EULAR 2013 : L’essentiel du congrès
Focus sur la rhumatologie pédiatrique Stratégie thérapeutique de l’AJI polyarticulaire n Une étude de phase III présentée à l’EULAR nous apprend que le tocilizumab prend place dans la stratégie thérapeutique de l’arthrite juvénile idiopathique polyarticulaire (1). Explications…
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13 JUIN
Pr Isabelle Koné-Paut*
L’arthrite juvénile idiopathique polyarticulaire en clinique
L’
arthrite juvénile idiopathique (AJI) polyarticulaire est définie par des arthrites touchant cinq articulations ou plus dans les six premiers mois d’évolution. Il en existe deux groupes : - les formes avec un facteur rhumatoïde de type IGM positif (retrouvé à deux occasions à 3 mois d’intervalle), représentant 2 à 7 % des AJI, qui touchent surtout des filles après l’âge de 10 ans, - les formes séronégatives, représentant 11 à 28 % des AJI, qui touchent aussi plus les filles avec un pic entre 2 et 4 ans et un pic entre 6 et 12 ans (2) (Tab. 1). Les formes avec FR se présentent habituellement avec des arthrites symétriques des doigts avec un potentiel d’érosions très précoces et, beaucoup plus rarement, par des arthrites asymétriques à début oligoarticulaire (Fig. 1). L’évolution des formes avec FR est souvent
*Service de pédiatrie générale, rhumatologie pédiatrique, Centre de référence des maladies auto-inflammatoires, CHU de Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre isabelle.kone-paut@bct.aphp.fr
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Tableau 1 – Les différents sous-types d’AJI, d’après (2). Type d’arthrite juvénile
Fréquence
Âges
Répartition/ sexe
Arthrite systémique
4-17 %
Tous âges
F=G
Oligoarthrite
27-56 %
Pic 2-4 ans
F >>> G
Polyarthrite FR+
2-7 %
Préadolescence
F >> G
Polyarthrite FR-
11-28 %
2-4 et 6-12 ans
F >> G
Arthrite/enthésite
3-11 %
Préadolescence et adolescence
G >> F
Arthrite psoriasique
2-11 %
2-4 et 9-11 ans
-
Indifférenciée
11-21 %
-
-
Figure 1 – Arthrite juvénile polyarticulaire avec FR (collection Dr S. Guillaume).
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érosive et déformante avec dans les 5 ans suivant le début une atteinte destructrice des mains et des pieds. Les formes sans FR sont très hétérogènes par leur présentation et leur évolution. Certaines se présentent comme des polyarthrites asymétriques avec présence d’anticorps anti-nucléaires avec un risque élevé de survenue d’uvéite antérieure chronique qui
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formes sèches très enraidissantes, parfois prises pour des maladies neurologiques, sans FR et sans AAN et sans syndrome inflammatoire biologique. Elles sont souvent résistantes au traitement. Les AJI systémiques (AJIs) devenues polyarticulaires avec disparition des signes systémiques restent des AJIs et ne rentrent donc pas dans le groupe des AJI polyarticulaires.
Prise en charge actuelle de l’AJI polyarticulaire
Les dernières recommandations ACR 2011
Elles ont défini des critères de mauvais pronostic et des critères d’activité des AJI polyarticulaires (3). Les critères de mauvais pronostic sont, un parmi : - arthrite atteignant la hanche ou le rachis cervical ; - FR+ ou anti CCP+ ; - érosions ; - pincement articulaire en radiologie conventionnelle. Les niveaux d’activité sont définis comme suit : - faible (tout présent) : 4 arthrites actives ou moins, VS et CRP normales, EVA globale médecin < 3/10 et parents/patient < 2/10 ; - modérée : 1 ou 2 éléments compatibles avec activité faible mais moins de 3 éléments d’activité élevée ; - forte (au moins 3 de) : 8 ou plus articulations actives, CRP ou VS à plus de 2 fois la normale, EVA globale médecin ≥ 7/10, EVA globale patient/parent ≥ 5/10. En l’absence d’élément de mauvais pronostic et en cas de faible niveau d’activité, les anti-inflammatoires non stéroïdiens peuvent être pres156
les rapprochent des oligoarthrites étendues avec AAN. Ces deux entités ne sont d’ailleurs peut-être pas à distinguer car elles posent les mêmes problèmes ophtalmologiques. D’autres se présentent sans facteur FR ni AAN et ressemblent beaucoup aux formes symétriques de l’adulte avec souvent une VS élevée. Le dernier groupe beaucoup plus exceptionnel est constitué de
crits en première intention. S’il persiste au moins un niveau d’activité faible après 1 à 2 mois de suivi, on introduit alors un traitement par méthotrexate. Chez l’enfant à la dose de 10 mg/m2/semaine, associée à une prise hebdomadaire d’acide folique ou folinique de 5 mg à prendre le lendemain du méthotrexate. En cas d’activité haute ou de facteur de mauvais pronostic il est conseillé de démarrer du méthotrexate d’emblée et de juger au bout de trois mois d’évolution. Si l’activité reste haute ou si elle reste modérée ou basse avec des facteurs de mauvais pronostic, on passe à une biothérapie par anti-TNF, si échec d’un premier anti-TNF au bout de 3 mois on passe à un deuxième antiTNF ou à l’abatacept.
En pratique, depuis ces recommandations
Un enfant présentant une forme avec mauvais pronostic et/ou des signes élevés d’activité haute et/ou des douleurs insomniantes avec dérouillage matinal très important peut bénéficier d’emblée d’une biothérapie avec association ou non au méthotrexate. Les études pédiatriques par données de registre pour l’etanercept et lors de l’étude
pivot avec l’adalimumab ont montré une supériorité d’efficacité, mais pas toujours significative, de l’association du méthotrexate à l’anti-TNF, comparativement à l’anti-TNF seul (4, 5). L’association entraîne plus d’effets secondaires infectieux et pourrait augmenter un peu le risque de néoplasies. Une corticothérapie faible sera souvent utile pendant 2 à 3 semaines pour passer le cap le plus difficile avant le début de l’action des traitements de fond. Il faut savoir que cette attitude reste pour l’instant en dehors de l’AMM pour les antiTNF en pédiatrie qui ne sont en règle générale à prescrire qu’en cas d’intolérance ou d’inefficacité du méthotrexate. L’etanercept a une AMM à partir de 2 ans à une posologie de 0,8 mg/kg/semaine. Il se présente sous forme de poudre à reconstituer Enbrel® pédiatrique à 10 mg, de poudre à reconstituer et de seringue préremplie à 25 mg, de seringue préremplie et de stylo à 50 mg. L’adalimumab a une AMM à partir de 4 ans, et se présente sous une forme Humira® pédiatrique à 40 mg, accompagnée d’un tableau de correspondance entre le poids et le volume à injecter en ml qui correspond à une Rhumatos • Juin 2013 • vol. 10 • numéro 89
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dose de 24mg/m2 en injection sous cutanée tous les 15 jours. L’injection est douloureuse et nécessite un réchauffement préalable du produit à l’air ambiant pendant 30 minutes et l’application locale de pommade Emla®. Quand l’effet est obtenu avec la biothérapie, on essaie alors d’arrêter le méthotrexate. On peut aussi tenter l’arrêt de la biothérapie si le patient a atteint les critères de rémission complète (pas d’articulation active et pas d’inflammation biologique). Dans cette situation, environ la moitié des patients reste en rémission prolongée et l’autre moitié rechute. Il n’y a pas de règle absolue et aucune étude qui permette pour l’instant de comparer le passage à un autre anti TNF avec le passage à une autre biothérapie comme l’abatacept qui a reçu une AMM pour les patients à partir de 6 ans avec une AJI polyarticulaire, ou sous peu le tocilizumab qui vient de recevoir un agrément par la FDA pour le traitement de l’AJI polyarticulaire, après les résultats de l’étude pivotale, présentée cidessous.
L’étude CHERISH
Les anti-IL-6 (tocilizumab) sont récemment arrivés dans le traitement de l’AJI systémique, et ont montré des résultats très intéressants sur les arthrites, avec à la semaine 52 de l’étude TENDER, 50 % des patients en rémission
articulaire (6). L’étude CHERISH a été lancée pour confirmer l’efficacité articulaire du tocilizumab (TCZ) chez les enfants avec AJI polyarticulaire (non systémique). ❚❚Schéma de l’étude Il s’agit d’une étude de phase III randomisée durant 2 ans (104 semaines) qui évalue l’efficacité du tocilizumab chez des patients de 2 à 17 ans avec une AJI et une polyarthrite évoluant depuis plus de 6 mois, et ayant été résistante au traitement par méthotrexate. Les catégories d’AJI concernées étaient les polyarthrites avec FR, sans FR, et les oligoarthrites étendues. Cette étude incluant de façon compétitive 2 types de patients, 1/3 ayant déjà reçu une biothérapie, et 2/3 de patients naïfs de toute biothérapie. Le TCZ a été donné en ouvert pendant 16 semaines, à une dose de 8 mg/kg toutes les 4 semaines chez les patients de plus de 30 kg (n = 119) et soit à 8mg/kg [n = 34] soit à 10mg/kg (n = 35) chez ceux de moins de 30 kg. À la semaine 16, les patients répondeurs à au moins l’ACR30, ont été randomisés pour recevoir du médicament actif ou du placebo. Les patients complétant la phase d’aveugle ou présentant une rechute entrent dans la phase d’extension en ouvert. ❚❚Résultats Les résultats exposés sont ceux à la semaine 40. 188 patients dont 77 %
de filles ont été inclus dans la phase en ouvert. 22 patients sont sortis de l’étude pour inefficacité (15 : 8 %) ou intolérance (3 : 2 %). 166 sont entrés dans la phase en double aveugle. À la semaine 40, le premier critère d’évaluation a été atteint (48,1 % TCZ pts vs 25,6 % placebo pts), et les réponses ACR30/50/70 ont été significativement plus élevées chez les patients recevant du TCZ que chez ceux recevant du placebo. Dans le groupe traité avec du TCZ, c’est le groupe d’enfants de moins de 30 kg traités à 8 mg/kg qui a le moins bien répondu. Les effets secondaires sont restés mineurs dans cette étude et conformes à ceux déjà connus pour le produit. Les résultats de cette étude permettent de prouver que le TCZ est efficace pour l’AJI polyarticulaire. Des analyses supplémentaires sont nécessaires pour comparer les groupes naïfs et en échec de biothérapie. La dose de 10 mg/kg semble nécessaire pour les patients de moins de 30 kg. Un communiqué de presse du laboratoire (www. roche.com/med-cor-2013-04-30-f. pdf) nous indique que le TCZ a reçu un agrément par la FDA pour le traitement de l’AJI polyarticulaire avec ou sans méthotrexate. n
Mots-clés : AJI polyarticulaire, Stratégie thérapeutique
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