Capturer l’instant - L’art de la photographie de Michael Freeman

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Michael Freeman

Capturer l’instant L ’a r t d e l a p h o t o g r a p h i e


Extrait du livre « CAPTURER L’INSTANT » de Michael Freeman En librairie le 2 avril Editions Eyrolles

http://www.editions-eyrolles.com/


I n s ta n t s « d a n s l e v i s e u r »

Insertion dans le décor Flamboyant

Voici un cas typique d’instant à choisir dans le viseur. Ce lieu fut le décor de variations de prises de vue qui vont me permettre de vous expliquer quelles sont les décisions à prendre et les techniques à appliquer pour réussir à saisir l’instant décisif où tout se met en place. Plus j’examinais cette scène, plus j’y décelais des différences, il m’a donc fallu prendre du recul pour trouver l’endroit qui me 40

permettrait différents cadrages et pourrait faire naître des « moments ». Le cliché finalement sélectionné, présenté ci-dessus, a capturé un instant à la fois banal pour cette région mais composé dans des circonstances spécifiques – l’une des leçons à tirer des nombreux exemples exposés dans cet ouvrage est bien que chaque moment est unique et que le cliché que vous espérerez en obtenir le sera aussi.

Flamboyant, région de Magwe, Birmanie

Cette photo appartient à la catégorie que j’ai nommée « Tout se met en place ». Je souhaite glisser un minuscule sujet, sorte de dernière pièce d’un puzzle, dans un décor qui me plaît déjà tel quel. Ce que j’ai l’intention de saisir, et que je vois dans mon viseur, n’existe pas en dehors de ce cadre : si


Insertion dans le décor

F l a m b o ya n t Points clés

Probabilité Suivi du sujet Portrait/paysage

Trajectoire La situation de départ, avec l’itinéraire potentiel, qui s’est révélé être le bon.

où l’on verra la silhouette descendre l’allée par la droite.

tout s’imbrique comme je le désire, j’obtiendrai une image très personnelle.

et en suivant le côté gauche de la route qui serpente au loin. Et peut-être tournera-elle ensuite à gauche ?

Le premier cliché ne sera sans doute pas le meilleur, mais je l’assure pour avoir au moins une photo exploitable. Pour disposer d’un maximum de fleurs rouges dans le cadre, j’opte pour une orientation portrait, mais la répartition des ombres et de la lumière rend la femme peu visible. Elle poursuit son chemin. Ma deuxième option, également en orientation portrait, fonctionne beaucoup mieux, avec une jolie cascade de fleurs ; la silhouette se dessine bien sur les champs verts en arrière-plan. Je passe ensuite à l’orientation paysage, que j’avais déjà préparée. À gauche du tronc, la hutte perturbe le contour de la silhouette, j’attends donc que la femme passe de l’autre côté. Tout se met alors en place et le meilleur cliché est celui où elle quitte la route. J’attends encore une douzaine de secondes qu’elle réapparaisse sur le chemin pour un dernier cliché vertical, mais la composition n’est pas aussi bonne que je l’avais espéré.

C’est la saison chaude en Birmanie. Dans la région peu fréquentée de Magwe, à la sortie d’un virage, je découvre trois flamboyants plantés les uns à côté des autres, avec leurs branches qui s’entrelacent. Je précise que les couleurs n’ont pas été saturées au post-traitement. Ce paysage est déjà très intéressant en soi, mais j’aperçois une femme qui marche sur la route : la photo que je veux faire s’annonce encore plus prometteuse. Le soleil est alors assez haut dans le ciel, je préférerais bien sûr une lumière plus riche, mais cet éclairage a l’avantage de bien montrer la chaleur écrasante de cette journée. Après être descendu de voiture et m’être avancé rapidement, je parviens à anticiper l’itinéraire de la femme : si elle ne bifurque pas sur un sentier que je ne vois pas, elle traversera probablement le cadre en se dirigeant vers la droite

Mais les flamboyants sont mon sujet principal, la femme n’y ajoute qu’une touche de vie : je veux que le cadre soit rempli de fleurs rouges qui délimitent un espace où elle ira s’insérer. Je m’avance tout en réfléchissant aux différentes possibilités de situations, en les classant par ordre de probabilité : la femme peut bifurquer, ou même se retourner pour me faire signe de ne pas la photographier. Je dois réfléchir vite. Il y a pour moi quatre cadres possibles, où la femme peut apparaître dans un espace laissé vide entre les branches – vous pouvez les visualiser sur la double page suivante, classés par ordre d’incertitude croissante. Je place tous mes espoirs dans le troisième cas de figure, en orientation paysage. J’espère aussi que le quatrième se présentera, pour un cliché vertical plein de rouge,

À l’éditing, c’est l’orientation paysage qui s’impose. Ce cliché figure d’ailleurs en double page dans l’ouvrage 7 Days in Myanmar. Le commissaire de l’exposition qui avait accompagné la sortie de ce livre voudra pourtant faire un lien avec un autre de mes clichés (voir pages 98 à 101), qui montre une file indienne de moines en habits rouges, pris en orientation portrait. C’est donc le flamboyant vertical qui sera finalement exposé, les deux clichés se faisant écho à leur façon, ce que les galeristes apprécient particulièrement. C’est ce que Wilson Hicks, directeur photo du magazine Life, appelle le « troisième effet. » Puisque l’on n’est jamais sûr de l’utilisation future d’une image, mieux vaut ne pas s’arrêter à l’évidence et réfléchir, comme ici, à quatre clichés possibles au lieu de se contenter d’un seul. 41


I n s ta n t s « d a n s l e v i s e u r »

Insertion dans le décor Flamboyant (suite) Cadrages anticipés Dès le départ, j’avais prévu ces quatre cadrages. Les flèches grises désignent les espaces où la femme pouvait s’insérer.

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Urgence

Points clés

Précision vitesse

Comportement Attente Point de focus

Évaluation de la situation C’est un cas d’extrême urgence, car tout se déroulera dans les trente secondes qui vont suivre. La précision est cruciale et c’est ma première préoccupation. Le critère vitesse est moins important : la femme marche d’un pas assez lent.

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I n s ta n t s « d a n s l e v i s e u r »

Progression Éléphant sur la route

Voici une catégorie assez courante, celle du sujet qui avance vers l’objectif. En général, quiconque regarde un cliché comme celui-là, d’un éléphant d’Asie et de son cornac marchant paresseusement sur une route côtière du Kerala, y voit une image qui semble simple, mais les décisions à prendre pour arriver à ce genre de composition sont très 64

spécifiques. Une bonne dose de pratique est également indispensable pour maîtriser toutes les étapes qui concourent à la réussite d’un tel cliché. Ce cas est un bon exemple. Entre le moment où j’ai vu arriver le pachyderme et celui où j’ai pris la photo, il s’est écoulé environ une minute, ce qui m’a laissé le temps de me préparer, mais sans plus. Quand

Éléphants sur la route de Calicut, au Kerala


Progression

Éléphant sur la route Points clés

L’éclairage détermine le choix final

Mise en place rapide

Parmi les quelques instants décisifs où l’éléphant de tête passe sous l’arbre, l’image sélectionnée l’emporte en raison de la répartition de l’ombre et de la lumière (taches de lumière sur le front de l’animal et sur les feuillages qu’il transporte avec sa trompe).

Urgence Précision

Vitesse

Évaluation de la situation L’urgence prime dans ce cliché, comme dans la plupart des photos où le sujet avance vers l’objectif, car on a toujours moins de temps qu’on ne le pense avant qu’il ne déborde du cadre. Précision modérée, se limitant à garder l’éléphant bien net. Vitesse moyenne.

Précision Taches de lumière

il arrivera, le sujet occupera une grande partie du cadre, c’est le but recherché. Le résultat n’est toutefois pas garanti, il est possible que les choses ne se déroulent pas comme prévu : un objet peut subitement bloquer la vue, le sujet peut changer soudainement de direction. Certains paramètres peuvent échapper à votre contrôle, le principal étant la mise au point, mais il n’est pas rare non plus que l’on attende un peu trop longtemps et que le sujet déborde alors du cadre. Voici la checklist que j’ai constituée. Primo, trouver vite une bonne position avec un arrière-plan correct. Ici, j’ai demandé au chauffeur de s’arrêter et j’ai

couru jusqu’au bord de la route. Dans l’urgence, on peut toujours reculer, mais on perd du temps. Secundo, définir la distance focale, sachant que plus elle sera longue, plus l’approche du sujet sera lente dans l’image, ce qui donnera davantage d’occasions de prise de vue. J’ai choisi une focale fixe de 400 mm, mais un zoom aurait permis d’ajuster la cible dans le cadre. Tertio, vérifier tous les réglages, c’est-à-dire l’ouverture, la vitesse et la sensibilité, en fonction des besoins. L’éclairage est bon, j’ai donc réduit la sensibilité et réglé une vitesse aussi basse que le permet la lenteur de l’action, soit 1/125 s, afin de profiter d’une profondeur de champ raisonnable à ƒ/8. 65


I n s ta n t s « d a n s l e v i s e u r »

Progression Éléphant sur la route (suite)

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La séquence À part les deux premiers clichés sur lesquels les éléphants sont trop petits, toutes les orientations paysage sont bonnes ; les meilleurs instants dépendent du mouvement de la trompe et de la disposition des taches de lumière quand l’éléphant passe sous l’arbre.

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Progression

Éléphant sur la route Points clés

Taille dans le cadre Position basse Détails du tronc

Si vous prenez le temps de réfléchir calmement, vous ne devriez pas avoir trop de mal à déterminer ce trio de paramètres pour obtenir une exposition bien adaptée à votre sujet. Quarto, les photos de personnes ou d’objets qui se déplacent sur une route sont souvent plus réussies quand on s’accroupit au niveau du sol. Cela limite la place occupée par le premier plan dans le cadre.

Notez que la position des éléphants dans le cadre tient compte de leur emplacement sur la route et de la façon dont ils remplissent peu à peu l’image. Dans les premier et deuxième clichés, ils sont trop loin et pas assez gros pour produire l’effet attendu. Tous les autres sont acceptables. Je me sers de l’arche ombragée de l’arbre et des branches sur la droite pour fermer le côté droit du cadre et je m’efforce de

montrer le moins de route possible dans le bas. Les différents instants varient surtout de par la façon dont le troupeau traverse les zones d’ombre et de lumière. Les sixième et neuvième photos sont les meilleures : la sixième grâce au balancement de la trompe de l’éléphant de tête, et la neuvième, que j’ai finalement sélectionnée, parce que le soleil éclaire le feuillage transporté par l’animal.

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I n s ta n t s « d a n s l e v i s e u r »

Instant pictural Bord de lac

En art, un tableau est un arrangement d’éléments qui fonctionnent bien ensemble, de façon très formelle, tout est maîtrisé par l’artiste. Il y a donc inévitablement un aspect « théâtral » dans un tableau. Cette photo prise au bord d’un lac donne la même sensation, et a été faite dans ce but. Le ponton ressemble d’ailleurs à une scène et le point de vue parfaitement de face, aligné et droit, nous place en position de spectateur. 88

Les personnes entrent et sortent du cadre à la manière d’acteurs, généralement deux par deux. Le contre-jour renforce l’impression d’une troupe de théâtre (ce n’est pas le cas), car il gomme des détails, comme la couleur des vêtements, qui permettraient de les différencier les uns des autres, les montrant presque comme des silhouettes. Un autre élément graphique rend le cliché plus intéressant encore : la correspondance entre les personnages, sur le

Lac de Xuanwu, Nanjing, Chine

ponton, et les immeubles, sur la rive opposée, eux aussi éclairés à contre-jour ; en outre, la brume de la fin d’après-midi uniformise les tons en un gris clair, chaud. La concordance entre le nombre de personnes et d’immeubles aide à la comparaison.


I n s ta n t p ic t u r a l

Bord de lac Points clés

Mise en scène Alignement Interaction

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Précision Vitesse Urgence

Évaluation de la situation 3

Urgence faible et vitesse normale. Le plus important est la précision, ce qui est typique des scènes picturales : les personnages doivent être placés à un endroit précis, avec des poses ou des gestes intéressants.

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Dynamique de la mise en scène

Quel est le meilleur moment à saisir dans cette mise en scène en perpétuelle évolution ? Je veux d’abord que les silhouettes soient bien distinctes les unes des autres, pour un « piqué » purement graphique – l’un des principes essentiels de la composition en photographie est d’amener de l’ordre dans le chaos, une façon d’imposer la marque personnelle du photographe sur une scène. Tout le monde n’est pas d’accord sur ce point, mais c’est la tradition en photographie de rue, et j’essaye de m’y conformer ici. Pendant un intervalle d’une minute trente, je ne trouve à prendre que sept photos qui remplissent ces conditions. Tous les instants intermédiaires sont plus désordonnés.

La séquence Au départ, la plupart des dispositions de silhouettes méritent d’être photographiées, mais il est préférable de saisir un instant plus ordonné.

Au-delà de la correspondance de la forme et de la disposition des personnages au premier plan avec les immeubles au loin, l’aspect dynamique est apporté par les entrées et sorties des « acteurs » qui forment parfois des groupes, comme l’interaction des couples qui se photographient.

Je recherche aussi des postures et/ou des gestes dynamiques. Sur ces images, soit des personnes pointent quelque chose du doigt, soit un couple prend une position gracieuse, soit des gens se photographient... J’ai su tout de suite que l’instant qui fonctionnerait le mieux serait celui où quelqu’un prend une photo dans une pose très marquée, à gauche, avec son pendant à droite : j’obtiens deux actions dirigées vers l’intérieur du cadre et qui délimitent la scène.

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i n s ta n t s f u g i t i f s

Instant suspendu Danseurs soufis

Voici un autre instant saisi en plein vol (vertical cette fois), à Omdourman, au Soudan, en face de Khartoum, sur la rive opposée du Nil. Le soufisme met l’accent sur la dimension mystique de l’islam. Dans bon nombre de sectes soufies, la prière traditionnelle du vendredi prend une forme inhabituelle pour la société musulmane ; certains des ordres, ou tariqa, entrent dans une sorte de transe en tourbillonnant, en virevoltant ou en sautant. Ici, à la 114

mosquée de Sammaniya, les adeptes alignés sautent à l’unisson tout en chantant des prières. Voir une centaine d’hommes sauter en même temps est impressionnant ; c’est clairement l’instant qu’il faut photographier. L’élément clé à montrer est le moment où ils ne touchent pas le sol. Comme il n’est pas possible de profiter de l’ombre projetée par les pieds et que le motif des tapis tissés est assez chargé, je me suis agenouillé pour capturer toute

Soufis bondissants, Omdourman, Soudan


I n s ta n t s u s p e n d u

Danseurs soufis Points clés

Action collective Point culminant Position basse

l’amplitude du mouvement et l’instant suspendu, au point culminant du saut. Vu le manque de contraste tonal global, j’ai renforcé le contraste entre les pieds (foncés) et les tapis (clairs) par une retouche localisée – qui se justifie aussi par le fait que le haut du torse des hommes détourne l’attention des pieds à cause de l’éclairage. Pour l’anecdote, j’ai réalisé ce cliché l’année où je suis passé au numérique. Pour ce livre sur le Soudan, je travaille à la fois en numérique et en argentique : j’utilise l’argentique quand l’éclairage est suffisant, sinon, je privilégie le numérique. Au crépuscule, comme ici, j’utilise les deux. La grosse différence est la sensibilité : fixe à 50 ISO pour le film Velvia, et ajustable, pour le numérique. Capturer l’instant de suspens est techniquement essentiel en argentique, car c’est le seul moyen de garantir la netteté à 1/60 s et ƒ/5,6, la précision est donc cruciale. En numérique, je joue la sécurité en réglant une sensibilité de 1 000 ISO pour 1/1 250 s. Quel manque de cran de ma part !

Précision

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Cadrage vertical

Les pieds sont la clé

Une autre méthode consiste à rester debout et à photographier avec une orientation portrait. Le résultat est moins évident que le cliché retenu, mais aussi intéressant, car on met un peu de temps à comprendre de quoi il s’agit. Certains préfèrent cet angle pour cela.

Pour saisir l’instant où les pieds sont bien visibles, et surtout se détachent le mieux sur l’arrière-plan, l’angle est déterminant ; le boîtier doit être bas et incliné pour montrer le plus d’hommes.

Vitesse

urgence

Évaluation de la situation Étonnamment, il n’y a aucune urgence – les hommes sautent ainsi pendant des heures –, mais il faut être précis, avec le plus de distance possible entre les pieds et le sol. Comme je les saisis au point culminant, la vitesse peut être moyenne, mais pour ne pas prendre de risque, je règle une vitesse de 1/1 250 s.

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i n s ta n t s l o n g s

Instant actif Arbre de la Bodhi

J’ai choisi de commencer ce chapitre consacré aux instants longs par cette petite scène, assez emblématique d’un type de situation que l’on rencontre fréquemment. Le sujet est clairement défini, évident, incontournable même, et il ne risque pas de s’évaporer. Vous avez choisi l’heure et le jour, la lumière est bonne et intéressante, rien ne vient gâcher la vue (présence d’échafaudage, de touristes…). Tout est en place et pourtant vous ne 170

pouvez pas vous empêcher de vous demander si tout y est. N’est-il pas possible d’exploiter davantage cette situation ? Voici l’un des lieux sacrés du monde bouddhiste, l’arbre de la Bodhi sous lequel Buddha aurait atteint le plein Éveil – en fait ce serait une bouture de l’original, rapportée du Sri Lanka (l’arbre en question aurait aujourd’hui près de huit mille ans…). Ce

L’arbre de la Bodhi, Bodh Gaya, Bihar, Inde

sanctuaire isolé se trouve à Bidh Gaya, en Inde. Je dois faire cette photo pour un livre consacré aux lieux sacrés d’Asie. La route est longue pour se rendre sur les lieux, mais ils méritent largement le voyage.


I n s ta n t a c t i f

Arbre de la Bodhi Points clés

Amélioration Grand-angle proche Lumière et action

Précision Urgence Vitesse

Évaluation de la situation Très légère urgence, car le soleil couchant ne me laisse plus que quelques minutes avant que le clair-obscur ne disparaisse. La précision est assez importante pour le cadrage depuis ce point de vue rapproché. Vitesse : sans importance.

Les arbres sont généralement des sujets visuellement « désordonnés » et ils ont tendance à se fondre dans leur environnement. Les belles photos d’arbres sont souvent l’aboutissement d’une chasse aux plus beaux spécimens et d’un éclairage favorable qui permet de les isoler de l’arrière-plan. Ce qui est impossible ici. Cet arbre se trouve en outre dans un lieu fermé, assez petit, ce qui restreint l’angle de prise de vue. Le tronc est drapé dans un tissu safran, l’effet est particulièrement saisissant dans les jeux d’ombres et de lumière de la fin d’après-midi : du point de vue de l’éclairage, l’après-midi est donc le bon moment. Je cherche un effet de clair-obscur que je parviens à obtenir avec une vue rapprochée au grand-angle 20 mm. Est-ce bien tout ? Est-ce là le but de ce long voyage ? Cette vue est la meilleure que je puisse obtenir avec cet objectif, cet éclairage et sous cet angle. J’aimerais pourtant qu’il se passe quelque chose, mais pas juste devant moi (je ne suis qu’à deux mètres de l’arbre). Je patiente une dizaine de minutes. La lumière commence à décliner quand un moine arrive et se met à prier devant le petit autel, de l’autre côté de l’arbre. C’est ce que j’attendais : une activité qui rende la scène vivante et fasse naître un instant à l’arrièreplan d’une vue statique. Ironie du sort, le format final du livre pour lequel je réalise ce cliché est presque carré : l’instant sera finalement supprimé au montage.

Recadrage L’éditeur choisit cette photo pour sa couverture, mais elle ne rentre pas dans le format presque carré du livre. L’instant qui, à mes yeux, fait la différence est éliminé.

Lumière et action

La séquence

Deux éléments coïncident : le clair-obscur du jeu d’ombre et de lumière qui devient de plus en plus contrasté, car les nuages se dissipent et le soleil apparaît derrière les arbres, et l’arrivée d’un moine japonais.

Le cadrage horizontal est assez vide au départ. Puis le moine arrive. Je n’ai que quelques minutes avant que les rayons du soleil ne disparaissent.

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Instant de lumière Érable Villa Esterio, Préfecture de Yamanashi, Japon

Les bons architectes jouent avec la lumière, leurs édifices savent l’exploiter. Quand ils sont vraiment très bons, comme Atsushi Kitagawara qui a conçu cette cour d’un grand ensemble à Kobu, au Japon, ils pensent jusqu’aux détails de l’incidence de la lumière en fonction de l’heure – le rai de lumière qui se dessine ici sur les cailloux blancs n’est pas là par hasard. Les architectes prévoient tout avant de laisser faire la nature et les éléments, tentent de concilier contrôle et impondérables. Peu de cultures pensent ainsi ; la dynastie Song, en Chine, fut l’une d’elles. La photographie d’architecture n’a qu’à suivre le code créé par le designer/architecte/artiste : la meilleure stratégie du photographe est d’essayer de comprendre l’intention de l’architecte et de la capturer. Le minimalisme transparaît ici dans la simplicité de l’arbre (un érable, très apprécié au Japon) qui tranche sur la blancheur des murs et du sol. C’est la lumière qui donne vie à cette mise en scène.

Urgence

Précision Vitesse

Évaluation de la situation L’urgence est assez élevée, les rayons du soleil frappent les murs mais des nuages risquent d’arriver à tout moment. Précision élevée également, surtout pour l’angle et le cadrage, car le rai de lumière coupe la composition en deux le long d’une diagonale marquée. Vitesse sans importance : l’appareil photo est monté sur un trépied, le temps se mesure en minutes plutôt qu’en fractions de seconde.

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I n s ta n t d e lu m i è r e

Arbre architectural

Érable Points clés

L’érable isolé a son rôle dans cette architecture, il contraste avec la blancheur de la pierre et du béton.

Éclairage piqué Minimalisme Géométrie

Rai de lumière fugace

L’éclairage baisse

Un rai de lumière s’immisce dans un espace entre deux murs et éclaire la cour semée de cailloux blancs. L’angle de l’éclairage évolue avec le soleil couchant, il tourne dans le sens des aiguilles d’une montre.

Derrière l’appareil photo, une ouverture judicieusement placée dans un mur permet à un rai de lumière de traverser la cour au soleil couchant en rétrécissant peu à peu jusqu’au mur opposé.

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i n s ta n t s l o n g s

Instant de couleurs Mont Popa

Quand on attend le lever ou le coucher le soleil, on peut se sentir confortable et s’imaginer que l’on a tout son temps. Mais on ne peut jamais être sûr du rendu que l’on obtiendra sur un cliché, par ailleurs l’instant où l’éclairage est enfin parfait s’évanouit très vite. C’est ce qu’il s’est passé ici, sur le mont Popa, en Birmanie, près des célèbres temples de Bagan. J’accompagnais une équipe de tournage. Nous étions arrivés sur site une heure en avance ; tout était prêt, rien ne semblait pouvoir 184

contrarier nos plans : l’angle de vue plongeant plaçait le promontoire rocheux et ses temples sous la ligne d’horizon, et l’éclairage à contre-jour du crépuscule était garanti à cette époque de l’année (décembre). Seul l’instant exact demeurait incertain. J’ai donc pris des photos dans la lumière dorée de la fin d’après-midi, et ce jusqu’au soir. Le schéma ci-contre explique la complexité de l’éclairage : il y a eu deux points de rupture prévisibles, au moment où le soleil est entré dans le cadre et au moment où

Mont Popa, Birmanie

il s’est couché. Entre les deux, la lumière parasite dans l’objectif ne s’est estompée qu’une ou deux minutes. Par ailleurs, le soleil a été partiellement caché par une fine bande nuageuse pendant moins de deux minutes. Ce n’est qu’à ces seuls moments que la prise de vue incluant le soleil dans le cadre (sans lumière parasite) a été possible, il y a bel et bien eu urgence.


I n s ta n t d e c o ul e u r s

M o n t P o pa Points clés

Préparation Heure magique Couleurs

L’installation Je participais aux repérages pour un tournage en Panavision 65 mm, mais je n’ai pas attendu les bras croisés.

Évolution de l’éclairage (de haut en bas) Quand le soleil baisse sur l’horizon, la couleur de l’éclairage change en permanence. Le premier point de rupture (entrée du soleil dans le cadre, apparition de lumière parasite) est repéré par le premier plan gris ; le coucher du soleil, par le second. La couleur de la scène se décompose ensuite en trois zones : ciel, paysage et éclairage artificiel.

Juste après le coucher de soleil, la couleur disparaît provisoirement. Le schéma montre l’évolution des couleurs depuis le bain général de lumière dorée jusqu’à une image coupée en deux entre le dégradé de rouge du ciel et le dégradé de bleu du paysage ; durant les 15 à 30 minutes qui suivent le coucher de soleil, le contraste et la saturation de ces couleurs sont à leur maximum. Les lumières électriques des temples en ajoutent une troisième. Ces trois couleurs atteignent un équilibre juste avant la nuit. Il y a des arguments en faveur de plusieurs de ces instants, sauf pour la lumière parasite qui n’ajoute rien à l’image. À choisir, je préfère la version aux couleurs riches du début de soirée.

Urgence

Précision

Vitesse

Évaluation de la situation Plus d’urgence que prévu, car sur les deux heures de lumière, les instants clés sont très courts : une minute quand le soleil est caché derrière les nuages, moins d’une minute quand il est juste au-dessus de l’horizon sans présence de lumière parasite, et dix minutes quand les couleurs du crépuscule sont les plus riches. Précision modérée pour les clichés qui incluent le soleil, mais vitesse insignifiante.

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i n s ta n t s l o n g s

Instant de couleurs Mont Popa (suite)

Une séquence de deux heures L’intervalle est grand, mais les meilleurs moments sont courts – heureusement ils sont en partie prévisibles. Il y a plusieurs candidats pour le choix final.

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M o n t P o pa Points clés

Séquence longue Double choix Instant final court

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i n s ta n t s l o n g s

Heure bleue Plantation de thé

Juste après le coucher de soleil arrive « l’heure bleue », tant appréciée des photographes. Elle ne dure en fait que quelques minutes pendant lesquelles les couleurs prennent une teinte et des contrastes si riches dans la lumière bleutée du soir qu’elles sont très recherchées, et embellissent même les clichés les plus insipides. D’où son exploitation récurrente en photo commerciale notamment, en particulier pour la promotion des hôtels de luxe. 198

Je me concentrerai ici encore sur la question de la capture de l’instant (celle de la lumière a été traitée en détail dans Saisir la lumière), lequel est bien plus fugitif qu’on ne le croit – brièveté renforcée par la longueur du coucher du soleil, encore plus si vous l’attendez depuis l’après-midi, ce qui fut mon cas pour ce cliché de commande d’un hôtel du groupe Brillant Group établi au cœur d’une plantation de thé, dans le Yunnan, en Chine.

Hôtel dans une plantation de thé, Jingmaishan, Yunnan, Chine


Heure bleue

P l a n tat i o n d e t h é Points clés

Équilibre de l’éclairage Couleurs Perte de luminosité

Du crépuscule à la nuit Précision

Vitesse

Urgence

Évaluation de la situation L’urgence est relative, mais je la qualifie de faible car l’intervalle de prise de vue se mesure en minutes et non en secondes. La précision du timing est assez élevée, car l’éclairage et le modèle doivent être coordonnés pendant le créneau de dix minutes de la prise de vue. La vitesse est un critère important, car, dans la période finale, le temps de pose passe d’une seconde à 30 secondes.

La séquence dure environ trois quarts d’heure, les premières photos servant juste de référence pour vérifier la répartition de la luminosité sur l’écran de l’appareil. Sur tous les clichés, sauf le premier, les lumières sont allumées, mais elles ne deviennent visibles que quand la lumière ambiante diminue, vers huit heures (les horloges retardent, car toute la Chine est à l’heure de Pékin, mais le sud-ouest du Yunnan est environ un fuseau horaire et demi plus à l’ouest).

Balance des lumières

La météo est prépondérante, surtout à cause de la couverture nuageuse. Il est impossible de prédire l’évolution des couleurs, mais dans un cas comme celui-ci, avec un ciel partiellement couvert et une orientation à l’ouest, leur saturation augmente quand le soleil descend ; elles s’estompent juste après le coucher du soleil et deviennent parfois plus mornes, comme ici. Puis le ciel se colore progressivement en bleu et, pour peu que vous ne le neutralisiez pas en corrigeant la balance des blancs, il prend une densité qui contraste agréablement avec l’éclairage au tungstène (3 200 K) de l’intérieur de l’hôtel et des projecteurs extérieurs qui éclairent les arbres et le mannequin sur la passerelle.

Le coucher de soleil est à gauche, la nuit à droite. La bande du haut représente le ciel et la bande principale, en dessous, la plantation de thé avec les arbres et les bungalows. La luminosité de la lumière au tungstène, éteinte au début (rectangle noir), augmente pendant que la lumière du jour baisse. Le point d’équilibre entre les deux est une fenêtre étroite, encadrée ici en vert, qui dure une dizaine de minutes.

Le secret est d’obtenir un juste équilibre entre ces deux types de lumière. Le violet bleuté et les jaunes orangés sont des couleurs complémentaires, donc l’effet est toujours bon. Il faut trouver le moment où la luminosité des deux teintes est plus ou moins équivalente : il advient pendant un intervalle d’une dizaine de minutes seulement, c’est là que la photo a été prise.

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Composition et couleur en photographie Harald Mante ISBN 978-2-212-13460-5 28 €

Imprimer ses photographies Jeff Schewe ISBN 978-2-212-13893-1 29 €

Michael Freeman

Composez, réglez, déclenchez ! Anne-Laure Jacquart ISBN 978-2-212-67334-0 25,30 €

Michael Freeman

Capturer l’instant L ’a r t d e l a p h o t o g r a p h i e

Si la photographie est l’art de figer un instant pour l’éternité, comment faire pour que la photo d’une simple scène soit une image « à part » ? Michael Freeman propose au photographe de déterminer « l’instant » qui fera la différence et d’adapter sa prise de vue – choix de l’objectif, angle de de vue, réglages du boîtier, mode de déclenchement, etc. – au type de moment qu’il veut capturer, que celui-ci soit fugitif (l’expression d’un visage, par exemple), qu’il s’étire au contraire (lors d’un coucher de soleil, d’une scène de prière) ou qu’il n’existe que dans le viseur de l’appareil par l’agencement des éléments qui composent l’image.

Capturer l’instant

CHEZ LE MÊME ÉDITEUR

À travers quelque 60 photos analysées et commentées, vous apprendrez à repérer quel est l’instant à capturer en fonction des différentes situations de prise de vue qui se présenteront à vous, et, selon les cas de figure, à préparer votre cadre, anticiper un mouvement, suivre attentivement le déroulement d’une scène pour déclencher quand l’instant devient réellement « décisif »… Toutes ces méthodes pratiques vous permettront d’obtenir à coup sûr des clichés saisissants.

Code éditeur : G14113 ISBN : 978-2-212-14113-9

Profession photographe indépendant 3e édition Éric Delamarre ISBN 978-2-212-13869-6 26 €

24 E

Michael Freeman

Photographe de renommée internationale, spécialiste de photos de voyage, d’architecture

Capturer l’instant

et d’art asiatique, Michael Freeman

L ’a r t d e l a p h o t o g r a p h i e

collaboré à des ouvrages de Time-Life

a été pendant plusieurs années l’un des principaux photographes du magazine Smithsonian et a longtemps et du National Geographic. Il est aussi l’auteur de plus d’une vingtaine d’ouvrages de photographie, et notamment du best-seller L’œil du photographe.

• Profitez de l’expérience d’un photographe expérimenté et réputé.

• Apprenez à déceler le meilleur instant à capturer dans chaque situation de prise de vue.

• Comprenez pourquoi une photo « fonctionne »

grâce à de nombreuses planches et illustrations qui analysent les éléments qui entrent dans la composition de l’image.


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