À CONNAÎTRE Urologie
Le carcinome de Bellini Que retenir de cette tumeur rare ? n Cet article fait le point sur le carcinome de Bellini à partir d’un cas clinique, et reprend les données de la littérature actuellement connues pour le prendre en charge. Dr Louis-Marie Dourthe* Cas clinique Examen clinique Mme WM, 54 ans, consulte son médecin traitant pour une tuméfaction claviculaire droite douloureuse. L’examen clinique est négatif en dehors de cette tuméfaction. La patiente souffre d’une asthénie et d’un amaigrissement depuis quelques semaines. Il n’ y a aucune autre symptomatologie, en particulier urinaire.
Scanner, scintigraphie et examens biologiques Un scanner thoraco-abdominopelvien est demandé pour rechercher une tumeur primitive au vu de l’aspect radiologique de la clavicule qui évoque une atteinte secondaire osseuse. Il révèle un syndrome tumoral rénal gauche avec de multiples adénopathies péripédiculaires. La scintigraphie osseuse montre de nombreuses métastases au niveau du grill costal, de la clavicule et du rachis. Les analyses biologiques montrent une anémie, une élévation des LDH à trois fois la normale. La calcémie est subnormale.
Intervention chirurgicale Au vu de cette présentation agressive et du fait de l’atteinte métastatique d’emblée, la néphrectomie est discutée. Une biopsie osseuse confirme la métastase d’une tumeur présumée rénale, une biopsie rénale affirme le caractère néoplasique avec un aspect peu différencié compatible avec un carcinome tubulo-acineux. Il est *Oncologue, Strasbourg
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finalement décidé une néphrectomie avec curage lombo-aortique. L’examen anatomopathologique est en faveur d’un carcinome agressif de haut grade des tubes collecteurs de grade 3 de Fürhman, aussi appelé tumeur de Bellini.
Radiothérapie et chimiothérapie Une radiothérapie antalgique est réalisée sur la clavicule et le rachis et une chimiothérapie de type gemcitabine-cisplatine est entreprise secondairement. Quatre cycles sont réalisés, avec une tolérance clinique et biologique correcte mais sans efficacité puisque la patiente présente une progression osseuse clinique et iconographique. Un traitement par temsirolemus est alors proposé, dont douze cycles seront administrés, sans toxicité patente, mais là encore sans efficacité. Du fait de cette évolution péjorative et en raison d’une altération de l’état général importante, il est décidé d’une attitude palliative pure avec soins de confort.
Les tumeurs du rein : généralités Les tumeurs du rein sont relativement rares. Elles représentent, en Europe en 2008, environ 70 000 nouveaux cas, pour 32 000 décès (1). La majorité sont des carcinomes à cellules claires, les autres histologies sont des tumeurs papillaires et chromophobes. Ces trois entités représentant 90 % des cas. Il existe donc 10 % de tumeurs rares parmi lesquelles on individualise les carcinomes des canaux collecteurs du rein ou tumeur de
Bellini, dont la première description daterait de 1949 par Foot et Papanicolaou (2). La distinction avec un carcinome rénal fut reconnue en 1986 par Fleming (3) qui livra une description détaillée de l’aspect anatomopathologique. Des critères diagnostiques furent enfin proposés en 1997 et 1998 (4). Leur point de départ est médullaire, avec une infiltration du parenchyme mais sans envahissement des cavités excrétrices.
A propos des tumeurs de Bellini De multiples publications rapportent régulièrement des nouveaux cas. Il n’existe malheureusement pas de nombreuses séries du fait de la rareté de cette entité, la plus importante étant celle de Tokuda qui a retrouvé 81 cas confirmés au Japon, à partir des données de 281 établissements (5). On estime qu’elle représente environ 1 % des néoplasies rénales (1). L’âge de survenue est en général autour de la cinquantaine, avec des extrêmes allant de 6 à 87 ans (6). Il existe une prépondérance masculine claire (5, 6). Les circonstances de découverte ne sont pas différentes d’une tumeur classique : hématurie, douleur, altération de l’état général (7), découverte fortuite (5). Il n’est pas retrouvé dans la littérature de facteurs favorisants. La question d’une intoxication tabagique a été soulevée (8).
Quelle prise en charge ? Chirurgie La prise en charge diffère finaleonko + • Septembre 2013 • vol. 5 • numéro 40
Le carcinome de Bellini
ment peu d’une tumeur classique. Dans la plupart des cas, les patients subissent une néphrectomie qui permet d’affirmer le diagnostic grâce à l’examen anatomopathologique de la pièce. La tumeur semble située préférentiellement au centre du rein, elle est ferme et mal limitée, d’aspect gris brun à la coupe, parfois hémorragique, avec des nodules satellites. Au microscope, l’architecture associe des structures papillaires, tubulaires ou microkystiques. Les cellules sont de grande taille, nucléolées, acidophiles, le noyau est lui aussi volumineux. Le grade de Führman est élevé, quasi constamment 3 ou 4. Le profil immuno-histochimique montre une positivité pour les marqueurs vasculaires, les cytokératines de hauts poids moléculaires et la vimentine. Il existe enfin de nombreuses altérations chromosomiques hétérogènes (8). Même si cette attitude chirurgicale classique est quasi systématique, elle a néanmoins été remise en cause, du fait du très mauvais pronostic et de la présentation métastatique fréquente (9). Les auteurs préconisent la réalisation d’une biopsie initiale pour affirmer le diagnostic, en cas d’argument iconographique pour une tumeur de Bellini. Cependant, il n’existe manifestement pas de critères radiologiques permettant d’orienter le diagnostic, au-delà d’une tendance à un développement vers le sinus du rein pour les tumeurs de faible volume (8). Quand cette néphrectomie est réalisée, on note un taux important d’envahissement de la veine rénale qui est, selon les séries, estimé de 30 à 80 % (8).
Chimiothérapie Au-delà de l’aspect chirurgical, la chimiothérapie reste le traitement de référence, mais avec des résultats pauvres. Il est rapporté de façon anecdotique une chimiothérapie adjuvante associant gemcitabine et cisplatine (10), il n’existe cependant pas de standard pour une telle prise en charge. Du fait de la ressemblance histologique avec les tumeurs urothéliales, l’association suscitée est le traitement de référence en situation métastatique, après les résultats d’une phase II du GETUG sur 23 patients, avec un taux de réponse de 26 %, une survie sans progression de 7,1 mois, une survie globale de 10,5 mois (11). Si de multiples cytotoxiques ont été employés dans le passé (paclitaxel, 5-FU, adriamycine, ifosfamide) sous la forme de protocole Mvac ou d’association paclitaxel, ifosfamide, cisplatine (10), et si des tentatives de traitements par immunothérapie ont aussi été rapportées (10) avec des combinaisons interféron et interleukines, les données récentes concernent plus les thérapeutiques ciblées. Le bévacizumab semblent apporter un bénéfice dans la prise en charge des tumeurs urothéliales si on en croit les résultats d’une phase II gemcitabine, cisplatine, bévacizumab en première ligne métastatique, avec un taux de réponse de 72 %, une survie sans progression de 8 mois et une survie globale médiane de 19 mois. L’effectif était cependant faible (43 patients). Du fait de ces résultats, plusieurs cas de tumeur de Bellini traités par cette combinaison sont retrouvés dans la littérature (1). Le sunitinib, le sorafénib
et le temsirolimus ont aussi été utilisés de façon ponctuelle, avec comme rationnel l’expression par la tumeur du VEGFR et du PDGFR (7), sans résultats majeurs mais avec un profil de toxicité acceptable. Les auteurs concluent à la nécessité de biomarqueurs prédictifs de l’efficacité. Au total, le standard semblent être une première ligne par gemcitabine-cisplatine, avec un recours en seconde ligne aux anti-angiogéniques, en sachant qu’il n’existe pas de données solides dans la littérature et que l’utilisation est hors AMM. Le pronostic est désastreux, du fait de l’agressivité tumorale fréquente, du caractère métastatique au diagnostic et de l’absence d’efficacité majeure du traitement. Cependant, en cas de tumeur isolée, après néphrectomie, la survie est comparable à celle des tumeurs rénales à cellules claires (12).
Conclusion Au total, le carcinome de Bellini est une tumeur rare dont le pronostic rejoint celui des tumeurs de Grawitz lorsqu’il est diagnostiqué tôt, mais dont l’évolution est redoutable en cas de forme métastatique d’emblée. La prise en charge chirurgicale est comparable aux tumeurs habituelles, mais le traitement médical est calqué sur les carcinomes urothéliaux, du fait de la ressemblance histologique. L’avenir semble être aux thérapeutiques ciblées mais la rareté de cette entité rend difficile la réalisation d’essais prospectifs pour le confirmer. n
Mots-clés : Carcinome de Bellini, Conduite à tenir, Chirurgie, Chiomiothérapie
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8. Sallami S, Tanguour M, Ben Rhouma S. Bellini renal cell carcinoma : Diagnosis and treatment. A report of 7 cases. La Tunisie Medicale 2011 ; 89 : 792-6. 9. Mejean A, Rouprêt M, Larousserie F. Is there a place for radical nephrectomy in the presence of metastatic collecting duct (Bellini) carcinoma ? J Urol 2003 ; 169 : 1287-90. 10. Staehler M, Schöppler G, Haseke N et al. Carcinoma of the collecting ducts of bellini of the kidney : Adjuvant chemotherapy followed by multikinase inhibition with Sunitinib. Clinical Genitourinary Cancer 2009 ; 7 : 58-61. 11. Oudar S, Banu E, Vieillefond A. Prospective multicenter phase II study of Gemcitabine plus platinium salt for metastatic collecting duct carcinoma : results of a GETUG (Groupe d’études des tumeurs uro-génitales) study. J Urol 2007 ; 177 : 1698-702. 12. Karakiewicz PL, Trinh QD, Riuox-Leclercq N. Collecting duct renal cell carcinoma : a matched analysis of 41 cases. Eur Urol 2007 ; 52 : 1140-5.
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