Rh90 p178

Page 1

BIllet d’humeur

Traitements de fond de l’arthrose : coupables ou victimes ? Dr Thierry Conrozier*

L

’avis défavorable au maintien du remboursement des anti-arthrosiques symptomatiques d’action lente (AASAL) prononcé par la Commission de transparence (CT) de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), le 9 janvier 2013, en raison d’un « intérêt clinique insuffisant », et la décision récente de la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDIMTS) d’attribuer un service médical rendu « insuffisant » aux viscosuppléments à base d’acide hyaluronique (AH), ont créé un sentiment de malaise très légitime, tant chez les rhumatologues, que chez les patients à qui ces traitements sont régulièrement prescrits depuis plus de 20 ans, sur la base des recommandations de la plupart des sociétés savantes spécialisées dans ce domaine (1-7). Déjà en 2012, l’American College of Rheumatology avait retiré l’usage des AASAL de la liste de ses recommandations (8), ce qui avait motivé une réponse de la section Arthrose de la Société Française de Rhumatologie (9), arguant que le rapport bénéfice-risque de ces traitements justifiait pleinement leur utilisation. Devant ces controverses et les conséquences prévisibles d’un déremboursement des AASAL et de l’AH (recours accru à d’autres traitements plus coûteux et/ou plus dangereux, perte de crédibilité des rhumatologues), on est en droit de se poser deux questions essentielles : • les traitements anti-arthrosiques, bien que très largement utilisés, sont-ils réellement utiles ? • les autorités de santé ne font-elles pas fausse route et ne faudrait-il pas complètement « repenser » la place des AASAL dans la prise en charge médicamenteuse de l’arthrose ?

Les AASAL et l’AH sont-ils utiles dans le traitement de l’arthrose ? « Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage » Molière La décision de la CT concernant les AASAL (« Ils *Service de rhumatologie, centre hospitalier de Belfort-Montbéliard, 90000 Belfort, tconrozier@chbm.fr

178

n’empêchent pas la dégradation articulaire »/« Leurs effets sur la douleur et la gêne fonctionnelle sont minimes et de pertinence clinique discutable »/« Le service médical rendu est insuffisant pour justifier leur prise en charge par la solidarité nationale ») est fondée essentiellement sur les résultats de l’étude observationnelle PEGASE (10), réalisée à sa demande, dont l’objectif était de démontrer que les AASAL permettaient de réduire la consommation d’AINS. 4 555 patients atteints de gonarthrose ou coxarthrose, traités ou non par AASAL (diacerhéine, chondroïtine sulfate [CS] et insaponifiable d’huile d’avocat et d’huile de soja [IAS]), ont été inclus et suivis pendant une moyenne de 9,7 mois. Les conclusions en étaient que près de 30 % des patients (jusqu’à 45 % pour la diacerhéine) n’étaient pas observants et qu’il n’y avait pas de différence de consommation d’AINS entre les groupes traités ou non par AASAL. Pourtant de nombreuses études randomisées avaient préalablement montré l’efficacité antalgique, modérée mais significative, de la CS et de la glucosamine sulfate (GS) (11-13). Une récente étude randomisée en double aveugle (14) comparant le sulfate de chondroïtine (CS : 1 200 mg par jour) au placebo chez 353 patients atteints de gonarthrose, montrait qu’après 3 mois de traitement, l’indice algofonctionnel de Lequesne (IAL) avait diminué de façon plus importante dans le groupe CS que dans le groupe placebo (-3,7 points versus -1,5 point, p < 0,0001). La conclusion de la CT concernant cette étude a été que, bien que très significative, cette différence de 2,2 points sur une échelle de 0 à 24 points était « de pertinence clinique minime ». On peut clairement contester cette interprétation puisque l’IAL moyenne était, dans cette étude de 11,4 points, conforme à ce qui est rapporté dans ce type d’étude (entre 9 et 11 points en moyenne) (15) et que la réduction de l’IAL correspondait à une amélioration de 32,4 % dans le groupe CS contre 13,4 % dans le groupe placebo. Les membres de la CT semblent ignorer que la valeur Rhumatos • Septembre 2013 • vol. 10 • numéro 90


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.