SUIVI CHIRURGICAL
Activités physique et sportive après prothèses totales de hanche et de genou Le point de vue du rhumatologue n Les arthroplasties de hanche (PTH) et de genou (PTG) ont transformé le pronostic des arthroses sévères de ces articulations avec des résultats satisfaisants dans plus de 80 % des cas avec un recul supérieur à 10 ans. Le rhumatologue est souvent en première ligne pour le suivi et les conseils après prothèse. Le suivi chirurgical est parfois aléatoire et le patient consulte alors son rhumatologue, pose des questions ou sollicite des conseils. L’amélioration importante des possibilités fonctionnelles, l’augmentation de l’espérance de vie, le bon état général d’un nombre important de sujets âgés justifient la demande accrue et légitime d’une reprise ou de la mise en route d’une activité physique ou sportive.
Revue de la littérature La littérature est assez succincte en Europe, en particulier en France, dans le milieu rhumatologique.
Aux États-Unis En médecine du sport et aux États-Unis, elle est plus abondante, mais concerne les sports les plus pratiqués aux États-Unis et par fréquence : le golf, le tennis, le jogging. M.A. Mont et al. ont fait une étude dans un club de tennis (1) : 14 % des patients avec une PTH reprennent le tennis en simple, 34 % en double, 55 % ont abandonné définitivement ! Les études privilégient les PTH par rapport aux
PTG en raison du meilleur résultat fonctionnel. Il en résulte un consensus relatif des publications de médecine sportive (2) (Tab. 1).
En Europe En Europe, l’étude la mieux documentée en rhumatologie est le travail allemand réalisé par Hoch et al. dans le cadre de l’Ulm Osteoarthritis Study (Tab. 2 et 3) (3). On est surpris par le très grand pourcentage de sujets ayant eu une activité sportive (entre 94 et 97 %), mais ont été incluses comme “activité
Dr Frank Simon*
sportive” : la danse, le bowling et d’autres activités non prises en compte dans les séries habituelles ! Cette étude concerne la reprise du sport après PTH et PTG, 5 ans après la pose de la prothèse, dans une cohorte en milieu orthopédique sur 4 centres. On remarque que seul un tiers environ des patients avaient gardé une activité sportive au cours de l’évolution de leur arthropathie et que, parmi eux, la moitié a repris le sport pour les PTH et seulement un tiers pour les PTG. Les raisons évoquées au
Tableau 1 - Sports autorisés dans les publications nord-américaines. • Golf : 6 mois après la prothèse • Natation : 1 mois fonction de la cicatrisation • Vélo : 2 mois (risque traumatique) • Voile : 3 mois • Tennis en double : 6 à 7 mois après l’intervention au rythme de 3 fois par semaine au maximum.
*Rhumatologue, Institut Arthur Vernes, Paris VI
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renoncement à la reprise du sport sont : • des douleurs au niveau de leurs prothèses (12 %) ; • des douleurs rhumatologiques à d’autres topographies (rachis, etc.) (27 %) ; • par précaution (47 %) (précautions personnelles ou conseils du chirurgien ? Cette précision n’est pas donnée dans le texte !).
Tableau 2 - Patients de l’étude Ulm Osteoarthritis Study. • 809 patients : 420 PTH ; 389 PTG • Sujets de moins de 76 ans • Examen et questionnaire avant PT • Questionnaire par courrier 5 ans après • Questionnaire étendu : marche, randonnée, vélo, ski, natation, tennis, etc.
Tableau 3 - Reprise de l’activité sportive après PTH et PTG dans l’Ulm Osteoarthritis Study. Tous les patients ayant eu une activité sportive dans leur vie
97 % PTH, 94 % PTG
Pour la hanche
•3 6 % avaient gardé une activité sportive avant chirurgie • 52 % à continuer après chirurgie à 5 ans
Pour le genou
•4 2 % avaient gardé une activité sportive avant chirurgie • 36 % à continuer après chirurgie à 5 ans
Notre expérience Elle nous permet de formuler un “avis d’expert”, puisque l’auteur a dirigé un service de rhumatologie et de rééducation à orientation rhumatologique pendant 26 ans avec un recrutement de 400 prothèses environ par an. Nous raisonnerons sur l’influence de l’activité sportive sur les complications secondaires ou tardives (Tab. 4).
Tableau 4 - Complications tardives. Luxation
Descellement à 15 ans
Infection secondaire
Complications rotuliennes
Hanches
2 %
20 %
< 1 %
-
Genoux
0 %
10 %
< 10 %
3 à 20 %
Les complications
Les luxations se voient habituellement dans la période postopératoire où la reprise d’un sport n’est pas conseillée : elles se voient plutôt dans les voies d’abord postérieures ou postéro-externes (Fig. 1). Il faut ajouter à ces complications classiques et répertoriées dans la plupart des études, les fractures traumatiques près de la prothèse, rares mais graves et communes à toutes activités sportives sur cette population (âgée mais prête à prendre des risques !). Il existe à la jonction “queue de prothèse-diaphyse” fémorale une zone de fragilité. Au cours d’une chute banale ou d’un choc, la diaphyse osseuse peut se fracturer, par exemple au ski pendant une descente, mais souvent à la suite d’une chute à l’arrêt ou d’une percussion avec une tierce personne… Nous déconseillons donc la pratique du ski alpin et de fond, Rhumatos • Mars 2014 • vol. 11 • numéro 96
Figure 1 - Luxation de la prothèse de hanche gauche.
en particulier s’il s’agit d’un débutant ! Ces fractures, en général déplacées, nécessitent une ostéosynthèse, rarement une consolidation sans chirurgie (Fig. 2).
La question de la longévité de la prothèse Le problème essentiel est celui de
l’influence de l’activité sportive sur la longévité de la prothèse : “l’espérance de vie” d’une prothèse est supérieure à 10 ans, en moyenne aux alentours de 15 ans. Les reprises sont toujours possibles mais plus difficiles techniquement et augmentent le risque de sepsis. Le descellement peut 83
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Figure 2 - Fracture diaphysaire à la jonction tige métallique-os.
être évident, plus facilement visible sur la pièce fémorale (Fig. 3). L’usure de la pièce cotyloïdienne se voit aussi facilement (Fig. 4) même si on n’a pas la chronologie des clichés. ❚❚Différence entre les PTH et les PTG
Figure 3 – Descellement évident de la pièce fémorale.
en particulier, de la bonne réaxation de l’axe du membre inférieur plutôt que du type de prothèse. Les prothèses uni-compartimentaires posent les mêmes problèmes et les précautions restent les mêmes que pour les prothèses totales !
PTH Les PTH sont posées chez des patients plus jeunes ; les résultats sont plus brillants, aboutissant à une hanche indolore et d’amplitude normale correspondant à l’état de “hanche oubliée” telle que l’ont décrite Postel et Ker-
PTG Les PTG se posent chez des patients plus âgés dont le tableau, le plus fréquent, est une femme de plus de 70 à 75 ans, atteinte d’une gonarthrose évoluée, fémoro-tibiale interne sur genuvarum, souvent en surpoids ! Ce n’est guère le profil du patient qui demande à pratiquer une activité sportive ! Par ailleurs, le résultat fonctionnel (douleurs) et la récupération des amplitudes, en particulier en flexion, ne sont pas toujours satisfaisants. Le bon résultat dépend de l’excellence de la technique opératoire, 84
Figure 4 - Usure de la pièce cotyloïdienne sur une prothèse totale sur un cotyle vissé. Rhumatos • Mars 2014 • vol. 11 • numéro 96
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boull. Les demandes sont donc plus fréquentes, d’autant plus qu’il peut s’agir d’hommes jeunes (par exemple, de patients atteints d’ostéonécrose de hanche). L’usure va dépendre dans les PTH du type de la prothèse (métal-polyéthylène, céramique-céramique donc du coefficient de friction), du caractère cimenté ou non scellé de la fixation des pièces. La tendance actuelle est de proposer aux sujets plus jeunes des prothèses céramique-céramique non scellées qui ont un coefficient de friction plus bas que le gol standard qui reste la prothèse métalpolyéthylène Charnley-Kerboull. Exceptionnellement, les PTH céramique-céramique peuvent éclater, en particulier la tête fémorale au cours d’un saut intempestif, comme ce patient (Fig. 5) qui avait sauté d’un muret de 80 cm et pulvérisé sa tête fémorale céramique, nécessitant une reprise chirurgicale !
Attitude pratique Le sport : un objectif somme toute secondaire Dans la logique de la rhumatologie clinique, la pose d’une prothèse répond à un objectif principal qui est le retour à une fonction articulaire proche de la normale : avec des douleurs supportables ou absentes, des possibilités fonctionnelles compatibles avec une vie active et indépendante, personnelle, familiale et sociale. La reprise d’une activité sportive est un objectif secondaire, en l’absence d’indications cardiovasculaire, métabolique ou psychologique documentées. Notre attitude prudente n’est pas partagée par l’ensemble des chirurgiens orthopédistes Rhumatos • Mars 2014 • vol. 11 • numéro 96
Figure 5 - Éclatement de la tête fémorale céramique qui n’est plus visible sur le cliché de droite avec les débris dans le cul-de-sac inférieur.
qui sont souvent, plus “permissifs” et autorisent toute activité sportive. Les registres français sont récents et ne peuvent pas répondre à l’influence des activités physiques et sportives sur l’évolution des prothèses. Les contre-indications évidentes sont les sports d’équipe et de contact tels que le football, le rugby, le basket…, mais la demande n’est guère présente !
Sport permis Ce qui est permis et consensuel, c’est bien entendu la marche, souvent mal perçue comme une activité sportive par beaucoup de nos patients, en particulier du sexe masculin ! La natation, régulièrement évoquée et conseillée, est une bonne initiative mais abandonnée pour des problèmes pratiques ou climatiques. Le vélo ne pose aucun problème en appartement mais, à l’extérieur, expose au risque de chute, particulièrement en milieu urbain ! Le golf est autorisé, mais ce
n’est pas une demande courante chez beaucoup de nos patients. D’autres activités sont controversées et les données de la littérature manquent de précision ou d’évaluation. Le tennis, le ski et le jogging en font partie, pourtant très sollicités par nos patients.
Ce qui est déconseillé
Le tennis, que cela soit en simple ou en double, n’est pas conseillé. Les accélérations, les arrêts brutaux, les blocages sont des facteurs négatifs. On peut négocier si le niveau technique est bon et maîtrisé sur un terrain en terre battue. La pratique en double est aussi délétère que le simple ! Le ski alpin et de fond exposent au risque de chute et de fracture, même si le skieur se dit de bon niveau et affirme ne jamais tomber ! Les chutes surviennent à l’arrêt, souvent provoquées par une tierce personne. La course à pied et le jogging ne sont pas de bonnes pratiques en raison des vibrations et des 85
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microchocs qu’ils entraînent. Ils sont remplacés favorablement par la marche et les randonnées raisonnables. Une reprise chirurgicale d’une prothèse est une contre-indication absolue et définitive à une pratique sportive.
Ne pas oublier certains facteurs ! En fait, il s’agit de conseils logiques et compréhensibles mais ils sont rendus difficiles par certains facteurs subjectifs. En premier lieu, l’influence du praticien, orthopédiste ou rhumatologue : s’il est sportif, il a toutes les chances de conseiller une activité, s’il est sédentaire, cela sera le contraire ! De même, l’avis de l’entourage paramédical, familial ou médiatique joue un rôle ! Enfin, il faut savoir que, malgré nos arguments, les patients ne suivent pas nos conseils !
Conclusion Une activité sportive est un objectif secondaire dans l’évolution et le suivi d’une PTH ou PTG.
À retenir • L’objectif principal des prothèses n’est pas de reprendre une activité sportive. • Si celle-ci est reprise, elle doit être raisonnable et avec une bonne maîtrise technique, sans performance, de préférence avec un sport déjà pratiqué avant la prothèse. • La demande concerne plus les PTH (patients moins âgés que les PTG). • Ne pas oublier le risque traumatique avec chutes et possibilité de fracture sur des diaphyses fragilisées. • Privilégier la marche, la natation, le vélo d’appartement, le golf. Il faut se méfier du tennis et du ski. • Eviter la course à pied et le jogging. • Envisager chez un sujet jeune ou actif plutôt une PTH céramiquecéramique. • Pas de sport après une reprise de prothèse. • Conseils ou précautions sont souvent non suivis, en particulier par le sexe masculin ! • L’influence du praticien : s’il est sportif, il conseillera une acrivité sportive ! Elle se pose plutôt dans le cadre d’une reprise d’un sport déjà pratiqué et maîtrisé. Il faut tenir compte, non seulement du risque d’usure ou de descellement, mais aussi du risque traumatique (chute et fracture), rare mais grave. La reprise chirurgicale reste toujours une aventure à risque. n
Mots-clés :
Sport, Coxarthrose,
Gonarthrose, Arthroplastie totale
Bibliographie 1. Mont MA, LaPorte DM, Mullick T et al. Tennis after hip arthroplasty. Am J sports Med 2002 ; 30 : 163-6. 2. Seyler TM, Mont MA. Sports activity after total hip and knee arthroplasty. Sports Med 2006 ; 36 : 571-83. 3. Hoch K, Müller K, Stürmer P et al. Sports activities 5 years after total knee or hip arthroplasties: the Ulm Osteoarthritis Study. Ann Rheum Dis 2005 ; 64 : 1715-20.
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