N°239 - semaine du 2 au 8 novembre 2010
Crise sociale : le PS et le jour d’après
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Crise sociale : le PS et le jour d’après La période actuelle semble être celle de la multiplication accélérée des crises.
nières et les plus importantes :
La récente crise sociale n’est qu’une crise parmi tant d’autres
- 2010 : British Petroleum et l’accident du forage dans le golfe du Mexique,
La notion de crise est certes familière à la nature humaine. Tout notre fonctionnement collectif vise à prévenir les crises, à les circonscrire, à les maîtriser, à les surmonter. Ce sont des périodes où l’ordinaire cède le pas à l’exceptionnel. Mais depuis quelques années, le cycle des crises semble s’être considérablement raccourci. Dans tous les domaines, il y a en effet une situation désormais quasipermanente de crises. Pour ne citer que les der-
En matière d’environnement :
- 2010 : l’échec de Copenhague et le sentiment que la Communauté internationale est incapable de s’attaquer aux racines du réchauffement climatique En matière mie :
d’écono-
- 2010 : crise des dettes dites souveraines, - 2009 : crise des établissements bancaires, - depuis 2008 : crises ponctuelles de licenciements dits «boursiers» c'est-à-dire de groupes avec des résultats bénéficiaires mais qui procèdent à des licenciements de personnels. Cette notion a
été très vulgarisée en France en septembre 1999 quand le groupe Michelin a cassé son image «paternaliste et protectrice » en procédant à une vague de licenciements. - 2010 : à côté de crises mettant en cause des segments de marchés figurent des crises ponctuelles à l’exemple de la toute récente crise sur les fichiers d’Acadomia. Cette liste pourrait s’allonger à des domaines de santé (depuis la grippe A jusqu’aux défaillances d’établissements hospitaliers).
La crise sociale de septembre 2010 a révélé une crise politique d’une autre nature au sein même des gauches françaises
En effet, du décalage entre la France politique et la France sociologique
Crise sociale : le PS et le jour d’après
Benoît Hamon et «le monde d’avance» … Jusqu’où le Parti Socialiste Français peut-il cultiver sa singularité par rapport à ses homologues européens entrés eux dans une logique de gouvernance moderne ? Quel sera l’impact des déclarations et des références du porte - parole officiel du PS dans la dernière ligne droite de la présidentielle ?
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Crise sociale : le PS et le jour d’après
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naît la paralysie de notre pays face à la modernité. Les scrutins sont construits sur une «parole d’élection» qui ne peut pas être le socle d’actions car elle n’a pas d’ancrage sociologique majoritaire réel. Cette réalité est apparue encore plus manifeste lors des dernières semaines. Chaque coalition politique au sein de la gauche a continué sur la lancée de son histoire, avançant avec les à-coups d’intérêts ponctuels car elle n’a eu le courage de regarder en face cette nouvelle réalité et encore moins de la traiter une fois pour toutes. L’exemple emblématique est Laurent Fabius qui, depuis 2005, a quitté son positionnement de «techno-crake» moderne pour revenir aux coalitions de l’ancien siècle. Il a tourné la page de la seconde moitié des années 80 qui l’avait vu proclamé champion d’une «société moderne», la «France branchée» qui accepte le marché, l’Europe et les nouvelles technologies. Le 1er semestre 2005 l’a replacé en fidèle héritier de François Mitterrand cherchant à rassembler la «gauche» pour battre la «droite». Sacré défi puis-
qu’il existe désormais plusieurs gauches comme plusieurs droites toutes aussi éclatées les unes que les autres.
La gauche en crise depuis … 2005
La présentation la plus réaliste de la crise structurelle de la gauche française a été effectuée par Michel Rocard lors d’un entretien dans le Nouvel Observateur du 20/08/05 qui demandait le courage de tourner la page des anciennes grilles de lectures pour avoir celui d’ouvrir une page blanche qui corresponde à la réalité sociologique présente.
Existe-t-il un espace politique pour un parti social démocrate européen en France ? Estil possible de créer un «New Labour» à la Française et si oui quelles en seraient les conséquences ? Avec la qualité d’analyse qui le caractérise, Michel Rocard exposait alors les enjeux incontournables. Il dénonçait les dangers de la synthèse qu’il qualifiait même «d’ennemie» : « la synthèse est une capitulation des guesdistes, pourquoi pas? Mais je n’y crois pas parce que j’estime mes adversaires. Je crois la démarche de Fabius profondément opportuniste.
Crise sociale : le PS et le jour d’après Mais Emmanuelli est un guesdiste sincère. Mélenchon, un intellectuel, presque un philosophe de la politique. Je ne mets pas leur honnêteté en doute. Et je ne minimise pas nos désaccords. Quand je lis les tenants du non à la Constitution européenne, je me rends compte à quel point des gens comme moi sont un boulet pour eux. Ils pensent que le choix de l’Europe est un piège qui nous entraîne dans le néolibéralisme en nous privant de nos leviers de commande. Ils croient au retour de la politique nationale. Je pense exactement le contraire. Au fond, nous devenons de jour en jour insupportables les uns aux autres. Nous nous paralysons mutuellement. Nous devons nous libérer ». Rien n’a été réglé depuis cette date. Aucune «libération» n’est intervenue ; bien au contraire ! Le PS compte en effet toujours parmi les siens des modérés et des intégristes. Non seulement rien n’a
Parti Socialiste : les campagnes de Paroles Pour l’instant, le parti socialiste fait une campagne de paroles et non pas une campagne d’actions. Il fait une campagne qui communique sur les problèmes et non pas une campagne qui communique sur les solutions. Il se positionne dans un «Ministère de la parole». Certes, c’est un ministère qu’il maîtrise. Mais il reste dans le même registre que l’ancienne génération. Dans l’actuelle griserie du retour en force des idéaux de gauche, il n’apporte pas de valeur ajoutée d’une nouvelle génération. La crise actuelle va laisser des conséquences durables. Le 2 novembre 2010, l’opinion Américaine a passé un message fort : il faut changer pour ne pas reconduire ceux qui sont allés dans le mur. En quoi, le PS montre-t-il aujourd’hui sa différence avec ceux qui en France aussi, ont conduit dans le mur ? La principale revendication des citoyens n’est pas le vote mais la considération. Le premier est acquis, voire délaissé mais la seconde est ignorée. Elle passe par des propositions concrètes qui se font terriblement attendre.
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été réglé, mais il est même probable que le fossé s’est encore creusé car la gauche ultra a pris une place de plus en plus forte notamment lors de l’actuelle radicalisation dans le cadre des grèves et des manifestations contre la réforme des retraites.
Le populisme Mélenchon
de
La crise sociale a entraîné des radicalisations de nature à contrarier le prochain projet de contrat de gouvernement de la gauche. C’est le cas notamment de la percée et de la nouvelle tonalité de Jean Luc Mélenchon qui s’inscrit dans une logique intégriste de la lutte des classes. Jean-Luc Mé l e n c h o n peut-il faire revivre la lutte des classes ? Les différences dans les façons de vivre n'ont probablement jamais été aussi grandes. La mobilité sociale est très restreinte. Les inégalités de revenus demeurent très profondes. Les distances sociales entre les groupes se sont creusées. De façon paradoxale dans ce contexte général, les consciences de groupes ont diminué.
Crise sociale : le PS et le jour d’après
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Le Parti socialiste et le rapport à l’élite
tion de sa situation ne peut être que le résultat d’une action collective pour obtenir des avantages pris à d’autres catégories sociales.
La légitimité des élites est en passe de devenir le sujet majeur de la vie politique et des prochains votes.
La classe devient un sentiment d’appartenance plus fort que la communauté nationale et devient un agent de transformation de la société.
C’est une évolution très inquiétante y compris pour le PS pour trois raisons.
Le phénomène de classes repose sur la rivalité, donc sur la tension et sur une certaine forme de violence.
Tout d’abord, le partage peut impliquer la généralisation des conflits. Nous sommes dans une période où l’opinion a le sentiment que les intérêts ne sont plus communs parce que le revenu national à partager diminue. Ensuite, chacun adapte désormais sa grille de lecture des annonces à la question : que touche la catégorie qui me concerne ? Cet intérêt de classe crée des réflexes dangereux en période de crise économique. Enfin, le succès même de la lutte des classes repose sur un postulat qu’un individu appartenant à une classe considérée estime que l’améliora-
Si bien que la "lutte des classes" ne semble aujourd'hui qu'être une juxtaposition de groupements de défense d'intérêts particuliers.
C’est une logique nouvelle des rapports avec le pouvoir. Avec cette grille de lecture de l’action politique, les partis classiques sont entrés dans une conception très archaïque des rapports sociaux. Le PS est un parti de gouvernement. Il gère les collectivités publiques locales. Quel bénéfice peut-il tirer à terme d’une radicalisation contraire à son histoire la plus récente et à la remise en cause d’un système qu’il cogère pour une grande partie ? Comment penser que le PS puisse imaginer ne pas appartenir à l’élite aux yeux de l’opinion ?
deux ou trois générations. La décentralisation de l'enseignement a considérablement amplifié ce sentiment collectif.
Tout d'abord, il importe d'observer que le nombre des métiers qualifiés a beaucoup augmenté.
Mais surtout, la société a implosé. Les groupes se sont multipliés. Chaque groupe a ressenti un besoin croissant de se différencier. Cette atomisation est devenue un obstacle important à l'émergence d'une conscience de classe.
Cette augmentation a été couplée avec une chance perçue de promotion permanente tirée par le développement économique dès l'instant que ce dernier existe. Cette mobilité ascensionnelle a été perçue comme probable sur
L'évènement principal réside dans le sentiment que nous sommes passés d'une société d'affrontements à une société conviviale dont les enjeux dépasseraient largement les oppositions de classes. C'est le cas par exemple
Comment analyser ce phénomène qui change considérablement la donne politique ?
de l'actuelle prise de conscience de la défense de l'environnement. La question n'est pas de défendre une classe contre une autre mais toutes les classes contre la destruction. Si le rapport de forces devait s'établir, il serait alors dans une logique plus géographique que sociale. La défense des consommateurs s'inscrit dans la même logique. Si les défis ont changé de pôles d'affrontements, il en est de même des solutions. L'espoir est perçu comme relevant davantage d'une nouvelle conscience collective que de la victoire
Crise sociale : le PS et le jour d’après d'un groupe sur l'autre. Pour toutes ces raisons, l'appartenance d'un individu à une classe sociale n'est plus toujours sûre. Elle n'est plus toujours durable. Elle n'est plus toujours visible. Mais surtout, l'émancipation d'une classe est perçue comme relevant désormais du seul effort individuel qui est l'ultime espoir de transformation non pas de la société mais de sa place dans la société. Le groupe a disparu au profit de l'individu. Or, la
lutte des classes reposait sur le chemin contraire c'est-à-dire celui de la disparition d'un individu au profit d'un groupe, sa fusion dans le groupe comme métal anonyme. Dans ce contexte, il devrait être difficile à Jean Luc Mélenchon de maintenir ce cap car il est manifestement culturellement hors sujet par rapport aux évolutions durables de la société. Initialement, la seule utilité de son discours pouvait viser dans le recyclage républicain de citoyens tentés par l’extrême gau-
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che. Mais ces derniers mois, son objectif semble autre : ancrer toute la gauche dans une logique qui l’éloigne de la socialdémocratie. En s’approchant du seuil des 7 % sans dégonfler pour autant l’extrême gauche, la donne change. Il incarne un pôle à part entière qui revient de facto à une forme de renaissance du Parti Communiste Français dont toute l’œuvre de François Mitterrand avait viser à le faire fondre comme neige au soleil. Cette situation nouvelle ne peut faciliter une gouvernance moder-
Le désir de libéralisme a baissé mais celui de socialisme n’a pas monté
cratique» qui met l’autorité au service d’une justice sociale déclarée.
Pour ancrer son positionnement présidentiel, Martine Aubry doit mener trois actions parallèles : • celle de son image actuelle, • celle des aspirations du corps électoral, • celle de ses principaux concurrents.
Ce n’est pas le positionnement attendu par l’opinion.
Or, l’analyse du positionnement de ses concurrents montre que de très nombreux créneaux sont déjà occupés.
Elle va donc devoir désormais «se repositionner» par de nouvelles actions. La réussite de Martine Aubry dépendra du succès de ce repositionnement, de sa capacité à faire vivre, jour après jour, sa nouvelle identité publique.
La social-démocratie est devenu le créneau de Ségolène Royal.
L’échec partiel ou complet du marché ne réhabilite pas pour autant les anciens instruments de la régulation étatique.
L’incarnation de la «gauche populaire» est celui de Benoît Hamon voire bien davantage celui de Jean-Luc Mélenchon à l’extérieur même du PS.
On pressent que l’avenir sera plus complexe.
Le créneau de la «gauche efficace» est occupé par Dominique Strauss-Kahn. Le créneau de Martine Aubry demeure celui de son ancrage initial : la «gauche techno-
A ce jour, on ne voit pas les germes d’un renouveau de la pensée de gauche. Où sont les intellectuels ou les leaders qui travaillent à autre chose qu’à leur propre thèse ou à des projets gestionnaires d’équipes de présidentiables ?
Crise sociale : le PS et le jour d’après ne intégrant les contraintes internationales incontournables.
Second partenaire délicat : les Verts
Initialement, les Verts revendiquaient trois modifications dans la politique conduite : - la mise en œuvre d’une politique de l’aménagement du temps comportant une meilleure organisation du temps de travail de nature à ouvrir d’autres temps individuels, - une politique d’aména-
gement de la terre qui soit plus économe et plus respectueuse des équilibres naturels, - une politique des relations humaines favorisant un foisonnement des vies communautaires. Avec cet ancrage conceptuel, les écologistes n’avaient pas vocation à offrir une alternance dans un même système mais une véritable alternative pour un autre pouvoir. Progressivement, les écologistes se sont inscrits dans la bipolarisation classique du régime de la Vème République. Ils ont
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perdu en originalité de pensée pour rejoindre la grille de lecture socialiste et s’inscrire dans son schéma relativement homogène. Effectuant ce pas, les Verts se sont intégrés dans une composante de l’élite politique nationale et locale et sont donc devenus une composante, comme les autres, d’un système politique qu’ils prétendaient pourtant fondamentalement récuser les critères fondamentaux. Ce glissement s’est accompagné de la mise en œuvre d’alternances aux contenus insuffisamment clivants pour réduire l’alternance politique à la seule alternance de personnes. Après avoir accepté des «règles du jeu» qu’ils dénonçaient, les Verts ont même directement participé au «jeu politique» ; c’est donc la reconnaissance d’une «alternative simulée». Ils ont perdu la dimension morale initiale. C’est cette dimension morale que les Verts veulent reconquérir lors de la présidentielle 2012. Ce faisant, ils introduisent une contrainte doctrinale de plus au programme 2012. La crise des retraites semble avoir accéléré la crise des gauches que 2012 va mettre en relief. Editeur : Newday www.exprimeo.fr
Tea Party : qui en France ?
Loin des caricatures, Kristi Noem est l’une des nouvelles élues du Tea Party en Dakota du Sud. Elle a mené une campagne exemplaire tant dans la rupture attendue que dans l’authenticité nouvelle. Une règle de conduite : ne pas être politicien. Cette culture peut-elle impacter la France et si oui qui pourrait en être l’incarnation ?
Parution le : 9 novembre 2010
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