Le point sur
Ocriplasmine Traitement non chirurgical des trous maculaires n Un nouveau traitement des trous maculaires (TM) est à l’étude : l’ocriplasmine, alternative non chirurgicale, va-t-elle devenir incontournable ? C’est ce que nous avons voulu savoir en interrogeant le Dr Vincent Pierre-Kahn, chef de service à l’hôpital Foch à Suresnes.
Pratiques en Ophtalmologie : Quels sont les traitements non chirurgicaux des TM disponibles ou à l’étude ? Dr Vincent Pierre-Kahn : Les TM ont toujours été, soit observés, soit traités chirurgicalement. Cependant, depuis 2012, le traitement des TM connaît un essor important grâce à l’émergence d’une option thérapeutique non chirurgicale : un traitement pharmacologique intravitréen ; une enzyme protéolytique capable d’induire la séparation du cortex vitréen postérieur de la rétine au niveau de la macula, fermant potentiellement certains TM. Cette enzyme est la microplasmine, ou ocriplasmine.
- plus on injecte une concentration élevée, plus on induit facilement un décollement postérieur du vitré ; - plus on se situe à distance de l’injection, plus l’efficacité est importante. Les études chez l’animal ont ensuite conduit à des études chez l’Homme, de phase I puis de phase II et maintenant de phase III. Aujourd’hui, la dose recommandée est de 125 mg de microplasmine injectés par voie vitréenne.
De nombreuses études de dose ont été réalisées chez l’animal et les équipes se sont rendu compte que l’efficacité de la microplasmine était dose-dépendante et temps-dépendante. Autrement dit :
Il faut savoir que la plasmine, enzyme clé dans la cascade fibrinolytique, a d’abord été utilisée, avant même le développement de la microplasmine, pour lyser un thrombus par exemple. La plasmine intraveineuse constitue l’un des traitements majeurs de l’infarctus du myocarde à la phase aiguë. Son utilisation intravitréenne dans le traitement des maladies de l’interface vitréo-maculaire débuta au début des années 1990. Il s’agissait d’une plasmine humaine hétérologue, prélevée à partir du sérum, purifiée puis injectée dans le vitré. Cette manipulation était longue, coûteuse et non dénuée de risque septique. Mais, très rapidement, avec la maladie de Creutzfeldt Jakob et la transmission possible du VIH, elle a été abandonnée. L’activateur tissulaire du plasminogène (rTPA) en injection intravitréenne représentait alors une alternative séduisante. Cette enzyme active la transformation du plasminogène circulant endogène en plasmine. Malheureusement, les études réalisées chez l’enfant n’ont pas été concluantes : la quantité intravitréenne de plasminogène paraissait trop faible pour générer un taux de plasmine suffisant. De plus, les adhérences vitréorétiniennes chez l’enfant étaient probablement trop robustes pour que cette lyse enzymatique soit efficace. La plasmine a ensuite été générée par voie autologue, c’està-dire prélevée à partir d’un culot globulaire du même patient. Mais elle était très instable et il fallait l’utiliser instantanément. C’était donc coûteux, contraignant, long et difficile d’utilisation. Assez récemment, une plasmine recombinante humaine a été développée par la société
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P. O. : Quelles sont les voies d’administration ? Dr V. P.-K. : La seule voie d’administration est intravitréenne. P. O. : Y a-t-il des études en cours ? Dr V. P.-K. : Il y a un grand nombre d’études en cours, non seulement sur le traitement des TM mais également sur d’autres maladies de l’interface entre le vitré et la macula, en particulier les syndromes de traction vitréo-maculaire, les œdèmes maculaires diabétiques tractionnels, les œdèmes maculaires veineux tractionnels… Toutes ces études ont porté sur la microplasmine, une enzyme capable de lyser, digérer, l’interface entre le vitré encore adhérent à la macula et la macula elle-même. Plus précisément, la microplasmine digère la fibronectine et la laminine, deux composants principaux de l’interface entre le cortex vitréen postérieur et la limitante interne. Antérieurement, il fallait avoir recours à une approche chirurgicale, une vitrectomie, pour aller lever la traction vitréo-maculaire pathologique.
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américaine Thrombogenic par voie génétique. C’est donc l’ocriplasmine, ou microplasmine, qui a comme avantage d’être beaucoup plus petite que la plasmine humaine, ne représentant que la fraction active de la plasmine, soit un poids moléculaire d’un quart de celui de la plasmine. D’autre part, cette petite taille faciliterait sa pénétration dans le vitré et permettrait d’atteindre plus facilement la surface rétinienne. La molécule est très stable dans le temps, conservée à -25°C avec l’assurance d’avoir un produit de haute stérilité. Chez l’Homme, une multitude d’études ont eu pour objectif de juger l’efficacité et la tolérance de la microplasmine 125 mg en injection intravitréenne dans le traitement des syndromes de traction vitréo-maculaire ou des adhérences vitréo-maculaires pathologiques comme les TM. La conclusion de ces études est que la tolérance et l’efficacité sont bonnes en ce qui concerne les TM. Mais encore faut-il sélectionner les patients avant traitement, parce que tous les TM ne répondent pas de la même façon. Un TM idiopathique passe chronologiquement par différents stades, du stade 1 au stade 4. Le stade 1 n’est qu’une menace de TM qui peut ne pas être traitée. En général, l’acuité visuelle est conservée ou peu diminuée. L’observation est la règle car la guérison spontanée, dès libération de l’adhérence vitréo-maculaire physiologique, est observée dans la moitié des cas. Les stades 2, 3 et 4 concernent des TM avérés, de pleine épaisseur. Dans le stade 2, la hyaloïde postérieure est encore adhérente aux berges du trou alors que dans les stades 3 et 4, il n’y a plus d’adhérence vitréomaculaire. L’ocriplasmine n’a d’intérêt que lorsqu’il existe encore une attache vitréo-maculaire pathologique. Ces études ont montré qu’il n’y avait aucun intérêt à traiter les patients atteints d’un TM de stade 3-4, seuls les patients ayant un TM des stades 1 ou 2 sont des bons candidats à la thérapie. Sachant que les stades 1 sont plutôt observés et non traités, cette thérapie enzymatique ne cible finalement que les stades 2. Une large étude multicentrique de phase III (MIVI 6-7, Amérique, Europe) randomisée contre placebo (IVT de BSS) a étudié la tolérance et l’efficacité de l’ocriplasmine intravitréenne à la dose de 125 mg dans le traitement des adhérences vitréo-maculaires pathologiques et symptomatiques (TM et tracion vitréo-maculaire). Au total, 464 patients recevaient l’ocriplasmine, et 188 patients étaient randomisés dans le groupe placebo. L’efficacité fut meilleure dans le groupe ocriplasmine comparativement au groupe placebo à 1 mois et 6 mois de l’injection, tant pour la fermeture pharmacologique des TM que pour la résolution non chirurgicale des tractions vitréo-maculaires. Pratiques en Ophtalmologie • Octobre 2013 • vol. 7 • numéro 67
Cette efficacité était d’autant meilleure qu’il n’existait pas de membrane épimaculaire au moment de l’inclusion. L’amélioration de la meilleure acuité visuelle corrigée était également significativement plus importante dans le groupe ocriplasmine. Lorsque le TM mesurait plus de 400 microns de diamètre, l’ocriplasmine n’était absolument pas efficace. Lorsque le TM (1-2) était inférieur à 250 microns de diamètre, l’ocriplasmine permettait sa fermeture dans 56 % des cas. Lorsque son diamètre était compris entre 250 et 400 microns, le taux de succès tombait à 30 %. Concernant la résolution des tractions vitréo-maculaires, l’ocriplasmine résolvait la traction dans 35 % des cas lorsque la surface d’adhésion entre la hyaloïde postérieure et la macula était inférieure à 1 500 mm de diamètre. Lorsqu’elle était plus large, cette efficacité était modeste (5 %). L’ocriplasmine paraît agir rapidement puisque son efficacité était observée dans près de 75 % des cas dès la première semaine. Au-delà d’un mois, si l’adhérence n’avait pas été levée, elle ne se levait pas par la suite. En résumé, il existe à présent un traitement non chirurgical des TM, mais réservé aux TM de petit diamètre et à des stades précoces de type stade 2 (éventuellement les stades 1 lorsqu’ils sont symptomatiques). Les stades 3 et 4 restent du ressort de la chirurgie.
P. O. : Quel est l’avantage d’un traitement chirurgical vs un traitement non chirurgical ? Dr V. P.-K. : Le traitement chirurgical des TM est actuellement nettement plus efficace que le traitement enzymatique puisqu’il permet de les fermer dans plus de 90 % des cas. Il s’adresse aux TM du stade 2 au stade 4. Néanmoins, la chirurgie connaît des inconvénients de taille : nécessité d’un tamponnement transitoire endoculaire, d’un positionnement face contre terre de quelques jours (même ci celui-ci est de plus en plus évitable pour les trous de petit diamètre), induction quasi constante d’une cataracte, d’un risque potentiel de décollement de rétine, de déchirure rétinienne ou d’un risque infectieux. Le traitement non chirurgical, enzymatique par ocriplasmine, permettrait chez certains malades bien sélectionnés, d’obtenir un résultat anatomique favorable, certes dans 30 à 56 % des cas, mais sans risque de cataracte ou de décollement de rétine. P. O. : Pour l’instant, est-ce toujours à l’étude ? Dr V. P.-K. : Aux États-Unis, en 2012, la FDA a approuvé ce médicament dans le traitement des adhérences vitréo-maculaires pathologiques, c’est-à-dire les tractions vitréo-maculaires et les TM. En Europe, le médicament a obtenu une AMM en mai 2013. Ses modalités de remboursement par les caisses sont encore en dis-
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cussion, c’est la raison pour laquelle le médicament est commercialisé, mais reste difficile à obtenir en pratique clinique. Comme cette enzyme clive la jonction vitréo-maculaire, son application potentielle dépasse le traitement des TM : on parle maintenant du traitement du syndrome de traction vitréo-maculaire idiopathique ou secondaire. On parle également de l’intérêt d’aller injecter l’ocriplasmine avant certaines vitrectomies considérées comme difficiles, en particulier chez l’enfant ou chez l’adolescent, lorsque le vitré est globalement très adhérent à la rétine et qu’il faut créer chirurgicalement une séparation du vitré avant de poursuivre la chirurgie. L’injection, dans les jours qui précédent une vitrectomie, permettrait d’induire pharmacologiquement un décollement du vitré et de faciliter le temps opératoire. Il faut savoir que l’ocriplasmine est également capable de liquéfier le vitré (vitréolyse). Ce traitement néo-adjuvant permettrait d’accélérer le temps de la vitrectomie dans certains cas. On parle aussi d’application dans certaines formes de DMLA exsudatives qui s’accompagnent d’une traction vitréo-maculaire. Certaines études visent à montrer aujourd’hui que l’utilisation d’ocriplasmine, en association au traitement anti-angiogénique intravitréen, permettrait au traitement anti-VEGF d’être plus efficace. Il y a encore d’autres applications potentielles : œdèmes maculaires post-uvéitiques, chez le myope fort dont l’interface vitréo-rétinienne est fréquemment pathologique, etc. Les études s’additionnent, d’autres sont encore en cours, certaines sont arrivées à terme… En tout cas, sur les deux indications princeps qui sont les TM et les syndromes de traction vitréo-maculaire, les indications sont retenues aux États-Unis et en Europe. Le produit sera certainement généralisé d’ici la fin de l’année ou en 2014 en France.
P. O. : Existe-t-il des effets secondaires à ce traitement non chirurgical ? Dr V. P.-K. : Oui, l’ocriplasmine n’est pas dénuée d’effets secondaires. Ils sont en règle générale peu sévères et transitoires. Par argument de fréquence, on observe : des myodésopsies dans la première semaine suivant l’injection, des photopsies et, dans certains cas assez rares, une vision trouble dans les jours qui suivent liée à la levée de la traction vitréo-maculaire. L’ensemble de ces effets secondaires (moins de 10 % des patients) se résout spon-
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tanément dans les premières semaines. Par ailleurs, une inflammation de chambre antérieure a été retrouvée dans les études, chez environ 7 % des patients dans les premiers jours suivant l’injection contre 3 % chez les contrôles (patients traités par placebo). En général, cela survient à la première semaine et cela se résorbe tout seul. En revanche, la fréquence des déchirures rétiniennes ou des décollements de rétine ne sont pas majorés par comparaison au groupe contrôle. Dans toutes les études qui ont été réalisées, il n’y a pas eu d’incidence sur la progression de la cataracte après injection d’ocriplasmine. L’ocriplasmine digère la fibronectine et la laminine, deux molécules qui assurent la liaison entre la surface de la rétine et le cortex vitréen postérieur. Un risque potentiel de fragilisation de la zonule cristalinienne est évoqué. Sur plus de 820 patients traités dans le monde à travers les différentes études, deux cas de luxation cristallinienne ont été rapportés, l’un 10 mois après l’injection d’une dose de 750 mg chez un enfant, l’autre au décours d’une vitrectomie chez un adulte. La protéolyse enzymatique au niveau des fibres zonulaires pourrait en être responsable. Il existe un faible nombre de patients ayant présenté une baisse sévère de la vision postinjection, en général résolutive, mais de cause indéterminée. Ont été également rapportés des troubles dans la vision des couleurs (2 % des patients) généralement décrits comme une coloration jaunâtre de la vision apparaissant dans les 48 premières heures après l’injection et disparaissant au bout de 3 mois. Des modifications de l’électrorétinogramme ont été observées chez 7 % des patients qui ont eu une évaluation électrorétinographique : ces réductions de l’amplitude des ondes a et b seraient également résolutives dans le temps. En conclusion, la sécurité et l’efficacité de l’ocriplasmine dans les maladies de l’interface vitréo-rétinienne ont été étudiées par de nombreuses études cliniques. Ce traitement est validé pour les syndromes de l’interface vitréoretinienne et certains TM. Il permettrait d’éviter, chez certains patients bien sélectionnés, une vitrectomie de première intention. L’efficacité de la vitréolyse enzymatique est attendue chez un petit nombre de patients, ayant un TM de petit diamètre et de stade 2. Cette efficacité reste néanmoins inférieure à celle d’une chirurgie mais avec des effets secondaires moindres. D’autres indications sont actuellement à l’étude. Le Dr Vincent Pierre-Kahn déclare ne pas avoir de conflit d’intérêts avec le contenu de cette présentation. Propos recueillis par Caroline Sandrez Pratiques en Ophtalmologie • Octobre 2013 • vol. 7 • numéro 67