Coup d’œil médico-légal
Rédaction de certificats médicaux Conduite à tenir pour ne pas voir sa responsabilité civile professionnelle engagée Dr Valérie Ameline*
Introduction Le certificat médical est un acte médico-légal qui engage la responsabilité du praticien et dont la rédaction doit être exempte de toute critique. En effet, la rédaction de certificats médicaux litigieux entraîne des plaintes régulières auprès de la juridiction disciplinaire de l’Ordre des médecins. Certes, les généralistes, pédiatres et psychiatres sont les plus sollicités mais les ophtalmologistes peuvent être amenés à rédiger également ces certificats médicaux, notamment en urgence lors de traumatismes liés à des agressions ou suspicion de mauvais traitements. Nous rappelons des règles simples qui peuvent être malheureusement oubliées.
L
a rédaction d’un certificat médical doit être objective et factuelle sans prendre partie ni faire preuve d’une empathie subjective pour la personne qui sollicite ce certificat. Le praticien doit garder une parfaite objectivité sans mettre en cause quiconque. Les certificats médicaux “les plus à risque” pour le médecin, sont ceux demandés dans un contexte d’agression, après un accident de la voie publique ou dans un contexte de mésentente conjugale avec coups et blessures allégués. Dans tous les cas, le praticien se doit de retranscrire brièvement les circonstances rapportées par le patient (« qui me dit avoir été victime de ») sans jamais mettre
*Ophtalmologiste conseil, Le Sou-Médical-Groupe MACSF, Cosne-Cours-sur-Loire.
en cause la personne qui serait à l’origine des violences. Il est utile de préciser à la personne qui demande un certificat attestant de faits de violence, par exemple, qu’un certificat autre que descriptif n’aura aucune valeur auprès d’un juge. Le certificat, après un bref rappel des circonstances rapportées (« qui me dit avoir été victime de »), devra être descriptif et préciser l’ensemble des lésions constatées tant au niveau physique que psychologique. Le certificat peut conclure par une estimation de l’Interruption totale de travail (ITT) qui déterminera l’évolution du dossier en cas de plainte. En cas de rédaction de certificats litigieux, le médecin pourra voir sa responsabilité engagée avec plainte pour diffamations ou pour violation du code de déontologie.
Pratiques en Ophtalmologie • Octobre 2013 • vol. 7 • numéro 67
Le code de déontologie précise que le médecin doit faciliter l’obtention par le patient des avantages sociaux auxquels son état lui donne droit (article 50) et que l’exercice de la médecine comporte normalement l’établissement par le médecin de certificats et documents dont la production est prescrite par les textes (article 76). Cependant, ce même code de déontologie ajoute que le médecin ne doit céder à aucune demande abusive (article 50) et ne doit faire état que de constatations médicales qu’il est en mesure de faire (article 76). De même, le médecin doit faire preuve de prudence et de circonspection dans la rédaction d’un certificat (article 44). Bien sûr, la rédaction d’un certificat de complaisance est interdite (article 28) et le médecin ne doit pas s’immiscer dans les affaires de famille ni dans la vie privée de ses patients (article 51). Les mêmes règles s’appliquent à la rédaction d’un signalement aux autorités judiciaires lors de la suspicion de maltraitance à enfant. Il faut toujours signaler au conditionnel la possibilité de maltraitance à partir de certains symptômes énumérés (hémorragies au fond d’œil, fracture du plancher de l’orbite…) sans nommer la personne suspecte de maltraitance. L’enquête diligentée par la justice retrouvera la personne responsable. 209
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Il est fondamental de ne pas confondre signalement et dénonciation (sauf à titre personnel qui donnera alors lieu à la rédaction d’une attestation de justice sur papier libre et non d’un certificat médical sur papier à en-tête). Le certificat finira par la traditionnelle mention « rédigé à la demande et remis en mains propres à la personne intéressée (ou à son représentant légal) ».
Quand un certificat médical est-il nécessaire ?
Le conseil national de l’Ordre des médecins a contribué à rédiger une fiche pratique, diffusée par le ministère de la Santé, précisant concrè-
Concernant les absences en crèche, les absences inférieures à 4 jours ou la réintégration ne doivent pas donner lieu à la rédaction d’un certificat. Les absences supérieures ou égales à 4 jours, lors de conjonctivites virales par exemple, peuvent donner lieu à la rédaction d’un certificat médical afin d’exonérer la famille du paiement (lettre circulaire Cnaf n°2011-105 du 29 juin 2011). Concernant les obligations scolaires, l’absence à l’école ne doit pas donner lieu à la rédaction d’un certificat hors maladie contagieuse, certificat qui est alors rédigé par le pédiatre ou le médecin généraliste. L’exigence des certificats a été supprimée par l’Éduca-
Le certificat médical est un acte médico-légal qui engage la responsabilité du praticien et dont la rédaction doit être exempte de toute critique. tement dans quels cas un certificat médical est nécessaire. Idéalement, le recours au certificat médical ne devrait être réservé qu’aux seuls cas prévus par les textes.
Concernant les enfants
Il n’y a pas lieu de rédiger de certificat pour la prise de médicaments (collyres ou pommades ophtalmiques), que ce soit pour les assistantes maternelles ou les crèches. En effet, l’aide à la prise ou l’application du médicament ou topique est considérée comme un acte de la vie courante. L’autorisation des parents, accompagnée de l’ordonnance médicale prescrivant le traitement, suffit à permettre aux assistantes maternelles ou puéricultrices de crèches d’administrer les médicaments requis aux enfants dont elles ont la garde (article L41611 du code de la santé publique ; avis du Conseil d’État du 9 mars 1999 ; circulaire DGS/PS3/DAS n°99-320 du 4 juin 1999 relative à la distribution des médicaments). 210
tion nationale depuis 2009, sauf en cas de maladie contagieuse (décret n°2009-553 du 15 mai 2009 ; rappel des règles dans la note de service EN n°2009-160 du 30 octobre 2009. Cas des maladies contagieuses : arrêté interministériel du 3 mai 1989 et circulaire n°2004054 du 23 mars 2004). De même, l’entrée à l’école maternelle ou élémentaire ne nécessite plus de certificat médical depuis 2009. Seule l’attestation concernant les vaccinations obligatoires pour la scolarisation est exigée (carnet de vaccinations, copie des pages “vaccinations” du carnet de santé ou certificat médical) (décret n°2009-553 du 15 mai 2009 : rappel des règles dans la note de service EN n°2009-160 du 30 octobre 2009). Cela concerne directement le pédiatre ou médecin généraliste et non l’ophtalmologiste. Les sorties scolaires, la participation à l’éducation physique
et sportive ne nécessitent aucun certificat (circulaire n°99-136 du 21 septembre 1999 et circulaire n°76-260 du 20 août 1976 ; rappel des règles dans la note de service EN n°2009-160 du 30 octobre 2009). Cependant, en cas d’inaptitude sportive, comme après une intervention chirurgicale pour strabisme avec inaptitude temporaire à la natation, un certificat médical doit préciser le caractère total ou partiel de l’inaptitude à l’éducation physique et sportive et mentionner sa durée (décret n°88-977 du 11 octobre 1988 ; rappel des règles dans la note de service EN n°2009-160 du 30 octobre 2009).
Concernant les personnes handicapées ou dépendantes
Le praticien doit aider le patient à faire valoir un droit en remplissant un formulaire de certificat médical pour une demande auprès des Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Toutes les demandes sont réunies dans un seul et unique formulaire disponible auprès de toutes les MDPH, valable pour toutes les prestations et aides financières pour lesquelles la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) doit prendre une décision (arrêté du 23 mars 2009). Les ophtalmologistes sont fréquemment amenés à remplir de tels documents qu’il s’agisse d’enfants ou d’adultes malvoyants. Concernant l’APA, ou Allocation personnalisée d’autonomie, le dossier ne nécessite pas de certificat médical. Le remplissage de la grille AGGIR (Autonomie gérontologique groupes iso-ressources) relève exclusivement de la responsabilité des équipes médicosociales des conseils généraux. L’article R232-7 du code d’action sociale et des familles prévoit que le méde-
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rédaction de certificats médicaux
cin traitant peut être consulté par l’équipe médicosociale du conseil général. L’ophtalmologiste est exceptionnellement concerné.
concernant les employeurs
Un certificat d’embauche ne nécessite pas de certificat médical, notamment d’un ophtalmologiste, même en cas de pathologie ophtalmologique. Le salarié bénéficie d’un examen médical avant l’embauche ou au plus tard avant l’expiration de la période d’essai par le médecin du travail. Articles R. 4624-10 et suivants du code du travail. De même, pour la reprise du travail. Pour l’inaptitude au poste de travail, le certificat médical délivré par le médecin traitant n’est pas nécessaire et n’a aucune valeur. En application des articles L. 1226-2 et suivants du code du travail, il appartient au médecin du travail de constater l’inaptitude à exercer une des tâches existantes dans l’entreprise.
Concernant l’aptitude à la conduite
Pour l’aptitude ou l’inaptitude médicale à la conduite, il n’y a pas lieu de rédiger de certificat médical. En effet, l’examen médical relève des médecins agréés par les préfectures pour le contrôle de l’aptitude médicale à la conduite. Il convient alors d’adresser les patients vers ces médecins. L’ophtalmologiste traitant ou le médecin traitant doit néanmoins informer son patient d’une éventuelle inaptitude médicale (rétinite pigmentaire, hémianopsie bitemporale…), temporaire ou définitive à la conduite, en rapport avec une pathologie ou une prescription particulière. Arrêté du 21 décembre 2005 modifié fixant les normes médicales incompatibles avec la délivrance ou le maintien du permis de conduire.
Concernant la non contreindication à la pratique sportive
Les licences sportives permettant la participation aux compétitions nécessitent un certificat médical datant de moins d’un an, qu’il s’agisse d’une première demande de licence ou du renouvellement de licence. Une attention particulière devra être portée pour la pratique de la boxe où la réalisation d’un fond d’œil dilaté et d’un champ visuel est systématiquement demandée. La participation aux compétitions sportives organisées par les fédérations sportives ne nécessite pas de certificat si le sportif produit sa licence. La visite médicale pour pratiquer un sport a pour objectif de dépister des pathologies pouvant induire un risque vital ou fonctionnel grave favorisé par cette pratique (amblyopie et sport de balle, lésions dégénératives rétiniennes et boxe…). Les articles du code du sport régissent les cas de demandes de certificats médicaux. Articles L.231-2 à L.231-3 du code du sport. Pour les licences sportives ne permettant pas la participation aux compétitions, qu’il s’agisse d’une première demande de licence ou du renouvellement d’une licence, un certificat médical de moins d’un an est requis. Concernant les renouvellements d’une licence non compétitive, la fréquence du renouvellement du certificat médical est définie par chaque fédération sportive, les sports à risque nécessitant des certificats plus fréquemment (pratique de la boxe et certificat de l’ophtalmologiste). Idéalement, le recours au certificat médical ne devrait être réservé qu’aux seuls cas prévus par les textes mais, dans la pratique, il est souvent difficile de résister aux demandes réitérées des patients, quelle qu’en soit la raison.
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concernant les violences faites aux femmes
En 2010, l’enquête nationale sur les violences faites aux femmes en France a montré que les femmes victimes d’agressions se confient en premier lieu au médecin (24 % des cas), avant la police et la gendarmerie, la justice ou les associations. Nous avons tous rencontré des femmes consultant en urgence ou non pour un hématome orbitaire après être tombées dans l’escalier puis la fois suivante, s’être cognées contre la porte d’un placard… Ces femmes, souvent fragiles et dépendantes, consultent fréquemment accompagnées de leur conjoint, notamment dans les déserts médicaux où elles ne conduisent pas nécessairement voire où il n’y a qu’un seul véhicule dans le foyer. L’examen ophtalmologique ne nécessitant pas de déshabiller le patient, il est fréquent que le conjoint, agresseur potentiel, accompagne la victime dans le bureau d’examen, empêchant ainsi cette dernière de se confier. Il ne faut alors pas hésiter à lancer “des bouteilles à la mer” : « En cas de difficultés, ou d’évolution défavorable, n’hésitez pas à nous joindre », par exemple. Les violences conjugales sont définies comme des violences physiques (coups et blessures), verbales ou psychologiques. L’ophtalmologiste ne sera a priori confronté qu’à des violences physiques avec traumatisme oculopalpébral ou orbitaire. Les violences conjugales sont une infraction à la loi (articles 222-7 à 222-13 du code pénal). Elles constituent une circonstance aggravante lorsqu’elles sont commises par le (ex-)conjoint, le (ex-)concubin ou le partenaire lié à un PACS. Pour briser la loi du silence, la loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences conjugales permet au conjoint victime de demander au juge des affaires familiales 211
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d’ordonner l’expulsion du conjoint violent, avant même toute procédure de divorce. Dans le cadre d’une procédure pénale, le juge peut aussi ordonner l’éviction du conjoint violent. Les médecins les plus fréquemment concernés sont les médecins généralistes exerçant en libéral, les urgentistes dans les hôpitaux mais les ophtalmologistes peuvent également être concernés lors de traumatismes péri-orbitaires récidivants. Il y a lieu de repérer les maltraitances, verbalisées ou non. Le médecin ne peut faire un signalement qu’avec l’accord de la femme, sauf si elle est dans un état de vulnérabilité toujours difficile à préciser. Un certificat de coups et blessures doit cependant être rédigé à la demande de la patiente. Selon l’article 44 du code de déontologie médicale (article R.4127-44 du code de santé publique), « lorsqu’un médecin discerne qu’une personne est victime de sévices, il doit mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour la protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection. S’il s’agit d’un mineur de moins de 15 ans ou d’une personne incapable, il doit alerter les autorités judiciaires, médicales ou administratives ». Il s’agit d’un cas de dérogation au secret médical. En effet, si la femme y consent, les médecins peuvent révéler les faits de violences au sein du couple dont ils ont été informés et qui sont couverts par le secret professionnel. L’article 226-14 du code pénal établit une dérogation au secret médical. Le médecin n’encourt aucune sanction disciplinaire si le signalement a été fait dans les
conditions prévues par cet article. Bien sûr, la rédaction du certificat ne devra pas être tendancieuse, suggérant un parti pris du médecin pour sa patiente. Le médecin rédigera donc les doléances ou les faits rapportés par la patiente entre guillemets et restera descriptif et objectif. Les certificats médicaux pour coups et blessures constituent, dans les procédures de violences conjugales, des pièces essentielles lors du dépôt de plainte qui préciseront au magistrat du parquet l’importance des dommages subis par la victime et la gravité de l’agression dont dépendra l’opportunité des poursuites judiciaires. Un rapport du Pr Henrion datant de 2001, intitulé « Les femmes victimes de violences conjugales, le rôle des professionnels de santé : rapport au ministre chargé de la santé » précise que « le certificat est un acte médical descriptif qui témoigne des dires de la patiente et décrit les lésions traumatiques, leurs conséquences cliniques et le retentissement physique et psychique des violences subies par la femme. C’est un document médicolégal qui prend toute sa valeur lorsqu’une plainte est déposée par la femme ». Il doit comporter, en dehors de l’identification du médecin et de la victime, la date et l’heure de l’examen avec la description exhaustive des lésions constatées, la description des soins nécessaires et prescrits ainsi que la liste des examens complémentaires prescrits et effectués avec les conséquences fonctionnelles des blessures et la détermination de l’ITT, évaluée en jours, concernant le travail personnel et non le travail professionnel.
L’estimation de l’ITT est médicale et concerne le retentissement fonctionnel et psychologique de l’agression mais il est souvent difficile d’évaluer immédiatement le retentissement psychologique d’une telle agression. Il convient alors d’émettre des réserves quant à l’évolution de ce retentissement et d’indiquer qu’un nouvel examen sera nécessaire, à distance des faits, pour préciser la durée de l’ITT.
Conclusion
Les médecins en général, et les ophtalmologistes en particulier, sont régulièrement amenés à rédiger des certificats médicaux. Idéalement, le recours au certificat médical ne devrait être réservé qu’aux seuls cas prévus par les textes mais cela est difficilement applicable. Afin de ne pas voir sa responsabilité civile professionnelle engagée, il est nécessaire de garder à l’esprit des règles simples : tout certificat doit préciser l’identité du médecin et du patient, relater les faits rapportés entre guillemets, être descriptif et objectif sans appréciation subjective. Il faut savoir résister aux demandes parfois inappropriées des patients tout en sachant repérer des violences subies et rédiger des certificats de signalement des violences, notamment conjugales, si nécesn saire.
Mots-clés : Responsabilité civile professionnelle, Certificats médicaux
Bibliographie 1. Henrion R. Les femmes victimes de violences conjugales – le rôle des professionnels de santé. La documentation française, 2001. 2. Leclercq JC. Certificat médical : attention danger. 3. Kahn-Bensaude I. Le rôle du médecin dans le signalement des violences conjugales. Bulletin d’information de l’Ordre national des médecins, maijuin 2011 ; n°17.
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4. Cahier Jurispratique. Bulletin d’information de l’Ordre national des médecins. Information des patients : dans quels cas un certificat médical est-il nécessaire ?, janv.-févr. 2012 ; n°21. 5. Conseil départemental de l’Ordre des médecins de la Nièvre. Conseils pour la rédaction des certificats médicaux, janvier-mai 2013. 6. Code de déontologie.
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