Contactologie
Œil rouge, inconfort, irritation, vision floue ou sensibilité à la lumière Quelle attitude chez l’ancien ou le nouveau porteur de lentilles ? Pr François-Xavier Kouassi*
Introduction Les lentilles de contact ont pour but essentiel de corriger les amétropies ou vices de réfraction en optimisant la vision, c’est-à-dire l’acuité visuelle et le champ visuel. L’avantage esthétique du port des lentilles de contact constitue une source de motivation supplémentaire de la part des candidats à une adaptation de lentilles de contact. Malgré l’affinement des règles d’adaptation, les nouveaux biomatériaux et l’amélioration des systèmes d’entretien, le port de lentilles de contact peut être émaillé de complications (1) qui peuvent se traduire par la rougeur oculaire ou un inconfort qui pourraient occasionner la suspension voire l’arrêt du port. D’où la nécessité d’une prise en charge efficiente.
La rougeur oculaire
La conduite diagnostique comporte plusieurs étapes.
Interrogatoire
L’interrogatoire est capital, il sera exhaustif, précis et portera sur : *Service d’ophtalmologie CHU de Cocody, Abidjan
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- la date et l’heure de survenue, le mode de survenue (brutal ou progressif ), les circonstances de survenue ; - le type de lentilles (rigides perméables au gaz, souples hydrophiles) ; - le type de port (journalier ou diurne, prolongé, flexible) ; - le mode d’entretien ; - les signes associés à la rougeur oculaire (baisse d’acuité visuelle, oculalgies, sensation de grains de sable ou de corps étranger).
Examen physique
L’examen physique se fera si possible avec la lentille en place et sans la lentille. Il se veut complet et systématique avec : • la mesure de l’acuité visuelle sans et avec correction, à la recherche d’une baisse d’acuité visuelle ; • l’examen au biomicroscope qui appréciera : - le centrage, la mobilité et l’alignement de la lentille ; - l’existence de dépôts, ou d’un biofilm sur la lentille en maintenant les paupières ouvertes ; - la rougeur conjonctivale qui peut être diffuse ou localisée, et recherchera l’existence d’un cercle ou
d’une rougeur ciliaire ; - l’état de la cornée qui peut être claire et transparente ou trouble. Le test à la fluorescéine recherchera une kératite ulcéreuse ; - l’état de la chambre antérieure afin d’éliminer une uvéite antérieure ; • la mesure du tonus oculaire et l’examen du fond d’œil.
étiologies et attitudes thérapeutiques ❚❚Causes infectieuses (2) • Les conjonctivites bactériennes ou virales survenant chez le porteur de lentilles. • Les kératites bactériennes (Fig. 1), amibiennes (à Acanthamoeba), virales (Fig. 2) (notamment herpétiques) ou fongiques. Ces atteintes infectieuses nécessitent une suspension voire un arrêt du port de lentilles de contact et la mise en route d’un traitement antiinfectieux spécifique local et parfois général. ❚❚Causes non infectieuses (3) • Les conjonctivites allergiques notamment la conjonctivite gigantopapillaire (CGP) (Fig. 3), la kératoconjonctivite limbique supérieure, la kératoconjonctivite
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Figure 1 - Kératite bactérienne.
Figure 2 - Kératite virale à HSV.
Figure 3 - Réaction giganto-papillaire.
toxique due au produit de conservation ou d’entretien de la lentille. Dans les formes minimes à modérées de CGP, on préconisera des lentilles journalières, une réduction du temps de port, une solution d’entretien sans conservateur et un entretien méticuleux en vue d’éliminer les dépôts. Dans les formes sévères, on préconisera une suspension du port des lentilles et un traitement antiallergique local sans conservateurs par antidégranulants mastoctytaires (lodoxamide) ou antihistaminiques (Opatanol®).
Syndrome ou syndrome de serrage sous lentilles, et du syndrome SLACH (Soft Lens-Associated Corneal Hypoxia). Elles compliquent le port permanent en lentilles souples. Les complications chroniques
• La sécheresse oculaire peut se traduire par une kératite ponctuée superficielle diffuse ou inférieure réalisant l’aspect en smile des Anglo-saxons. Leur traitement repose sur l’adaptation de
• Le syndrome 3 h-9 h : il s’agit d’une kératite ponctuée superficielle d’origine mécanique localisée dans l’aire de la fente palpébrale à 3 h et 9 h, et favorisée par un étalement insuffisant des larmes lors du clignement palpébral ou par une lentille rigide inadaptée. C’est une des complications les plus fréquentes avec les lentilles rigides. Le traitement comporte modification des paramètres de la lentille, réduction du temps de port, éducation du porteur quant à la fréquence et à l’importance des clignements palpébraux. • Les complications hypoxiques : elles peuvent être aiguës notamment au cours du Tight Lens
Le confort, c’est le bien-être. Il s’agit d’une notion subjective qui peut néanmoins se quantifier de 0 (pas de confort) à 10 (confort maximal) grâce à des questionnaires. peuvent se manifester par des microkystes épithéliaux ou une hyperhémie limbique. Le traitement des complications hypoxiques repose sur la suspension du port, suivie d’un rééquipement en lentilles souples en silicone hydrogel, ou en lentilles rigides à haut Dk et une réduction du temps de port. • Les infiltrats cornéens : ce sont des réactions inflammatoires cornéennes non infectieuses. On citera les infiltrats périphériques induits par les lentilles de contact ou CLPU (Contact Lens-induced Peripheral Ulcer). Leur survenue impose une suspension du port des lentilles. Un traitement topique antibiotique et corticoïdes est prudemment proposé par certains auteurs.
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lentilles à faible hydrophilie et sur les collyres mouillants. • La rougeur oculaire induite par une lentille à bords abîmés nécessitera un remplacement de la lentille. La présence de corps étranger ou de débris sous la lentille pourra occasionner une rougeur oculaire.
L’inconfort sous lentille de contact
Le confort, c’est le bien-être. Il s’agit d’une notion subjective qui peut néanmoins se quantifier de 0 (pas de confort) à 10 (confort maximal) grâce à des questionnaires individuels ou de référence notamment le OCI (Ocular Comfort Index). Les symptômes de l’inconfort sont variés et comprennent : 129
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la sensation de brûlures oculaires, la sensation de picotements oculaires, le prurit oculaire, la sensation de sécheresse oculaire, l’impression de corps étranger, la gêne oculaire, le flou visuel permanent ou lors du clignement, la mauvaise acuité visuelle, la sensibilité à la lumière, la sensation d’irritation oculaire.
Inconfort sous lentilles souples (4) ❚❚Chez le nouveau porteur L’inconfort visuel se traduit par une vision floue qui peut être due à une inversion de ses lentilles, une lentille posée à l’envers, une imprécision de la réfraction, un astigmatisme inférieur à 0,75 négligé lors de l’adaptation ou de la rotation d’une lentille torique. Les troubles visuels avant et après clignement doivent faire rechercher un problème de géométrie, à savoir une lentille plate ou serrée. L’inconfort physique peut relever quant à lui d’une anomalie de centrage, de mobilité, de géométrie ou d’alignement de la lentille et va nécessiter une réadaptation. ❚❚Chez l’ancien porteur L’inconfort visuel chez un ancien porteur doit motiver une étude précise de la réfraction. On recherchera aussi un trouble de la stabilité d’une lentille souple torique. L’inconfort physique peut être dû à une intolérance au produit d’entretien, à la présence de dépôts sur la lentille, ou à une géométrie inadaptée de celle-ci. Dans ces cas, là, il est ressenti dès la pose de la lentille. Concernant les formes qui surviennent après plusieurs mois ou années de port, la cause peut résider dans le matériau ou dans 130
le non respect des modalités de renouvellement. L’inconfort physique peut apparaître après plusieurs heures de port, le plus souvent en fin de journée. La présence d’une kératite ponctuée superficielle diffuse ou localisée en couronne périphérique fera évoquer une toxicité au produit d’entretien. Ailleurs, l’examen peut retrouver des défects épithéliaux arciformes supérieur ou inférieur. La géométrie de la lentille et le module du matériau sont alors en cause et l’équipement doit être modifié.
Inconfort sous lentilles rigides perméables au gaz (5) ❚❚Chez le nouveau porteur L’inconfort visuel nécessite une vérification de la réfraction afin d’éliminer une erreur de puissance ou kératométrique. Cet inconfort peut être occasionné
voire un port continu d’emblée. On peut proposer en cette période des substituts lacrymaux qui contribuent à l’amélioration du confort. La présence d’un corps étranger sous la lentille est source d’un inconfort physique facile à juguler par la dépose et le rinçage de la lentille. • Enfin en cas d’intolérance incoercible aux lentilles rigides après vérification des critères d’adaptation, on pourra proposer si possible un passage aux lentilles souples ou un piggy-back. ❚❚Chez l’ancien porteur L’inconfort peut être ancien, remontant au début de l’adaptation, ou récent, survenant après plusieurs mois ou années de port confortable. Dans tous les cas, il faut réaliser un bilan exhaustif et précis de l’adaptation en cours
Le maintien d’un bon confort de port avec les années reste tout de même un défi. par des clignements palpébraux insuffisants qui favorisent un dessèchement de la surface oculaire. Il sera alors judicieux de proposer au porteur des substituts lacrymaux lors des activités de concentration visuelle (lecture par exemple). La période d’accoutumance est caractérisée par un inconfort physique modéré et normal lors des premières heures ou des premiers jours de port et le patient doit en être averti. L’amélioration de cet inconfort est favorisée par une assiduité et une régularité du port, particulièrement lors des premières semaines. Il est conseillé de prévoir une augmentation rapide du temps de port des lentilles
avec les lentilles portées et sans lentilles. • L’inconfort visuel peut relever dans ce cas de plusieurs étiologies. Les modifications de la réfraction vont motiver une réfraction rigoureuse incluant le test duochrome (test rouge/vert), l’usage du cylindre de Jackson et la recherche d’un éventuel astigmatisme interne qui peut être une indication de lentille torique externe. Le frooth central altère la vision par la présence de microbulles témoignant d’une insuffisance de la clairance lacrymale. Il est en rapport avec une lentille trop plate et va nécessiter l’adaptation d’une lentille de plus petit rayon de courbure.
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œil rouge, inconfort, irritation, vision floue ou sensibilité à la lumière
Les halos nocturnes sont dus à une zone optique de diamètre insuffisant chez les patients à grand diamètre pupillaire, ou à un décentrement de la lentille par mobilité excessive ou insuffisante. Leur correction se fera par le choix d’une lentille de zone optique plus grande et bien centrée. Un décentrement constant de la lentille impose de réaliser une topographie cornéenne qui mettra en évidence un sommet cornéen décentré, sur lequel se stabilise la lentille. Il faudra alors augmenter le diamètre pour optimiser le centrage. La mouillabilité défectueuse de la face antérieure de la lentille est souvent en rapport avec le Dk élevé du matériau, ou un mauvais entretien. La diminution significative du Dk du matériau en s’assurant d’une excellente clairance lacrymale et/ou l’amélioration de l’entretien permettent de la corriger. La suppression de l’inconfort visuel va justifier une réadaptation immédiate en l’absence de lésion
cornéenne et de suspicion de corneal warpage. • L’inconfort physique : les causes sont surtout visibles en images fluorescéiniques. Il s’agit du rayon de courbure et/ou du diamètre inadaptés, de la sécheresse oculaire ou de l’insuffisance de clignement. L’examen mettra en évidence des lésions épithéliales cornéennes notamment un syndrome 3 h-9 h ou l’empreinte limbique d’une lentille décentrée. Le syndrome 3h-9h tient une place particulière car c’est le problème le plus fréquent à résoudre avec les lentilles rigides. Il est lié à une adaptation inadéquate ou à un clignement insuffisant. Le plus souvent, il s’agit d’une lentille trop serrée qui nécessitera un aplatissement. Plus rarement, c’est une lentille trop plate qu’il faudra resserrer. Le diamètre peut également être réduit afin de respecter la continuité du film lacrymal dans la zone d’assèchement ou augmenté pour couvrir cette zone. En cas de clignements insuffisants, une
éducation du porteur concernant la fréquence et la qualité de son clignement aboutit généralement à la résolution du problème.
Conclusion
L’information du patient, avec à l’appui un guide du porteur de lentilles de contact, les contrôles routiniers réguliers et l’accessibilité de l’ophtalmologiste adaptateur sont indispensables à la prise en charge efficiente de la rougeur oculaire et de l’inconfort visuel ou physique chez le porteur de lentilles de contact. Le maintien d’un bon confort de port avec les années reste tout de même un défi. n
Mots-clés : Lentilles de contact, Complication, Irritation, Conjonctivite, Kératite, Sécheresse oculaire, Rougeur oculaire
Bibliographie 1. Spilker B. Terminology. In : Guide to clinical trials. Raven press, New York 1984 : 302p. 2. Chaumeil C, Malet F. Complications infectieuses. In : Malet F. Les lentilles de contact. Paris : Masson ed 2009 : 873-932. 3. Mély R, Creuzot-Garcher C, Malet F. Complications non infectieuses. In :
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Malet F. Les lentilles de contact. Paris : Elsevier-Masson ed, 2009 : 933-79. 4. Vis K, Comet-Mateu F. Le confort des lentilles souples. In Bloise L. Confort et lentilles de contact. Paris : Med-line ed 2011 : 139-63. 5. Archaimbault V, Carré V. Le confort des lentilles rigides. In : Bloise L. Confort et lentilles de contact. Paris : Med-line ed 2011 : 165-182.
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