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la Pratique quotidienne en RHUMATOLOGie

Novembre 2013 • Volume 10 • n° 92 • 9 E

Dossier ARTHROSE

Première des maladies articulaires, dernière à bénéficier d’avancées significatives Coordonné par le Pr Bernard Mazières

1 Physiopathologie de l’arthrose : les mécanismes Pr Pascal Richette et Dr Thomas Funk-Brentano

2 Etat des lieux de l’arthrose et perspectives de nouveaux traitements Pr Xavier Chevalier

Immunogénicité desbiothérapies

Ce qu’il faut comprendre, ce qu’il faut retenir pour la pratique Pr Thierry Schaeverbeke

Entre le P et le Q Pour une médecine plus qualitative Le billet d’humeur du Pr Bernard Mazières

Le grand rendez-vous de la rhumatologie interventionnelle Compte rendu du 9e congrès du GRRIF Dr Michel Bodin

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la Pratique quotidienne en RHUMATOLOGie

Directeur de la publication : Dr Antoine Lolivier • Chef du Service Rédaction : Odile Mathieu • Rédactrice : Cécile Pinault • Secrétaire de rédaction : Fanny Lentz • Directrice de Fabrication et de Production : Gracia Bejjani • Assistante de Production : Cécile Jeannin • Maquette et ­Illustration : ­Erica Denzler • Directrice de clientèle/projets : ­Catherine Patary-Colsenet • Service abonnements : Claire Lesaint • Impression : ­Imprimerie de Compiègne 60205 Compiègne

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Comité scientifique Pr Bernard Augereau (Paris), Pr Bernard Bannwarth (Bordeaux), Pr Thomas Bardin (Paris), Pr Bernard Cortet (Lille), Dr Henri Dorfmann (Paris), Pr Jean-­Denis Laredo (Paris), Dr Catherine Marty (Garches), Pr Anne Redondo (Clichy), Dr Jacques ­Rodineau (Paris), Pr Christian Roux (Paris), Pr Richard Trèves (Limoges), Pr Pierre Youinou (Brest). Rhumatos est une publication ©Expressions Santé SAS

sommaire Novembre 2013 • Vol. 10 • N° 92

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n billet d’humeur

Entre le P et le Q . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 245 Pr Bernard Mazières (Toulouse)

n A SAVOIR

Immunogénicité des biothérapies Ce qu’il faut comprendre, ce qu’il faut retenir pour la pratique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 246

Pr Thierry Schaeverbeke (Bordeaux)

n Dossier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

ARTHROSE : premières des maladies articulaires, dernière à bénéficier d’avancées significatives Coordonné par le Pr Bernard Mazières

n Editorial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 256 Pr Bernard Mazières (Toulouse) n 1.Physiopathologie de l’arthrose Les mécanismess. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 259 Pr Pascal Richette et Dr Thomas Funck-Brentano (Paris)

n 2 . Etat des lieux de l’arthrose et perspectives de nouveaux traitements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 263 Pr Xavier Chevalier (Créteil)

n Echo des congrès

Le grand rendez-vous de la rhumatologie interventionnelle

Compte rendu du 9e congrès du GRRIF . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 270

Dr Michel Bodin (Griselles)

n Rendez-vous de l’industrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 273 n Bulletin d’abonnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 268

2, rue de la Roquette, Passage du Cheval Blanc, Cour de Mai - 75011 Paris Tél. : 01 49 29 29 29 - Fax : 01 49 29 29 19 E-mail : rhumatos@expressiongroupe.fr RCS Paris B 394 829 543 N° de Commission paritaire : 1116 T 85687 ISSN : 1771-0081 Mensuel : 10 numéros par an Revue indexée dans la base PASCAL Les articles de “Rhumatos” sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs. Toute reproduction, même partielle, sans le consentement de l’auteur et de la revue, est illicite et constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.

p. 255

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Assemblés à ce numéro : 2 bulletins d’abonnements (2 pages et 4 pages) Crédit de couverture : © Bernard Mazières


BIllet d’humeur

Entre le P et le Q Pr Bernard Mazières*

O

n dit toujours que l’Histoire est à un tournant. A ce titre, elle zigzague. C’est vrai de l’Histoire générale, comme de celle de la mé-

decine.

La tyrannie du P Le tournant médical actuel peut se caractériser ainsi : nous sommes passés � comme toujours, sans nous en rendre compte � de la médecine sémiologique à celle de l’épidémiologie, d’une médecine de l’individu malade à celle des masses malades, voire à celle de masses de malades. On ne s’intéresse plus aux symptômes d’une maladie, mais à ses facteurs de risque. C’est ainsi que j’ai lu récemment que le risque d’avoir un cancer lorsqu’on buvait était significativement augmenté. Qu’on en juge : pour un verre de vin par jour, il était écrit : « RR : 1,04 (IC 95 % : 1,01 – 1,06) avec p < 0,049 ». On décode ? Buvant un verre quotidien de vin de pays à mon dîner, j’ai donc 1 à 6 % de plus de risque relatif (RR) de développer un cancer que si je ne le buvais pas et cela est affirmé avec un risque de se tromper inférieur à 5 %, seuil considéré comme acceptable. Mais une autre enquête m’apprend que pour la même quantité de mon breuvage quotidien, mon risque cardio-vasculaire diminue non moins significativement « (p < 0,048) : RR à 0,92 (IC 95 % : 0,89 – 0,97) ». Les épidémiologistes sérieux (pléonasme ou oxymore ?) pondèrent en disant qu’un RR inférieur à 2 n’a guère de pertinence clinique. A 2 par contre… C’est mon risque relatif d’avoir une arthrose du genou si je suis un peu enveloppé (surcharge pondérale avec un IMC < 30 kg/m2). Donc, pesant 82 kg pour 1,76 m, j’ai deux fois plus de risque de développer une telle arthrose… que j’ai peut-être déjà, mais dont je ne souffre pas. Faut-il que je fasse une radio des genoux, Docteur ? Bref, nous raisonnons en terme de “petit p”, c’està-dire sous la contrainte de la “significativité” *Centre de rhumatologie, CHU Purpan, Toulouse

Rhumatos • Novembre 2013 • vol. 10 • numéro 92

statistique des données, ce qui est bien normal, la médecine étant probabiliste, mais qui est bien anxiogène, le risque zéro n’existant pas. Que peut conclure l’individu correctement cortiqué qui se promène sur internet et y découvre ces chiffres ? Qu’entre l’infarctus du myocarde et le cancer de la gorge, il faut choisir. En d’autres temps, entre la peste et le choléra…

L’émergence du Q Ayant conclu de tout cela que l’Homme est mortel, notre individu “normal” tombe en arrêt sur un questionnaire affiché sur la toile : à une question banale, il lui faut répondre par “blanc”, “gris” ou “noir”. C’est rafraîchissant de ne pas à avoir à chiffrer sa réponse. Certes, il a bien compris qu’il s’agit d’une échelle de Likert à trois items, mais il n’empêche… A quelques clics de là, il lit un magazine de psychologie où l’on décortique les mécanismes de notre psychisme et ses multiples nuances de gris, sans parler de la publicité faite à des livres sur les cinquante mêmes nuances de ce gris, plus ou moins claires, plus ou moins foncées. Comme si le Qualitatif, bien sûr avec un grand “Q”, se vengeait de la toute-puissance des chiffres. Dans le domaine médical, il est intéressant de noter une percée du Qualitatif au sein de notre magma de chiffres. Exemple, cette expérience faite l’été dernier en Hollande est significative (sans petit p) : une université d’été pour étudiants en médecine avait pour but de « développer un mouvement global international concernant les soins pour rassembler tous ceux qui, dans le monde, sont passionnés par ré-humaniser les soins ». Cet objectif énoncé par le fondateur du séminaire, le Dr Robin Youngson (1), en dit long sur l’état de notre art. Cette manifestation fut un franc succès, son application à la France est envisagée (2) : enfin l’émergence du Cœur ! n

Bibliographie 1. http://www.healthlss.com/ 2. http://joursavenir.wordpress.com/2013/03/21/une-ecole-dete-pourdes-pratiques-medicales-reflexives-responsables-et-en-dialogue/

245


à savoir

Immunogénicité des biothérapies Ce qu’il faut comprendre, ce qu’il faut retenir pour la pratique Pr Thierry Schaeverbeke*

Introduction

immunoglobulines polyvalentes (6).

Les biothérapies, et historiquement les anti-TNF, ont constitué une avancée majeure dans la prise en charge de la polyarthrite rhumatoïde. Cependant, tous les patients ne répondent pas de la même façon à ces différents traitements. En ce qui concerne les anti-TNF, les données issues des registres montrent qu’environ 20 à 30 % des patients ne répondent pas à un premier anti-TNF, et que, parmi les patients ayant initialement répondu à ce premier anti-TNF, une proportion de 20 à 30 % échappe au cours des deux premières années de traitement (1-3). Dans le même temps, de multiples études ont montré qu’en cas de perte d’efficacité d’un premier anti-TNF, l’augmentation de posologie ou l’utilisation d’un second antiTNF s’avérait efficace dans environ la moitié des cas, montrant que l’échec n’était pas lié à la cible thérapeutique (le TNF) et suggérant que la perte d’efficacité pouvait être la conséquence d’une immunisation vis-à-vis du traitement (4, 5). Ces dernières années, les données concernant l’immunogénicité des biothérapies se sont accumulées et des kits de dosages d’anticorps anti-biomédicaments ont été proposés aux rhumatologues… De quoi justifier une mise au point dans Rhumatos ! Par ailleurs, les travaux parmi les plus pertinents sur ce sujet proviennent de nos collègues tourangeaux, une raison de plus de s’intéresser à cette question passionnante.

Pourquoi les biomédicaments sont-ils immunogènes et non les traitements conventionnels ? Les biomédicaments sont des substances biologiques “étrangères” injectées de façon répétée à un patient. C’est exactement ce que l’on fait pour une vaccination : première injection d’une protéine ou d’une substance polysaccharidique étrangère, suivie d’injections de rappel. Ce phénomène s’observe beau*Département de rhumatologie, CHU de Bordeaux - Unité sous Contrat, Infections à Mycoplasmes et à Chlamydia chez l’Homme, Université Bordeaux Segalen

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coup plus fréquemment avec des biomédicaments qu’avec les médicaments conventionnels, car ce sont des molécules volumineuses, plus facilement identifiées par le système immunitaire. C’est un phénomène connu depuis longtemps avec bien d’autres substances biologiques employées en thérapeutique, comme l’insuline, l’érythropoïétine, les facteurs anti-hémophiliques, les enzymes de substitution employées dans les maladies génétiques comme la maladie de Gaucher ou la maladie de Fabry, les facteurs de croissance ou les

Ces anticorps anti-biomédicaments sont couramment dénommés ADAb, pour anti-drug antibodies.

L’immunisation vis-à-vis des antiTNF : presque tout avait été dit d’emblée lors des premiers essais de l’équipe de Maini ! Il est d’ailleurs intéressant de se remémorer que, si l’essentiel de la littérature rhumatologique consacrée à ce sujet est récente, le risque d’immunisation a été identifié dès les toutes premières utilisations des anti-TNF. Dès le début des années 1990, alors que les tout premiers patients atteints de polyarthrite rhumatoïde (PR) faisaient l’objet d’une évaluation d’un traitement anti-TNF (le cA2, qui deviendra l’infliximab) et que le traitement n’était pas administré de façon séquentielle mais à la rechute clinique, l’équipe de Maini avait noté que la répétition des injections se faisait à un rythme de plus en plus rapide, l’intervalle séparant l’administration du traitement de la rechute clinique se réduisant progressivement (Fig. 1). Les auteurs avaient suggéré d’emblée que ce phénomène Rhumatos • Novembre 2013 • vol. 10 • numéro 92


Immunogénicité des biothérapies

Cycle 2

Cycle 3

70

Cycle 4

60

20

50 40

CRP (mg/l)

Nombre d’articulations gonflées

Cycle 1

30

10

20 10 0 -10

0

10

20

30

40

0 60

50

semaines Répétition des cycles chez 8 patients

réponse clinique (Fig. 2). 93 % des bons répondeurs à l’infliximab au 6e mois de traitement n’avaient pas d’ADAb détectables, 50  % des patients ayant une réponse modérée présentaient de faibles taux d’ADAb tandis que l’ensemble des mauvais répondeurs avait des taux élevés d’ADAb. Dans le groupe de patients traités par adalimumab, tous les patients porteurs d’ADAb étaient en échec thérapeutique au 6e mois de traitement (9).

Figure 1 - Raccourcissement progressif des cycles entre les injections de cA2, à

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au méthotrexate dans la PR.

Conséquences de l’immunisation sur l’efficacité du biomédicament De nombreux travaux ont confirmé que la présence d’ADAb dirigés contre l’infliximab ou l’adalimumab était associée à une moindre activité du biomédicament. Dans une cohorte de 69 patients atteints de PR, 35 traités par infliximab et 34 par adalimumab, une relation étroite a été mise en évidence entre la présence et le taux d’ADAb et la qualité de la

A

Répondeurs Répondeurs modérés Non-répondeurs

60 40 20

80

B

60 40 20

à 6 mois

à 3 mois

ga tif Ba M s od ér é Fo rt

ga tif B M as od ér é Fo rt

ga tif Ba M s od ér é Fo rt

à 3 mois

ga tif Ba M s od ér é Fo rt

0

0 Anticorps

Ces constatations ont été confirmées par deux méta-analyses récentes : la présence d’ADAb ré-

80

Infliximab (%)

traduisait vraisemblablement une immunisation des patients contre le biomédicament (7). C’est à cause de ces premières constatations que l’essai ATTRACT a proposé d’évaluer l’impact de plusieurs doses d’infliximab administré seul ou en association au méthotrexate (MTX), dans le but de limiter les phénomènes d’immunisation que l’on pensait à l’époque essentiellement liés à la nature chimérique du produit (Fab d’origine murine). Maini a ainsi montré, dans cet essai, qu’il y avait une relation inverse entre le dosage de l’infliximab et le risque d’immunisation, et que l’association du MTX à l’infliximab réduisait notablement ce risque. En effet, la présence d’anticorps anti-infliximab était notée chez 53 %, 21 % et 7 % des patients ayant reçu respectivement 1 mg/kg, 3 mg/kg et 10 mg/kg d’infliximab en monothérapie, contre 15 %, 7 % et 0 % des patients ayant reçu les mêmes doses d’infliximab en association au MTX (8). C’est depuis cette étude que la majorité des essais de biothérapie ont été conçus en association

Dans une cohorte de 235 patients atteints de PR et traités par adalimumab, des ADAb ont été détectés chez 17 % des patients à la 28e semaine de traitement. La variation moyenne du DAS28 n’a été que de 0,6 ± 1,3 chez les patients porteurs d’ADAb, contre 1,8 ± 1,4 chez les patients sans ADAb (différence très significative : p < 0,0001) (10). Il était également noté dans cette étude que les patients ayant au préalable développé des ADAb sous infliximab s’immunisaient plus fréquemment contre l’adalimumab que les patients naïfs de biothérapie.

Adalimumab (%)

l’époque où le produit était administré à la rechute clinique (Elliott, 1994).

à 6 mois

, à 6 mois Figure 2 - Relation entre la présence d’ADAb et la réponse clinique à l’infliximab et à

l’adalimumab.

247


à savoir

duit de près de 70 % le taux de répondeurs aux anti-TNF (11, 12).

Conséquences de l’immunisation sur le maintien de l’efficacité du biomédicament Emilie Ducourau, de l’équipe de Tours, a montré que le taux de maintien de la réponse clinique à l’infliximab était fortement réduit en cas de présence d’ADAb, aussi bien dans la PR que dans les spondylarthrites (13), résultats confirmés depuis par d’autres équipes (14, 15). Des résultats similaires ont été montrés chez 272 patients atteints de PR traités par adalimumab : la détection d’ADAb multiplie par trois le risque d’échec thérapeutique, et par sept le risque de ne pas parvenir à un état de rémission stable (Fig. 3) (16).

Relation entre concentration sérique du biomédicament, réponse clinique et présence d’ADAb De nombreux travaux ont montré une relation inverse entre le

Figure 3 - Conséquence de l’immunisation sur le maintien thérapeutique de l’adalimumab.

taux sérique résiduel du biomédicament (ce qui reste de médicament dosable dans le sérum avant une nouvelle administration) et le taux d’ADAb. A l’inverse, le taux sérique résiduel du biomédicament est corrélé positivement à la réponse clinique (13, 15, 17). A titre d’exemple, dans une étude conduite chez 212 patients atteints de PR traités par adalimumab, les concentrations résiduelles d’adalimumab variaient d’un taux nul à 28 mg/l. La concentration résiduelle moyenne était significativement plus élevée chez les patients n’ayant pas d’ADAb détectables, et était significativement corrélée à la bonne réponse clinique (Fig. 4). Là encore, le taux de répondeurs clinique était significati-

p = 0,001

30

p = 0,098

Pourcentage

Concentration d’adalimumab mg/l

p = 0,021 25 20 15

100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0

bons répondeurs non-répondeurs

répondeurs modérés

vement réduit chez les patients présentant des ADAb, particulièrement en présence de taux élevés (18).

Relation entre présence d’ADAb et risque de réaction à l’administration du biomédicament Plusieurs travaux montrent que la présence d’ADAb anti-infliximab est associée à un risque plus élevé de réaction à la perfusion (14, 15). Dans le registre DANBIO, la détection d’ADAb au cours des six premières semaines de traitement multipliait par cinq le risque d’arrêt pour réaction à la perfusion au cours de la première année de traitement (15).

Que reflètent la concentration sérique résiduelle d’un biomédicament et le taux sérique d’ADAb ?

Rhumatos • Novembre 2013 • vol. 10 • numéro 92

Nulle (n = 34)

Modérée (n = 47)

Bonne (n = 36)

d’ an ti- Pe a u (n dali = mu 10 m ) a

0

b d’ an Be ti- au a co (n dali up = mu 11 m ) ab

248

0

d’ an ti- Pa a (n dal s = im 10 um 0) ab

la concentration sérique résiduelle d’adalimumab et la présence d’ADAb.

Il faut comprendre qu’il y a potentiellement trois éléments à distinguer dans le sérum des patients : la fraction libre du biomédicament, les ADAb libres et les ADAb complexés au biomédicament (Fig. 5). En pratique,

10

Figure 4 - Corrélation de la réponse EULAR à la 28e semaine de traitement,


Immunogénicité des biothérapies

3 éléments à distinguer : • le biomédicament libre (dosable) • les ADAb libérés (dosables) • les complexes ADAbbiomédicament (indosables en pratique) en "excès" de biomédicament : • seul le biomédicament est dosable • les ADAb sont indosables -maintien de l’efficacité clinique en "excès" d’ADAb : • le biomédicament est indosable • les ADAb sont détectables -perte de l’efficacité clinique

Figure 5 - Que peut-on doser en pratique ?

et avec la grande majorité des méthodes de dosage proposées jusqu’à présent, seuls le biomédicament libre et les ADAb libres sont dosables. Ce point est crucial, car il explique que l’absence d’ADAb détectables dans le sérum ne signifie pas absence d’immunisation… Quand le taux sérique du biomédicament est proportionnellement plus élevé que le taux d’ADAb, seul le biomédicament est dosable, la concentration résiduelle du médicament est satisfaisante et la réponse clinique maintenue. En revanche, quand le taux sérique du médicament est trop faible, tout le médicament est complexé, il est donc indosable et des ADAb libres sont détectables ; on assiste alors à une perte d’efficacité du traitement.

Comment dose-t-on les ADAb ? Deux principales techniques de dosage sont utilisées pour détecter les ADAb (libres). La Rhumatos • Novembre 2013 • vol. 10 • numéro 92

première technique est l’ELISA sandwich, où le biomédicament est fixé dans les puits d’une plaque ELISA, mis en présence du sérum du patient, les ADAb étant révélés par un biomédicament marqué. La seconde technique, antigen binding test (ABT), où les immunoglobulines du sérum du patient sont fixées sur une protéine (protéine A sépharose) puis les ADAb sont révélés par l’exposition à un biomédicament marqué. Dans les deux cas, seule la fraction libre des ADAb est dosée. L’équipe de Wolbink a développé une technique différente pour doser également la fraction d’ADAb compléxée au biomédicament. Ce test, appelé pH-shift anti-idiotype antigen-binding test (PIA), consiste à dissocier les ADAb complexés au biomédicament par une exposition à un milieu acide avant de doser les ADAb par un des tests précédents (19). Ce test a été utilisé dans une cohorte de 99 patients

traités par adalimumab, parallèlement au dosage du biomédicament et à la recherche d’ADAb par une technique traditionnelle (ABT), sur une période de 3 ans (20). Pendant cette période, la technique PIA a permis de détecter des ADAb au moins une fois chez 54 % des patients, contre 29 % avec la technique ABT, la détection d’ADAb par PIA étant plus précoce que par ABT. Cette détection d’ADAb était parfois transitoire. Une proportion similaire de patients en rémission prolongée était porteuse ou non d’ADAb détectés par PIA, alors qu’aucun patient porteur d’ADAb détectables par ABT n’était en rémission. Les patients porteurs d’ADAb détectés par PIA avaient des concentrations résiduelles d’adalimumab plus faibles que les patients sans ADAb, mais les patients présentant des ADAb détectables par ABT avaient des concentrations résiduelles d’adalimumab très faibles ou indétectables. La modélisation de la relation entre concentration résiduelle d’adalimumab, ADAb dosés par PIA et ADAb détectés par ABT est représentée figure 6. Cette modélisation

Figure 6 - Modélisation de l’évolution respective des concentrations résiduelles du biomédicament, des ADAb complexés et des ADAb libres.

249


à savoir

de fusion, associant récepteurs solubles et fragment Fc d’une immunoglobuline, tels l’étanercept et l’abatacept (23). Bien que ce type d’ADAb ne bloque pas directement l’action du biomédicament, ceux-ci sont tout de même susceptibles de diminuer l’activité du produit en formant des complexes immuns qui accélèrent la clairance du biomédicament.

Protéine A A

Figure 7 - Sites de reconnaissance des ADAb.

montre qu’une immunisation peut survenir, y compris chez de bons répondeurs au biomédicament, que cette immunisation est néanmoins associée à une diminution de la résiduelle du biomédicament, et que les ADAb ne deviennent dosables par ABT que pour des concentrations sériques très faibles du médicament, témoignant alors d’une perte d’efficacité du produit.

Quelle est la partie du biomédicament immunogène ? Comment l’immunogénicité réduit-elle l’efficacité du biomédicament ? Les ADAb peuvent reconnaître deux types de sites : le fragment Fab ou le fragment Fc, le plus souvent alors la zone charnière unissant Fc et Fab (Fig. 7). Les conséquences sur le biomédicament sont différentes. Les ADAb dirigés contre le Fab interfèrent avec le site de fixation de l’antigène. Ce sont des anticorps neutralisants, qui empêchent le biomédicament de se fixer sur sa cible. La majorité des ADAb dirigés contre les anticorps monoclonaux antiTNF, infliximab, adalimumab, golimumab, mais aussi contre 250

Quand les ADAb apparaissent-ils ?

le certolizumab, sont des anticorps neutralisants (21, 22). Il n’est probablement pas illogique que le système immunitaire développe préférentiellement un ADAb dirigé contre la partie de l’anticorps thérapeutique chargée de reconnaître l’antigène, c’est-à-dire l’idiotype. L’élaboration d’anticorps anti-idiotypes est une modalité normale de régulation de la réponse immunitaire humorale (réseau idiotypique).

Il a été montré dans une cohorte de 272 patients atteints de PR que, parmi les 28 % de patients développant des ADAb, plus de deux tiers d’entre eux le faisaient au cours des 28 premières semaines de traitement (Fig. 8) (16). Nous verrons plus loin que cela peut être mis en relation avec l’importance du syndrome inflammatoire lors de l’introduction du traitement ; on peut également souligner que cette période très inflammatoire se caractérise probablement par l’émission de nombreux signaux danger qui maintiennent le système immunitaire en éveil maximal.

Les anticorps dirigés contre le fragment Fc ou la portion charnière, à l’inverse, ne sont pas neutralisants. C’est ce type d’anticorps que l’on voit préférentiellement apparaître avec les biomédicaments de type molécule 30 25 Patients 20 avec des anticorps 15 antiadalimumab 10 (%) 0 0 0

12

24

36

48

60

72

84

96

108 120 132 144 156

Semaines

Figure 8 - Cinétique d’apparition des ADAb sous adalimumab. Dans plus de 2/3 des cas, les ADAb apparaissent au cours des six premiers mois de traitement. Rhumatos • Novembre 2013 • vol. 10 • numéro 92


Immunogénicité des biothérapies

Concentration infliximab (mg/mL)

Concentration infliximab (mg/mL)

Figure 9 - Influence du syndrome inflammatoire initial sur la concentration sérique résiduelle d’infliximab à 1,5 mois et sur la présence d’ADAb à 6 mois.

Les biomédicaments ont-ils tous la même capacité à induire une réponse immune ? Les comparaisons sont difficiles pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les différents tests développés (par les académiques ou les industriels) pour détecter la présence d’ADAb pour un même biomédicament fournissent des résultats très différents. A titre d’exemple, la proportion de malades développant des ADAb dirigés contre l’infliximab a été évaluée de 13 % (24) à 54 % (25). Pour l’adalimumab, cette proportion va même de 1 % dans un essai clinique (26) à 87 % dans une étude de cohorte académique (27) ! Il semble néanmoins que les deux molécules de fusion, étanercept et abatacept, soient globalement moins immunogènes que l’infliximab et l’adalimumab, la formation d’ADAb ayant été retrouvée chez seulement 2 à 5 % des patients sous étanercept (28-30) et 1 à 3 % des patients sous abatacept (31-33). De plus, pour ces deux produits, la présence d’ADAb ne semble pas avoir d’impact sur la réponse clinique. La dichotomie entre anticorps monoclonaux et molécules de Rhumatos • Novembre 2013 • vol. 10 • numéro 92

fusion n’est probablement pas l’explication ultime : la proportion de patients développant des ADAb sous golimumab, tocilizumab, rituximab et certolizumab semble également faible, aux alentours de 5 à 6 % (34-37). Plusieurs points essentiels sont cependant à garder en mémoire : • la grande disparité des tests proposés ; • le fait que, nous l’avons vu, la quasi-totalité de ces tests n’évalue que la fraction libre d’ADAb ; • enfin, que les tests reconnaissant des ADAb dirigés contre le fragment Fc et la portion charnière sont perturbés par la présence de facteur rhumatoïde (38)… Autre point intéressant, si la nature chimérique de l’infliximab a été initialement avancée pour expliquer l’immunogénicité de ce produit, on peut constater que l’adalimumab, pourtant totalement humanisé, est aussi immunogène. Finalement, que l’idiotype soit d’origine humaine ou murine, il constitue quoi qu’il en soit un nouvel antigène pour le système immunitaire du patient. Dernier élément important à garder en mémoire : s’il est certain que le développement

d’une immunité dirigée contre le biomédicament diminue son efficacité, l’immunogénicité n’est peut-être pas l’élément le plus déterminant du maintien thérapeutique. En effet, on a vu que les taux d’immunisation contre l’adalimumab sont très supérieurs à ceux observés pour l’étanercept ; cependant, les taux de maintien thérapeutiques observés avec ces deux anti-TNF demeurent assez proches dans toutes les études (39, 40). Dans le registre suisse, seuls 42 % des patients ayant échappé à l’infliximab avaient des concentrations résiduelles faibles d’infliximab ou des taux élevés d’anticorps anti-infliximab (41).

Quels sont les facteurs susceptibles d’influer sur l’immunogénicité des biomédicaments ? L’importance du syndrome inflammatoire à l’initiation du traitement Plusieurs études ont montré que l’importance du syndrome inflammatoire initial est associée à des concentrations résiduelles plus faibles de biomédicament et 251


à savoir

augmente le risque de développement d’ADAb (24, 42). Dans une série de 106 patients ayant une PR et traités par infliximab, il a été montré que les concentrations résiduelles après la deuxième perfusion (J45) étaient inversement corrélées aux valeurs initiales du DAS28 et de la protéine C réactive, et associées étroitement à la présence d’ADAb au 6e mois (Fig. 9) (24). Il apparaît donc que le volume de cible thérapeutique, c’est-à-dire la quantité de TNF à neutraliser lors de l’initiation du traitement, contribue à diminuer la concentration résiduelle du biomédicament dans les premières semaines de traitement, cette faible concentration résiduelle favorisant l’immunogénicité et le développement d’ADAb, qui contribuent à leur tour à réduire la concentration résiduelle du traitement. Cela pourrait expliquer que le développement d’ADAb soit le plus souvent précoce.

L’association au méthotrexate Nous l’avons vu, Maini a mon-

Figure 10 - Influence de l’association au MTX sur le risque de développement d’ADAb.

tré très tôt le rôle protecteur du MTX sur le risque d’immunogénicité vis-à-vis de l’infliximab. Des constatations équivalentes ont été effectuées avec l’adalimumab (16). Une étude a même montré que cette diminution du risque était dose-dépendante, la posologie idéale pour contrôler la présence d’ADAb semblant être au minimum de 10 mg de MTX par semaine (Fig. 10) (43). Une méta-analyse a récemment confirmé que l’association à un immunomodulateur (principalement le MTX) réduisait de plus de 40 % le risque d’apparition d’ADAb (RR = 0,59, 95 % CI 0,500,70) (11).

L’association aux corticoïdes L’influence des corticoïdes a été beaucoup moins étudiée et les conclusions des quelques études consacrées à ce sujet sont contradictoires. Une récente méta-analyse ne montre pas d’impact d’une corticothérapie orale sur le développement d’ADAb (12).

La posologie et le rythme des injections Nous avons vu que les concentrations sériques résiduelles faibles de biomédicament favorisent l’immunisation. Il est intéressant de noter que, chez des patients en échappement à l’inflixi-

Figure 11 - Exemple de monitoring de l’infliximab.

252

Rhumatos • Novembre 2013 • vol. 10 • numéro 92


Immunogénicité des biothérapies

Figure 12 - Théorie de la discontinuité dans la réponse immunitaire.

mab à la posologie de 3 mg/kg, l’augmentation à 5 mg/kg est susceptible de restaurer la réponse clinique et de réduire les taux d’ADAb détectables dans le sérum, le retour ultérieur à la posologie initiale de 3 mg/kg conduisant à l’augmentation simultanée du DAS28 et du taux d’ADAb (Fig. 11) (14). Des constatations très proches ont été faites sous adalimumab (18). Il a été également montré, avec l’abatacept, que les interruptions temporaires de traitement (pour survenue d’un événement infectieux par exemple), favorisent l’immunisation vis-à-vis du biomédicament : des ADAb ont été détectés chez 7,4 % des patients ayant eu des interruptions thérapeutiques contre 2,6  % des patients traités de façon continue (31). Il semble donc que le maintien d’un taux résiduel suffisant et constant de biomédicament constitue un élément essentiel de protection contre l’immunisation. Cette constatation est en parfaite cohérence avec la théorie de la discontinuité dans la réponse immunitaire : l’idenRhumatos • Novembre 2013 • vol. 10 • numéro 92

tification d’un nouvel antigène conduit à une réponse immune. Cette réponse s’étiole spontanément en l’absence de réapparition de l’intrus. Si l’antigène persiste et est constamment exposé au système immunitaire, celui-ci développe progressivement un état de tolérance. A l’inverse, des apparitions intermittentes entretiennent la réponse immunitaire, à l’instar d’un vaccin suivi de rappels (Fig. 12) (44). Cette notion est peut-être cruciale à l’époque où se développent des stratégies d’espacement des administrations de biomédicament en cas de rémission prolongée. Si la réduction de la pression

thérapeutique est probablement logique, du fait de la diminution du volume de cible thérapeutique (quantité de TNF par exemple) en cas de rémission prolongée, la diminution de posologie est peutêtre plus logique qu’un espacement des injections, pour maintenir une concentration résiduelle suffisante et éviter des résiduelles nulles pourvoyeuses d’immunisation. Des études devront le démontrer…

L’indice de masse corporelle L’obésité est associée à une moindre réponse clinique aux anti-TNF (45), ce qui reste vrai même pour l’infliximab dont la

Figure 13 - Ensemble des facteurs influençant la concentration résiduelle d’un biomédicament.

253


à savoir

posologie est rapportée au poids du malade. Il se peut que le volume de distribution du biomédicament contribue à réduire la concentration résiduelle du produit et favorise l’immunisation (Fig. 13).

Qu’en est-il en dehors de la PR ? Des constatations similaires ont été faites au cours de la maladie de Crohn, en ce qui concerne la fréquence de l’immunisation, l’impact négatif sur la réponse clinique et le rôle protecteur d’un immunomodulateur, qu’il s’agisse de l’Imurel® ou du MTX (46). Mêmes constatations en ce qui concerne le psoriasis, mais le caractère éventuellement protecteur de l’association du MTX au biomédicament n’est pas démontré (47). En ce qui concerne les spondylarthrites, on retrouve le lien entre présence d’ADAb, mauvaise réponse clinique, diminution du taux de maintien thérapeutique et augmentation de l’incidence des réactions à la perfusion (infliximab) (48, 49). En revanche, l’association au MTX ne paraît pas modifier significativement la concentration résiduelle de l’infliximab ni la présence d’ADAb (48, 50).

En pratique, que pourrait-on doser et pour quoi faire ? Plusieurs auteurs et des industriels commercialisant des kits de dosage suggèrent que le dosage d’ADAb pourrait être utile aux cliniciens pour comprendre les raisons de l’échec d’une biothérapie. Cependant, nous l’avons vu, la mise au point du dosage des ADAb est complexe, peu reproductible et elle est 254

Figure 14 - Les propositions de monitoring (d’après Mulleman D, Goupille P, Watier H et 23).

parfaitement corrélée à la concentration résiduelle du médicament. Ces raisons conduisent les auteurs tourangeaux à privilégier l’unique dosage de la concentration résiduelle du biomédicament en cas d’inefficacité ou de perte d’efficacité du traitement. Si la concentration résiduelle est satisfaisante, la cible thérapeutique choisie n’est pas la bonne et il convient de changer pour un biomédicament d’une classe différente, ayant une autre cible (par exemple, passer d’un antiTNF à un anti-IL6R). Si la concentration résiduelle est insuffisante, cela peut traduire une posologie insuffisante ou plus vraisemblablement une immunisation ; dans les deux cas, on pourra proposer soit une augmentation de posologie du biomédicament, soit un changement de produit, mais sans nécessairement changer de cible thérapeutique (par exemple passer d’un anti-TNF à un autre anti-TNF) (Fig. 14) (51).

Conclusion Des ADAb sont détectés chez certains patients recevant un biomédicament, jusqu’à un quart voire

un tiers des patients recevant de l’infliximab ou de l’adalimumab, produits pour lesquels l’immunogénicité a été le plus étudiée. La présence d’ADAb est associée à une diminution de la concentration sérique résiduelle du biomédicament et à une diminution de son efficacité clinique. Ces ADAb apparaissent le plus souvent précocement, au cours des premiers mois de traitement. En cas de perte d’efficacité d’un biomédicament, la mesure de la concentration résiduelle pourrait permettre d’orienter le clinicien dans le choix d’un autre produit. Enfin, l’importance de cette concentration résiduelle pour le maintien de l’efficacité du traitement et pour limiter les risques d’immunisation fera peut-être reconsidérer à l’avenir les stratégies d’espacement de l’administration des biomédicaments chez les n patients en rémission. Retrouvez la bibliographie complète de cet article sur : www.rhumatos.fr

Mots-clés : Biomédicament, Immunogénicité, Polyarthrite rhumatoïde

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DOSSIER Arthrose : première des maladies articulaires, dernière à bénéficier d’avancées significatives

©Bernard Mazières

Coordonné par le Pr Bernard Mazières

Editorial ������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������ p. 256 Pr Bernard Mazières (Toulouse) 1P hysiopathologie de l’arthrose Les mécanismes ���������������������������������������������������������������������������������������������������������������������� p. 259 Pr Pascal Richette et Dr Thomas Funck-Brentano (Paris) 2 Etat des lieux de l’arthrose et perspectives de nouveaux traitements ���������������������������������������������������������������������� p. 263 Pr Xavier Chevalier (Créteil)


Arthrose

DOSSIER

Arthrose, désespérante arthrose… Pr Bernard Mazières*

L

a plus fréquente des maladies articulaires ne bénéficie toujours pas de progrès thérapeutiques significatifs contrairement aux différents rhumatismes inflammatoires, à la goutte, voire même à l’ostéoporose. Probablement parce qu’elle est une maladie complexe, multifactorielle et dégénérative.

plus tard, malgré de nombreux progrès dans la connaissance des mécanismes de l’arthrose, nous ne maîtrisons pas le sujet comme en témoignent les nombreux essais thérapeutiques infructueux.

Sa définition même traduit notre incapacité à la cerner de manière opératoire. Selon l’OMS (1), il s’agit « de la résultante des phénomènes mécaniques et biologiques qui déstabilisent l’équilibre entre la synthèse et la dégradation du cartilage et de l’os sous-chondral. Ce déséquilibre peut être initié par de multiples facteurs : génétiques, de développement, métaboliques et traumatiques. L’arthrose touche tous les tissus de l’articulation diarthrodiale et se manifeste par des modifications morphologiques, biochimiques, moléculaires et biomécaniques des cellules et de la matrice cartilagineuses conduisant à un ramollissement, une fissuration, une ulcération et une perte du cartilage articulaire, une sclérose de l’os souschondral avec production d’ostéophytes et de kystes sous-chondraux. Quand elle devient symptomatique, l’arthrose entraîne douleur et raideur articulaires, un éventuel épanchement articulaire avec des degrés variables d’inflammation locale ». Cette définition de 1994 est purement descriptive et n’est fondée sur aucune étiologie précise. Elle a le mérite d’entériner le fait que l’arthrose est bien une maladie de toute l’articulation, cartilage certes, mais aussi os sous-chondral et synoviale. Elle reste toujours d’actualité, preuve que 20 ans

De ces progrès nous pouvons retirer quelques conclusions simples  : le grand facteur de risque de l’arthrose est le stress mécanique. Qu’il s’agisse de traumatismes et de microtraumatismes, de la surcharge pondérale, professionnelle ou sportive, de troubles de la structure articulaire (dysplasies), de la méniscectomie, in fine tout se résume à une hyperpression articulaire. A cette hyperpression viennent s’ajouter deux facteurs : • d’une part, le terrain génétique si important dans cette maladie : l’héritabilité de l’arthrose � variable d’une articulation à l’autre � est de l’ordre de 30 à 70 %. On conçoit aisément que des variations génotypiques des constituants protéiques de l’articulation fragilisent cette dernière et la rendent plus sensible au stress ; • d’autre part une micro-inflammation, comme on en observe dans d’autres maladies dégénératives telles que l’artériosclérose, le diabète, l’obésité. L’augmentation des taux sériques de CRP ultra-sensible, de l’IL-6 en sont les stigmates. Cette micro-inflammation ne peut, à terme, que venir aggraver les lésions tissulaires de l’articulation.

*Centre de rhumatologie, CHU Purpan, Toulouse

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Les progrès physiopathologiques

Toutes ces considérations physiopathologiques sont bien développées dans l’article de Pascal Richette et Thomas Funck-Brentano, qui montre comment ces facteurs de risque

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Arthrose

Les perspectives thérapeutiques De toutes ces connaissances sur les mécanismes de la destruction de l’articulation arthrosique émerge la notion de cibles pharmacologiques qui sont autant de pistes thérapeutiques. C’est ce que Xavier Chevalier décrit parfaitement en faisant l’état des lieux et l’inventaire des nouveaux traitements de l’arthrose. Même en conduisant le raisonnement thérapeutique comme devant une polyarthrite rhumatoïde, les résultats ne sont pas au rendezvous. • Traiter les symptômes : en pratique, nous disposons des anti-inflammatoires et de la cortisone intra-articulaire. Efficaces, ils traitent l’inflammation de l’arthrose en agissant sur le versant synovial, mais à ce titre ne préservent en rien l’articulation de son inexorable destruction. • Traiter la maladie, c’est-à-dire retarder ou prévenir la destruction. Les traitements structuro-modulateurs actuels ne sont guère convaincants et si les essais contrôlés montrent des différences significatives quant à la préservation du cartilage, la pertinence clinique de tels travaux reste à confirmer. Mais la lenteur même de cette progression rend toute évaluation structurale longue et méthodologiquement complexe  : il faut plusieurs années et plusieurs centaines de patients pour juger d’un résultat, en l’absence de critères (ne serait-ce que des critères intermédiaires) de jugement plus pertinents que la classique radiographie standard et sa mesure de la hauteur de l’interligne. Force est de rappeler les recommandations internationales sur la prise en charge de

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l’arthrose : les moyens non pharmacologiques restent les traitements les plus utiles, une fois calmée la douleur. Il existe une bonne logique à utiliser ces moyens : ils luttent contre le grand facteur générateur d’arthrose, le facteur mécanique, en renforçant par les exercices le tonus musculaire périarticulaire, en diminuant la surcharge pondérale (que cette dernière agisse par son action mécanique comme par son action métabolique via les adipokines).

DOSSIER

déclenchent dans le cartilage, l’os sous-chondral et la synoviale, les cascades arthrogènes qui conduisent à la destruction progressive de ces tissus et comment s’instaurent des cercles vicieux entre cartilage et os sous-chondral, entre cartilage et synoviale, pour venir détruire l’articulation.

Peut-on esquisser l’avenir de la recherche thérapeutique dans l’arthrose ? Deux pistes parmi d’autres peuvent être évoquées. La première est fondée sur le constat qu’il n’existe pas UNE, mais DES arthroses. Selon leur localisation, selon leur(s) facteur(s) de risque, selon leur mode de début, toutes les arthroses n’ont pas la même évolution ni le même pronostic. Partant de ce constat, on cherche à définir des profils d’arthrose différents dont la prise en charge pourrait être plus spécifique et plus efficace. Dans cette perspective, l’IRM devrait nous permettre de progresser. Certes, les lésions de base se voient chez la majorité des sujets de plus de 50 ans, puisque 90 % d’entre eux présentent au moins une des lésions suivantes sans aucun symptôme : défects cartilagineux, ostéophytes, lésions osseuses sous-chondrales, lésions méniscales et ligamentaires, synovite (2). Cela a conduit un groupe d’experts à proposer par consensus une définition IRM de la gonarthrose (3) (Tab. 1). Mais cette définition a plus d’intérêt épidémiologique pour poser un diagnostic de la maladie que prospectif pour classer des sous-types de malades arthrosiques. Il reste que cet outil merveilleux n’a pas tout dit de l’arthrose, notamment en dehors du genou, et que l’on peut raisonnablement fonder des espoirs dans le progrès de l’imagerie dans cette perspective de biotypage des malades. La seconde piste nous est suggérée par la prise en charge des maladies cardiovasculaires : on n’attend pas l’infarctus du

257


Arthrose

DOSSIER

Tableau 1 - Définition IRM de la gonarthrose, d’après un consensus d’experts par méthode Delphi (3). Arthroses

Items

Définitions

Fémoro-tibiale

Groupe A : • Ostéophyte net • Perte importante d’épaisseur du cartilage Groupe B : • Lésion osseuse sous-chondrale ou kyste osseux • Subluxation, fissure dégénérative du ménisque • Attrition osseuse

Diagnostic IRM : • Les 2 A • 1 A et 2B ou +

Fémoro-patellaire

• Ostéophyte net • Perte partielle ou importante de l’épaisseur du cartilage

Diagnostic IRM : Les 2 items sur la rotule et/ou la trochlée

myocarde ou l’accident vasculaire cérébral pour traiter préventivement leurs facteurs de risque. Nous retombons alors dans les préconisations internationales concernant l’arthrose : avoir une activité physique régulière d’intensité moyenne, ne pas grossir, mais aussi corriger un trouble statique (tectoplastie du cotyle devant une dysplasie de hanche). Deux écueils se dessinent dans une telle perspective : • bouger et maigrir si besoin font appel à la volonté, l’envie, la motivation de changer son mode de vie, ce qui est toujours plus difficile que

de prendre une pilule quotidienne ; • comment développer des stratégies d’évaluation en situation préventive, sur des années, dans l’arthrose ? Mais les cardiologues ont bien su le faire dans leur domaine. Pourquoi pas nous ? n

Bibliographie 1. American Academy of Orthopaedic Surgeons Symposium. In Osteoarthritic Disorders. 1 volume. KE Kuettner and VM Goldberg, AAOS publishers, Rosemont, 1994. 2. Guermazi A, Niu J, Hayashi D et al. Prevalence of abnormailites in knees detected by MRI in adults without knee osteoarthritis : population based observational study (Framingham Osteoarthritis Study). Brit Med J 2012 ; 345 : e5339. 3. Hunter DJ, Arden N, Conaghan PG et al. Definition of osteoarthritis on MRI : results of a Delphi exercise. Osteoarthritis Cart 2011, 19 : 963-9.

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Rhumatos • Novembre 2013 • vol. 10 • numéro 92


1 Physiopathologie de l’arthrose Les mécanismes n L’arthrose est une maladie globale de l’articulation, qui touche le cartilage mais aussi toutes structures adajcentes (tissu synovial, os sous-chondral, muscle, etc.). Les processus qui mènent à la pathologie sont multiples.

L’

arthrose est responsable d’une morbidité majeure dans les pays développés où elle constitue la deuxième cause d’invalidité après les maladies cardio-vasculaires. Son coût a été estimé en France à environ un milliard d’euros. La prévalence de l’arthrose est telle que l’on considère à ce jour qu’un adulte sur deux souffrira d’une arthrose symptomatique à 60 ans (1). Il y a une vingtaine d’années, l’arthrose était considérée comme une pathologie du cartilage et la plupart des travaux de biologie cellulaire et moléculaire, tant in vivo qu’in vitro, étaient centrés sur la biologie de ce tissu (2). Depuis les années 2000, l’arthrose est considérée comme une maladie globale de l’articulation, touchant le cartilage, mais également le tissu synovial, l’os sous-chondral et les structures abarticulaires (ligaments, tendons et muscles). Comme dans de nombreuses pathologies, deux types d’agressions ou stress prédominent au cours de cette affection : le stress inflammatoire et le stress mécanique. Selon la localisation de l’arthrose, l’âge auquel elle apparaît, le contexte hormonal et notamment œstrogénique, ces stress ont une part plus ou moins importante dans la

* Centre Viggo Petersen, Fédération de rhumatologie, Hôpital Lariboisière, Paris

Rhumatos •Novembre 2013 • vol. 10 • numéro 92

Pr Pascal Richette*, Dr Thomas Funck-Brentano* genèse et dans l’aggravation de la maladie. Plus globalement, il existe différents types d’arthroses, dont la physiopathologie est certainement très différente, mais qui donnent toutes le même aspect radiographique  : pincement localisé de l’interligne, géodes dans une zone condensée de l’os sous-chondral, ostéophytose. Comme exemple de différentes arthroses, citons la gonarthrose posttraumatique du sportif professionnel, celle de la femme en surcharge pondérale, et celle touchant les doigts chez la femme en postménopause (2). Toutes impliquent les mêmes tissus, les mêmes acteurs cellulaires et biochimiques, mais certainement à des degrés et à des temps différents, ce qui rend compte de la diversité de cette maladie.

position protéique de sa matrice extracellulaire synthétisée par la seule cellule de ce tissu, le chondrocyte. Cette matrice est composée d’un réseau de fibres de collagènes (majoritairement de type 2) qui enserrent dans ses mailles des protéoglycanes (PG) à fort pouvoir hydrophile : ces PG retiennent des molécules d’H2O et mettent sous tension les fibres de collagènes. Le principal composant du cartilage est donc l’eau qui représente 70 % du poids humide de ce tissu. Les petits protéoglycanes participent à la formation du chondron qui correspond à une véritable enveloppe glycoprotéique au contact de la membrane plasmique des chondrocytes. Ce chondron, au-delà de sa fonction mécanique, permet de moduler l’activité des protéases et des facteurs de croissance qui y sont enchâssés.

Du cartilage normal au cartilage arthrosique

Le cartilage arthrosique : aspect macroscopique

Le cartilage normal Le cartilage est un tissu en hypoxie, avasculaire et non innervé qui recouvre les épiphyses des os longs. Ses propriétés biomécaniques exceptionnelles assurent à sa surface un coefficient de friction extrêmement bas et permettent le glissement des pièces articulaires entre elles. Cela est permis par la com-

L’arthrose se caractérise macroscopiquement et histologiquement par des altérations focales du cartilage articulaire sous forme d’érosions et de fissures qui peuvent mettre à nu l’os sous-chondral. A ces lésions du tissu cartilagineux s’ajoutent des modifications des structures adjacentes : 1) réactions osseuses à type de condensation de l’os sous-chondral et géodes intra-osseuses, ostéophy259

DOSSIER

Arthrose


Arthrose

DOSSIER

tose à la jonction capsulo-synoviale ; 2) souvent une inflammation � modérée � de la membrane synoviale (synovite) ; 3) altérations quantitative et qualitative du liquide synovial qui altèrent ses propriétés biomécaniques. L’arthrose intéresse donc l’ensemble de l’articulation et pas le seul cartilage.

L’arthrose : un déséquilibre entre anabolisme et catabolisme chondrocytaires Au niveau moléculaire, les lésions matricielles observées histologiquement (érosions, fissures) sont secondaires à un déséquilibre chondrocytaire entre activités anabolique et catabolique au profit de cette dernière. Le chondrocyte dans un environnement matriciel normal est une cellule qui synthétise peu : en effet, la demi-vie des PG est de 1 000 jours et le renouvellement du collagène de type 2 est quasiment nul. Le chondrocyte est en revanche en permanence “informé” de l’état de sa matrice et des contraintes mécaniques qu’elle subit. Dans les zones de cartilage soumises à un stress mécanique ou inflammatoire, les chondrocytes vont s’activer, leur phénotype se modifie (3) et ils sécrètent alors de nombreux médiateurs pro-inflammatoires, comme des cytokines (IL-1β, TNFα, IL-8), du monoxyde d’azote (NO), des prostaglandines E2 (PGE2), ainsi que des enzymes (agrécanases, métalloprotéases [MMPs]) qui ont pour substrat les protéines de la matrice du cartilage (agrécanes, collagène de type 2) (4). Dans certains cas, ces différents mécanismes moléculaires peuvent aboutir à la mort cellulaire et plus particulièrement à l’apoptose des chondrocytes principalement sous l’influence du stress mécanique. A 260

l’opposé, on peut également observer une prolifération des chondrocytes aboutissant à la production de clusters que l’on trouve essentiellement à la périphérie du cartilage, au contact de la lumière articulaire. Les différentes cytokines sécrétées vont exercer leurs effets délétères sur les cellules de voisinage (action paracrine), mais aussi sur les cellules qui les ont synthétisées (action autocrine) (5). Au cours du processus de vieillissement, le cartilage est le siège d’une diminution du nombre de chondrocytes et d’une altération qualitative et quantitative de la matrice extracellulaire. Dans certains cas, sous l’influence de cytokines et/ou du stress mécanique, ce phénomène s’accélère et conduit à une arthrose symptomatique (5).

L’arthrose est une maladie liée au stress mécanique Le stress mécanique module l’homéostasie du cartilage, mais également celle de l’os sous-chondral. En effet, plusieurs mécanorécepteurs ont été identifiés dans la membrane plasmique des chondrocytes : ce sont les canaux ioniques transmembranaires sensibles à l’étirement, certaines intégrines et le récepteur CD44 à l’acide hyaluronique (6). Ces récepteurs sont de véritables palpeurs de pression extérieure qui vont informer en permanence les chondrocytes sur les contraintes appliquées à leur matrice environnante. En réponse, les chondrocytes sont capables de transformer ce signal mécanique en un signal biochimique via l’activation de voies de transduction intracellulaires qui vont, en retour, augmenter ou réprimer la transcription de gènes d’intérêt (7). Par exemple, suite à un stress mécanique intense, le facteur de

transcription Hypoxia-Inducible Factor-1α (HIF-1α) est stabilisé et induit l’expression du Vascular Endothelial Growth Factor (VEGF) qui à son tour va stimuler la production des protéases matricielles (MMPs) 1, 3 et 13 (8), concourant à la destruction de la matrice extracellulaire. D’autres facteurs transcriptionnels mécanosensibles ont été identifiés et en particulier ceux de la voie NF-κB qui contrôlent en partie l’expression de gènes codant pour certains médiateurs de l’inflammation (IL-6, COX2…) (9-14). Il existe donc au sein du chondrocyte l’ensemble des éléments moléculaires permettant au stress mécanique de moduler qualitativement et quantitativement la production de protéines matricielles. Il est cependant important de noter que les effets moléculaires d’une contrainte mécanique dépendent du type de stress appliqué, de son intensité et de sa fréquence (6, 7).

Rôle de la synovite au cours de l’arthrose Fonctions de la membrane synoviale La membrane synoviale est un tissu spécialisé qui tapisse la face interne de la capsule articulaire des articulations. Elle est formée d’une couche intimale superficielle ou bordante, composée d’une à quatre assises de synoviocytes fibroblastiques et macrophagiques, et d’une couche profonde. Elle est vascularisée et innervée. Elle élabore le liquide articulaire, qui permet la lubrification et la nutrition du cartilage dépourvu de vascularisation. C’est elle qui synthétise en grande partie l’acide hyaluronique qui confère au liquide synovial ses propriétés biomécaniques de lubrifiant. Elle a aussi un rôle dans la Rhumatos • Novembre 2013 • vol. 10 • numéro 92


défense et la réponse immunitaire intra-articulaire. Les synoviocytes macrophagiques phagocytent et éliminent les débris et les particules intra-articulaires et en particulier les fragments cartilagineux arthrosiques (15).

Synovite et gonarthrose : aspects macroscopiques Au cours de l’arthrose, il est habituel d’observer une synovite, dont les aspects macroscopiques ont été précisés par des études arthroscopiques. Plusieurs types ont été décrits : • synovite réactionnelle avec prolifération et hyperplasie des villosités ; • synovite inflammatoire, caractérisée par une hypervascularisation associée à une importante prolifération et hyperplasie des villosités synoviales ; • synovite microcristalline, caractérisée habituellement par des dépôts calciques brillants, ce qui pour certains souligne l’importance du stress cristallin au cours de l’arthrose (16). En effet, les cristaux d’apatite, provenant en partie de l’os sous-chondral dénudé, mais aussi les cristaux de pyrophosphate de calcium, sont peut-être des facteurs de pérennisation de l’inflammation dans l’arthrose. Les cristaux calciques peuvent aussi être produits localement, c’est-à-dire dans l’environnement péricellulaire, par le chondrocyte arthrosique lui-même. Une synovite est ainsi présente à l’arthroscopie chez un patient sur deux ayant une gonarthrose douloureuse. Parmi ces patients, environ 30 % ont un aspect de synovite réactionnelle et 20 % présentent une synovite inflammatoire (17).

La synovite : rôle dans la douleur et facteur de progression structurale dans la gonarthrose Le cartilage n’est pas innervé et les Rhumatos •Novembre 2013 • vol. 10 • numéro 92

lésions de sa matrice ne peuvent donc pas expliquer l’ensemble des douleurs présentes au cours de la gonarthrose. La membrane synoviale, quant à elle, contient de nombreuses terminaisons nerveuses, qui peuvent être activées lors des poussées inflammatoires de la maladie. Ainsi, certaines études ont pu mettre en évidence une corrélation entre la présence d’une synovite, détectée en IRM ou en échographie, et l’intensité de la douleur chez des patients ayant une gonarthrose (3, 4). Il est important de noter que la présence d’une synovite est aussi corrélée à un risque plus élevé de dégradation structurale du cartilage au cours de la gonarthrose. Cela a été démontré par des études arthroscopiques, mais aussi à l’aide de techniques d’imagerie comme l’IRM ou l’échographie (17-19). Il est intéressant de souligner que la synovite est un phénomène observé à la fois tardivement, mais aussi précocement au cours de la gonarthrose. La synovite présente au cours des gonarthroses débutantes serait plus pro-inflammatoire que dans les stades plus tardifs de la maladie.

Dialogue chimique entre la membrane synoviale et le cartilage Au cours de la gonarthrose, les cellules de la membrane synoviale qui semblent le plus impliquées dans ces phénomènes inflammatoires sont les macrophages. Ces cellules sont certainement activées par différents récepteurs qu’elles expriment à leur surface, comme les Toll-like receptors 4 (TLR4) et les Receptors for Advanced Glycation End products (RAGE), eux-mêmes stimulés par de petites protéines issues de la matrice lésée du cartilage arthrosique, comme la fibronectine, qui, une fois détachées, se

retrouvent au contact des macrophages synoviaux. Activés, ils sécrètent alors différentes cytokines pro-inflammatoires dans le liquide synovial, comme l’IL-1β, le TNFα et des MMPs, qui à leur tour vont stimuler les chondrocytes et dégrader la matrice protéique du cartilage. Il existe ainsi un véritable dialogue chimique entre la membrane synoviale et le cartilage (20, 21).

Arthrose et os sous-chondral Les modifications de l’os souschondral se voient sur la radiographie standard, sous la forme d’une densification osseuse dans les zones de contraintes mécaniques. Aux niveaux cellulaire et moléculaire, les ostéoblastes de l’os sous-chondral arthrosique se comportent comme des cellules “enflammées” : sécrétion de MMP-1, MMP-13, de PGE2 et d’IL-6 (22), en partie induite par le stress mécanique (23, 24). Là encore, il existe un dialogue permanent entre l’os sous-chondral et le cartilage par l’intermédiaire de molécules proinflammatoires et pro-dégradatives, mais également des facteurs de croissance comme l’Insulin Growth Factor 1 (IGF-1) et le Transforming Growth Factor β (TGFβ). Les moyens de communication entre les deux tissus sont encore débattus. Cependant, les études histologiques tant chez l'Homme que dans des modèles animaux montrent une néovascularisation des couches profondes du cartilage articulaire en provenance de l'os sous-chondral. Pour se former, ces canaux vasculaires nécessitent une résorption de l'os sous-chondral et du cartilage calcifié par les ostéoclastes. L'analyse histologique révèle une perte de protéoglycanes dans les zones entourant les néovaisseaux témoignant de la 261

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présence de facteurs cataboliques apportés par le tissu osseux. Les autres hypothèses sont l'existence de microcracks entre l'os souschondral et le cartilage calcifié. Il est ainsi vraisemblable que de petites molécules diffusent à travers l'os et la matrice cartilagineuse, bien que calcifiée. L’importance de l’os sous-chondral dans l’arthrose est bien mise en évidence dans différents modèles animaux (25), mais aussi en pratique clinique, notamment au cours des observations de fissures sous-capitales de la tête fémorale à l’origine de coxarthroses rapidement évolutives (26).

Influence des structures abarticulaires et notamment des ménisques aux genoux Les atteintes ligamentaires, tendineuses et musculaires, le plus souvent traumatiques, aboutissent aux membres inférieurs, à l’épaule et au pouce à une instabilité articulaire (2), qui explique certainement, via l’augmentation des contraintes mécaniques, leur association fréquente à l’arthrose. En revanche, un défaut d’axe aux membres inférieurs n’est pas un facteur de risque de développement d’une gonarthrose, mais plutôt de progression de cette arthrose (27). La pathologie méniscale illustre bien l’influence des structures abarticulaires dans la genèse de la gonarthrose. La dégénérescence méniscale, ou méniscose, est extrêmement fréquente, même en l’absence de symptômes : elle est de 19 % chez les femmes de 50-60 ans, puis augmente avec l’âge, pour atteindre 56 % chez les hommes de 70 à 90 ans (28). Lorsqu’elle survient sur un genou par ailleurs sain, c’est-à-dire sans lésion du cartilage, la méniscose est un facteur de risque de développer une 262

gonarthrose ultérieure. Ce risque varie d’ailleurs selon le type de dégénérescence méniscale et est maximal lorsque la fente radiaire vient au contact du mur méniscal ou lorsqu’elle s’accompagne d’une excentration méniscale (29, 30). Enfin, on sait aussi depuis peu que cette méniscose est un facteur de risque de progression structurale d’une gonarthrose préexistante (31).

Aspect systémique de l’arthrose au cours de l’obésité L’augmentation du stress mécanique ne peut pas expliquer l’augmentation de la prévalence de l’arthrose digitale observée chez les patients obèses (32). C’est pourquoi certains auteurs ont émis l’hypothèse du rôle de facteurs systémiques dans la genèse des lésions arthrosiques chez ces patients (33, 34). Un lien de causalité entre un trouble du métabolisme glucidique (35) ou lipidique et l’arthrose a d’ailleurs été proposé : quelques études ont en effet mis en évidence une association significative entre hypercholestérolémie et arthrose généralisée (36-38). Les facteurs systémiques les plus étudiés et pouvant faire le lien entre obésité et arthrose sont les adipocytokines et en particulier la leptine. Leptine, résistine et adiponectine ont été mises en évidence dans le liquide synovial d’arthrose et de polyarthrite rhumatoïde. Les taux synoviaux de résistine et d’adiponectine sont corrélés aux paramètres systémiques de l’inflammation (39). Du fait de son faible poids moléculaire, la leptine diffuse probablement passivement au travers de la membrane synoviale. Ses taux synoviaux sont corrélés à l’index de masse corporelle et varient vraisemblablement selon les taux plasmatiques (40, 41). Elle est

exprimée et synthétisée, de même que son récepteur, par les chondrocytes articulaires (40, 42). Cependant, les données in vitro concernant ses effets sur le métabolisme chondrocytaire peuvent paraître équivoques. Ottero et al. ont rapporté un effet “pro-inflammatoire” de la leptine, capable de potentialiser les effets de l’interféron gamma et de l’IL-1β sur l’induction de l’iNOS chondrocytaire (43, 44). A l’opposé, d’autres études ont mis en évidence des effets anaboliques de la leptine : augmentation des synthèses de protéines matricielles et des synthèses chondrocytaires de facteurs de croissance (TGFβ et IGF-1) (40, 42). Plus récemment, il a été démontré que la visfatine, une autre adipokine, était produite par les chondrocytes arthrosiques et pouvait exercer un rôle délétère sur le cartilage (45). Il est donc possible que des concentrations anormales de certaines de ces adipokines puissent exercer un rôle délétère sur les cartilages des patients obèses.

Conclusions L’arthrose n’est pas un processus passif d’usure simple du cartilage. Au contraire, il existe une inflammation de bas grade dans ce tissu, mais aussi dans ceux avoisinant, en particulier l’os sous-chondral et la membrane synoviale, ces trois structures s’influençant réciproquement. Les progrès qui ont été faits dans la compréhension de la physiopathologie de cette maladie en deux décennies sont majeurs, et permettront peutêtre un jour l’émergence de noun velles thérapeutiques. Retrouvez la bibliographie complète de cet article sur : www.rhumatos.fr

Mots-clés : Cartilage, Chondrocyte, Synovite, Gonarthrose.

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Arthrose

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2 Etat des lieux

de l’arthrose

Et perspectives de nouveaux traitements n Le traitement de l’arthrose est certainement, en rhumatologie, l’enjeu le plus important dans les années à venir. Non seulement parce qu’il s’agit de la maladie articulaire la plus fréquente, mais aussi parce que son coût économique est tout à fait considérable. Mais où en sommesnous actuellement ?

L'

arthrose est de loin la maladie articulaire la plus fréquente. Nous disposons en France, depuis l’étude KHOALA, de données chiffrées de cette fréquence (1). Ainsi, il a été montré que la gonarthrose symptomatique dans une population entre 40 et 75 ans variait de 2,1 % à 10,1 % pour les hommes et de 1,6 à 14,9 % pour les femmes et en ce qui concerne la coxarthrose de 0,9 % à 3,9 % pour les hommes et de 0,7 à 5,1 % pour les femmes (1). L'arthrose est une maladie qui devient invalidante au fil de son évolution de par la chronicité de la douleur et le handicap fonctionnel attenant (2). La meilleure compréhension de la physiopathogénie de la maladie arthrosique nous ouvre des champs et des perspectives thérapeutiques jusque-là ignorés (Fig. 1). En effet, nous sommes passés du concept d'une maladie d'usure du cartilage, à celle d'une maladie évolutive touchant plusieurs tissus dans l'articulation, dont la membrane synoviale, l'os sous-chondral, les tissus péri-articulaires, et bien entendu le cartilage lui-même (3, 4). L’enjeu majeur dans les années à venir dans le traitement l'arthrose *Service de rhumatologie, Hôpital Henri Mondor, Créteil

Rhumatos •Novembre 2013 • vol. 10 • numéro 92

Pr Xavier Chevalier*

Agents anti-inflammatoires Anti-cytokines Inhibiteurs d’enzymes Inhibiteurs d’oxyde nitrique fémur Membrane synoviale ménisque

cartilage

rotule Cartilage

Os sous chondral tibia

membrane syniviale tendon rotulien (ligament rotulien)

Agents anti-ostéoclastiques Anti-angiogéniques

Figure 1 - Ciblage de la membrane synoviale et de l’os sous-chondral dans le but de diminuer la dégradation du cartilage.

est de trouver une molécule pouvant à la fois ralentir le processus arthrosique, tout en diminuant les phénomènes douloureux. Cette molécule idéale, doit également présenter un rapport bénéfice/ risque très favorable (5). En réalité, il est possible de dissocier d'une part l'objectif de traiter purement la douleur et les symptômes, de celui, plus ambitieux, qui consiste à retarder l'évolution de la maladie (5). Ainsi, les essais qui visent uniquement à améliorer les symptômes

sont en général de durée beaucoup plus courte, et ciblent plus spécifiquement les mécanismes non spécifiques de la douleur, alors que les essais de chondro-protection sont des essais beaucoup plus lourds, difficiles à mettre en place, nécessitant un investissement très important et pour lesquels, sur une période de suivi longue, il est beaucoup plus difficile d'apprécier l'évolutivité des symptômes. Actuellement,

nous

disposons 263


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dans notre arsenal thérapeutique validé par différentes conférences de consensus, d'antalgiques, d'anti-inflammatoires, d'infiltrations locales de corticoïdes et d'acide hyaluronique, et d'une classe thérapeutique définie comme des médicaments à action lente (6). Ces derniers ont montré une certaine capacité à ralentir l'évolutivité des lésions arthrosiques mais de façon modérée et avec une pertinence clinique qui reste à déterminer. Les dernières recommandations de l’American College of Rheumatology ne retiennent plus ni les ASAAL ni les injections d’acide hyaluronique (7). Nous ne disposons pas actuellement de véritables médicaments ciblés qui permettent de ralentir l'évolutivité de la maladie.

Comment aborder les différents traitements nouveaux de l'arthrose ? Dans cette revue, nous distinguerons les nouveaux traitements spécifiquement dirigés sur les symptômes, de ceux ciblant plus spécifiquement une molécule impliquée dans la dégradation du cartilage, mais dont le blocage pourrait également avoir un effet symptomatique (8).

Les anti-NGF : les nouveaux super antalgiques dans l'arthrose ?

Le Nerve Growth Factor est un facteur de croissance directement impliqué dans la transmission des voies de la douleur (9). En effet, le NGF sensibilise les nocicepteurs. Ce facteur de croissance a été mis en évidence dans le liquide synovial de différentes arthropathies et son taux est détectable dans le liquide synovial (10). Des 264

anticorps monoclonaux bloquant spécifiquement ce facteur de croissance ont été mis au point. En 2010, un essai portant sur des patients souffrant de gonarthrose symptomatique, publié dans le New England Journal Medecine, comparant des perfusions de tanezumab à celles d'un placebo toutes les 8 semaines, a montré des résultats tout à fait spectaculaires sur la diminution de la douleur (11). Le pourcentage moyen de la diminution de la douleur était entre 45 et 62 %, et un tiers des patients dans le groupe traité n’avaient pratiquement plus de douleur au terme des 16 semaines de suivi (11). L’enthousiasme initial a été quelque peu refroidi par l'apparition d'effets secondaires graves à type d'arthropathie rapidement destructrice (11). Cela a amené la FDA à suspendre tous les essais utilisant ce type d'inhibiteurs du NGF. L'analyse plus détaillée de ces événements a montré qu’ils étaient dépendants de la dose utilisée du tanezumab et qu'ils survenaient plus fréquemment en association aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). Après cette adjudication, il a été décidé d'autoriser à nouveau les essais avec les anti-NGF dans des phases III, mais sans association aux AINS. Ces nouveaux médicaments biologiques ont un effet antalgique extrêmement important, mais il sera bien entendu majeur de savoir si, oui ou non, ils continuent à entraîner à nouveau des arthropathies destructrices. Dans le traitement purement fonctionnel de l'arthrose, les antiNGF constituent la seule vraie avancée de ces dernières années.

Blocage de l'inflammation dans l'arthrose Au cours de ces dernières an-

nées, il a bien été mis en évidence le rôle majeur de l'inflammation, notamment de la membrane synoviale dans les poussées congestives de la maladie arthrosique (12, 13). Le degré de la synovite est corrélé avec la survenue ultérieure d'une chondrolyse (14). Les molécules qui gouvernent cette inflammation sont principalement les cytokines pro-inflammatoires comme l'interleukine 1 et le TNFα, mais également l’oxyde nitrique (NO) et d'autres molécules comme de nouveaux facteurs de croissance appartenant à la famille des WNT ou des protéines intervenant dans l'immunité innée comme les alarmines et l'activation de la cascade du complément (12). De façon schématique, on peut dire que ces molécules, notamment l’interleukine, activent la production des enzymes d'une part, et d'autre part bloquent l’anabolisme des chondrocytes (12, 13). Le tout contribue à la dégradation de la matrice du cartilage. Il est donc tout à fait logique d'envisager que des inhibiteurs de ces cytokines ou de ces protéines de l'inflammation puissent être bénéfiques sur le plan structural dans la maladie arthrosique (15, 16). De plus, ces mêmes cytokines interviennent dans les voies périphériques et centrales de la transmission de la douleur (17). Néanmoins et compte tenu de la lourdeur de ces essais de chondro-protection, l'utilisation de ces biologiques a surtout été faite dans des essais à court terme avec, pour critère principal, le suivi de l'évolution de la douleur. Cela peut expliquer en partie les résultats globalement négatifs de l'utilisation des biologiques dans l'arthrose. Rhumatos • Novembre 2013 • vol. 10 • numéro 92


Utilisation des anti-cytokines type inhibiteur de l'IL-1 Nous disposons actuellement de deux grands essais randomisés contre placebo de l'utilisation d'inhibiteur de l’IL-1 dans la gonarthrose (18, 19). Nous avons réalisé le premier essai d’un biologique dans la gonarthrose par injections intra-articulaires de l’antagoniste de l'IL-1 chez des patients souffrant d'une gonarthrose symptomatique (18). Les patients bénéficiaient d'une seule injection, soit de 50 mg, soit de 150 mg d’IL-1 comparativement à celle d'un placebo. Cet essai est négatif sur le critère principal qui était l'évolution des symptômes à 1 mois (18). Le seul élément positif de l’essai était une différence significative à 3 jours entre le groupe ayant reçu 150 mg et le groupe placebo en ce qui concerne l'évolution du Womac global (18). Rétrospectivement, la demi-vie très courte de cet antagoniste peut parfaitement expliquer l'échec de cet essai (18). Un second essai a utilisé cette foisci un anticorps monoclonal dirigé contre le récepteur soluble de l’IL-1 (19). L’administration de l'anticorps se faisait par voie sous-cutanée avec des injections mensuelles, et le critère principal était l'évolution de la douleur à 3 mois (19). A nouveau, cet essai est négatif et n'a pas permis de montrer de différence significative entre le groupe placebo et le verum. Il existait néanmoins une tendance favorisant le traitement dans le groupe de patients ayant le niveau de douleur le plus élevé à base-line. Cet essai est entaché par ailleurs d'un décès lié à une surinfection pulmonaire, elle-même reliée à une neutropénie (19). L'utilisation des anticorps au long cours entraîne une neutropénie constante. Rhumatos •Novembre 2013 • vol. 10 • numéro 92

Blocage des anti-TNFα La seconde molécule ciblée a été le TNFα. Nous disposons dans la polyarthrite rhumatoïde de très nombreux anticorps dirigés contre le TNFα et qui ont montré des résultats très spectaculaires. Il était tout à fait logique d'utiliser ces anticorps préférentiellement dans l’arthrose digitale, notamment dans sa forme érosive, qui est une forme qui se rapproche un peu d’un rhumatisme inflammatoire (20). Nous avons mené récemment un essai comparant deux injections d’adalimumab à 40 mg comparativement à un placebo avec, comme critère principal du suivi, l'évolution de la douleur à 6 semaines (21). Cet essai n'a pas permis de montrer de différence entre le groupe placebo et le groupe traité (21). Le second essai qui a été publié avait pour objectif de montrer une modification de l'évolution structurale dans l’arthrose digitale (22). Dans cet essai, 60 patients au total ont reçu sur une période d'un an, soit le placebo, soit l’adalimumab (40 mg toutes les 2 semaines) (22). Il n'a pas été montré de différence sur l'évolution structurale entre les deux groupes en utilisant différents scores radiographiques (22). Néanmoins, le sous-groupe de patients ayant au départ des inflammations cliniquement décelables des inter-phalangiennes avait moins d'érosions à terme dans le groupe traité, que dans le groupe placebo (3 % dans le groupe traité, 14 % de nouvelles érosions dans le groupe placebo) (22). Globalement ces deux essais sont négatifs. Néanmoins, ils pourraient faire apparaître un sous-groupe de patients ayant des formes plus inflammatoires comme étant le meilleur groupe

potentiellement répondeur aux anti-TNFα. Un essai très récent ouvert a utilisé toujours ce même anticorps monoclonal anti-TNFα (adalimumab) chez 20 patients ayant une gonarthrose symptomatique associée à un épanchement intra-articulaire (23). A trois mois, il existe un taux de répondeurs OARSI très élevé audelà de 60 %. Néanmoins, il s'agit d'une étude ouverte, qui nécessite bien entendu d'être contrôlée et confirmée dans un essai de plus grande envergure.

Inhibition de l’oxyde nitrique Le NO est un gaz qui intervient dans différentes fonctions cellulaires. Schématiquement, on peut retenir que la production physiologique de NO est plutôt protectrice visà-vis des tissus mais que, dans des conditions pathologiques, la surproduction de ce gaz entraîne de l'inflammation, des phénomènes de nitrosylation des protéines, de peroxydation des protéines et de mort des cellules (24). Nous disposons d'inhibiteurs des enzymes de la synthèse du NO. Un essai très récent a utilisé un inhibiteur spécifique de la NO synthétase dans une étude de chondro-protection dans la gonarthrose sur 2 ans (25). Les patients recevaient soit le placebo, soit 50 mg ou 200 mg de l'inhibiteur spécifique administré par voie orale. Sur l'ensemble de la population étudiée, à 1 et à 2 ans, il n’y avait aucune différence significative sur l'évolution du pincement de l'interligne articulaire (25). Seul le sous-groupe des patients ayant au départ un stade radiologique correspondant à un stade de Kellgren et Lawrence de grade II avait une tendance à une moindre évolution dans le groupe traité, et seulement dans le groupe traité à 50 mg. Au total, cet essai est totalement négatif sur l'évolutivité de la maladie. 265

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Inhibiteur des métalloprotéases et des agrécanases Il y a eu beaucoup de progrès dans la définition d’une plus grande spécificité des inhibiteurs de ces différentes enzymes, alors même que les premiers essais utilisant des inhibiteurs non spécifiques de métalloprotéases avaient été entachés par des effets secondaires notamment musculo-squelettiques (26, 27). On dispose actuellement d’essais faits chez l’animal avec des inhibiteurs très spécifiques notamment de la métalloprotéase 13 (collagénase 3) (28). Cependant, nous n'avons actuellement aucun essai chez l'Homme. Il faut rester très prudent sur les essais positifs chez l'animal qui constituent un modèle d'arthrose rapide, difficile à transposer chez l'Homme où l'évolution de la maladie se fait au long cours.

Cibler l'os sous-chondral L’avancée majeure de ces dernières années a été sans aucun doute la compréhension des relations complexes entre le cartilage et l'os sous-chondral (29). Le rôle de l’os sous-chondral apparaît tout à fait majeur dans la stabilisation mécanique du cartilage. Plus récemment, il a été montré, notamment dans les modèles expérimentaux chez l'animal, qu'il existait une accélération du turnover de l'os sous-chondral dans les stades précoces de l'arthrose (29). Dans les stades plus tardifs, il existe au contraire une sclérose de l'os sous-chondral qui va se traduire radiologiquement par un épaississement et une densification de l'os. De plus, l'invasion des cellules de l'os sous-chondral dans les couches les plus profondes du cartilage entraîne une inflammation locale et une invasion vascu266

laire qui participent à l'altération de la matrice cartilagineuse (29). Toutes ces données laissaient à penser que l'utilisation d’inhibiteurs du métabolisme osseux et d’agents anti-ostéoclastiques était logique dans la gonarthrose. De fait, l’utilisation de tériparatide dans un modèle d’arthrose expérimentale chez le rat permet une diminution à la fois préventive et thérapeutique des lésions du cartilage (30). Les premiers essais de chondroprotection chez l’Homme utilisant un bisphosphonate (le risédronate), comparativement à un placebo sur une période de 2 ans dans le traitement de la gonarthrose, ont été décevants et n’ont pas permis de mettre en évidence un quelconque bénéfice sur le ralentissement du pincement de l’interligne articulaire (31). Récemment, a été publié un essai de grande envergure (le plus gros essai de chondro-protection) portant sur 1 600 patients souffrant de gonarthrose et ayant comparé deux doses de ranélate de strontium 1 et 2 g à un placebo (32). Le ranélate de strontium est un agent découplant, qui inhibe à la fois le catabolisme de l'os, mais également qui favorise l’anabolisme des ostéoblastes. Cet essai est globalement positif à 3 ans d’évolution et montre qu’à la dose de 1 et 2 g, on peut épargner 0,1 mm de pincement de l'interligne (32). Cette épargne, qui peut apparaître modeste, correspond néanmoins au gain d’une année d'évolution de la gonarthrose sur cette période de 3 ans. De façon plus intéressante, il a été montré en parallèle que dans le groupe de patients ayant une évolution plus rapide (0,5 mm sur une période de 3 ans), le ranélate de strontium pouvait diminuer de façon substantielle, de plus de 30 %, le nombre de patients ayant

une progression rapide (32). Ce dernier élément est certainement le plus intéressant car il indique que, probablement, cette diminution des progresseurs rapides pourrait se traduire à terme par une diminution de patients ayant recours à une prothèse. Néanmoins, ce point majeur reste bien entendu à démontrer à partir de suivis de cohortes de patients prenant au long cours ce type de traitement. Un autre essai, utilisant de la calcitonine orale avait été publié uniquement sous forme d’abstracts dans un essai de chondro-protection utilisant à la fois les données radiographiques, mais également celles de l’IRM (33). Globalement, l'utilisation de calcitonine orale ne modifie pas l'évolution du pincement de l'interligne à 2 ans, mais semble améliorer le volume du cartilage (33). Au total, cibler l'os sous-chondral apparaît certainement comme un objectif intéressant et qui n'est pas contradictoire avec l'utilisation d'agents plus anti-inflammatoires dans la gonarthrose.

Stimuler l’anabolisme du cartilage Une autre façon d'appréhender le problème n'est pas de limiter la destruction du cartilage mais plutôt de favoriser sa réparation. C'est dans cette perspective qu’a été réalisé un essai d’injections intra-articulaires d’un facteur de croissance, le FGF-18. Dans cette famille de facteurs de croissance, le FGF-18 est, avec d'autres facteurs de croissance comme les BMP, un facteur anabolique puissant du chondrocyte. Le design de cette étude était complexe puisqu’il consistait à utiliser des doses variables, et à des rythmes d'injections variables en intra-articulaire du FGF-18 (34). Globalement sur l'évolution de Rhumatos • Novembre 2013 • vol. 10 • numéro 92


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Utilisation des cellules souches dans le traitement futur de la gonarthrose Il existe un réel engouement concernant l'utilisation des cellules souches dans les phénomènes de réparation tissulaire (35). Plus que la capacité de ces cellules à se transformer in situ en des cellules résidentes, comme des chondrocytes, des ostéoblastes ou des cellules adipeuses, l'avantage principal de l'utilisation de cellules souches réside dans leur capacité à produire des cytokines contreinflammatoires. Un essai très récent chez l'animal montre qu’une seule injection intra-articulaire de quelques millions de cellules souches mésenchymateuses autologues d'origine adipeuse est capable dans un modèle d'arthrose induite par injections de collagènase de diminuer les lésions du cartilage, de diminuer la production des entésiophytes et de diminuer l'inflammation de la membrane synoviale (36). Il existe actuellement en cours un essai de phase 1, 2 chez l'Homme de l'utilisation de ces cellules souches d'origine adipeuse. Là encore, il conviendra d'être très prudent et de regarder attentivement si ces cellules souches ne Rhumatos •Novembre 2013 • vol. 10 • numéro 92

peuvent pas in situ se transformer en des cellules résidentes et favoriser par ailleurs la production d’ostéophytes. On peut également envisager de délivrer dans l’articulation in situ ces facteurs de croissance par l'administration de concentrés plaquettaires. Cette technique, connue sous le nom de PRPP, consiste à injecter des plaquettes concentrées autologues en intra-articulaire au rythme de trois à cinq injections avec des intervalles d’1 à 2 semaines. Ces injections connaissent un véritable engouement, notamment dans le milieu sportif. Néanmoins nous ne disposons que de très peu d’études randomisées contrôlées et bien faites qui permettent de démontrer leur effet symptomatique. Récemment, un essai comparant les PRPP à l'acide hyaluronique montre un effet antalgique discrètement supérieur de PRPP (37). Il s'agit d'une option thérapeutique potentiellement intéressante mais qui, à nouveau, mérite d'être confirmée. Nous aurons peut-être à l’avenir également à disposition de nouveaux agents lubrifiants à côté de l'acide hyaluronique déjà largement utilisé dans notre pratique quotidienne. Parmi ces agents lubrifiants, figure une glycoprotéine, la lubricine. Contrairement à l'acide hyaluronique qui agit plutôt comme un gel protecteur, la lubricine agit davantage comme une forme de colle qui vient protéger les couches les plus superficielles du cartilage. L'utilisation chez l’animal dans des modèles d'arthrose de cette molécule a montré des résultats probants en termes de protection du cartilage (38). Pour autant, nous ne disposons actuellement d'aucun essai en cours chez l'Homme.

Conclusions Comme nous l’avons vu, il y a de très nombreuses pistes thérapeutiques mais globalement, à ce jour, les résultats utilisant des nouveaux traitements sont décevants. Ces résultats négatifs peuvent s’expliquer de différentes façons. La première, la plus simpliste mais qui est certainement l’une des plus importantes, est de se rappeler que le cartilage est un tissu dépourvu de vascularisation et que par conséquent, il est difficile à atteindre. Les nouveaux traitements de l'arthrose devront certainement se faire par voie intra-articulaire pour essayer de cibler au mieux et le cartilage et la membrane synoviale (16). Le second problème majeur concerne le temps de résidence des molécules dans l’articulation. En effet, il est illusoire de penser pouvoir traiter la maladie par des injections directes de ces molécules de façon ponctuelle. Il faut donc envisager soit des traitements avec des injections répétées, soit des procédés qui permettent d’allonger de façon substantielle le temps de résidence intra-articulaire de ces molécules. Nous disposons actuellement de beaucoup de voies de recherche qui vont de l'utilisation de nanoparticules à celles de peptides recombinants, de gels, de liposomes, ou de microsphères qui permettent toutes d'augmenter le temps de distribution de ces molécules (16). Néanmoins, jusqu'à ce jour, aucune de ces nouvelles approches n’a franchi le seuil de résultats probants en clinique humaine. La thérapie génique est une façon également élégante de pouvoir prolonger la production locale d'une molécule (39). Actuellement, est en cours d'élaboration un essai clinique utilisant un adénovirus dans lequel a été inclus le 267

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l'interligne, l’essai est totalement négatif (34). D'autre part, il est également négatif sur l'évolution de la douleur montrant de façon paradoxale un effet plus favorable du groupe placebo (34). Il faut certainement être prudent avec l’utilisation de ces facteurs de croissance qui ont la potentialité locale de différencier des cellules souches, mais également les chondrocytes vers des fibro-chondrocytes et par ailleurs de favoriser la production de chondro-ostéocytes.


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DOSSIER

gène de l’IL-1 antagoniste (40). L'objectif de cette étude est de distribuer, par injections intraarticulaires directes ce vecteur viral incluant l’ADN cible, afin de permettre une production importante et rémanente de cet antagoniste de l’IL-1 (40). D'autre part, le traitement de l'arthrose ne peut pas être calqué sur celui d'un rhumatisme inflammatoire. Il faut certainement repenser les perspectives de ce traitement à l’échelon individuel, mais également en fonction des différents profils de la maladie.

Ainsi, il serait logique d'utiliser des super molécules anti-inflammatoires lors de poussées congestives de la maladie (15, 16). Il n’est sans doute pas licite de les utiliser au long cours. Ainsi, il serait logique d'utiliser des facteurs plutôt anaboliques dans des formes d'arthrose ayant une évolution lente avec peu d’ostéophytes, plutôt que de les utiliser dans des formes très hypertrophiques avec production d’ostéochondromes. Il faut donc imaginer à l'avenir adapter les nouveaux traitements à des temps différents, en fonction du phénotype et de l'évolu-

tion à un temps T de la maladie. Traiter la maladie arthrosique est un enjeu majeur et passionnant pour les années à venir. n

Retrouvez la bibliographie complète de cet article sur : www.rhumatos.fr

Mots-clés : Arthrose, Gonarthrose, Anti-NGF, Anti-TNFα, Inhibiteurs de l’IL-1, Inhibition de l’oxyde nitrique, Inhibition des métalloprotéases et des agrécanases, Os sous-chondral, Anabolisme, Cellules souches

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écho des congrès

Le grand rendez-vous de la rhumatologie interventionnelle Compte rendu du 9e congrès du GRRIF n La 9e réunion du GRRIF s’est tenue du 28 au 30 juin 2013, à Bendor. Cette année encore, les participants ont pu bénéficier d’un programme de communications riche et diversifié, dont nous rapportons ici les éléments les plus significatifs. Porté par le dynamisme et l’enthousiasme de ses dirigeants, le GRRIF est de plus en plus reconnu comme la référence en matière de rhumatologie interventionnelle.

Antisepsie des gestes sous échographie D’après une intervention du Dr Eric Gibert (Ivry-sur-Seine) avec la collaboration du Dr Fabien Etcheparre (Arpajon)

En pratique échographique, quels matériels utilisent nos collègues ? Actuellement, les matériels les plus fréquemment utilisés en France sont les antiseptiques de surface (89 %), la protection de la sonde par condom stérile (50 %) et les gels stériles (44 %). Mais 36 % des opérateurs n’utilisent aucun de ces moyens. Les gants stériles (47 %), le port d’un masque (27 %) et l’emploi de champs stériles (14 %) figurent en bonne place dans l’arsenal pour effectuer des gestes sous contrôle échographique. Les procédures varient peu dans les différents pays européens. *Rhumatologue, Griselles

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Quelles règles d’hygiène pour pratiquer l’échographie en libéral ? Un geste simple d’hygiène, efficace et très suffisant en terme de désinfection, est l’essuyage de la sonde entre chaque patient pour enlever l’excédent de gel, suivi d’un nettoyage avec une lingette désinfectante. Certaines règles doivent être respectées : bon positionnement du patient, de la sonde, recours éventuel à une aide si gestes complémentaires (ponction, infiltration…), première désinfection pour la mise en place de la sonde, nouvelle désinfection pour la mise en place de l’aiguille. Les deux produits les plus employés sont la Bétadine® (polyvidone iodée) et le Septéal® (chlorhexidine alcoolique). La mise sous housse de la sonde est avantageusement remplacée par l’emploi d’un film plastique étirable avec interposition de gel

Dr Michel Bodin*

entre le film et la sonde. En Allemagne, est proposé un autre produit (Softasept®), mélange d’éthanol et de propanol, dont l’échogénicité est remarquable tout comme l’efficacité antiseptique en cas de geste infiltratif. La discussion a ensuite porté sur le risque toxique de ces produits à base d’alcool sur le cristal de la sonde : il semble qu’à 70 degrés l’alcool ou éthanol ne pose pas de problème. L’inconvénient de la Bétadine® est sa coloration jaune et les taches, quasi inévitables, lors de son usage répété.

Gestes échoguidés/ échorepérés, main et poignet D’après une intervention du Pr Philippe Gaudin et du Dr Pascal Pillon (Grenoble)

10 % des échographies intéressent la main et le poignet. Pour cette Rhumatos •Novembre 2013 • vol. 10 • numéro 92


Le grand rendez-vous de la rhumatologie interventionnelle

localisation, après information et consentement du patient, la procédure comprend une anesthésie locale, par crème ou injection, une échographie de marquage et un abord par voie dorsale. Il est essentiel d’effectuer un radioguidage ou un radiorepérage afin d’éviter les effets délétères des cortisoniques. L’échographie suit l’aiguille en temps réel et offre le temps de gérer une éventuelle réaction. Les complications sont exceptionnelles. L’échorepérage définit la zone d’examen et l’échoguidage objective le placement de l’aiguille. L’utilisation d’un marqueur métallique (“trombone”) améliore le repérage avant la mise en place de l’aiguille ; d’autres techniques d’aide, comme le Doppler, peuvent être utiles en cas de difficultés. De nombreuses pathologies peuvent ainsi être explorées : atteintes des IPP, des MCP, de la trapézo-métacarpienne, du carpe, kystes synoviaux, tuméfactions des doigts, atteintes tendineuses (De Quervain, doigt à ressaut), atteintes nerveuses. En fin d’exposé, les auteurs ont présenté un matériel d’immobilisation de la sonde, en cours d’évaluation et devant permettre d’améliorer sensiblement le confort de l’intervention.

Traitement percutané Sous échographie de syndrome du canal carpien D’après une intervention du Dr Bertrand Lecoq (Coutances et CHU de Caen)

Le syndrome du canal carpien, lié à une compression du nerf Rhumatos • Novembre 2013 • vol. 10 • numéro 92

médian au poignet et générateur de paresthésies, nécessite dans la plupart des cas une libération chirurgicale du nerf lésé. A cette intervention classique peut se substituer désormais la chirurgie percutanée sous échographie, peu invasive et sécurisée. Cette technique pourrait être réalisable dans les meilleures conditions par les rhumatologues interventionnels et les chirurgiens formés s’ils peuvent disposer d’une salle de radiologie interventionnelle ou d’un bloc de chirurgie ambulatoire. Par une incision très courte au pli de flexion du poignet, après anesthésie locale, est introduit dans son trocart un couteau rétrograde destiné à la section du réticulum. L’écho apporte le confort d’une visualisation, en temps réel, du ligament, du nerf, des vaisseaux et du couteau. L’absence de lésions cicatricielles (pas de section de la paume de la main) est un facteur favorisant une reprise très rapide des activités. Plus de 100 patients ont été ainsi traités : tous ont vu disparaître leurs symptômes. Cette prise en charge plus légère induirait une économie théorique de plusieurs dizaines de millions d’euros chaque année. Les traitements d’autres localisations (nerf ulnaire au coude, ténotomie du biceps…) sont en cours d’évaluation. Petit à petit, le concept d’échochirurgie fait son chemin. Les récents travaux (présentés en décembre au congrès de la Société Française de Rhumatologie 2013) ouvriront certainement très prochainement la voie à une large diffusion de la technique par une formation adaptée.

La trousse d’urgence D’après une intervention du Dr Benoît Loze (Cornebarrieu) et du Dr Catherine Chastre (SAMU, Paris)

Il paraît indispensable d’avoir une trousse d’urgence dans son cabinet. Nous n’avons qu’une obligation de moyens, le contenu de la trousse est donc à adapter par chacun. Le contenu mentionné ci-dessous est assez complet pour faire face à la grande majorité des accidents et incidents liés aux gestes infiltratifs. Si le patient ne parle pas, ne respire pas et/ou est inconscient, le recours au SAMU (le 15) est impératif. Pour gagner du temps, il faut préparer une fiche de réponse au SAMU précisant l’adresse et le numéro de téléphone du cabinet, ainsi que des informations sur le patient : Respire-t-il ? Estil conscient ? A-t-il mal quelque part ? Saigne-t-il ? Au cabinet, un chariot ou un sac d’urgence connu de tous doit être disponible 24h/24, avec un contenu standardisé selon les conventions internationales : • des pochettes bleues pour la ventilation contenant des canules de Guedel n° 2, 3 et 4, un BAVU pour ventiler, une canule ou un masque de bouche à bouche ; • des pochettes rouges pour la circulation contenant des garrots, des cathéters roses et verts, des tubulures à perfusion, des robinets 3 voies, de la Bétadine® alcoolique, des seringues, des compresses et des sparadraps ; • des pochettes d’une autre couleur pour le petit matériel (stéthoscope et tensiomètre dédiés, thermomètre, appareil à glycémie capillaire, gants) et pour les solutés (sérum salé 0,9 % 500 ml x 2, adrénaline : Anahelp®, ampoules 271


écho des congrès

1mg IM, SC ou IV, Risordan®, Natispray®, Solumedrol® 40 mg ou HS d’hydrocortisone, Ventoline® Spray, atropine 0,5-1 mg, Aerius®, Zyrtec® ou Atarax®/Polaramine® injectable, ampoule glucosée 30 %). Tout le contenu du sac doit être listé, régulièrement vérifié et scellé (ainsi qu’après chaque utilisation) pour pallier tous les types d’urgences (arrêt cardiaque, choc anaphylactique, allergie débutante, urticaire géant, IDM, hypoglycémie, malaise vagal). Un défibrillateur est obligatoire dans les cabinets de kinésithérapie, mais l’oxygène n’est pas obligatoire. Enfin, l’auteur a rappelé ce qu’est le syndrome de Tachon : c’est la survenue, dans 1 cas pour 8 000, dans les suites immédiates d’une infiltration cortisonée, de violentes douleurs thoraciques et dorsolombaires spontanément régressives et bénignes. En résumé, il faut : • avoir uniquement le matériel que l’on connaît et que l’on sait utiliser ; • avoir de l’adrénaline (indispensable) ; • appeler le 15 et tenir jusqu’à l’arrivée du SAMU ; • former le personnel du cabinet.

Un curieux kyste poplité D’après une intervention du Dr Sylvie Mélac-Ducamp (Nevers)

Ce cas clinique concerne une patiente de 73 ans, en surcharge pondérale, souffrant d’une polyarthrose et ayant présenté à plusieurs reprises des poussées congestives des genoux. Entre décembre 2006 et janvier 2013, la malade a été traitée à de nombreuses reprises par viscosupplémentation, avec 272

ou sans injection de cortisoniques.

DEScription Le 3 avril 2013, une exacerbation de la douleur poplitée avec gonflement de la cuisse amène à la pratique d’une échographie, qui conduit à suspecter une arthrite septique postinfiltration, tandis que le scanner évoque un abcès poplité. Lors de l’hospitalisation, la CRP est < 2, la VS à 10, et la NFS normale. La ponction fournit un liquide visqueux stérile. L’IRM met en évidence une volumineuse tumeur pseudo-kystique de toute la cuisse. De la fesse au genou, une résection étendue permet de retirer une substance gélatineuse. Histologiquement, on relève une tumeur multinodulaire infiltrante, comportant une matrice myxoïde lâche, des cellules tumorales de petite taille dont le cytoplasme renferme des vacuoles de substance mucoïde avec aspect pseudolipoblastique, parfois chondroïde. Il n’y a pas de nécrose tumorale. La tumeur est mal circonscrite, englobant des îlots de tissus adipeux et quelques faisceaux musculaires striés.

Diagnostic

Il s’agit d’un myxofibrosarcome grade 2 (anciennement histiocytofibrome myxoïde malin). Cette tumeur récidive localement dans 60 % des cas et peut métastaser dans environ 20 % des cas. A ce jour, la patiente va bien. Elle est actuellement en radiothérapie en prévention d’une récidive.

Etude PREVICOX D’après une intervention Dr Bernard Maillet (Moulins)

du

La viscosupplémentation est très largement utilisée dans la prise en charge de la gonarthrose. Son

utilisation dans la coxarthrose semble donner des résultats moins satisfaisants. Il est apparu important à travers l’étude PREVICOX (Etude prospective des facteurs prédictifs de l’efficacité d’une injection IA d’acide hyaluronique chez des patients présentant une coxarthrose symptomatique) d’essayer de faire ressortir les facteurs prédictifs de bonne ou mauvaise réponse. Cette étude, purement observationnelle, inclut depuis septembre 2013, 100 patients en médecine libérale, soit 4 à 10 par centre. Le seul critère d’inclusion est la présence d’une coxarthrose clinique et radiologique et les critères d’exclusion sont les contre-indications à la viscosupplémentation. Le bilan à l’inclusion comprend un questionnaire d’épidémiologie et d’anamnèse, l’établissement d’un Womac A, B, et C, une évaluation par le patient et une vérification des clichés (de moins de 6 mois). Tous les clichés seront conservés jusqu’à la fin de l’étude ; les IRM seront adressées à Nancy pour lecture centralisée (Pr Damien Loeuille). L’injection de l’AH (HAppyCross® du Laboratoire Labrha) sera pratiquée conformément aux habitudes du praticien. A 90 jours, seront refaits les bilans Womac et EGP ; des questionnaires courts évalueront l’efficacité du traitement, la satisfaction du patient, la consommation d’antalgiques et les évènements indésirables. Les facteurs prédictifs seront basés sur les critères démographiques, pathologiques et radiologiques, les données de l’IRM, les techniques employées pour l’injection et le mode de repos observé. La fin des inclusions est prévue pour le premier trimestre 2014. Après l’analyse statistique Rhumatos • Novembre 2013 • vol. 10 • numéro 92


Le grand rendez-vous de la rhumatologie interventionnelle

de ces données et l’écriture d’un rapport, une publication de niveau international sera envisagée.

Acide Hyaluronique (AH) et Tendons D’après une intervention Dr Henri Lellouche (Paris)

du

La fréquence des tendinopathies est de 14 % et représente plus de 20 % des indications de nos gestes effectués au cabinet. Il en existe plusieurs sortes : tendinopathies d’insertion ou enthésites (tendinite de l’épaule ou du genou), ténosynovites (tendinite de De Quervain), ténobursites (pelvitrochantérites), doigt à ressaut… Tous les aspects pathologiques (nodules, ruptures, fissurations, etc.) peuvent se voir et s’intriquer. On distingue la tendinose, en rapport avec un tendon aux fibres dégénérées, de la tendinite ou ténosynovite, avec processus inflammatoire associé. La vascularisation tendineuse est mauvaise dans les deux cas. Chez le sujet jeune et sportif, l’origine est une activité tendineuse exagérée, ou une erreur de matériel ; chez le

sujet âgé, une activité répétitive sportive ou professionnelle, voire un trauma. De nombreux facteurs favorisants existent : la morphologie, l’âge, le surpoids, etc. L’atteinte du tendon peut révéler une pathologie sous-jacente. Cliniquement, on note une douleur à la fonction, une raideur articulaire, voire une crépitation. La radio, l’IRM et le scanner peuvent aider au diagnostic, mais l’examen le plus utile est certainement l’échographie. Le traitement consiste d’abord à supprimer l’inflammation. Les antalgiques, AINS, la mésothérapie et les infiltrations de corticoïdes sont largement utilisés, ainsi que la kinésithérapie, le glaçage, le strapping, voire les ondes de choc et les concentrés plaquettaires. Ensuite, il convient d’améliorer la fonction tendineuse. Les traitements varient en fonction de la localisation : traitements physiques, aménagement du poste de travail et des conditions de l’activité sportive. Toutefois, malgré les nombreux moyens de prise en charge, les récidives sont fréquentes et le

risque est le passage à la chronicité. La poursuite relative du sport, sous le seuil de douleur, est souvent bénéfique. Dans l’arsenal thérapeutique, l’intérêt de l’AH a été confirmé par de nombreux travaux expérimentaux et cliniques. Le but est de restaurer un meilleur environnement de fonction du tendon et d’améliorer l’élasticité tendineuse et la fluidité du mouvement pour faciliter la cicatrisation et éviter la récidive. Il favorise la réparation chirurgicale du tendon dans les gaines synoviales. Les travaux cliniques ont mis en évidence la qualité des résultats obtenus pour les tendinopathies en général, l’atteinte de la coiffe des rotateurs, les épicondylites, les doigts à ressaut et les tendinopathies rotuliennes. L’AH s’injecte en périphérie du tendon, ou dans la gaine tendineuse, sous contrôle échographique. n

Mots-clés : Echographie, Urgence, Syndrome du canal carpien, Kyste poplité, Etude PREVICOX, Acide hyaluronique

rendez-vous de l’industrie Médicament

ARTHROSE

Prolia® et ostéoporose post-ménopausique

L’AFLAR publie les résultats de son enquête

L

e médicament Prolia® (denosumab) est remboursé (à 65 %) depuis le 27 septembre 2013 dans le traitement de l’ostéoporose post-ménopausique chez la femme à risque élevé de fractures, en relais des bisphosphonates. Les patientes devront être préalablement traitées par bisphosphonates pendant au moins 3 mois consécutifs au cours de l’année précédant l’instauration de Prolia®. Le denosumab est un inhibiteur spécifique du RANK ligand. Son efficacité anti-fracturaire et sa tolérance ont été confirmées par l’étude FREEDOM, après 8 ans d’utilisation. n

Rhumatos • Novembre 2013 • vol. 10 • numéro 92

L’

association française de lutte anti-rhumatismale (AFLAR) a mené une grande enquête nationale sur l’arthrose, maladie qui touche 17 % des Français, et a donné la parole aux malades. Plus de 4 600 personnes y ont répondu. Il en ressort que 47 % des patients atteints d’arthrose ont moins de 60 ans. Seuls 56 % des malades ont un traitement médicamenteux. Les patients, les asssociations et les professionnels de santé s’inquiètent de la mauvaise prise en charge de l’arthrose et craignent le déremboursement des traitements. Plus d’informations sur stop-arthrose.org. n

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