1 Douleur tendineuse Etiologie n Les mécanismes qui sont responsables de l’apparition des douleurs lors de tendinopathies sont encore méconnus. Plusieurs hypothèses sont actuellement étudiées. Pr Martin Lamontagne*
A
fin d’optimiser la prise en charge des tendinopathies, il apparaît primordial de mieux comprendre les processus physiopathologiques pouvant induire une douleur tendineuse. Les mécanismes expliquant la genèse de la douleur lors de tendinopathies ne demeurent encore de nos jours que partiellement élucidés. Bien que plusieurs hypothèses aient été émises, il persiste toujours des incertitudes quant à la réelle origine de cette douleur tendineuse. Il est probable que ces hypothèses ne soient pas mutuellement exclusives et que seule l’intégration de celles-ci permette d’expliquer cette réelle étiologie.
L’hypothèse inflammatoire
Historiquement, le terme “tendinite” était utilisé pour décrire une douleur chronique en lien avec un tendon symptomatique, impliquant que l’inflammation était au cœur du processus pathologique. Ainsi cette douleur était expliquée par la présence de ces phénomènes inflammatoires au sein du tendon lui-même. Or, la majorité des études histopathologiques portant sur des ruptures tendineuses, sur *Physiatre au centre hospitalier universitaire de Montréal et professeur adjoint de clinique, Faculté de médecine, Université de Montréal, Canada
Rhumatos • Octobre 2013 • vol. 10 • numéro 91
des tendinopathies opérées ou lors de biopsies, n’ont pas permis de mettre en évidence la présence de cellules inflammatoires ou une augmentation des marqueurs inflammatoires. De plus, par la technique de microdialyse intratendineuse, Alfredson n’a pas pu démontrer de majoration de la concentration in vivo de PGE2 au sein des tendons dégénérés. Ainsi, ces études tendent à discriminer l’hypothèse de médiateurs inflammatoires comme agents responsables de la douleur tendineuse. Or, dans les dernières années, quelques études utilisant d’autres marqueurs d’inflammation tendent à confirmer la présence d’un processus inflammatoire dans les tendinopathies. Ainsi, il demeure difficile de rejeter c o m p l èt e m e n t l ’ hy p ot h è s e de médiateurs chimiques inflammatoires pour expliquer les douleurs de la tendinopathie, du moins dans la phase initiale du processus de tendinopathie. Toutefois, il semble plus clairement établi que l’exercice physique induit une réponse inflammatoire intratendineuse de courte durée.
l’hypothèse biomécanique
Dans le modèle biomécanique, on
considère que les fibres de collagène intactes sont indolores alors que l’altération de celles-ci (lors de tendinose ou de rupture) est douloureuse. La séparation des fibres de collagène entraînerait une stimulation des fibres nociceptives, au même titre que lors de lésions traumatiques, telles qu’une entorse (atteinte des fibres de collagène du ligament : étirement ou déchirure) ou lors d’une rupture tendineuse aiguë (atteinte des fibres collagènes du tendon). Ces lésions génèrent une douleur immédiate, bien avant que les phénomènes inflammatoires soient mis en branle. Cela supporte bien l’hypothèse selon laquelle le simple bris de fibres ou de faisceaux collagéniques puisse entraîner une douleur. La douleur serait liée à la lésion et non à son processus de réparation. Toutefois, plusieurs éléments ne peuvent être expliqués par cette hypothèse : • les anomalies asymptomatiques retrouvées à l’échographie ou en résonance magnétique ; • les découvertes histologiques asymptomatiques ; • le peu de corrélation entre l’intensité de la douleur et l’importance de l’atteinte du collagène du tendon ; • l’efficacité du traitement chirur217
DOSSIER
RETOUR EXCLUSIF du Congrès de la sims
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gical par peignage du tendon qui consiste à créer de réelles séparations des fibres de collagène ; • l’absence de douleurs tendineuses chez certains patients suite à un prélèvement d’une partie du tendon rotulien lors d’une ligamentoplastie du ligament croisé antérieur. À la lumière de ces différentes études, il apparaît évident que l’atteinte collagénique ne permet pas d’expliquer, à elle seule, la douleur tendineuse.
L’hypothèse biochimique
Une autre hypothèse, plus récemment développée, stipule que cette douleur tendineuse serait en lien avec une stimulation biochimique des nocicepteurs. Des substances biochimiques, issues du tendon endommagé, stimuleraient les récepteurs nociceptifs dans ou autour du tendon, créant ainsi une symptomatologie douloureuse. Parmi les substances les plus susceptibles d’être reliées à la douleur tendineuse, on retient la substance P et le peptide lié au gène de la calcitonine (CGRP), deux neuropeptides, qui sont retrouvés en plus grande concentration dans les tendons dégénérés que dans les tendons sains. La substance P est bien connue comme ayant des fonctions de neurotransmetteur excitateur. Elle agirait sur les terminaisons des fibres nociceptives périphériques libres, elles-mêmes étant plus abondantes dans la tendinopathie (néo-innervation). Le glutamate est un autre neurotransmetteur excitateur dont la concentration a été démon218
trée augmentée dans les tendinopathies. De plus, les analyses immunohistologiques ont montré la présence de récepteurs au glutamate (récepteurs NMDAR1) dans les structures nerveuses tendineuses. Ainsi, le glutamate pourrait également être impliqué dans la genèse de la douleur tendineuse.
Le système cholinergique
Plus récemment, il a été démontré une surexpression du système cholinergique par le biais de l’expression de récepteur muscariniques (M2) et de l’acétylcholinestérase dans les ténocytes affectés par de la tendinopathie. Ainsi, l’acétylcholinestérase pourrait avoir un rôle à jouer dans la modulation de la nociception périphérique au sein du tendon.
L’hypothèse centrale
Dans des modèles animaux, certains auteurs ont pu démontrer des caractéristiques typiques de tendinopathie sur le tendon d’Achille controlatéral à celui que l’on avait soumis à des exercices et de l’électrostimulation répétés, laissant présager l’implication potentielle de mécanismes centraux neuronaux, du moins dans la physiopathologie de la tendinopathie. De plus, Alfredson a observé, suite à une chirurgie sur le tendon d’Achille, une réponse thérapeutique sur le tendon controlatéral (non opéré mais également affecté). L’hypothèse émise par l’auteur est que l’activation des afférences primaires d’un côté entraînerait secondairement une activation
des afférences homologues controlatérales. Ainsi, il s’agirait plutôt d’un mécanisme neurogénique que d’un phénomène systémique.
conclusion
Dans l’état actuel des connaissances, on peut penser que des événements traumatiques et microtraumatiques répétés sur le tendon pourraient induire une cascade d’événements incluant la production d’agents proinflammatoires : cytokines (IL6, IL-8…), prostaglandines (ex. : PGE2), oxyde nitrique (NO), différents facteurs de croissance et différents neuropeptides (substance P, CGRP et glutamate). Ces médiateurs pro-inflammatoires induiraient une apoptose, l’élaboration de médiateurs à la douleur et des enzymes catalyseurs (MMP-1, MMP-2), entraînant une dégradation de collagène et des protéoglycanes, le tout provoquant à plus ou moins long terme la dégénérescence tendineuse et la symptomatologie douloureuse. n
Mots-clés : Douleur, Tendinopathie, Inflammation, Collagène, Substance P, Glutamate, Système cholinergique
Rhumatos • Octobre 2013 • vol. 10 • numéro 91