Mise au point
Correction chirurgicale des fortes amétropies ICL Central Flow® et UBM STS Dr Thierry Delayre*, Dr Marie-Joëlle Sales-Davy**, Dr Patricia Weiler*, Laurence Bore*
Introduction Si l’on se restreint aux techniques ablatives en respectant les critères de sécurité, la correction chirurgicale des fortes amétropies impose souvent des compromis sur la qualité du traitement proposé, le plus souvent en réduisant la zone optique. Une solution plus originale consiste à glisser entre l’iris et le cristallin une lentille correctrice, comme l’ICL. Dans sa dernière version pourvue d’un by-pass central pour l’humeur aqueuse, l’implantation est encore plus aisée puisque la réalisation d’une iridectomie périphérique est désormais inutile. Cet article a pour but de rappeler les critères de l’implantation sécurisée de l’ICL pour les fortes myopies et les fortes hypermétropies. Il souligne en particulier la place de l’échographie par UBM, seule à même d’évaluer directement les caractères anatomiques du site de l’implantation, si importants pour le succès de la technique.
Historique L’idée extrêmement originale d’implanter une lentille dans l’espace virtuel inter-irido-cristallinien d’un œil phaque revient certainement à Fyodorov (1). Le matériau initialement employé *Clinique Gaston-Métivet , Saint-Maur-des-Fossés **Centre hospitalier général de Meaux
était du silicone et les premiers cas se sont soldés par la formation de cataractes et l’apparition de blocages pupillaires et d’hypertonie. C’est la mise au point d’un matériau innovant dont la tolérance s’est révélée excellente (le Collamer) qui a encouragé la société Staar à acquérir le brevet et à modifier l’architecture de la lentille pour améliorer sa tolérance, principalement avec l’aide du chirurgien argentin Roberto Zaldivar (2). Dans les récentes séries publiées, le taux de complications est réduit pour les cataractes à moins de 1 % ce qui paraît acceptable pour le profil d’yeux concernés. En France, plusieurs publications de Lesueur ont aussi rapporté de bons résultats pour la correction des fortes amétropies chez l’enfant.
L’implant ICL (Implantable Collamer Lens) C’est une lentille de chambre postérieure, adaptée à l’œil phaque, destinée à être glissée par une incision cornéenne de 3 mm entre l’iris et le cristallin. L’architecture actuelle est le fruit d’une évolution de plusieurs années. Le modèle ICL V4B représente la septième évolution de l’architecture de la lentille. Le matériau original est un composé mixte d’acrylique hydrophile et de collagène d’origine animale
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(2 %). Ce dernier composant lui confère une charge de surface négative, qui a la propriété d’empêcher l’adhérence des protéines, diminuant la réaction inflammatoire. Dans sa dernière version destinée aux corrections myopiques pures ou combinées à un astigmatisme, une perforation au centre de l’optique autorise un by-pass pour la circulation de l’humeur aqueuse vers la chambre antérieure (Fig. 1). Un artifice qui a été mis au point par Shimizu (2) et qui évite au chirurgien de réaliser une iridotomie pré ou peropératoire prévenant les blocages pupillaires. Cette simplification de la procédure est loin d’être anodine car elle concerne un acte de confort sur des yeux fragiles et des patients jeunes souvent anxieux. L’iridotomie en elle-même peut être la source d’inconvénients potentiels en préopératoire (difficultés de réalisation sur des yeux jeunes…) ou peropératoire (hémorragies…). La perforation au centre de l’optique n’est pas perceptible dans le champ visuel et n’altère pas les critères objectifs de qualité de la vision (4). De plus, elle favoriserait la circulation de l’humeur aqueuse autour du cristallin et pourrait prévenir l’apparition des opacités sous-corticales ou nucléaires en présence de la lentille. La plage des amétropies sphériques corrigeables par l’ICL 247
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s’étend de -20 à +10 dioptries et de 0,5 à 6 dioptries pour l’astigmatisme. Les indications sont pertinentes à partir de 6 dioptries puisque la zone optique au plan cornéen est supérieure à 7 mm alors que la correction de surface par excimer peut obliger à réduire ce paramètre en cas de cornée fine. Cette zone optique (pupille d’entrée) reste toujours supérieure à 6 mm même pour les plus fortes corrections. Il existe sur le marché un autre implant phaque de chambre postérieure, différent par le matériau (silicone hydrophobe) et le concept (optique flottante dans la chambre postérieure sans appui périphérique). Ce modèle (implant PRL, Alsanza) n’est pas abordé dans la limite de cet article.
Figure 1 - ICL myopique avec by-pass central.
Bilan préopératoire Comme pour toute chirurgie réfractive, l’obtention d’une réfraction exacte est évidemment primordiale. La méthode subjective sur œil non dilaté reproduit fidèlement les conditions physiologiques mais requiert une excellente technicité et un minimum de patience, en particulier pour les fortes hypermétropies. Un examen sous cycloplégie permettra d’éviter les grossières erreurs. L’implant ICL est une lentille à appui périphérique qui ne doit pas être en contact avec la capsule antérieure du cristallin, idéalement sur toute l’étendue de sa surface postérieure. Classiquement, la mesure directe du blanc à blanc ou la mesure du diamètre angle à angle irido-cornéen par l’OCT sont utilisées mais elles ne donneront qu’une évaluation indirecte des dimensions de la chambre postérieure. Les abaques fournis par le fabricant sont cependant basés sur ces mesures. 248
Figure 2 - Aspect en UBM-STS préopératoire avec mesure des angles irido-cornéens, du sulcus et repérage des points cardinaux, face postérieure de la cornée, faces antérieure et postérieure du cristallin.
L’évaluation des dimensions de l’œil et en particulier de la profondeur de la chambre antérieure et surtout de la distance sulcus à sulcus par l’UBM est le moyen de mesurer directement les paramètres du siège de l’implantation. Ces deux méthodes pour apprécier la distance sulcus à sulcus seront comparées pour le choix d’une
lentille de dimension appropriée (5 et 6). Habituellement, la mesure du blanc à blanc est supérieure de 0,5 mm à l’évaluation directe du sulcus par UBM.
UBM et STS L’échographie oculaire en UBM nécessite un appareil sophisti-
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qué et un opérateur entraîné. Son intérêt dans le cas présent est la capacité à mesurer directement la distance sulcus à sulcus dans l’axe 3h-9h. La sonde grand angle calibrée à 50 MhZ permet de capturer directement le diamètre du sulcus sur une seule image avec un coefficient de corrélation des mesures inférieur à 1 % (5). Le modèle AVISO-STS (Quantel) intègre un logiciel dédié qui accroît encore la fiabilité par une automatisation de la prise de mesure et du rendu de la moyenne. La validation de chaque mesure est obtenue lorsque la sonde aligne les repères cardinaux : apex
cornéen, apex cristalloïde antérieur, apex cristalloïde postérieur, sulcus (Fig. 2). L’examen est réalisé en immersion avec une interface à usage unique. Le champ de recueil est de 16 mm en largeur et de 10 mm en antéropostérieur. Il est possible d’effectuer la prise de mesure en ambiance mésopique avec un iris dilaté ou en myosis en activant le réflexe consensuel. Le diamètre du sulcus est variable selon les méridiens considérés (Cochener) mais le site d’implantation préféré est le méridien horizontal, c’est donc cette valeur qui sera retenue. La valeur de l’angle irido-cornéen
peut être notée pour servir de base au suivi (Fig. 2). En effet, avec l’âge, cet angle peut se modifier avec l’épaississement physiologique du cristallin. Il sera de toute façon différent après l’implantation de l’ICL (Fig. 3).
Résultats préopératoires Les mesures obtenues permettent de vérifier les critères de sécurité recommandés par le fabricant (Fig. 2). Profondeur de CA : 3,5 (minimum de 3 mm). Diamètre horizontal sulcus : 11,63 (les abaques permettent le calcul du modèle d’implants à commander adapté au diamètre).
Résultats postopératoires (Fig. 3)
Figure 3 - Aspect postopératoire d’un ICL myopique avec by-pass central.
Figure 4 - Distance ICL-cristalloïde antérieure au niveau du by-pass (559 µ). Pratiques en Ophtalmologie • Décembre 2013 • vol. 7 • numéro 69
L’aspect échographique permet de visualiser : - le siège exact de l’implantation : position des haptiques dans le sulcus ou dans le corps ciliaire. Celui-ci n’est pas toujours exactement conforme à la théorie. Les extrémités des haptiques sont parfois en contact avec le corps ciliaire et non le sulcus (Fig. 6 a et b) ; - la modification de la profondeur de la chambre antérieure : pour le modèle Central Flow® de l’ICL, le pertuis central est visualisé, libre et fonctionnel (le myosis n’entraîne pas de mouvement de la périphérie de l’implant sous l’effet de la compression de l’optique en mode cine loop) ; - l’espace entre la face postérieure de l’implant et la face antérieure du cristallin : l’espace de sécurité à l’apex, entre la face postérieure de l’ICL et la cristalloïde antérieure recommandée par le fabricant est compris entre 250 m et 500 m (Fig. 4). L’image obtenue en mydriase relative (ou en myosis en activant le réflexe consensuel) confirme l’absence de contact entre la face postérieure de la lentille et le 249
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Figure 5 - A : aspect d’un implant myopique. B : aspect d’un implant hypermétropique en UBM-STS. L’espace entre l’ICL et la cristalloïde antérieure est préservé dans les deux cas, même en périphérie.
cristallin sur toute l’étendue de la cristalloïde antérieure (Fig. 3) qu’il s’agisse d’un implant myopique ou hypermétropique (Fig. 5 a et b) ; - la modification de l’angle irido-cornéen (Fig. 2 et 3). En mode cine loop, l’acquisition des images à la fréquence de 12 par seconde permet, en utilisant le réflexe consensuel, d’évaluer les modifications de la profondeur de la chambre antérieure en fonction de l’accommodation ou de l’intensité lumineuse.
Cas clinique d’une myopie forte - Patient âgé de 21 ans. - Réfraction subjective sans cycloplégie. - Méthode du brouillard. - OD myopie de (100°-1,00) -10,00 ; OG myopie de (100°-0,50) -12,00. - Pachymétrie 530 m ODG. - TO 12/12. - Comptage endothélial 2500 cel/ mm2. - Profondeur de chambre antérieure : 3,60 mm. - Kératométrie (mesurée après 15 jours d’arrêt du port de LSH) : 45 D. - Longueur axiale : 26 mm ODG. 250
- Blanc à blanc cornéen : 11,9 mm ODG. - Fond d’œil normal.
évaluée dans le mode OPD et montre un diamètre maximum de 6,5 mm équivalant au diamètre pupillaire mésopique (scotopique).
Technique chirurgicale L’implantation est réalisée par une incision cornéenne temporale de 3 mm, après dilatation maximale, sous visco-élastique cohésif, sans nécessité de réaliser une iridectomie grâce au modèle Central Flow®. Dès J+1, après implantation sur un œil dilaté, l’aspect de la lentille est rassurant avec le Central Flow® perméable et centré, un espace libre précristallinien, un cristallin clair et une acuité visuelle à 10/10 P2 (Fig. 1).
Résultat réfractif Il est analysé par l’OPD SCAN, topographe couplé à un aberromètre d’utilisation simple, rapide et fiable pour mesurer la cornée et dépister en préopératoire les anomalies morphologiques. En outre, il réalise une réfraction objective et produit un bilan abérométrique clair. En postopératoire, outre la confirmation du bon résultat réfractif en mesure objective para-axiale (Fig. 6 a et b), la zone optique obtenue avec la correction par ICL est
Il est ici intéressant de calculer la profondeur d’ablation théorique nécessaire pour obtenir un tel diamètre de zone optique lors d’une correction par technique ablative. Le logiciel Final Fit du programme Nidek indique une soustraction de 190 m de tissu cornéen. Corrélativement, une ablation de 100 m, qui est le maximum que l’on s’autorise habituellement, aboutirait à une zone optique de seulement 3 mm. Ces deux options sont inenvisageables. La carte MTF confirme la qualité de vision pour une pupille d’entrée de 6 mm (Fig. 7 a et b).
Complications postopératoires Les cataractes sont provoquées par les contacts chirurgicaux pendant l’acte opératoire et sont rares. Cette chirurgie peut être réalisée si nécessaire sous anesthésie générale, en particulier pour les premiers cas. Les complications et les inconvénients liés au glaucome par
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fermeture de l’angle sont aujourd’hui exceptionnels avec l’affinement des mesures préopératoires et l’utilisation du modèle fenestré. Le recul est maintenant de vingt ans depuis les premiers modèles mis en place. L’évolution vers un épaississement antéropostérieur du cristallin avec l’âge peut modifier les rapports avec la lentille et réduire la profondeur de la chambre antérieure. L’extraction de la lentille est toujours aisée avant l’extraction de la cataracte.
Figure 6 - A : topographie spéculaire et réfraction préopératoire. B : topographie spéculaire et réfraction postopératoire J+1 mois. Incision cornéenne temporale de 3 mm. Absence de modification de l’astigmatisme cornéen en axe (87°) et en valeur absolue (#dK 0,18 dioptrie).
La stabilité rotationnelle serait perturbée dans 4 % des cas et son mécanisme n’est pas parfaitement compris. Il est impératif de mesurer le diamètre du sulcus dans au moins deux axes 180 degrés et 90 degrés en préopératoire pour dépister d’éventuelles variations.
Conclusion Actuellement, la précision réfractive obtenue avec le modèle d’implant précristallinien ICL offre le meilleur choix en termes de qualité visuelle et de sécurité, pour la correction des fortes amétropies. La dernière évolution de la lentille, maintenant équipée d’une perforation au centre de l’optique, simplifie
Figure 7 - A : courbe MTF préopératoire. B : courbe MTF postopératoire.
le geste chirurgical en éliminant la réalisation de l’iridotomie. L’échographie en UBM STS permet de visualiser directement les rapports entre la lentille, le centre et la périphérie de la face antérieure du cristallin, le sulcus et le corps ciliaire. Il est possible de juger objectivement de la cohérence du choix du modèle
d’ICL avec les mesures préopératoires, proposant ainsi un autre niveau de personnalisation de la n correction.
Mots-clés : Amétropies, Chirurgie, ICL Central Flow®, UBM STS
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