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Rétinopathie diabétique Comment la prévenir ? Est-elle évitable ? Dr Catherine Favard*
introduction
Prévalence La rétinopathie diabétique (RD) représente la 1re cause de cécité légale (acuité < 1/10) chez les sujets de moins de 50 ans dans les pays industrialisés (1). La prévalence de la RD augmente avec la durée du diabète et l’importance de l’hyperglycémie chronique. La prévalence globale de la RD est de 45 % chez les diabétiques de type 1 et 17 % chez les diabétiques de type 2. Après 20 ans d’évolution du diabète, plus de 90 % des diabétiques de type 1 et 60 % des diabétiques de type 2 présentent une RD. En France, les 800 000 cas de RD ont un risque de cécité de 2,5 % après 10 ans d’évolution qui a été divisé par 3 depuis 20 ans grâce aux progrès de l’équilibration du diabète
*Centre ophtalmologique de l’Odéon, Centre Iéna Vision, Fondation Rothschild, Paris
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Le diabète touche actuellement 2 millions de Français, soit 3 % de la population. L’obésité et le vieillissement croissants de la population font prédire une augmentation du nombre de personnes atteintes de 25 % d’ici à 2025. L’une des complications majeures est la rétinopathie diabétique. Comment la prévenir ? Est-elle évitable ?
et à de meilleurs dépistage et traitement de la RD.
Physiopathogénie La RD est une manifestation de la microangiopathie diabétique (Tab. 1 et Fig. 1) et entraîne : • des microanévrismes et une hyperperméabilité capillaire responsables de l’œdème maculaire (OM), principale cause de baisse visuelle progressive dans la RD ; • une occlusion des capillaires rétiniens responsable d’ischémie rétinienne puis des complications néovasculaires sans baisse visuelle avant les complications hémorragiques tardives potentiellement cécitantes.
Facteurs de risque Les principaux facteurs de risque
de l’incidence et de la progression de la RD sont : • la durée du diabète pour les types 1 et 2, la prévalence de la RD augmente chez les diabétiques de type 1 : 8 % à 3 ans, 25 % à 5 ans, 60 % à 10 ans et 80 % à 15 ans ; • le mauvais contrôle glycémique, le taux d’HbA1c est associé à la progression de la RD et de la RD proliférante ; • le mauvais contrôle de la pression artérielle diastolique et systolique chez les diabétiques de type 1 et systolique chez les diabétiques de type 2 ; • les lipides sériques (triglycérides élevés) ; • une néphropathie, les micro et macroalbuminurie sont des facteurs prédictifs de RD ; • l’obésité, l’indice de masse corporelle élevé (DCCT), l’augmentation du tour de taille ;
Pratiques en Ophtalmologie • Décembre 2013 • vol. 7 • numéro 69
rétinopathie diabétique
• la puberté ; • la grossesse. De plus, la RD est associée à une incidence plus élevée de complications et de mortalité cardiovasculaires.
Tableau 1 - Physiopathogénie de la rétinopathie diabétique. Hyperglycémie
Æ • Accumulation de sorbitol (voie de l’aldose réductase) • Production de produits avancés de la glycation (AGEs) • Activation de l’isoforme ß protéine kinase C • Stress oxydatif
Traiter les facteurs systémiques pour réduire l’incidence et la progression de la RD Traiter les facteurs systémiques pour réduire l’incidence et la progression de la RD et de l’OM de 25 à 50 % : • équilibrer la glycémie (HbA1c < 8 %, mieux si < 7 %) (2, 3) ; • équilibrer la tension artérielle (TA diastolique < 90 mmHg et TA systolique < 140 mmHg, mieux si ≤ 80 et 120 mmHg) (3) ; • traiter les apnées du sommeil, facteur d’hypertension nocturne pouvant être dépisté par Holter tensionnel ; • équilibrer les lipides plasmatiques (LDL-c < 1 g/l mieux si ≤ 0,7 g/l par fénofibrates et statines) ; • traiter l’insuffisance rénale ; • traiter les prédiabètes (test de l’hyperglycémie provoquée par voie orale chez les sujets suspects).
Æ • Réaction inflammatoire • Dysfonction endothéliale • Modification du flux sanguin rétinien • Production de facteurs de croissance (VEGF…)
Æ
Æ
Occlusion capillaire d ischémie et néovascularisation
Rupture de la barrière hématorétinienne d œdème maculaire
Comment équilibrer le diabète ?
• L’étude ACCORD a montré en 2010 (4) que l’équilibration très stricte du diabète (HbA1c < 7 %), de la TA (< 120 mmHg), des lipides (par simvastatin + fénofibrate) permettait par rapport à l’équilibration standard recommandée de réduire le risque de progression de la RD à 4 ans de 25 % (7,3 %/10,4 %). Mais ce risque était réduit au prix d’un risque d’hypoglycémies sévères multiplié par 3 (10 %/3 %) et d’une sur-
mortalité de 22 % (5 %/4 %), ce qui implique un mauvais rapport bénéfice/risque d’une prévention par équilibration hyper-intensive des facteurs de la RD. • L’équilibration brutale du diabète peut faire progresser la RD rapidement. Il est donc essentiel de vérifier le stade de la RD et de traiter les RD proliférantes au laser avant d’envisager d’équilibrer un diabète mal équilibré. L’équilibration du diabète doit être d’autant plus progressive (baisse de l’HbA1c
Figure 1 - Physiopathogénie de la RD. Pratiques en Ophtalmologie • Décembre 2013 • vol. 7 • numéro 69
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de 1 %/mois) que la RD est ischémique ou déjà proliférante avec traitement laser en urgence préalable à l’équilibration à ce stade. Il faut ensuite surveiller la RD avec des contrôles du fond d’œil plus rapprochés.
Dépistage de la rétinopathie diabétique
Diabète de type 1
Examen du fond d'œil dès la découverte du diabète
Diabète de type 2
Fond d'œil annuel ± angiographie s'il existe une rétinopathie diabétique
Suivi Pourquoi ? Le dépistage précoce de la RD est essentiel pour : • traiter à temps la RD et éviter les complications néovasculaires hémorragiques cécitantes ; • ne pas traiter trop tardivement les OM (car il reste alors peu d’espoir d’amélioration visuelle).
Comment ? Le dépistage de la RD consiste en : • un examen du fond d’œil (FO) dilaté par un ophtalmologiste ; • et/ou des rétinophotographies de 2 champs ou plus du fond d’œil avec caméras non mydriatiques (analysées par un ophtalmologiste) ; • une angiographie à la fluorescéine : - si le stade rétinopathie non proliférante (RDNP) sévère ou plus avancé est diagnostiqué au fond d’œil, - pour diagnostiquer les territoires ischémiques et les néovaisseaux à traiter au laser, - ou en cas d’œdème maculaire pour identifier sa cause (microanévrismes, diffusions capillaires, ischémie maculaire) et envisager un traitement ; • un examen en cohérence optique (OCT) de la macula : pour diagnostiquer et suivre un œdème maculaire. 262
Examen du fond d'œil à la découverte du diabète ± angiographie s'il existe une rétinopathie diabétique
Fond d'œil annuel ou plus fréquemment s'il existe une rétinopathie diabétique évoluée à la découverte du diabète
Figure 2 - Dépistage de la RD : recommandations de l’ALFEDIAM (d’après P. Massin).
Surveillance de la rétinopathie diabétique
En l'absence de rétinopathie diabétique
Surveillance annuelle du fond d'œil
Rétinopathie diabétique non proliférante minime
Rétinopathie diabétique non proliférante modérée
Rétinopathie non proliférante sévère (ou préproliférante RDPP)
Rétinopathie diabétique proliférante (RDP)
Fond d'œil annuel
Fond d'œil ± angiographie tous les 6 mois à 1 an en fonction de la maculopathie associée
Fond d'œil ± angiographie tous les 4 à 6 mois (sauf conditions particulières) ; photocoagulation panrétinienne à envisager en cas de grossesse, d'équilibration rapide de la glycémie, de chirurgie de la cataracte, de RDP ou de RDPP controlatérale, ou chez un sujet à suivi aléatoire
Photocoagulation panrétinienne ; fond d'œil ± angiographie 2 à 4 mois après la fin du traitement
Figure 3 - Surveillance de la RD : recommandations de l’ALFEDIAM (d’après P. Massin).
Examens Quand démarrer le premier examen du fond d’œil chez un diabétique et quelles sont les règles de suivi (Anaes 1999 ; Afssaps 2005 ; HAS 2007) ?
Premier examen Le premier examen (Fig. 2) doit être réalisé : • pour le diabétique de type 1 : dès l’apparition du diabète et chez les enfants dès la puberté (la RD peut apparaître après 10 ans d’évolution) ; • pour le diabétique de type 2 :
dès le diagnostic du diabète (car l’ancienneté du diabète reste inconnue la plupart du temps).
Suivi : examen du fond d’œil L’examen du fond d’œil (Fig. 3 et 4) doit être : • annuel, s’il n’y a pas de RD ou si le stade de la RD est non-proliférant, minime ou modéré ; • semestriel ou trimestriel : - en cas de RD non proliférante sévère ou RD proliférante, - en cas de facteurs de progression de la RD : normalisation rapide de la glycémie (passage
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sous insuline type 2, pompe à insuline), grossesse, chirurgie de la cataracte, décompensation tensionnelle ou rénale.
Circonstances particulières justifiant une surveillance ophtalmologique rapprochée
Puberté et adolescence
Intérêt du dépistage par télémédecine Actuellement, seuls 43 % des diabétiques bénéficient d’un examen ophtalmologique annuel et il apparaît impossible aux quelque 5 000 ophtalmologistes français de surveiller les 2 millions de diabétiques. Le dépistage de la RD par télémédecine (Encadré 1) (Fig. 5 et 6) a été validé en 2005 et permet, grâce au réseau OPHDIAT parisien et aux réseaux provinciaux autour des CHU et en zone rurale, de mieux dépister la RD. Il s’agit du dépistage par rétinophotographies numériques du fond d’œil télétransmises à un centre spécialisé dans l’interprétation des clichés (6) (Encadré 2). En 2009, OPHDIAT dépistait sur 29 sites à Paris et en région parisienne avec 7 ophtalmologistes : plus de 13 000 patients dont 25 % présentaient une RD et 6 % une RD sévère (RD non proliférante sévère ou proliférante ou OM) nécessitant une consultation ophtalmologique.
Premier examen ophtalmologique à l'âge de 10 ans
Surveillance renforcée, surtout entre 16 et 18 ans, s’il existe une rétinopathie diabétique
Grossesse
En l'absence de rétinopathie diabétique Surveillance trimestrielle du fond d'œil
Normalisation rapide de la glycémie
Chirurgie de la cataracte
Décompensation tensionnelle ou rénale
Si rétinopathie diabétique Surveillance mensuelle du fond d'œil et en post-partum
Figure 4 - Circonstances particulières justifiant une surveillance ophtalmologique rapprochée : recommandations de l’ALFEDIAM (d’après P. Massin).
Encadré 1 Intérêt de la télémédecine pour le dépistage • Aussi fiable que l’examen du FO • Moins contraignant : court délai de rendez-vous • Pas de dilatation pupillaire (caméras non mydriatiques) • Economique : 2 ou plus rétinophotos de 45° (2 centrées sur la macula et la papille) prises par un technicien • Plusieurs centres de dépistage : proches des services de diabétologie des centres de soin ou itinérants • Ophtalmologistes interprétant à distance les clichés télétransmis (40 FO analysés par ½ journée) • Diagnostic sous 48 heures
Encadré 2 Où se faire dépister ? La liste des principaux centres de dépistage français de la RD peut être consultée sur le site de l’Organisation pour la prévention de la cécité (OPC) qui soutient bon nombre de ces programmes (7).
Conclusion Le dépistage et la prise en charge correcte de la RD dépendent de l’étroite collaboration entre le généraliste ou le diabétologue et l’ophtalmologiste. Le diabétologue doit informer et inciter le patient à consulter l’ophtalmologiste tous les ans et l’aider à équilibrer au mieux son diabète et sa tension artérielle. Les ophtalmologistes s’adaptent à la prise en charge d’une population croissante de diabétiques
Figure 5 - Rétinophotos caméra non-mydriatique 2 champs : pôles postérieur et nasal. Rétinopathie proliférante sévère, présence de néovaisseaux prérétiniens et prépapillaires, hémorragies, microanévrismes denses, nodule dysorique.
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grâce au dépistage par télémédecine qui vient tout récemment d’être codifié et remboursé par la Sécurité sociale (rétinophotos faites par l’orthoptiste et interprétées par l’ophtalmologiste). En effet, un dépistage précoce des formes sévères de RD permet, grâce aux progrès des traitements laser, chirurgicaux et par injections intravitréennes d’anti-VEGF ou de corticoïdes, d’améliorer le pronostic visuel des patients. n
Messages de sensibilisation
Patients diabétiques
Centre de santé 1
Photographies numérisées (rétinographe non-mydriatique)
2
Interprétation des clichés par des ophtalmologistes agréés
Contrôle annuel Centre de lecture
3
NON
Diagnostic rétinopathie
OUI
Ophtalmologistes - soins - suivi
Mots-clés : Rétinopathie, Prévention, Diabète, Traitement, Complication
Figure 6 - Schéma d’organisation du dépistage de la RD par télémédecine (d’après le site de l’Organisation de la prévention de la cécité [OPC] http://opc.asso.fr).
Bibliographie 1. Sjolie AK, Stephenson J, Aldington S et al. Retinopathy and vision loss in insulin-dependent diabetes in Europe. The EURODIAB IDDM Complications Study. Ophtalmology 1997 ; 104 : 252-60. 2. The effect of intensive treatment of diabetes on the development and progression of long-term complications in insulin-dependent diabetes mellitus. The Diabetes Control and Complications Trial Research Group. N Engl J Med 1993 ; 329 : 977-86. 3. Tight blood pressure control and risk of macrovascular and microvascular complications in type 2 diabetes: UKPDS 38. UK Prospective Diabetes Study
* Bulletin d’abonnement en page 246
Group. BMJ 1998 ; 317 : 703-13. 4. ACCORD Study Group, ACCORD Eye Study Group, Chew EY et al. Effects of medical therapies on retinopathy progression in type 2 diabetes. N Engl J Med 2010 ; 363 : 233-44. 5. http://reseau-ophdiat.aphp.fr 6. Erginay A, Chabouis A, Viens-Bitker C et al. OPHDIAT: quality-assurance programme plan and performance of the network. Diabetes Metab 2008 ; 34 : 235-42. 7. http://opc.asso.fr