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Lésions rétiniennes périphériques Lesquelles devraient être traitées au laser ? Dr Sophie Bonnin*

introduction Les lésions rétiniennes périphériques existent à partir de l’adolescence et progressent avec l’âge. Ces anomalies sont fréquentes et la plupart sont anodines mais certaines prédisposent aux déchirures puis au décollement de rétine. Envisager le traitement de ces lésions constitue donc une mesure de prophylaxie d’un éventuel décollement de rétine. Par ailleurs, la nécessité de l’examen régulier de la périphérie rétinienne des myopes fait partie des rares mesures de prévention en ophtalmologie connues même du grand public. Si ce sujet est parfois encore source de polémique, la connaissance des lésions et de leurs risques potentiels justifie une attitude thérapeutique standardisée. Nous tenterons donc, après une description rapide des différentes lésions périphériques en fonction de leur potentiel rhegmatogène, d’établir une prise en charge systématisée, en fonction de la symptomatologie et des facteurs de risque.

Le potentiel rhegmatogène des lésions périphériques

La survenue d’un décollement de rétine résulte de la conjonction de plusieurs facteurs dont la présence d’une anomalie de la jonction vitréorétinienne, mais ce terme généraliste ne doit pas faire penser que toutes les lésions périphériques peuvent favoriser un décollement. En effet, des variations congénitales de la périphérie rétinienne (dents et baies de l’ora, complexes méridiens et touffes kystiques) aux dégénérescences vitréorétiniennes (palissades, blanc sans pression, givre), en *Service d’Ophtalmologie du Pr Massin, Hôpital Lariboisière, Paris

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passant par les lésions intrarétiniennes (dégénérescences microkystiques, rétinoschisis acquis et kystes de la pars plana), choriorétiniennes (dégénérescences pavimenteuses et pigmentaires) sans oublier les trous et les déchirures (trous ronds atrophiques, déchirures en “fer à cheval”, dialyses à l’ora, déchirures géantes…), l’examen de la périphérie rétinienne laisse parfois quelques interrogations (1).

Les lésions fréquentes ne favorisant pas le décollement de rétine

Nous pouvons retenir que certaines lésions fréquentes ne favorisent pas le décollement de rétine.

❚❚Les dégénérescences pavimenteuses Ainsi, les dégénérescences pavimenteuses (Paving stone or Cobblestone, Degeneration), concernent 22 % des individus de plus de 20 ans. Ces lésions, retrouvées le plus souvent dans le quadrant inférieur, apparaissent blanches jaunâtres et sont parfois surmontées d’une hypertrophie de l’épithélium pigmentaire. Celles-ci ne sont jamais le site de déchirures rétiniennes primaires, même s’il a été rapporté des déchirures rétiniennes secondaires en cas de décollement de rétine causé par une déchirure d’autre origine entraînant une traction au niveau de la lésion. Ces cas sont très rares et, en général, cette zone de dégénérescence limite même l’extension du décollement. Ces lésions ne nécessitent donc aucun traitement préventif. ❚❚Les hyperplasies et hypertrophies de l’épithélium pigmentaire De même, on observe fréquemment au fond d’œil des hyperplasies et des hypertrophies de l’épithélium pigmentaire (retinal pigment epithelial hyperplasia or hypertrophy). Les hyperplasies de l’Épithélium pigmentaire (EP) peuvent résulter d’une prolifération anormale des cellules de l’EP en cas de traction chronique de bas grade, tandis que l’hypertrophie de l’EP acquis est une

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Lésions rétiniennes périphériques

modification dégénérative liée à l’âge qui survient communément en périphérie, souvent en un motif réticulaire. Là encore, ces lésions ne favorisent pas le décollement de rétine. ❚❚Les dégénérescences microkystiques typiques ou réticulées En ce qui concerne les dégénérescences microkystiques typiques ou réticulées (peripheral cystoid degeneration), l’absence de potentiel rhegmatogène évolutif n’indique aucune prévention par photocoagulation laser. Au total, ces lésions fréquentes et bénignes ne doivent pas faire envisager de traitement préventif.

Les lésions fréquentes favorisant le décollement de rétine

À l’opposé, certaines lésions sont reconnues comme prédisposant au décollement de rétine. Ainsi, les dégénérescences palissadiques (lattice degenerations) sont associées à 20 % des décollements de rétine. Ces anomalies de la surface vitréorétinienne, petites plages jaunâtres d’orientation circonférentielle, comme posées sur la rétine, sont composées d’un réseau de lignes blanches entrecroisées, d’orientation radiaire ou circonférentielle, de petits dépôts blancs granuleux et d’amas pigmentaires (2) (Fig. 1). Elles correspondent à des taux variables d’atrophie des couches de la rétine interne, associée à une condensation et une adhérence du vitré au niveau de la lésion (anomalie de l’interface vitréorétinienne). Les trous atrophiques et les déchirures au niveau des palissades pourraient provenir de cet amincissement extrême des couches

Figure 1 - Dégénérescence palissadique.

internes. Les dégénérescences palissadiques sont retrouvées chez 6 à 10 % de la population générale, et même bilatérales chez un tiers à un quart des patients affectés, elles doivent donc être évaluées dans le contexte ophtalmologique de risque rhegmatogène de chaque patient. En effet, bien que des palissades soient retrouvées dans 20 à 30 % des yeux présentant un décollement de rétine, peu de patients ayant des dégénérescences palissadiques développent un décollement de rétine : en fait moins de 1 % de ces patients (3). Le traitement est donc recommandé seulement en présence de facteurs de risque associés (décollement de rétine de l’œil adelphe, chirurgie du cristallin, myope fort ou vitrectomie). En pratique, même dans les cas où le laser est réalisé, la déchirure peut provenir d’une zone adjacente au bord du laser, annihilant l’effet prophylactique de la photocoagulation. Ceci rappelle

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que la réalisation d’un traitement prophylactique par laser ne protège pas à 100 % de la survenue d’un décollement de rétine. En effet, les dégénérescences palissadiques conduiront à un décollement de rétine soit par une déchirure tractionnelle au niveau des bords postérieurs ou latéraux des palissades ou, moins souvent, par un trou atrophique dans la zone palissadique (cas de patients plutôt jeunes, myopes, asymptomatiques, sans que la fixation soit impliquée et sans décollement du vitré). Ces trous atrophiques causés par l’atrophie des couches internes ne font donc pas appel à un mécanisme de traction vitréenne et, de ce fait, ne se compliquent que rarement de décollement de rétine : ils ne nécessitent donc pas de traitement préventif systématique. Notons que les dégénérescences givrées sont des variantes des dégénérescences palissadiques. 43


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Les excroissances rétiniennes périphériques

Ce sont des lésions constitutio­n­ nelles, indépendantes de la réfraction. ❚❚Les Cystic retinal tufts Ce sont des élévations blanchâtres souvent équatoriales, fréquemment associées à une petite prolifération pigmentaire à leur base (2). Elles correspondent à des petites aires focales périphériques d’hyperplasie gliale et l’adhérence vitréorétinienne forte au niveau de ces lésions pourrait être responsable de la survenue de déchirures à cet endroit. Les déchirures liées à cette attache anormale seraient responsables de 10 % des décollements de rétine, mais les lésions sont présentes à la naissance chez 5 % de la population. Sachant que le risque de développer un décollement de rétine au niveau de ces lésions est d’environ 0,28 %, un traitement prophylactique n’est pas indiqué (4). ❚❚Les Zonular Traction Tufts Elles correspondent à un déplacement postérieur d’une partie de la zonule épaissie résultant en une projection sur la rétine antérieure. Ces lésions prédominantes dans le quadrant nasal seraient présentes chez 15 % de la population et bilatérales dans 15 % des cas (série autopsique). Elles seraient responsables de 6 % des décollements de rétine. Cependant, les déchirures au niveau de ces lésions sont souvent cliniquement insignifiantes et les décollements de rétine localisés et non progressifs. Un traitement prophylactique n’est donc pas recommandé (2). ❚❚Les déchirures rétiniennes Enfin, de façon indiscutable, les déchirures rétiniennes (défects de pleine épaisseur de la rétine neuro-sensorielle) peuvent permettre 44

Figure 2 - Déchirure rétinienne.

au vitré liquéfié d’envahir l’espace potentiel entre la rétine neurosensorielle et l’épithélium pigmentaire, et donc entraîner un décollement de rétine rhegmatogène (Fig. 2). Celles-ci ont des formes diverses : à clapet ou en fer à cheval, déchirures rétiniennes géantes (s’étendant sur plus de 90 degrés de circonférence), opercules (trous à opercule), dialyses… Les déchirures à clapet surviennent quand une bande de rétine est tirée en avant par une traction vitréorétinienne, alors que les trous à opercule résultent de la traction d’une petite pièce de rétine complètement libre de la surface de rétine adjacente. Ces déchirures seront donc les lésions à rechercher de façon systématique en présence de décollement postérieur du vitré.

Le décollement postérieur du vitré

Ceci nous rappelle que l’indication de traitement des lésions rétiniennes est souvent posée en raison d’une symptomatologie aiguë, c’est-à-dire quand le patient

rapporte des photopsies ou des corps flottants (myodésopsies). La recherche de signes adjuvants comme du pigment vitréen peut orienter l’examen : en effet, 50 à 70 % des patients ayant une hémorragie intravitréenne associée ont des déchirures rétiniennes, alors qu’on ne retrouve des déchirures que chez 10 à 12 % des patients n’ayant pas d’hémorragie intravitréenne simultanée (5).

La prise en charge

Nous retiendrons donc la prise en charge ci-après (6). ❚❚Les déchirures rétiniennes symptomatiques Elles sont communément traitées de façon prophylactique. En effet, environ 15 % des yeux avec un décollement postérieur du vitré symptomatique présentent une ou plusieurs déchirures, et celles-ci sont à haut risque de décollement de rétine (7). Les trous à opercule sont moins à risque de décollement car il n’y a pas de traction résiduelle sur la rétine adjacente ; un traitement n’est

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Lésions rétiniennes périphériques

donc pas indispensable. Cependant, si l’examen à la lampe à fente révèle une traction vitréenne persistante sur les marges du trou, il devient comparable à une déchirure à clapet et une prophylaxie doit être considérée. De même, un trou large, une localisation supérieure ou la présence d’hémorragie vitréenne peuvent justifier une prophylaxie. Les trous atrophiques sont souvent des découvertes fortuites chez un patient présentant un décollement postérieur du vitré. En absence de traction, un traitement n’est pas requis. ❚❚Les déchirures rétiniennes asymptomatiques En cas de déchirures rétiniennes asymptomatiques, le traitement n’est pas systématique car les déchirures à clapet asymptomatiques entraînent rarement un décollement de rétine. Pour certains auteurs (American Academy of Ophthalmology), elles ne seraient généralement pas traitées chez l’œil emmétrope et phaque. Cependant, en cas de dégénérescences palissadiques associées, de myopie, d’aphakie ou de décollement de rétine de l’œil adelphe, le risque de décollement de rétine est augmenté et le traitement doit être reconsidéré. De façon générale, le traitement d’une déchirure même asymptomatique ne sera pas critiqué en France. Les opercules et trous atrophiques asymptomatiques, eux, n’entraînent que rarement un décollement de rétine et ne sont généralement pas traités.

À retenir • Les lésions rétiniennes périphériques sont fréquentes et la plupart ont un risque rhegmatogène très faible voire absent. • Les déchirures rétiniennes symptomatiques sont traitées de façon systématique. • Les déchirures rétiniennes asymptomatiques peuvent être traitées, notamment en cas de facteur de risque rhegmatogène associé (myopie forte, aphakie ou décollement de rétine de l’œil adelphe). • La présence de lésions palissadiques, avec ou sans trou atrophique, ne requiert pas de prophylaxie en absence d’autres facteurs de risque rhegmatogène. • Le laser prophylactique ne protège pas à 100 % de la survenue d’un décollement de rétine.

❚❚La présence de palissades Enfin, la présence de palissades avec ou sans trou atrophique, ne requiert pas de prophylaxie en l’absence d’autres facteurs de risque. Ces lésions surviennent dans 6 à 10 % des yeux et sont retrouvées dans 20 à 30 % des yeux avec un décollement de rétine. Les données disponibles sont limitées mais une étude de 11 ans de suivi (3) d’yeux présentant des dégénérescences palissadiques non traitées montrait la survenue d’un décollement de rétine dans 1 % des cas. Là encore, l’association à une myopie forte ou à un décollement de rétine de l’œil adelphe, la présence de déchirures à clapet ou l’aphakie sont des facteurs de risque et suggèrent un traitement prophylactique.

Conclusion

Le traitement systématique prophylactique du décollement de rétine ne s’applique donc qu’aux déhiscences secondaires à un décollement postérieur du vitré symptomatique. Dans le cas de

lésions dégénératives vitréo­ rétiniennes comme les palissades (ou le givre), le traitement prophylactique s’envisage chez les patients ayant des antécédents de décollement de rétine de l’œil adelphe. En pratique, il faut faire un arbitrage avec les connaissances disponibles : l’examen de la périphérie des personnes à haut risque, dont les myopes surtout à l’âge du décollement postérieur du vitré ou en présence de symptômes, semble raisonnable. En cas de lésion identifiée, leur traitement permet de réduire le risque de décollement. Cependant, il reste essentiel d’informer le patient des symptômes devant l’amener à consulter, et surtout de le prévenir de la nécessité d’une surveillance ultérieure car le risque de décollement de rétine n’est pas totalement réduit à néant n par le traitement.

Mots-clés : Lésions rétiniennes périphériques, Laser, Déchirures, Décollement, Rhegmatogène

Bibliographie 1. Berrod J-P, Conart J-B. Lésions dégénératives de la périphérie rétinienne. EMC - Ophtalmol 2013 ; 10 : 1-12. 2. Lewis H. Peripheral retinal degenerations and the risk of retinal detachment. Am J Ophthalmol 2003 ; 136 : 155-60. 3. Byer NE. Long-term natural history of lattice degeneration of the retina. Ophthalmology 1989 ; 96 : 1396-1401 ; discussion 1401-2. 4. Byer NE. Cystic retinal tufts and their relationship to retinal detachment. Arch Ophthalmol 1981 ; 99 : 1788-90. Pratiques en Ophtalmologie • Février 2014 • vol. 8 • numéro 71

5. Byer NE. Natural history of posterior vitreous detachment with early management as the premier line of defense against retinal detachment. Ophthalmology 1994 ; 101 : 1503-14. 6. Ophthalmology AA of. 2010-2011 Basic and Clinical Science Course Complete Set. American Academy of Ophthalmology ; 2010. 7. Byer NE. What happens to untreated asymptomatic retinal breaks, and are they affected by posterior vitreous detachment? Ophthalmology 1998 ; 105 : 1045-9 ; discussion 1049-50.

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