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Essais cliniques en rhumatologie pédiatrique

Dossier rédigé par le Pr Pierre Quartier*

n La recherche clinique en rhumatologie pédiatrique est particulière, compte tenu des spécificités de l’enfant. Grâce a un réseau international très actif, des essais cliniques ont pu aboutir à

INtroduction

La rhumatologie pédiatrique regroupe un ensemble de maladies et syndromes rares ou orphelins, regroupés en quelques grandes catégories que sont les Arthrites juvéniles idiopathiques (AJI) (1), les maladies et syndromes auto-inflammatoires, les connectivites et vascularites pédiatriques et *Université Paris-Descartes - Centre de référence national des maladies rares "Arthrites juvéniles" - Unité d’immunologiehématologie et rhumatologie pédiatriques, Hôpital NeckerEnfants malades, Paris - Institut IMAGINE

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enfin les arthrites réactionnelles et autres entités inclassables ailleurs (Tab. 1). Les progrès réalisés pour la prise en charge de ces patients passent pour l’essentiel par des travaux de recherche clinique menés au niveau international avec le concours du Pediatric International Trial Organisation (PRINTO, www.printo.it) qui couvre l’Europe, l’Amérique latine, une partie de l’Asie et quelques pays d’Afrique (2), et son alter ego nord-américain le Pediatric

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l’amélioration de la qualité de vie des jeunes malades atteints d’affections rhumatotologiques.

© crédit

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Rheumatology Collaborative Study Group (PRCSG), les deux entités collaborant le plus souvent ensemble. Ces collaborations internationales ont permis d’inclure régulièrement entre 100 et 200 patients d’âge pédiatrique dans des essais multicentriques randomisés restreints à l’une ou l’autre des différentes formes d’AJI, dont la forme systémique, à certains syndromes auto-inflammatoires rares ou à des maladies de système très rares comme la dermatomyosite juvénile. Des esRhumatos • Février 2014 • vol. 11 • numéro 95


Tableau 1 - Principales pathologies suivies en rhumatologie pédiatrique. Arthrites juvéniles idiopathiques : Essais cités (Réf.) 1. Formes systémiques (8-9, 22-23, 26) 2. Formes polyarticulaires avec présence de facteur rhumatoïde (10-14) 3. Formes polyarticulaires sans facteur rhumatoïde* (10-14) 4. Formes oligoarticulaires persistantes ou étendues* (10-14) 5. Arthrites avec enthésopathie (et/ou positivité du HLA B27) 6. Rhumatisme psoriasique 7. Autres arthrites* Connectivites et vascularites pédiatriques : Lupus, sclérodermies, connectivites de chevauchement, polymyosites, Dermatomyosite juvénile Kawasaki, Takayasu, PAN, vascularites à ANCA

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Syndromes auto-inflammatoires : CAPS : Urticaire familial au froid, Muckle-Wells, CINCA/NOMID (7, 30-32) FMF, TRAPS, déficit en mévalonate kinase/syndrome hyper-IgD, DIRA, PAPA et autres syndromes auto-inflammatoires rares Granulomatoses pédiatriques : Blau, granulomatose avec panniculite lobulaire Ostéomyélites multifocales et syndromes SAPHO Arthrites réactionnelles et autres *uvéites antérieures à œil blanc associées à ces formes d’AJI PAN : périartérite noueuse ; ANCA : anticorps anti-cytoplasme des polynucléaires neutrophiles ; CAPS : Cryopyrin-Associated Periodic Syndromes ; CINCA : syndrome chronique inflammatoire neurologique cutané et articulaire ; NOMID : Neonatal Onset Multisystem Inflammatory Disease ; FMF : fièvre méditerranéenne familiale ; TRAPS: TNF-alpha Receptor Associated Periodic Syndromes ; DIRA : déficit en antagoniste du récepteur de l’interleukine-1 ; PAPA : Pyogenic Arthritis, Pyoderma gangrenosum and Acne ; SAPHO : syndrome avec Synovite, Acné, Pustulose palmoplantaire, Hyperostose et Ostéite

sais à petits effectifs de patients, dont certains réalisés à l’échelle d’un pays, trouvent cependant également leur place dans ce panorama. En France, ces essais sont menés pour la plupart avec différents centres de référence et de compétence de rhumatologie pédiatrique (liste sur www.cerhumip.fr). Les centres qui participent à ces essais le font le plus souvent en lien avec, localement, une unité ou un centre de recherche clinique ayant une expérience solide en pédiatrie, en lien également avec des associations de patients qui participent au relais de l’information. Rhumatos • Février 2014 • vol. 11 • numéro 95

Nous aborderons successivement les spécificités de la recherche clinique menée en rhumatologie pédiatrique, l’historique des principaux essais menés ces dernières années et les progrès récents ou en cours, pathologie par pathologie.

Spécificités de la recherche clinique en pédiatrie et en rhumatologie pédiatrique

La recherche clinique pédiatrique présente de nombreuses spécificités par rapport aux travaux menés chez l’adulte. En premier lieu, l’investigateur doit

interagir avec le patient luimême dès qu’il est en âge de comprendre au moins partiellement ce qui lui est proposé, mais également avec les parents ou la personne titulaire de l’autorité parentale. Pour ces derniers, le sentiment de responsabilité visà-vis de l’enfant est parfois lourd à porter lorsque leur est proposée une approche expérimentale chez le jeune patient. Le consentement de l’ensemble des titulaires de l’autorité parentale est indispensable avant l’inclusion du patient mineur dans l’étude, ce qui peut parfois se révéler complexe lorsque les parents sont séparés et que l’un des deux assure la garde exclusive de l’enfant sans toutefois disposer d’un document judiciaire statuant qu’il bénéficierait de l’exclusivité de l’autorité parentale. L’investigateur qui propose à un enfant l’inclusion dans une étude doit le faire avec un discours et des documents explicatifs adaptés à la maturité intellectuelle du jeune patient. Les comités consultatifs pour la protection des personnes sont souvent très attentifs à la qualité des documents d’information et de consentement rédigés à l’attention des enfants en fonction de leur âge. Le plus souvent sont préparés des documents spécifiques pour les très jeunes enfants ( jusqu’à 6 ans), les jeunes enfants (de 6-8 ans jusqu’à 10-12 ans) et les préadolescents ou adolescents (à partir de 11, 12 ou 13 ans). Certaines informations essentielles des consentements destinés aux adultes doivent également apparaître dans les consentements pédiatriques dès qu’ils s’adressent à des enfants en âge de les comprendre. C’est en particulier le cas de la notion que la participation à l’étude doit être libre et volontaire, que le 41

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patient peut demander à cesser de participer, que dans tous les cas l’équipe médicale reste tenue de lui offrir les meilleurs soins qu’elle peut. C’est bien sûr aussi le cas pour l’information sur le rationnel de l’étude, les risques et les contraintes. Bien que le consentement écrit d’un jeune enfant ne soit pas exigé (seule la signature de l’ensemble des titulaires de l’autorité parentale est indispensable), ce dernier se voit en général quand même offrir la possibilité, s’il le souhaite, de marquer d’un signe ou de son nom son accord pour participer à l’étude. Pour un enfant ayant acquis la maîtrise de la lecture et de l’écriture, l’investigateur doit, sauf situation très particulière, obtenir un accord écrit du patient en complément de celui des parents ou du tuteur légal. L’idée qu’un consentement éclairé d’un mineur pourrait dans certains cas suffire en l’absence même du consentement des titulaires de l’autorité parentale n’est pas acceptée à ce jour, mais est source de débats (3). L’ensemble des investigations réalisées doit tenir compte des particularités de l’enfant, avec une attention particulière à ne pas multiplier les gestes invasifs, à limiter strictement le volume de sang prélevé lors de chaque visite en fonction du poids et de l’état clinique du patient. En rhumatologie pédiatrique, l’interprétation de certains examens, dont les examens d’imagerie, nécessite l’expertise de personnes connaissant bien les particularités de l’enfant en croissance ; la validation de scores échographiques ou IRM pour certaines articulations clés est l’objet en elle-même de travaux de recherche collaboratifs (4-6). Sur le plan thérapeutique, les molécules testées en rhumatologie 42

pédiatrique l’ont souvent d’abord été chez l’adulte. Cependant, les pathologies pédiatriques sont pour la plupart distinctes, l’efficacité et la tolérance des traitements ne sont pas toujours équivalentes à ce qui est observé dans les maladies de l’adulte. Parfois une nouvelle molécule fait l’objet d’un essai de phase I-II puis d’un essai de phase III chez l’enfant en même temps que chez l’adulte lorsque la maladie est orpheline, comme cela a été le cas, à partir de 2007, pour l’anticorps monoclonal anti-IL-1β, le canakinumab, dans des cryopyrinopathies sévères, syndrome de MuckleWells et formes frontières avec le syndrome chronique inflammatoire neurologique cutané et articulaire (CINCA)/Neonatal Onset

Multisystem Inflammatory Disorder (NOMID) (7). En parallèle, dès 2008, la même molécule a été testée dans la forme systémique d’AJI uniquement chez l’enfant et le jeune adulte de moins de 20 ans, avec un essai de phase I-II et deux essais de phase III (8-9) menés en l’absence de tout essai antérieur dans la maladie de Still de l’adulte, encore plus rare que la forme pédiatrique, ou d’autres arthrites de l’adulte, moins susceptibles d’être de bonnes cibles à cette approche thérapeutique.

Essais thérapeutiques dans les AJI Avec atteinte polyarticulaire

Le premier essai international

Tableau 2 - Critères de réponse et de poussée/rechute des AJI sous traitement. 1/ Score ACR pédiatrique ou "score de Giannini" pour les AJI polyarticulaires ou d’évolution polyarticulaire : Sont pris en compte les 6 items suivants : • Nombre d’articulations inflammatoires (= avec gonflement articulaire lié à une synovite active ou bien limitation articulaire + douleur à la mobilisation). • Nombre d’articulations de mobilité limitée (hors ankylose irréversible). • Score fonctionnel CHAQ (rempli par l’un des parents ou le patient lui-même). • Évaluation visuelle analogique (EVA, 0 à 100 mm) du bien-être de l’enfant par les parents. • EVA (0 à 100 mm) de l’activité de la maladie par le médecin. • Vitesse de sédimentation à la première heure (variante du score : CRP au lieu de VS). Définition d’une amélioration de 30 % (ACR pédi 30) : au moins 30 % d’amélioration de 3 au moins des 6 items du score avec au maximum 1 item aggravé de 30 % ou plus. Amélioration ACR pédi 50, 70 ou 90 : au moins 50 %, 70 % ou 90 % d’amélioration respectivement d’au moins 3 items avec au maximum 1 item aggravé de 30 % ou plus. Une poussée/rechute de la maladie est définie en miroir par une aggravation d’au moins 30 % d’ au moins 3 items du score (pour les articulations inflammatoires, nécessité d’avoir au moins deux articulations supplémentaires et pour l’EVA médecin, d’une progression d’au moins 20/100) avec pas plus d’1 item amélioré de 30 % ou plus.

2/ Critères de réponse proposés pour la forme systémique d’AJI : Réponse = amélioration ACR Pédi 30 + absence de fièvre liée à la maladie et de rash (sur 7 à 14 jours) ± amélioration ou normalisation de paramètres biologiques telles la VS ou la CRP (absence de définition consensuelle, propositions variant d’un essai thérapeutique à un autre). Rhumatos • Février 2014 • vol. 11 • numéro 95


d’envergure réalisé dans ce qui était à l’époque appelé “Arthrite rhumatoïde juvénile” (ARJ) a étudié l’efficacité du méthotrexate (10). Dans cet essai, comme dans la plupart de ceux qui ont suivi jusqu’au milieu des années 2000, les patients pouvaient être inclus dès lors qu’ils avaient une ARJ/AJI et une atteinte polyarticulaire active, quelle que soit la forme d’ARJ/ AJI (polyarthrite avec ou sans facteur rhumatoïde, oligoarthrite étendue sans uvéite active à l’inclusion, forme systémique d’AJI calme sur le plan systémique, mais d’évolution polyarticulaire…). Cet essai a également été l’occasion de tester un score composite pour évaluer la réponse au traitement, très proche de l’actuel score ACR utilisé dans la polyarthrite rhumatoïde, le score de Giannini, légèrement modifié par la suite et appelé désormais score ACR pédiatrique (Tab. 2). La véritable révolution thérapeutique est venue des biothérapies avec un premier essai américain testant l’étanercept chez des patients avec une maladie active malgré le méthotrexate. Le design, relativement original à l’époque, consistait à traiter l’ensemble des patients par la nouvelle molécule pendant quelques mois puis à randomiser les répondeurs en deux groupes, l’un poursuivant le traitement par étanercept, l’autre recevant un placebo, afin de démontrer un taux de rechute significativement inférieur dans le premier groupe au cours des mois suivants (11). Le fait d’utiliser un traitement induisant une réponse chez un pourcentage élevé de patients et dont l’effet sur l’activité de la maladie s’effaçait rapidement à l’arrêt était propice Rhumatos • Février 2014 • vol. 11 • numéro 95

à ce type de design, particulièrement apprécié en pédiatrie. En effet, pour des enfants en situation de maladie incontrôlée, offrir d’emblée un traitement ayant une probabilité élevée d’être efficace est éthiquement plus acceptable que d’exiger que ces enfants soient en début d’essai sous placebo pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois. De plus, cet essai, comme ceux qui ont suivi, offrait la possibilité aux patients qui présentaient une reprise évolutive de la maladie, même modeste pendant la phase en double insu, d’être traités à nouveau par le biologique immédiatement. La publication en 2000 des résultats positifs de cet essai était suivie peu après de l’obtention d’une Autorisation de mise sur le marché (AMM) dans l’indication AJI de l’enfant de 4 ans et plus avec atteinte polyarticulaire après réponse inappropriée au méthotrexate. Un autre anti-TNFα, l’infliximab, a été l’objet d’un essai thérapeutique dont l’objectif principal n’a pas pu être atteint, du fait probablement d’une évaluation trop précoce de la réponse et d’une sous-estimation d’un effet placebo dans un contexte d’administration intraveineuse (IV) et d’un critère d’amélioration 30 % relativement peu exigeant (comme pour l’étanercept cependant) (12). L’adalimumab a été l’objet d’un essai international multicentrique dès 2003 selon un design similaire à l’essai étanercept, mais en stratifiant les patients selon qu’ils poursuivaient ou non le méthotrexate en association au traitement de l’étude. Cet essai a démontré l’efficacité de l’adalimumab, mais suggérait que l’association au méthotrexate était supérieure (13), permettant l’obtention par la suite d’une

AMM avec recommandation d’association thérapeutique sauf intolérance au méthotrexate. Parallèlement, un essai était mené avec le CTLA-4Ig (abatacept) IV chez des patients en échec du méthotrexate et/ou d’une biothérapie anti-TNFα. Les taux de réponse à 4 mois de traitement étaient nettement moins élevés chez les patients non naïfs de biothérapie, mais les courbes d’amélioration étaient toujours ascendantes avec ce traitement dont l’action semble assez lentement progressive dans cette indication. Après randomisation des répondeurs en double insu à l’abatacept versus placebo sur les 6 mois suivants, l’objectif principal était atteint avec un taux de rechute significativement supérieur dans le groupe placebo, cependant ces rechutes survenaient le plus souvent à plusieurs mois de la dernière perfusion d’abatacept et 42 % des patients du groupe placebo n’avaient pas rechuté à la fin de la période en double insu (14). Le suivi au long cours de ces patients permettait de valider l’effet progressivement plus marqué du traitement et l’obtention à un an ou plus d’améliorations plus importantes qu’initialement et même de situations de maladie inactive chez un pourcentage non négligeable de patients (15). Le suivi permettait aussi de faire apparaître, pour la première fois dans le cadre d’un essai contrôlé pédiatrique, un effet favorable du traitement sur la qualité de vie et, objectif secondaire important dans cette classe d’âge, la possibilité de réduire l’absentéisme scolaire (16). Trois des quatre essais cités ont donc été couronnés de succès et ont permis d’obtenir des AMM pédiatriques pour l’étanercept et 43

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l’adalimumab dans les AJI avec atteinte polyarticulaire en échec du méthotrexate, l’abatacept IV dans la même indication aux États-Unis mais uniquement en cas d’échec d’un anti-TNF en Europe. Cependant, cette approche consistant à inclure dans un même essai des patients avec des formes parfois très différentes d’AJI sur leur seul profil d’évolution polyarticulaire avait ses limites. Plusieurs suivis de cohorte suggéraient dès le début des années 2000 que le traitement anti-TNFα était insuffisamment efficace chez une majorité des patients avec une forme systémique d’AJI lorsqu’un nombre suffisant de ces patients était suivi (17-18). Inversement, un essai américain testant l’antagoniste du récepteur de l’IL-1, anakinra, dans des AJI d’évolution polyarticulaire quel qu’en était le mode de début, était un échec, du fait notamment d’une efficacité limitée de ce traitement dans les AJI non systémiques et d’une répartition inhomogène entre groupe anakinra et groupe placebo des patients avec forme systémique (19). Aussi, les recommandations des experts pédiatres rhumatologues réunis à la demande de l’European Medical Agency en 2008 et 2009 et reprises par cette instance sont de développer désormais des essais thérapeutiques distincts pour les patients avec forme systémique d’AJI, les patients atteints de spondylarthropathie ou enthésite avec AJI et enfin les patients ayant ue polyarthrite non systémique, avec ou sans facteur rhumatoïde, ou oligoarthrite étendue. Dans les polyarthrites non systémiques et oligoarthrites étendues en échec du méthotrexate, plusieurs essais de phase I ou II sont lancés ou sur le point de l’être avec différentes molécules 44

dont le certolizumab pégol, le tocilizumab IV, qui a déjà fait l’objet de présentations de congrès intéressantes dans cette indication, le tocilizumab sous-cutané, l’abatacept sous-cutané et par ailleurs un anti-Janus Associated Kinase (JAK)-3.

Essais thérapeutiques dans les polyarthrites et oligoarthrites étendues du très jeune enfant

Alors que les premiers essais n’avaient permis de tester l’étanercept et l’adalimumab que chez des enfants de plus de 4 ans et 15 kg, et l’abatacept seulement chez des enfants de plus de 6 ans, deux essais récemment menés, non encore publiés, mais dont les résultats ont été présentés en congrès sont en faveur d’une tolérance et d’une efficacité satisfaisantes de l’étanercept et de l’adalimumab chez des enfants âgés de 2 à 4 ans ou bien de 4 à 5 ans, mais pesant moins de 15 kg.

Essais thérapeutiques dans les AJI avec Psoriasis et les enthésites avec AJI

L’étanercept a été récemment testé dans ces deux indications, l’adalimumab dans la seconde, avec des résultats d’études multicentriques internationales en attente de publication.

Essais thérapeutiques dans l’uvéite antérieure "à œil blanc" associée à l’AJI

Cette uvéite, qui touche environ 20 % des jeunes enfants avec une oligoarthrite ou une polyarthrite sans facteur rhumatoïde, surtout

ceux qui ont des anticorps antinucléaires positifs, est source, dans les formes sévères, de complications fréquentes et dont la prise en charge est très complexe, avec un pronostic visuel réservé (20). Deux essais thérapeutiques à l’initiative d’investigateurs testent l’efficacité de l’adalimumab dans cette indication, dans des conditions rigoureuses de stabilité des autres traitements administrés par voie locale ou générale ; un essai a lieu au Royaume-Uni et l’autre en France (essai ADJUVITE, recrutement en cours). Le second essai entend démontrer l’efficacité de deux mois de traitement par adalimumab versus placebo sur l’évolution de l’activité de l’uvéite mesurée en photométrie laser, en complément de la classique biomicroscopie à la lampe à fente.

Essais thérapeutiques dans la forme systémique d’AJI ou maladie de Still à début pédiatrique

De nombreux travaux ont suggéré un rôle majeur de l’IL-6 dans cette maladie, y compris l’étude de modèles murins, dont des souris transgéniques pour le récepteur de l’IL-6 qui développent polyarthrite érosive, inflammation systémique, ostéoporose et retard de croissance comme nos jeunes patients (21). Après quelques petits essais de phase I-II puis la publication d’un essai japonais de phase III démontrant l’efficacité de l’anticorps anti-récepteur de l’IL-6, tocilizumab, administré par voie intraveineuse à la dose de 8 mg/kg toutes les deux semaines (22), un essai multicentrique international a confirmé ces données avec des taux de réponse dans les deux Rhumatos • Février 2014 • vol. 11 • numéro 95


essais à plus de 85 % entre six et douze semaines de traitement et une différence significative versus placebo dans l’essai international (23). De plus, ce dernier essai permettait de valider l’intérêt d’une dose supérieure (12 mg/kg) chez l’enfant de moins de 30 kg avec des analyses pharmacocinétiques de qualité, d’évaluer l’effet structural notamment sur des radiographies de poignet, l’effet sur la préservation de la croissance staturale, également de démontrer la possibilité d’amorcer précocement une décroissance de la corticothérapie générale chez certains patients. Dans les deux essais, un taux accru d’infections, comme également observé avec les biothérapies précédemment citées, et de manifestations allergiques appelait à la vigilance, tout comme la survenue de complications potentiellement liées à la maladie ou à des affections intercurrentes, dont des syndromes d’activation macrophagique et des tableaux d’hypertension artérielle pulmonaire engageant le pronostic vital. Le tocilizumab IV a obtenu une AMM dès 2011 en France dans la forme systémique d’AJI en échec d’un traitement par anti-inflammatoires non stéroïdiens et corticostéroïdes ; le tocilizumab par voie sous-cutanée devrait être testé d’ici peu dans cette indication, tout comme potentiellement d’autres molécules antagonisant l’IL-6. Après quelques données préliminaires en faveur d’un intérêt du traitement anti-IL-1 dans la forme systémique d’AJI (24), mais également la maladie de Still de l’adulte (25), plusieurs essais randomisés multicentriques ont été menés avec l’anakinra, le rilonacept et le canakinumab. Une étude multicentrique franRhumatos • Février 2014 • vol. 11 • numéro 95

çaise randomisée contre placebo, ANAJIS, a démontré l’efficacité à un mois, à la fin de la phase en double insu, de l’anakinra à la dose quotidienne de 2 mg/kg chez des enfants avec FS-AJI et corticodépendance (26). Cependant, des rechutes étaient observées lors de la décroissance de la corticothérapie en phase ouverte et seuls 6 patients sur 22 effectivement exposés à l’anakinra étaient en rémission complète sans corticostéroïdes à la fin de l’étude. Des données préliminaires de pharmacocinétiques suggéraient que la dose de 2 mg/kg était insuffisante chez les patients de faible poids. Une signature cytokinique spécifique de la FS-AJI s’atténuait ou disparaissait sous traitement par anakinra chez les patients répondeurs, alors qu’était déréprimée une signature interféron dont la signification n’est pas encore claire. Par ailleurs, la qualité d’une réponse immune antipolysaccharidique (après vaccin Pneumo23®) n’est pas altérée par cet l’anti-IL-1 versus placebo. Sur le plan de la tolérance, quelques infections sévères étaient notées, de même qu’une hépatite transitoire. Une patiente a par ailleurs développé une atteinte inflammatoire du tube digestif, comme cela avait déjà été observé sous anti-TNFα dans d’autres formes d’AJI (27). Parallèlement, des collègues hollandais étudiaient de manière pilote, mais non contrôlée, l’intérêt d’un traitement très précoce par anakinra, avant toute corticothérapie, en présentant les résultats d’une petite série de patients avec une bonne efficacité clinique et une correction d’anomalies biologiques concernant la fonction des lymphocytes NK (28).

Cette approche très novatrice fait débat dans la communauté rhumatologique pédiatrique dans l’attente, peut-être, d’un essai randomisé comparant antiIL-1 et corticostéroïdes à la phase initiale de la maladie. Parmi les deux autres antagonistes de l’IL-1 à l’essai, le rilonacept et l’anticorps monoclonal anti-IL-1β, le canakinumab. Le second a fait l’objet d’une étude de phase II et de deux essais de phase III récemment publiés (8-9). L’étude de phase II a été menée chez 23 patients de 4 à 20 ans avec une FS-AJI très active sur le plan articulaire et systémique, dont la présence de fièvre à l’inclusion. Les patients recevaient une première dose de canakinumab pouvant varier de 0,5 à 4,5 mg/kg avec possibilité de compléter par une seconde dose équivalente à J3 ou J8, une étude de la réponse à J15 et un retraitement à la rechute (ou aux rechutes successives) à une dose représentant le cumul des doses reçues entre J1 et J8 (donc jusqu’à 9 mg/kg chez quelques patients). À J15, 60 % des patients étaient répondeurs sur le score ACR pédiatrique 50 avec également un contrôle de la fièvre, des manifestations systémiques et une normalisation de la CRP. Sur ces 13 patients, 11 avaient une réponse qui persistait sur la durée de l’étude, avec un rythme d’injection de canakinumab variable d’un patient à l’autre dans la mesure où, dans cette phase II, il était guidé par le rythme de survenue des rechutes. La tolérance était bonne. La demi-vie plasmatique du produit était de 16,7 ± 5,45 jours. Cette étude a permis de déterminer que la dose recommandable était de 4 mg/kg toutes les quatre semaines, soit une dose deux fois plus élevée et un intervalle de temps entre les 45

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injections deux fois plus court que ce qui a été recommandé en pédiatrie dans l’AMM du canakinumab pour les cryopyrinopathies. Dans le cadre d’un programme de phase III, 84 patients avaient été randomisés pour recevoir une injection souscutanée unique de canakinumab 4 mg/kg ou de placebo. En intention de traiter, la différence était significative à J15 (objectif principal) avec 6 répondeurs en score ACR pédiatrique 30 avec contrôle de la fièvre sous placebo versus 37 sous canakinumab. Les résultats étaient tout aussi significatifs à J29. De plus, les deux tiers des répondeurs sous canakinumab obtenaient une amélioration de plus de 70 % sur le score ACR pédiatrique, soit une puissance d’action équivalente à ce qui avait été rapporté pour le tocilizumab IV ; l’étude tocilizumab concernait cependant une population de patients avec maladie évoluant en moyenne depuis plus d’années et une atteinte articulaire plus diffuse. Dans une seconde partie du programme, 184 patients recevaient de 4 à 8 mois de canakinumab, avec des taux de réponse élevés et la possibilité de diminuer la corticothérapie générale chez un pourcentage significatif des sujets avant de randomiser les répondeurs entre poursuite du canakinumab ou placebo avec comme objectif principal de démontrer un taux supérieur de rechute sous placebo, ce qui fut le cas. Comme pour le tocilizumab, infections, syndrome d’activation macrophagique et hypertension artérielle pulmonaire pouvaient engager le pronostic vital des patients, que ce soit sous biothérapie ou placebo (mais pour les patients sous placebo sans pouvoir toujours exclure un effet rémanent à distance d’une biothérapie d’action prolongée). 46

Tableau 3 - Principales biothérapies utilisées en pédiatrie, doses et indications dans l’AJI et les cryopyrinopathies. Anti-TNFa : Étanercept (Enbrel®) : 0,4 mg/kg (≤ 25 mg) x 2/semaine ou 0,8 mg/kg (≤ 50mg) x 1/semaine SC • AJI avec atteinte polyarticulaire en échec du MTX (11) (AMM dès l’âge de 2 ans). • Études dans : AJI du petit (2-4 ans), AJI avec enthésite et AJI associées au psoriasis. Adalimumab (Humira®) : 24 mg/m2 (< 13 ans) ou 40 mg (≥ 13 ans) /14 jours SC • AJI avec atteinte polyarticulaire en échec du MTX (AMM dès l’âge de 4 ans, association au MTX recommandée sauf intolérance au MTX) (13). • Études dans : AJI du petit (2-4 ans), AJI avec enthésite (< 13 ans). • Essais en cours dans l’AJI avec uvéite non contrôlée par traitements locaux et MTX. Infliximab (Remicade®) : 6 mg/kg (éviter > 400 mg) J1, J15 puis espacer, IV • E ssai de phase III non concluant donc absence d’AMM dans l’AJI polyarticulaire (12). • Comme chez l’adulte, association recommandée à MTX ou azathioprine. Action sur le second signal entre cellules présentatrices de l’antigène et lymphocyte T : Abatacept (Orencia®) : 10 mg/kg J1, J15 puis /4 semaines IV • AJI avec atteinte polyarticulaire en échec d’un anti-TNFα (14-16). • (Aux Etats-Unis, possible en 1re biothérapie en échec du MTX.) • Quelques cas d’uvéites réfractaires traitées avec succès. Inhibition de l’IL-6 : Tocilizumab (RoActemra®) : 8 voire 10-12 mg/kg (< 30 kg) x 1/14 jours IV • É tudes de phase III japonaise et internationale publiées dans la FS-AJI* (22-23) : 8 voire 12 mg/kg (enfants de poids < 30 kg) x 1/14 jour IV ; AMM obtenue en juillet 2011. • É tude de phase III internationale en cours dans l’AJI non systémique avec atteinte polyarticulaire en échec du MTX ou d’un autre biologique. Inhibition de l’IL-1 : Anakinra (Kineret®) : 2 mg/kg (≤ 100 mg)/jour SC • AMM en attente pour les cryopyrinopathies (30). • E ssai randomisé de phase IIB positif dans la FS-AJI en échec d’une corticothérapie d’au moins trois mois (26) et plusieurs séries de cas publiées (24-25), utilisation fréquente dans cette indication mais absence d’AMM pédiatrique. Canakinumab (Ilaris®) : 4 mg/kg sans dépasser 300 mg /4 semaines SC • Études de phase II (8) et de phase III publiées (9). Rilonacept (Arcalyst®) : 2,2 mg/kg x 1/semaine SC • AMM dans le syndrome de Muckle-Wells (31-32) aux États-Unis. • Étude de phase III en cours dans la FS-AJI. *FS-AJI : forme systémique d’AJI.

Essais anti-IL-1 dans les syndromes auto-inflammatoires

Les cryopyrinopathies ou Cryopyrin-Associated Periodic Syndromes (CAPS), qui regroupent

par phénotype de gravité croissante l’urticaire familial au froid, le syndrome de MuckleWells et le syndrome CINCA/ NOMID, sont un modèle privilégié de maladies extrêmeRhumatos • Février 2014 • vol. 11 • numéro 95


ment dépendantes de l’IL-1. Cependant, l’implication de l’IL-1 est évidente dans la plupart des syndromes auto-inflammatoires, auxquels de nombreux auteurs rapprochent forme systémique d’AJI et Still de l’adulte, tout comme d’autres maladies ayant une composante autoinflammatoire plus ou moins marquée (29). Dans les cryopyrinopathies, anakinra (30), rilonacept (31-32) et canakinumab (8-9) ont démontré une efficacité majeure, à des doses plus faibles que celles utilisées dans la FS-AJI. Le canakinumab (États-Unis et Europe) et le rilonacept (États-Unis) ont obtenu une AMM dans le syndrome de Muckle-Wells et, pour le canakinumab dans le syndrome CINCA/NOMID. L’anakinra pourrait également bénéficier prochainement d’AMM dans cette indication. Dans les syndromes associés aux mutations du gène codant pour le récepteur du TNFα (TRAPS), les déficits en mévalonate kinase (syndrome hyper-IgD), certaines formes sévères de fièvre méditerranéenne familiale, quelques essais pilotes ont été réalisés, malheureusement sans randomisation ni double insu, avec parfois un critère principal s’appuyant sur des éléments trop subjectifs dans ce contexte comme l’évaluation par le médecin de l’activité de la maladie.

Essais thérapeutiques dans les Connectivites et vascularites pédiatriques

Au prix d’une collaboration internationale menée sur de nombreuses années, un essai thérapeutique randomisé a pu être mené chez plus de 100 patients dans une maladie particulièreRhumatos • Février 2014 • vol. 11 • numéro 95

ment orpheline, la dermatomyosite juvénile, touchant environ un enfant par million, avec des résultats préliminaires suggérant que l’association précoce à la corticothérapie générale d’un traitement par méthotrexate ou ciclosporine permettait de diminuer le risque de nouvelle poussée évolutive de la maladie avec une tolérance à court terme meilleure pour le méthotrexate que la ciclosporine (33). Dans des vascularites pédiatriques aussi rares que la périartérite noueuse ou les vascularites associées aux anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles (ANCA), des essais thérapeutiques randomisés se mettent en place. En revanche, le lupus pédiatrique reste pour le moment le parent pauvre, probablement du fait non seulement de sa rareté mais également de son hétérogénéité clinique, rendant difficile la mise au point d’un essai avec un objectif principal pertinent.

Essais de phase IV, pharmacovigilance

Finalement, dès lors que de nombreuses molécules ont été ou sont testées dans des essais de phase IV avec des AMM obtenues pour plusieurs d’entre elles (Tab. 3), l’un des principaux défis est de suivre au long cours l’efficacité et surtout la tolérance de ces traitements. Dans ce contexte, des études de phase IV ont été mises en place après obtention d’une AMM pédiatrique pour l’adalimumab dans les AJI avec atteinte polyarticulaire (étude STRIVE), le canakinumab dans les cryopyrinopathies (étude Bêta-confident) et un effort international, l’essai PHARMACHILD, se met en place avec un financement euro-

péen pour un suivi de tous les patients mis sous biothérapie pour AJI, en prévoyant des groupes contrôles de patients traités uniquement par méthotrexate ou ne recevant ni méthotrexate ni biothérapie.

Conclusions et perspectives

La recherche clinique en rhumatologie pédiatrique doit prendre en compte les spécificités de l’enfant, son degré de maturité intellectuelle, ses particularités d’être en croissance. Elle doit également se faire en bonne intelligence et accord avec les parents ou autres titulaires de l’autorité parentale. Sur cette base, grâce à un réseau international très actif, avec une combinaison d’essais à promotion industrielle et d’essais à l’initiative d’investigateurs promus par des institutions nationales ou européennes, cette recherche a permis et permet encore d’améliorer le pronostic de nombreuses maladies inflammatoires, des arthrites juvéniles à certaines maladies de système en passant par les syndromes auto-inflammatoires, d’évaluer le bénéfice pour les patients à court et moyen termes et de poser les bases d’un suivi au long cours de la tolérance des traitements. n

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Mots-clés : Essais cliniques, Rhumatologie pédiatrique, Arthrites juvéniles idiopathiques

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DOSSIER

Essais cliniques en rhumatologie pédiatrique


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