primordial de garder à l’esprit que les résultats aux différentes épreuves seront mis en relation à partir d’une analyse transversale, dans un but de recherche du niveau de fonctionnement altéré. Il ne s’agit donc pas de considérer les déficits de compréhension, de répétition… de façon isolée mais de faire des liens entre les résultats aux différentes épreuves.

Sandrine Basaglia-Pappas*

Avant tout, une anamnèse est indispensable. En effet, l’examinateur doit recueillir un grand nombre d’informations concernant le patient. Elles concernent : les données générales (l’âge de survenue des troubles, la latéralisation manuelle, le niveau de scolarisation, le niveau de pratique de la langue écrite), les troubles associés à l’aphasie, le terrain psychoaffectif… Il s’agit en quelque sorte d’un entretien dirigé. Il existe divers outils d’évaluation (Tab. 1). Certains vont permettre une approche globale, qui a pour but de réaliser un bilan général, global des troubles phasiques, et d’autres auront une approche spécifique. D’autres outils permettent d’évaluer les déficits de manière analytique ou de manière fonctionnelle en évaluant le handicap. Il est important de ne pas changer d’outil d’évaluation tout au long du suivi du patient pour valider longitudinalement les progrès et stagnations. Ainsi après un entretien dirigé et un examen clinique approfondi, 257



Peut-on prédire la sévérité de la prochaine poussée de SEP ?

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