mise au point
La théorie du chaos en oncologie Vers une approche déterministe de la dynamique tumorale ? Dr Fabrice Denis*
L’oncologue est quotidiennement interpellé par des évolutions très variables, inattendues et souvent imprévisibles chez ses malades. La dynamique particulière du cancer, avec ou sans traitement, est individuelle. L’approche mathématique aujourd’hui utilisée pour décrire cette évolution est probabiliste : elle ne s’applique finalement pas à un malade spécifique, mais à une certaine population de patients plus ou moins hétérogène. Une telle approche caractérise donc mal la dynamique de cette maladie et ne permet pas de dire qu’un patient est guéri, de prévoir s’il y aura une rechute et quand elle surviendra, ni de prévoir (et donc d’optimiser) la réponse aux traitements, et notamment à la radiothérapie. La théorie du chaos, peu connue des oncologues, semble avoir de grandes analogies avec cette évolution basée sur un système déterministe, très sensible aux conditions initiales. Développée pour appréhender les systèmes dont les équations sont trop complexes et dont les comportements ne peuvent être prédits à long terme en raison de leur grande sensibilité aux conditions initiales, la théorie du chaos est riche de concepts propices à une nouvelle appréhension de la dynamique du cancer. Elle s’applique à l’étude de systèmes en compétition ou dits “proie-prédateur”, tels qu’ils sont rencontrés en oncologie biologique, et s’affranchit en partie de la complexité de cette maladie, notamment liée à l’instabilité génomique, en se concentrant sur la dynamique globale du système.
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et article est à la fois une rapide introduction à la théorie du chaos, une mise au point des connexions possibles entre chaos et cancérogenèse, et une mise en avant de directions de recherches prometteuses, notamment en radiobiologie.
Introduction Le cancer a cette caractéristique qu’il correspond à une maladie dans laquelle les cellules ré*Centre Jean-Bernard, Le Mans. CORIA UMR CNRS 6614. Université de Rouen, Saint-Etienne-du-Rouvray.
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pondent à des lois relativement simples, telles que des cellules qui se divisent à l’infini, détruisent leur environnement et migrent à distance du site initial pour finalement menacer l’existence de l’hôte. Pourtant, il n’y pas deux évolutions semblables, même chez des jumeaux homozygotes, du fait de paramètres comme l’instabilité génomique des cellules cancéreuses, d’interactions fondamentales avec l’hôte, de conditions initiales de la cancérogenèse très individuelles... (1, 2). Ceci démontre bien le fait que
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Résumé
des lois simples peuvent donner des évolutions complexes paraissant aléatoires. Pour approcher cette complexité que l’on retrouve en radiobiologie afin d’évaluer la radiosensibilité tumorale, l’approche actuellement utilisée est principalement statistique, avant l’étude de la dynamique de croissance de cellules tumorales in vitro (privées de leur environnement) et l’étude de courbes de survie en clinique. Cette approche a d’indéniables succès, mais des limites apparaissent en clinique quotidienne lorsque deux patients ayant apparemment le même type de tumeurs de même taille et de même topographie ont une évolution totalement différente malgré un traitement de même nature. Pouvons-nous imaginer que ces questions d’imprédictibilité soient onko + • Septembre 2013 • vol. 5 • numéro 40