FabLabs etc. - Les nouveaux lieux de fabrication numérique - Extraits

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Ce livre est un instantané de la situation du réseau des FabLabs et autres tiers-lieux de fabrication numérique en France et dans le monde. Face à un sujet devenu extrêmement médiatique et politique, cet ouvrage offre une vision concrète et détaillée d’un phénomène en pleine expansion.

À qui s’adresse ce livre ? •• Aux décideurs, entreprises, associations, collectivités, universités, écoles… •• À tous les makers et acteurs de la communauté DIY

Au sommaire L’élan mondial du mouvement maker • Les FabLabs, d’hier à demain • Apprendre à fabriquer autrement • Entreprendre : les lois de l’open • Un nouveau tiers-lieu • Do It Yourself : système D ou plan B ? • Quelques FabLabs vus à la loupe • Animer et organiser ce « bazar » • Accueillir du public : des lieux hors normes.

Préface de Michel Bauwens

Laurent Ricard est le cofondateur de plusieurs FabLabs en France : la Forge des Possibles, zBis et le FacLab, qui est le premier FabLab au sein d’une université française à Cergy-Pontoise. Depuis plusieurs années, il est très actif sur le terrain. Ophelia Noor est photographe et journaliste. Elle travaille depuis 2010 sur les cultures numériques et urbaines, notamment les communautés de makers et hackers. Elle a également participé à la création de l’Open Bidouille Camp et fait partie du collectif Graffiti Research Lab France. Camille Bosqué est diplômée de l’école Boulle en design, normalienne et agrégée d’arts appliqués. Elle mène depuis 2012 une thèse sur les FabLabs et la fabrication numérique personnelle. Elle a parcouru le

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Photographies de Ophelia Noor Studio Eyrolles © Éditions Eyrolles

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Code éditeur : G13938 ISBN : 978-2-212-13938-9

monde pour les besoins de ses recherches et publie régulièrement sur ces questions.

Camille Bosqué • Ophelia Noor • Laurent Ricard

Les FabLabs sont des espaces dédiés à la fabrication, ouverts à tous et « pour tout faire ». Ces lieux collaboratifs équipés de machines de toutes sortes mettent en jeu des valeurs de partage, de débrouillardise et d’émancipation. Nous croisons ici les éléments de nos observations de terrain avec de nombreux témoignages de faiseurs ou penseurs, agents discrets ou gourous incontournables de cet élan international. Par une plongée au cœur de scènes quotidiennes de ces espaces alternatifs, nous apportons ici les premières briques d’une analyse des grands enjeux contemporains liés au développement du mouvement maker.

FABLABS, ETC.

FABLABS, ETC.

Camille Bosqué Ophelia Noor Laurent Ricard

FABLABS, ETC. Les nouveaux lieux de fabrication numérique

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Extraits du livre

FabLabs, etc. De Camille Bosqué , Ophelia Noor et Laurent Ricard

Publié aux Editions Eyrolles

Plus d’informations sur SerialMakers http://serialmakers.com


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CHEZ LE MÊME ÉDITEUR Dans la collection « Serial Makers » C. Platt. – L’électronique en pratique. N°13507, 2013, 344 pages. E. Bartmann. – Le grand livre d’Arduino (2e édition). À paraître. N°14117, 2014, 550 pages. M. Richardson et S. Wallace. – À la découverte du Raspberry Pi. N°13747, 2013, 176 pages. B. Pettis, A. Kaziunas France et J. Shergill. – Imprimer en 3D avec la MakerBot. N°13748, 2013, 226 pages. M. Berchon. – L’impression 3D (2e édition). N°13946, 2014, 232 pages. R. Jobard. – Les drones. La nouvelle révolution. N°13976, 2014, 190 pages. J. Boyer. – Réparez vous-même vos appareils électroniques. N°13936, 2014, 384 pages.


Camille Bosqué Ophelia Noor Laurent Ricard

FABLABS, ETC. Les nouveaux lieux de fabrication numérique Préface de Michel Bauwens

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Préface

La révolution

DES MAKERS

L’émergence du mouvement des makers, simultanément à celle des nouvelles pratiques de production, constitue une véritable révolution sociologique qui est souvent sous-estimée. Voyons donc dans quelles mesures cette tendance apporte son lot d’innovations.


En premier lieu, les makers représentent une nouvelle catégorie sociologique. Le capitalisme s’est caractérisé par l’instauration d’une rupture entre le savoir et la pratique. Il a substitué les classes sociales des agriculteurs et des artisans, où ces deux éléments ne faisaient qu’un, par celles distinctes des ouvriers et des ingénieurs où l’on différencie le travail exécuté du management des processus du travail. Les ouvriers sont devenus une simple extension des machines. Or, avec les makers, nous sommes face à une classe sociale qui réintègre ces deux aspects. D’une certaine façon, il s’agit d’une renaissance de l’artisanat, puisque les makers pensent et conçoivent leur propre travail. Mais là où l’artisanat était dispersé, limité à une production locale et rencontrait des problèmes d’échelle, les makers sont organisés à un niveau global par le biais de la création de communs de la connaissance, du code et du design. En effet, ce mouvement est avant tout fondé sur la création et la mutualisation des connaissances techniques, qui sont produites à un niveau global ; la production physique quant à elle est bel et bien relocalisée. L’adage de ce système pourrait être : « Si c’est léger, c’est global ; si c’est lourd, c’est local ». Le nouveau modèle de partage des connaissances possède des avantages certains. Dans un premier temps, le flux des innovations est non seulement rapide et constant, mais il permet à toute l’humanité d’en profiter et de contribuer à son tour à l’extension de ces connaissances. Il suffit de regarder le taux d’innovation concernant les machines 3D – alors qu’elles étaient encore brevetées –, qui était celui d’une technologie de niche soumise à une stagnation monopolistique. Comparons cela avec l’explosion des imprimantes 3D, une innovation permise par l’expiration des brevets. Dans ce nouveau modèle, il est impossible de privatiser des connaissances techniques qui sont vitales pour le développement de l’humanité. Dans ce cadre de

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« production entre pairs », ou « d’économie contributive » selon le concept de Bernard Stiegler, la valeur se crée pour et par les communs, tandis que les entrepreneurs du secteur créent de la valeur ajoutée pour le marché, mais sans privatisation de ce commun. Dans le cas contraire, comme avec ce qui s’est passé pour MakerBot, une révolte de la base permet de recréer une évolution commune dans des délais assez brefs, car cette privatisation n’est pas facilement acceptée par les makers. Deuxièmement, si l’innovation privative se base nécessairement sur la création de produits destinés aux marchés, et donc conçus de telle sorte à entretenir une artificielle rareté (« planned obsolescence is not a bug, but a feature »), cela ne s’applique pas à la communauté des makers, où les designs ouverts sont par définition durables, modulaires, inclusifs, etc. Même s’il s’agit indéniablement d’un pas en avant par rapport aux designs privatifs, cette orientation inconsciente et naturelle vers la durabilité n’est peutêtre pas suffisante… En effet, des designs consciemment durables sont nécessaires pour réorganiser toute la chaîne de valeur dans un contexte de durabilité. Il est par définition impossible d’avancer vers un mode de production durable si le design est dominé par des considérations qui visent à entretenir des raretés artificielles inutiles. Il faut donc imaginer, rêver, agir, pour que le mouvement maker devienne consciemment écologique. Ce qui signifie acquérir des connaissances techniques et sociales qui favoriseront une convergence des « modalités makers » avec celles de l’économie circulaire par exemple. Un autre aspect important est la mutualisation des infrastructures physiques. La tendance maker est fortement liée à la mise en commun des lieux de travail, par le biais des makerspaces, hackerspaces, et autres espace de coworking. Cette évolution est également couplée à la durabilité, car il y a d’énormes progrès à faire en ce qui concerne l’efficacité de l’usage de l’espace.


PRÉFACE

Par rapport au modèle industriel classique, cette nouvelle couche sociale dispose donc de ses propres moyens de production. L’ordinateur, machine universelle, ainsi que les réseaux numériques sont aisément accessibles aux makers et favorisent une autonomie plus ample qui permet aux communautés de s’autodéterminer. Les nouvelles techniques de « distribution des moyens de production », c’est-à-dire l’accès à des machines miniaturisées qui demandent beaucoup moins de capital, ainsi que le crowdfunding (financement participatif ), permettent d’envisager des modèles industriels très différents. Là encore, il faut une évolution consciente vers des modes de gouvernance et de propriété plus autonomes. Le cas de l’imprimante MakerBot 2 montre assez bien les dangers du modèle du capital-risque, où il s’agit d’investir dans un certain nombre d’entreprises avec la finalité de n’en conserver à terme que quelques-unes selon des critères uniquement financiers. Ce modèle de capital « extractif » crée une pression allant à l’encontre de la mise en commun des connaissances ; de fait la plus-value créée par les makers est siphonnée par les propriétaires financiers. Nous croyons donc que le mouvement maker doit se tourner plus activement vers la création de modèles de propriété et de gouvernance « génératives », où la plus-value reste dans la sphère du commun et des créateurs de valeurs. Nous avons proposé ailleurs la création d’un coopérativisme ouvert. Le secteur alternatif et coopératif n’est aujourd’hui que rarement lié à la création de communs, tandis que l’économie contributive du logiciel et du hardware libre regarde en priorité vers les modèles de type start-up. Pourquoi alors ne pas envisager que les makers créent leurs propres entreprises coopératives et cocréent les communs, tout en innovant et en contrôlant leurs propres vie et production ? Nous proposons donc que,

entre les sphères de « l’accumulation du commun » et de « l’accumulation du capital » s’insère une troisième sphère de « l’accumulation coopérative ». Producteurs entre pairs, les makers acquerraient ainsi une double identité, basée sur une pratique autonome. D’un côté contributeurs du commun, de l’autre coopérateurs, ils créeraient leur propre économie. Imaginons donc le scénario selon lequel les makers du monde entier établiraient des communs de connaissances « mondiaux ». Avec des makers du monde entier développant un nouveau tissu productif ultralocalisé, centré sur une production basée sur la demande et non l’offre (manufacturing on demand), nous pourrions en finir avec le marketing de masse et la surproduction généralisée. Nous entrerions par leur biais dans une économie durable et organique. Ils innoveraient avec des licences ouvertes basées sur la réciprocité, suscitant des « coalitions d’entrepreneurs éthiques ». Ces coopératives ouvertes et autres formes entrepreneuriales cocréant des communs produiraient localement tout en étant organisées globalement. Cela permettrait de créer un pouvoir économique et social capable de rivaliser avec les grandes multinationales privées. Si les makers représentent déjà une réelle communauté, ils portent en eux les germes du futur et sont les précurseurs d’une utopie réaliste d’un monde nouveau, basé sur le partage de la connaissance et sur des modes de production durables et écologiques. Si de surcroît, ils pouvaient se tourner vers la démocratie productive, nous ferions un pas de géant vers la justice sociale. Michel Bauwens, Chiang Mai, 16 juillet 2014

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Extraits du livre

FabLabs, etc. De Camille Bosqué , Ophelia Noor et Laurent Ricard

Publié aux Editions Eyrolles

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Table des matières Introduction..............................................................

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1. L’élan mondial DU MOUVEMENT MAKER................

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Créer ensemble : des hackers aux makers..........

8 Ouvrir la boîte noire........................................................... 8 Une éthique, des valeurs.................................................... 9 Faire pour soi...................................................................... 13

Bricoleurs 2.0............................................................

17 Passer des bits aux atomes................................................ 17 Demain, tous makers ?....................................................... 17 Maker Faire : la foire de la bidouille................................. 18

2. Les FabLabs, D’HIER À DEMAIN................................

Un futur sans frontières..........................................

41 Des initiatives qui résistent à tout.................................... 41 En France : l’appel à projets FabLabs de 2013................ 43

3. Apprendre à fabriquer AUTREMENT......................................... Programmer le monde............................................

48 Objets connectés, avez-vous donc une âme ?.................. 48 Programmer la ville ?......................................................... 48 Une FabCity connectée...................................................... 49 Design paramétrique et fabrication sur mesure............ 52 La matière programmable................................................ 56

Apprendre autrement............................................. 23

« How To Make (almost) Anything »....................

58 Fab@school......................................................................... 58 L’apprentissage par la pratique....................................... 61

24 Le désir de fabriquer.......................................................... 24 Satisfaire des besoins individuels.................................... 24

4. Entreprendre : LES LOIS DE L’OPEN...........................

Les premiers FabLabs.............................................

Du Web jusqu’au bout des doigts..........................

26 Donner à chacun le pouvoir de créer............................... 26 Des solutions techniques à des problèmes locaux......... 28 Un engagement social........................................................ 29 De fabuleux laboratoires................................................... 30

L’irrésistible croissance du réseau officiel..........

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34 Faire ensemble, d’un bout à l’autre de la planète............ 34 Les réunions annuelles internationales........................... 38

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67 Une évolution rapide.......................................................... 67 La vague du Web................................................................ 68

Produire autrement.................................................

69 De l’open source à l’open hardware.................................. 69 L’économie de la contribution........................................... 72 L’avènement du maker-entrepreneur............................... 74 Secret et business................................................................ 76 Innovation ouverte et décloisonnement........................... 77

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L’innovation d’en bas..............................................

81 Du crowdsourcing à l’innovation ascendante............... 81 Adapter nos objets quotidiens.......................................... 82 Du global au local.............................................................. 83

5. Un nouveau TIERS-LIEU...........................................

87

Des espaces de reconfiguration démocratique.

88 Un terrain neutre et indépendant..................................... 88 Le rôle des habitués............................................................ 88 Redécouvrir la convivialité............................................... 91

De nouvelles règles du jeu..................................... 100 Hétérotopies ou utopies concrètes ?................................. 100 Le cas particulier des FabLabs d’entreprise.................... 102

6. Do It Yourself : SYSTÈME D OU PLAN B ?.................

7. Quelques FabLabs VUS À LA LOUPE.................................

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Le LabFab, à Rennes................................................ 138 Au cœur des Beaux-Arts.................................................... 138 La métropole s’implique.................................................... 140

Plateforme C, à Nantes............................................ 142 Un hangar au bord de la Loire.......................................... 142 Le projet de l’association PiNG......................................... 142 Après LABtoLAB, le festival D.......................................... 143

Le FabLab de la Casemate, à Grenoble................ 146 Dans le fort de la Bastille................................................... 146 Centre de culture scientifique et programme Inmédiats............................................................................. 147 « Imaginer, fabriquer, partager »....................................... 147

Artilect, le vénérable toulousain........................... 148 105

Des pratiques alternatives..................................... 106 Fabriquer de A à Z : l’autoproduction.............................. 106 Transition et résilience....................................................... 106

Du design en partage.............................................. 111 Open design : libérez les objets !........................................ 111 De nouveaux rôles pour le designer................................. 115

L’imprimante 3D...................................................... 118

Un FabLab en ville............................................................. 148 Des passionnés de robotique............................................ 150 Quelles activités ?............................................................... 150

Le FacLab, à Gennevilliers..................................... 152 Au cœur d’une université.................................................. 152 Les trublions de l’institution.............................................. 153 Un espace « sans enjeu ».................................................... 154

Net-Iki, à Biarne........................................................ 156

L’arbre qui cache la forêt................................................... 118 Un outil convivial ?............................................................ 121

Un FabLab à la campagne................................................ 156 Le projet d’un petit village.................................................. 158 Makers ruraux en réseau.................................................. 158

Une pratique militante........................................... 125

Nybi.cc, à Nancy....................................................... 160

Croiser les savoir-faire....................................................... 125 Déprogrammer l’obsolescence.......................................... 126 Du DIY au DIWO !............................................................. 129

Dans une maison d’associations...................................... 160 Du hackerspace au FabLab.............................................. 160 Que s’y passe-t-il ?............................................................... 162

FabLab IAAC, à Barcelone..................................... 164 Dans une école d’architecture........................................... 164 Du FabLab à la FabCity.................................................... 165 Des projets ambitieux........................................................ 165

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TABLE DES MATIÈRES

8. Animer et organiser CE « BAZAR »......................................

Autour des machines.............................................. 184 169

FabLab n’est pas une marque................................ 170 Pas de label, mais une auto-évaluation........................... 170 Différentes vocations pour des ambitions variées......... 171

Les FabManagers..................................................... 172 Un rôle sur mesure............................................................. 172 Un complice discret............................................................ 174 Un métier inclassable......................................................... 178 Comment devient-on FabManager ?................................ 179

Réguler l’accès aux machines........................................... 184 Entretenir et apprivoiser les machines............................. 187 Sans documentation, point de partage............................ 190

9. Accueillir du public : DES LIEUX HORS NORMES.............

193

La structure............................................................... 194 Le statut : c’est compliqué.................................................. 194 Gagner sa vie...................................................................... 196

Partager et mettre en commun............................. 180

Le droit d’accueillir.................................................. 202

Des outils pour s’organiser................................................ 180 Be excellent to each other................................................... 181 Communiquer, publier, débattre....................................... 182 La possibilité d’une monnaie alternative........................ 182

Conclusion.............................................

Un établissement recevant du public.............................. 202 Avoir de l’assurance........................................................... 204 206

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Introduction

Le développement de technologies numériques de fabrication et de production conduit designers, ingénieurs, passionnés ou simples amateurs à concevoir des projets et objets pouvant être directement fabriqués à une petite échelle. Indissociables de l’essor du Web, les logiques de l’autoproduction et la multiplication d’ateliers collectifs comme les FabLabs, hackerspaces ou makerspaces en France et dans le monde révèlent une envie de prendre une part directe à la conception de nos environnements. On défend ainsi dans ces espaces communs des principes d’ouverture, d’empowerment, de do it yourself et de débrouillardise. Ces lieux alternatifs dédiés au grand public offrent de nouvelles perspectives locales ou globales, sous-tendues par un idéal démocratique de partage des savoir-faire. Les combats quotidiens de ceux qui les développent ont pour objectif de faire soi-même pour mieux comprendre et s’approprier certaines technologies numériques, apprendre par la pratique et construire une nouvelle vision commune à même d’accompagner la transition technologique en cours. Pendant plus d’un an, sous divers prétextes et à différentes occasions, nous avons poussé la porte de nombreux FabLabs, hackerspaces ou makerspaces en France, en Europe, aux États-Unis, au Japon et en Afrique. Nous avons complété nos explorations de globe-trotteurs par plusieurs échanges de courriels ou

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rencontres par webcam, pour dépasser notre impossible ubiquité. Partout, nous avons rencontré des makers, des bricoleurs, de vieux hackers ou de jeunes novices, des geeks militants, des curieux sceptiques ou convaincus, des personnes de toutes classes sociales, parfois idéalistes, et le plus souvent pragmatiques. Ce livre, que nous avons pensé comme un instantané de la situation de ces tiers-lieux de fabrication en France et dans le monde, est un guide un peu particulier. Face à un sujet devenu extrêmement médiatique et politique, cet ouvrage tend à présenter une vision plus concrète et plus large d’un phénomène en pleine expansion. Il existe à l’heure où nous publions ce texte plus de trois cents FabLabs dans le monde, et probablement un bon millier d’ateliers, caves, grottes, bureaux ou hangars dédiés de manière plus ou moins institutionnelle à la fabrication numérique. Ces espaces d’un nouveau genre peuvent ainsi être accolés à des entreprises, hébergés dans des squats, fleurir au cœur des universités, des cafés ou des médiathèques. En nous attachant à décrire ce qui s’y joue, nous espérons offrir une vision réaliste, la plus objective possible. Au-delà de la fascination que peut susciter l’impression 3D, et loin d’une vision exclusivement technophile, nous proposons ici un itinéraire sans complaisance au sein du petit monde des FabLabs, au sens large.


INTRODUCTION

Cet ouvrage porte la marque de trois expériences individuelles, déterminées par des projets et des parcours différents. Camille Bosqué mène depuis 2012 une thèse en esthétique et design sur les FabLabs, hackerspaces, makerspaces et la fabrication numérique personnelle. Elle publie régulièrement sur le sujet pour diverses revues. Pour les besoins de ses propres recherches, elle a parcouru l’Europe et le monde, et a ainsi dressé un précieux état des lieux du mouvement, à l’échelle nationale et internationale. En plongeant dans ses notes de terrain, entretiens et observations, elle a orienté le gouvernail à sa manière pour décrypter les enjeux et pratiques émergentes de ces espaces collectifs. Ophelia Noor est photographe et journaliste. Familière des milieux hacker et maker qu’elle suit depuis quelques années, elle a accepté d’aller à la rencontre des FabLabs français. Elle a ainsi constitué un reportage photographique « sur le vif » de leurs activités et des personnes qui font vivre ces communautés. Laurent Ricard, qui a cofondé avec Emmanuelle Roux « La Forge des Possibles » à la Roche-sur-Yon en 2011, le FacLab de l’université de Cergy-Pontoise à Gennevilliers en 2012 et qui est partie prenante du projet zBis en Vendée, a quant à lui apporté son expérience concrète du terrain en pointant la boussole vers les aspects pratiques, économiques ou sociaux de ces lieux. En combinant nos différentes expertises et expériences, nous proposons donc une analyse qui associe un point de vue critique couplé à une connaissance de la réalité quotidienne de ces ateliers. Cet ouvrage,

comme son titre l’indique, s’attache à décrire et à observer les lieux de fabrication numérique pris au sens large. Si les FabLabs en sont le mouvement principal, lequel est le plus visible médiatiquement, il nous paraît indispensable de considérer le développement des espaces collectifs de fabrication numérique dans leur ensemble, en prenant en compte ceux qui s’attachent officiellement au réseau des FabLabs comme ceux qui s’en distinguent : hackerspaces, makerspaces ou ateliers fonctionnant sur le modèle de TechShop ont donc tous leur place ici, qu’ils soient entièrement publics ou plutôt privés, quels que soient leurs codes d’ouverture et leurs modes de fonctionnement. Selon nous, ils redéfinissent, à différents niveaux et pour des applications diverses, un nouveau rapport à la technique, à la vie collective, à l’économie et à la production, ce qui s’incarne dans la multiplicité des nouveaux projets, pratiques et enjeux. Si notre enquête favorise les FabLabs et autres makerspaces français, nous incluons également dans notre panorama plusieurs exemples internationaux. Au lendemain de la dixième conférence internationale des FabLabs qui s’est tenue en juillet 2014 à Barcelone, nous avons intégré de nombreux témoignages offrant la parole à des personnes du terrain, faiseurs ou penseurs, agents discrets ou gourous incontournables. Ceux de nos lecteurs qui rêvent de faire exister ce type de lieux près de chez eux y trouveront les récits d’expériences de nombreux acteurs du réseau. Ils y découvriront également quelques clés utiles au décryptage du paysage contemporain au cœur duquel le phénomène FabLab se développe, lequel emprunte ses valeurs au mouvement maker et à la culture des hackers.

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Extraits du livre

FabLabs, etc. De Camille Bosqué , Ophelia Noor et Laurent Ricard

Publié aux Editions Eyrolles

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5 Un nouveau

TIERS-LIEU

Les cafés, salons de coiffure, associations ou clubs divers ont toujours existé et forment des bulles à l’écart du rythme classique imposé par la société. Les FabLabs et autres ateliers de fabrication partagés font désormais eux aussi partie de ces lieux « à côté », utopies concrètes où normes sociales et manières de faire sont réinventées.

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Des espaces de reconfiguration démocratique Un terrain neutre et indépendant Les tiers-lieux garantissent des moments de repli ou de changement de codes, nécessaires à l’épanouissement d’une autre forme de relation sociale. Les FabLabs ou les makerspaces se revendiquent souvent comme des espaces neutres et sans enjeu. Cela représente un des aspects les plus difficiles à comprendre pour ceux qui se rendent dans ces espaces pour la première fois. La scène est d’ailleurs souvent la même dans les FabLabs, makerspaces ou hackerspaces que nous avons explorés : le visiteur curieux fait quelques pas dans la première salle, mais il est rapidement surpris de n’être ni accueilli ni pris en charge. Alors que dans d’autres situations, une personne aurait eu pour tâche de lui signaler immédiatement où et comment s’annoncer pour entamer sa visite, il s’agit ici de laisser de côté toutes les normes habituelles qui veulent que l’on décline son identité, son statut professionnel ou social avant d’entrer en communication avec les personnes présentes. Tout particulièrement dans certains hackerspaces, les usagers réguliers ne se connaissent parfois que sous un pseudonyme et ignorent tout de la vie professionnelle « extérieure » de ceux avec qui ils partagent du temps et des outils. Loin d’être une preuve de désintérêt, il s’agit au contraire de recentrer les relations et les échanges sur des terrains « neutres », neufs, qui ne s’encombrent pas de conventions ou de rapports de pouvoirs tels qu’ils se jouent en dehors de l’atelier. Bien entendu, les nouveaux venus sont finalement accueillis et invités à découvrir l’espace et ses habitants. Toutefois, l’atmosphère générale favorise

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souvent une immersion progressive dans les activités en cours, plutôt qu’un interrogatoire destiné à connaître les motivations et les intentions de chacun. Les relations qui se tissent alors avec les uns ou les autres s’établissent principalement en fonction des actes et des compétences partagées, plutôt qu’en regard de diplômes, statuts ou jugements sur les origines sociales. En tant que terrains déclarés neutres, et où différentes personnes se croisent et se rencontrent, les FabLabs dans leur sens le plus large sont des endroits où, selon la formule de Ray Oldenburg, dans The Great Good Place (1999), « chacun peut aller et venir comme il le souhaite, où personne ne doit jouer le rôle de l’hôte, et où tout le monde se sent comme à la maison. »

Le rôle des habitués « Comme à la maison », mais hors de chez soi. Certains responsables politiques n’aiment pas les rassemblements sauvages qui poussent les jeunes à traîner dans les halls d’immeubles ou à occuper certains coins de rues. Ils ont tendance à penser que si leurs foyers étaient plus accueillants, ils n’auraient pas besoin d’investir la rue et d’y perdre leur temps… Mais c’est sur le terrain neuf que représentent les tiers-lieux que des relations informelles et parfois très personnelles s’engagent, bien plus facilement que dans le domaine privé. Les gens ne vont pas au restaurant parce qu’ils n’ont pas de quoi cuisiner chez eux. En tant qu’espaces indépendants, les ateliers partagés rassemblent des personnes qui ne se seraient jamais croisées autrement. Ces lieux de rassemblement, tels que Ray Oldenburg les analyse, sont publics et


CHAPITRE 5 – UN NOUVEAU TIERS-LIEU

Mitch Altman, cofondateur de Noisebridge

Mitch Altman est un hacker et un inventeur qui vit à San Francisco. Il est connu principalement pour avoir conçu la télécommande TV-B-Gone, un porte-clés qui sert à éteindre les télévisions dans les lieux publics. Mitch Altman organise des ateliers dans le monde entier pour enseigner l’utilisation de microcontrôleurs et la soudure. Il est le cofondateur de Noisebridge, un hackerspace emblématique de San Francisco.

Quelle différence faites-vous entre hackerspace, FabLab ou makerspace ? Partout dans le monde, les hackerspaces sont des endroits abritant une communauté bienveillante qui accueille des gens pour explorer et réaliser ce qu’ils aiment faire. Certains utilisent le terme makerspace, d’autres préfèrent FabLab. La plupart aiment hackerspace. Ma préférence va à ce terme, car les autres selon moi semblent limiter les activités à la réalisation d’objets physiques. Mais, quel que soit le nom donné, ce sont tous de formidables ressources pour les gens du monde entier.

Pourquoi pensez-vous que des endroits sont favorables à l’épanouissement personnel ? Nous avons tous besoin d’une communauté. Et nous ressentons tous la nécessité d’exprimer notre créativité. Sans ces deux éléments, nous nous étiolons. Les hackerspaces répondent à ces besoins fondamentaux de différentes manières. Notamment grâce aux ateliers et cours qui couvrent une vaste palette de sujets, tout en fournissant une grande variété d’outils. On y trouve également des activités sociales spontanées ou planifiées, comme cuisiner et manger ensemble. En bref, on trouve dans ces endroits tout ce que les membres du hackerspace proposent et créent, parce qu’ils en ont envie. C’est un fantastique environnement pour l’épanouissement personnel.

Comment envisagez-vous les opportunités et les difficultés que ces endroits vont rencontrer à l’avenir ? Une communauté, cela représente toujours beaucoup de travail. C’est ce qui constitue sans doute le plus grand défi. Mais, puisqu’il

nous faut tous une communauté pour vivre une vie qui en vaille la peine, les résultats sont gratifiants et valent bien tous les efforts investis. Le besoin d’argent dans le but de réaliser des choses représente une réalité pour la plupart d’entre nous. Parfois cela en conduit certains à se focaliser sur l’argent, plutôt que sur la raison à l’origine de ce besoin. C’est là un autre défi. Pour que le bénéfice soit optimal, il faut se focaliser sur ce que les membres de la communauté aiment faire, et équilibrer cela avec les besoins et ressources nécessaires pour y parvenir. Nous contrôlons très peu de choses dans nos vies. Mais nous pouvons maîtriser ce que nous faisons de notre temps et veiller à cela tout au long de notre existence. Nous pouvons encore mieux le réaliser au sein d’une communauté qui nous aide en retour. Créons plus de communautés aidantes pour permettre à davantage de personnes d’apprendre ce qu’ils désirent et vivre la vie qu’ils veulent vivre !

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Quel est votre meilleur souvenir dans le monde des makers et des hackers ? En faisant le tour des hackerspaces du monde entier, j’ai rencontré les meilleures personnes qui soient ! Ces lieux sont un fantastique filtre pour l’humanité. Lorsque vous vous retrouvez dans un environnement où la plupart explorent et réalisent ce qu’ils aiment, c’est formidable ! Malheureusement, ce n’est pas le cas pour la société en général. J’espère que nous pouvons encourager plus de gens à créer davantage de communautés avec pour

objectif de changer cet état de fait. Soutenir des individus à mettre en place des communautés aidantes qui correspondent à leurs attentes est une sensation très agréable. J’aime mon rôle de catalyseur.

Quel est votre pire souvenir dans ce milieu ? Je n’aime guère voir des gens être corrompus par de gros salaires ou des bourses pour créer des machins qui en blessent d’autres. Je pense par exemple aux nombreux employés intelligents et créatifs de la NSA aux ÉtatsUnis. Quand quelqu’un succombe à cela, il finit

par se focaliser sur la manière dont il pourrait gagner plus d’argent, au détriment de ce qui pourrait rendre sa vie meilleure, ainsi que celle des autres. Heureusement, presque tous les membres des hackerspaces du monde continuent à explorer et à réaliser ce qu’ils aiment. Et beaucoup découvrent qu’ils peuvent gagner assez en faisant ce qu’ils aiment pour continuer comme cela. C’est formidable et on se sent bien mieux !

Un moment de convivialité pour les membres de l’Électrolab de Nanterre au festival OHM, Amsterdam, juillet 2013

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CHAPITRE 5 – UN NOUVEAU TIERS-LIEU

neutres, deux caractéristiques d’une importance cruciale pour l’unité des quartiers, villes et sociétés. Un tiers-lieu se définit surtout par les personnes que l’on y croise. Que ce soit seul ou accompagné, on s’y rend avec la certitude que l’on y fera toujours la connaissance de quelques personnes à même de nous éloigner de la solitude ou de l’ennui. En tant que lieu de détente et de sociabilité, un tiers-lieu, ou plus précisément un FabLab ou un makerspace, est tout simplement un endroit de bonne compagnie s’il est accessible sans trop de difficulté. Les horaires sont souples, et on peut y passer le temps que l’on souhaite sans obligation. Les activités y sont généralement non planifiées ou très peu structurées, ce qui fait aussi le charme des rencontres ou des opportunités imprévues. Néanmoins, les habitués ont pour rôle de faire respecter quelques règles communes bien établies. À l’Électrolab de Nanterre, par exemple, un code couleur avec des gommettes a été mis en place pour que chacun sache automatiquement comment se comporter avec les machines laissées à disposition dans l’espace collectif. Une petite fiche explicative détaille l’attribution des gommettes sur les appareils selon quatre critères, qui sont : « son prix, son appartenance, sa fragilité et le degré de dangerosité du matériel ». La pastille verte signifie que les appareils sont « en usage libre », tandis que la pastille jaune indique qu’ils sont uniquement utilisables « après avoir reçu une formation adéquate ». Les gommettes rouges désignent ceux qui ne peuvent pas être utilisés seul. Ils requièrent la présence d’un opérateur qualifié, lequel s’assure que l’usage et les manipulations effectuées ne sont aucunement dangereux pour les personnes ou pour l’équipement. Certains autres appareils, qui sont prêtés ou laissés à l’Électrolab par des usagers généreux, doivent être utilisés en présence du propriétaire. Dans le relatif désordre et l’encombrement de l’espace, ces petits codes sont indispensables pour que chacun puisse utiliser le matériel dans de bonnes conditions.

Les habitués ont donc un rôle important, puisqu’ils contribuent à créer une unité et une continuité entre les différentes visites. Ceux qui viennent souvent, ou qui laissent sur place des affaires entre deux visites dans un carton marqué à leur nom, montrent une certaine confiance en l’endroit et donnent ainsi la preuve qu’ils peuvent s’y sentir comme chez eux. Cela incite les autres à suivre le même schéma. Les habitués sont les garants de la convivialité, et une grande part de l’intégration des nouveaux venus ou des visiteurs de passage en dépend. Cette dernière, si elle n’est pas difficile, n’est pas non plus automatique. Dans cette logique, les nouveaux arrivants, devenus plus tard des habitués, accueillent à leur tour les nouvelles têtes de la même manière qu’ils avaient été eux-mêmes acceptés et initiés aux bonnes habitudes et aux règles du jeu de l’endroit.

Redécouvrir la convivialité Dans de nombreux FabLabs ou makerspaces, la machine à café est présentée comme ayant autant – sinon plus – d’importance que le canapé dans lequel de nombreuses discussions s’engagent, un peu à l’écart des tables de travail. Selon Ray Oldenburg, « la conversation est l’une des activités cardinales des tiers-lieux », laquelle garantit et maintient le plaisir d’être ensemble. De la même manière que certains cafés semblent être davantage conçus pour socialiser plutôt que pour boire, certains ateliers partagés comme les FabLabs – spécialement en France – aménagent leurs espaces et organisent leurs moments de vie en privilégiant souvent la convivialité sur l’efficacité ou la fonctionnalité. Il ne s’agit pas de venir sur place pour être performant et pour « produire », mais davantage pour goûter le plaisir de faire à plusieurs, côte à côte. Dans cette perspective, certains parlent d’ailleurs de social fabrication au lieu de digital fabrication.

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Olivier Chambon, cofondateur du RuralLab Olivier Chambon est l’un des fondateurs du RuralLab, à Néons-sur-Creuse. On le connaît aussi sous le nom de Babozor, au travers du site Internet lagrottedubarbu.com.

Pensez-vous qu’un FabLab ne doive pas être essentiellement citadin ? Le but d’un FabLab est de permettre à tous d’accéder à des moyens de production numérique. À tous, donc pas seulement aux citadins. Même si historiquement les premiers FabLabs se sont installés en ville, car plus proches de leurs fondateurs, les besoins en milieux ruraux sont importants et répondent à des problématiques pratiques et pragmatiques : accès au réseau, récupération et réparation, conception de nouveaux outils.

Pourquoi a-t-on autant besoin d’électronique et de nouvelles technologies en milieu rural qu’en ville ? Au même titre qu’en ville, les gens en milieu rural sont équipés d’ordinateurs et de smart-

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phones. Ils ont même certains besoins que les citadins ne connaissent pas, comme les tracteurs guidés par GPS, par exemple. Même si les gens sont bien équipés, ils ont souvent un manque d’informations et de connaissances, il faut donc les aider à mieux maîtriser leur matériel, leur présenter les nouveaux usages. Comme il n’y a pas d’école d’ingénieurs ou d’étudiants en design à proximité, c’est un des rôles du FabLab en milieu rural.

Qu’est-ce qui se passe au RuralLab ? Êtes-vous en concurrence avec le café du coin ? Tout d’abord, le café du coin a mis la clé sous la porte il y a un bout de temps ! Les activités du RuralLab sont très variées. Nous mettons par exemple à disposition du matériel classique comme des ordinateurs, une connexion Internet et du réseau, mais aussi des machines à commandes numériques. Nous avons surtout une zone de fabrication pour le bois, le métal et le plastique. Le RuralLab propose des ateliers ouverts à tous

d’initiation aux divers usages numériques. Il aide également les particuliers ou les entreprises à réaliser leurs différents projets. Le Lab est très implanté au niveau local et tente de répondre à toutes les problématiques du territoire et de ses habitants.

Pourquoi vous êtes-vous installé particulièrement à Néons-sur-Creuse ? En voilà une bonne question... Après quinze ans passés dans les nouvelles technologies, je me suis aperçu que ce ne sont pas les moyens ou les technologies qui font le succès d’un projet, mais les personnes. Et c’est à cause des gens de Néons-sur-Creuse que nous sommes venus nous installer ici. C’est certes un petit village de 400 habitants, mais avec déjà un tissu associatif très actif, un public motivé, une mairie attentive et qui nous soutient. Le lieu physique importe peu, ce sont les gens à proximité qui comptent.


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Quel est votre meilleur souvenir dans les FabLabs ? Un tapissier bordelais de passage nous avait ramené deux de ses outils : des scies à mousse qui dataient des années 1960 et qui ne marchaient plus. Il était désespéré de devoir acheter une version moderne de ces outils qui marchaient encore parfaitement quelques semaines auparavant ! En une

demi-heure, le problème était réglé. Notre heureux tapissier continue donc d’utiliser ses scies qui, on l’espère, lui serviront encore longtemps.

Quel est votre pire souvenir dans les FabLabs ?

hiver... 1 000 euros pour une structure toute jeune, ce fut un gros coup dur et un retour ardu à la réalité. Nous avions donc immédiatement l’obligation de trouver des solutions innovantes pour trouver du budget.

Notre plus mauvais souvenir est la première facture EDF, après notre installation en plein

Le FabLab Truck, un camion FabLab ouvert la nuit pendant le festival OHM, Amsterdam, juillet 2013

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La conversation n’est certes pas l’attraction principale du tiers-lieu, mais c’est la condition sine qua non de son existence. Dans les ateliers que nous avons visités, elle forme un lien invisible qui maintient soudée la communauté présente dans l’espace : paroles partagées à voix basse au-dessus d’un poste à souder ou autour d’un écran d’ordinateur, échanges informels pendant les moments d’attente… La discussion, dans ce qu’elle a de plus simple et essentiel, fait partie du quotidien des tiers-lieux de fabrication ; elle occupe aussi bien les périodes de creux que les moments d’action. Au milieu de ces voix, les bruits parfois envahissants des machines jouent un rôle de perturbateur pacifique. Ils interrompent discrètement les échanges, bousculent les conversations en y superposant les babillements d’une imprimante 3D mal réglée, ou bien les hurlements d’une fraiseuse numérique en plein travail. Vient alors le silence. Cette interruption imprévue tisse une connivence nouvelle. On reprendra peut-être plus tard la phrase laissée en suspens, on se souviendra de l’idée à laquelle on pensait, mais le plus urgent s’impose : il faut changer la bobine de fil de l’imprimante qui crie famine et vient d’interrompre son impression. Les repas partagés et les autres moments de réunion sont des occasions privilégiées pour donner toute leur importance aux idées et paroles qui circulent de manière diffuse au milieu des outils et des bricolages de chacun. Il ne s’agit pas là d’axer l’échange sur la technique, mais de fédérer les habitués. C’est le cas des déjeuners communs ou des goûters qui se mettent en place dans ces espaces partagés et deviennent parfois de véritables institutions. Ce n’est donc probablement pas un hasard si le hackerspace Noisebridge à San Francisco réserve le troisième jeudi de chaque mois à une soirée consacrée à ce type d’interaction. Au cours des Five minutes of Fame (en français « cinq minutes de gloire »), les volontaires peuvent exposer leur projet ou idées pendant cinq minutes, puis répondent ensuite aux éventuelles questions de la communauté. On écoute, on interroge, on applaudit. Ce temps d’information et d’échange peut soulever des questions d’ordre technique ou politique, parfois

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La pizza de 22h au FabLab Nybi.cc de Nancy, été 2014

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liées à l’actualité. Il peut également constituer une opportunité de démontrer telle ou telle astuce dont on désire partager les secrets. Ces soirées sont devenues indispensables au maintien d’un lien fort entre les personnes qui fréquentent le lieu. Chacun apporte sa contribution au repas et tout le monde échange sur les projets en cours des uns et des autres, ainsi que sur les modes d’organisation collective. Moments informels, ils sont ceux qui désinhibent le plus les nouveaux arrivants, renforcent les ententes déjà constituées et aident à souder la communauté des usagers. Au fil des mois, le socle des personnes présentes peut évoluer, grandir, changer. Certains reviennent très souvent quand d’autres se font plus rares.

Rencontre autour du « window farming » au FacLab de Gennevilliers, février 2013

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La qualité de l’ambiance du lieu et la bonne marche de l’ensemble constituent un écosystème fragile. En effet, en tant qu’espaces de liberté et d’autonomie, ces lieux collaboratifs représentent aussi un terrain propice aux prises de pouvoir individuelles illégitimes, susceptibles de mettre en danger, insidieusement, l’équilibre de l’endroit. Autonomiser ceux qui veulent s’impliquer dans le quotidien de l’atelier, tout en favorisant les prises d’initiatives sans laisser certains tempéraments affirmés prendre le dessus, peut donc devenir assez rapidement un petit cassetête pour la communauté et pour les personnes responsables, quand elles sont identifiées.


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Jens Dyvik, designer et FabManager du Fellesverkstedef

Jens Dyvik, connu aussi sous le nom de FabLab Nomad, est un designer spécialisé dans la collaboration globale et la fabrication locale. En 2013, il a conclu un tour du monde, au cours duquel il a posé ses outils dans des espaces collaboratifs aux quatre coins de la planète. Il est le cofondateur du Fellesverkstedef, un FabLab d’Oslo.

Arrivez-vous finalement à vivre du partage ? À la fin de mes recherches l’an passé, j’ai commencé à mettre en pratique mes idées au quotidien. Et cette année, je génère suffisamment de revenus pour vivre de l’open design (design ouvert). Mes sources de revenus principales proviennent de la fabrication d’objets conçus avec des matériaux locaux pour des clients locaux avec une fraiseuse numérique. J’organise également des ateliers basés sur le design ouvert et donne des conférences sur mon travail et recherches. Les conclusions de mon documentaire Making Living Sharing décrivent

les grands principes de mon approche du business.

Selon vous, quel est le point commun de tous les FabLabs du monde ? Le point commun, ce sont les gens qui veulent émanciper les membres de leur communauté. Au bout du compte, cela donne une très haute concentration d’individus fantastiques qui se croisent régulièrement dans leur FabLab local. Et bien entendu le lien principal, c’est la joie de créer et de collaborer !

Est-ce qu’être ancré localement rend difficile le développement d’échanges plus globaux ? Je dirais le contraire : des racines locales rendent les échanges globaux pertinents. C’est l’ensemble des savoirs et pratiques uniques définis par la culture locale qui rendent les échanges avec d’autres si gratifiants. Cela permet à un individu d’être connecté localement, tout en absorbant des échantillons de philosophie et des techniques

du monde entier. Si vous apportez quelque chose d’où vous venez et le mélangez à d’autres éléments de l’endroit où vous vous trouvez, vous obtiendrez probablement un résultat jamais vu auparavant.

Quel est votre meilleur souvenir dans les FabLabs ? C’est sans conteste les connexions avec toutes ces personnes formidables issues des quatre coins du globe. J’appelle cela des « racines élastiques ». Même lorsque vous êtes loin, la connexion ne se rompt pas : elle s’étire. Par exemple, alors que je réponds à ces questions, je suis en train de discuter avec un ami du FabLab Soshanguve en Afrique du Sud…

Quel est votre pire souvenir dans les FabLabs ? La dysbiose intestinale. C’est la conséquence de deux ans passés à ingérer des bactéries diverses dans différents pays. Mais c’est un petit prix à payer pour les deux années les plus géniales de ma vie.

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Anne-Sophie Novel, journaliste

Anne-Sophie Novel est docteur en économie et journaliste spécialisée dans le développement durable.

Dans quelle mesure pensez-vous que les FabLabs ont un rôle à jouer dans l’économie actuelle ? Je pense que les FabLabs sont des lieux de rencontre, de socialisation, d’échanges de savoirs et d’apprentissages indispensables aujourd’hui. Ils permettent de synthétiser hors des écrans des logiques apprises sur le Web, de réinventer ainsi des pratiques anciennes, tout en orchestrant des logiques de cocréation. Pour l’instant je trouve qu’ils jouent plus un rôle sociétal qu’économique. Ils permettent de retisser du lien social, ce qui en soi permet de relancer une dynamique économique locale. Il faut à mon sens insister sur la façon dont ils représentent des lieux d’innovation, de réparation et de création afin de bien affirmer leur rôle dans l’économie actuelle.

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Les FabLabs préfigurent-ils une alternative écologique viable vis-à-vis des modes de production actuels ? Cela dépend des usages que l’on y trouve. Dans une optique de réparation, les FabLabs ont un vrai rôle à jouer, en proposant à terme d’imprimer en 3D des pièces détachées non fournies par les fabricants, lors d’une panne ou en cas de casse par exemple. Cela permettrait de lutter contre l’obsolescence programmée. En termes de récupération aussi : fabriquer des objets dans un FabLab à partir de déchets, comme des meubles par exemple, permet de favoriser une économie plus circulaire et une éco-conception certaine des objets. Je pense que l’innovation favorisée dans ces lieux donnera aussi naissance à des innovations durables, qui pourraient à terme inspirer les fabricants. Pour l’instant les FabLabs permettent de redonner de l’autonomie au consommateur face aux modes de produc-

tion actuels. Mais ils restent encore trop peu connus du grand public et s’inscrivent dans une mouvance trop émergente pour en représenter une alternative de substitution viable.

Au-delà de la technologie, le mouvement maker va-t-il dans le sens d’une innovation sociale ? La technologie offre des outils. Elle n’offre ni une vision ni des valeurs. Ce sont les hommes et les femmes qui sont derrière qui lui donnent une utilité sociale. Donc oui, le potentiel est immense, pour peu que le mouvement défende un objectif d’innovation sociale. Je pense que certains piliers du mouvement maker portent en eux ce potentiel (culture ouverte, partage), et que la philosophie hacker ainsi que la culture des biens communs appuient aussi ces objectifs. Il faut cultiver et faire pousser cela. Comme dans la culture libre, pour les logiciels, je pense que les makers pourraient adhérer à une charte qui garantisse que les initiatives lancées


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poursuivent une telle ambition. Après, les jeunes générations ont grandi avec l’urgence économique et sociale en tête, et l’urgence saura se rappeler à nous. Ceux qui iront dans les FabLabs auront de quoi expérimenter, bidouiller, et fabriquer avec la conscience qui les anime.

Tout le monde aura-t-il envie d’entrer dans un FabLab ? Je ne suis pas devin, mais je ne suis pas certaine que tout le monde souhaite fabriquer

ses propres objets, ait la patience d’attendre, de personnaliser, de créer… Bien en identifier les différents usages permettra de mieux en positionner l’utilité sociale. Pour que cela reste dans l’esprit d’un « laboratoire » aussi, probablement.

technologie que j’avais au collège, alors que l’engouement actuel pour le FAIRE doit sans doute redynamiser cette matière. Enfin, je l’espère !

Votre meilleur souvenir dans les FabLabs ? Je n’ai pas un souvenir particulier lié au monde des makers… Toutefois, je ne garde pas forcément un super souvenir des cours de

Bonne ambiance avant de passer à table à la Food Hacking Base, festival OHM, Amsterdam, juillet 2013

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De nouvelles règles du jeu Hétérotopies ou utopies concrètes ? Dans son texte sur les hétérotopies, écrit en 1967, Michel Foucault formule plusieurs principes qui peuvent permettre de décrypter les logiques à l’œuvre dans les FabLabs ou les hackerspaces. Il décrit des lieux qui sont « dessinés dans l’institution même de la société, et qui sont des sortes de contre-emplacements, sortes d’utopies effectivement réalisées ». On peut ainsi comprendre que l’émergence de ces espaces que nous cherchons à décrire dans ce livre se définit en miroir ou en contraste avec les modes d’organisation les plus traditionnels. En effet, on y rencontre de nombreuses personnes qui, par leurs parcours ou leurs activités, sont dans des phases de transition ou agissent dans les marges de notre société : retraités, jeunes en free-lance, étudiants, personnes en recherche d’emploi ou en quête de renouveau… Les hétérotopies, selon la description de Michel Foucault, rassemblent « des activités incompatibles ». Les FabLabs et autres tiers-lieux de ce genre sont effectivement des espaces très organiques qui évoluent et s’organisent autour de plusieurs activités hétéroclites : fabrication, électronique, cuisine, impression 3D, hacking, couture, atelier pour le bois, programmation, réunions ou cours, bibliothèque... Les hétérotopies sont décrites comme s’opérant « une sorte de rupture absolue avec le temps traditionnel ». Certains hackerspaces ou FabLabs ne sont ouverts qu’en soirée ou parfois uniquement la nuit ou le week-end. D’une certaine manière, ils abolissent le temps. Le hackerspace Noisebridge à San Francisco, par exemple, est ouvert 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. Nous y avons passé plusieurs journées : on peut y vivre une expérience relativement semblable à deux heures du matin ou au beau milieu de l’après-

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midi. Les portes restent ouvertes, chacun peut aller et venir à n’importe quel moment pour y mener tous types d’activités, de la programmation à la fabrication en passant par le tirage de photos argentiques ou la pâtisserie. Les hétérotopies « supposent toujours un système d’ouverture et de fermeture qui, à la fois, les isole et les rend pénétrables ». Noisebridge est un cas extrême, mais il fonctionne sur bien des points comme d’autres makerspaces ou FabLabs. Il est exactement basé sur ce principe : on peut y entrer librement à toute heure, mais personne n’est officiellement chargé d’accueillir les nouveaux venus. Si c’est une forme d’ouverture totale, il n’empêche que cela peut être un frein intimidant pour certaines personnes. Les FabLabs, hackerspaces et makerspaces se revendiquent aussi parfois des TAZ, des zones temporaires d’autonomie, principe décrit en 1997 par l’écrivain politique Hakim Bey comme des zones d’utopies, espaces indéfinissables proches de l’anarchie et de la piraterie, marges de liberté et de contre-culture proches de l’underground. Bien au-delà de la fabrication numérique, les règles classiques de vie commune sont donc rediscutées et retestées dans les limites de ces espaces implantés dans certaines failles de la société classique. Mais ces projets de transformation sociale, par ou autour des technologies numériques, peuvent susciter des actions ou de nouveaux modes d’organisation à même d’influer véritablement sur le cours des choses. En ce sens, l’expression étrange d’« utopie concrète » théorisée par le philosophe Ernst Bloch peut également permettre de qualifier ces pratiques. Les « utopies concrètes » relèvent d’un processus ancré dans la texture même du monde en devenir et cherchent à réaliser les tendances particulières dont il est porteur. Les rêves et les espoirs d’une société meilleure peuvent ainsi constituer une force de transformation, les rêves utopiques se trouvant ainsi


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Emmanuel Laurent, cofondateur de TechniStub

Emmanuel Laurent est l’un des fondateurs de TechniStub, FabLab et makerspace à Mulhouse.

Comment faites-vous cohabiter les visiteurs expérimentés avec les nouveaux arrivants ? La soirée d’ouverture publique est commune aux utilisateurs expérimentés comme aux nouveaux arrivants. Cette première rencontre est à l’origine d’un échange informel sur des besoins précis ou le projet du visiteur. Elle permet aussi de mettre en relation les utilisateurs expérimentés pour résoudre un point précis ou échanger sur un thème particulier.

Est-ce que redécouvrir les techniques industrielles est intéressant pour un FabLab ?

Pour moi, un FabLab est une manière de travailler de manière artisanale en utilisant des technologies modernes, notamment basées sur le numérique. Redécouvrir des techniques industrielles, c’est reprendre la main sur des technologies qui sont maintenant automatisées ou complexifiées et les réutiliser d’une manière artisanale.

Qu’est-ce qui a motivé la création de Technistub ? À la base, je voulais donner accès à des amateurs (au sens noble) et à des porteurs de projets à des moyens de laboratoire et d’atelier. Au cours des deux ans et demi de vie de l’atelier, le développement d’une communauté d’utilisateurs et le travail collaboratif s’est révélé être l’aspect le plus riche et les raisons essentielles d’existence du FabLab.

Quelles sont les valeurs que tu défends au travers du FabLab ? L’ouverture aux autres, la bienveillance et la suspension du jugement. Ces trois valeurs sont liées au travail collaboratif et sont nécessaires à l’enrichissement de la diversité d’une communauté alors que des propositions ou projets peuvent déranger nos propres points de vue.

Quel est ton meilleur souvenir dans cette aventure ? Être contacté par les organisateurs du festival Mulhouse, Terre des Nouveaux Possibles, pour organiser des animations autour de l’entreprenariat, de l’innovation et de la créativité. C’est une belle reconnaissance de l’apport du FabLab pour faire évoluer les mentalités.

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intégrés dans le mouvement historique réel en constituant une force de changement effectif du monde. Les engagements pour les « biens communs », la décroissance ou l’accès pour tous aux techniques de fabrication mettent en jeu une inventivité technique et une détermination pratique qui vont dans le sens d’une utopie transformatrice.

Le cas particulier des FabLabs d’entreprise Aux États-Unis, Ford envoie régulièrement ses employés travailler directement dans les locaux partagés de TechShop, un gigantesque atelier de fabrication qui fonctionne comme un club payant. Là-bas, les ingénieurs et designers de l’entreprise peuvent se mêler à des milliers de membres abonnés, amateurs ou entrepreneurs. Pendant ce temps-là, un espace qui se fait appeler FabLab, mais qui n’est pas accessible au grand public, a vu le jour en 2013 au cœur du Technocentre de Renault à Guyancourt, principal centre d’ingénierie du groupe. Ces dernières années, l’émergence de « FabLabs d’entreprise » s’est accrue, mais il s’agit d’un symptôme presque exclusivement français. Celui de Renault est un bon exemple, lequel permet d’appréhender cette démarche et de connaître les intentions et motivations de ceux qui détournent les principes historiques du mouvement à un niveau privé. Alors que les FabLabs dans leur définition officielle sont pensés pour être ouverts au public, mettre des machines à disposition de tous et surtout partager leurs projets avec l’ensemble du réseau mondial, plusieurs grands groupes prennent actuellement la liberté d’appeler FabLab des ateliers de fabrication numérique privés. Ils reformulent de fait à leur manière le programme initial. « Ma volonté c’était de concevoir ici ce que j’ai appelé “un appartement de travail” », explique ainsi Mickaël Desmoulins, à l’origine de l’implantation de l’espace estampillé FabLab au sein du Technocentre. Ici se

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trouvent toutes les cellules de recherche, du design en passant par le développement de projets, l’incidentologie ou bien encore les achats. C’est un local de 60 m2, avec des petits carreaux au sol. C’était jusqu’alors un débarras, caché dans un bâtiment qui s’appelle « les labos ». Toujours selon Mickaël Desmoulins : « Nous sommes dans l’univers de l’expérimentation, ce qui change par rapport aux bureaux tertiaires classiques ». Si le FabLab de Renault n’est pas un lieu ouvert au public, c’est bien un espace d’innovation collaboratif ouvert aux 12 000 employés du Technocentre, qu’ils soient ingénieurs, designers ou chargés de tâches plus administratives. On y trouve bien entendu des outils pour concevoir du maquettage numérique, c’est-àdire quelques imprimantes 3D, une découpe vinyle, mais également un grand mur pour écrire au feutre, ainsi que du matériel de photographie et de vidéo. Cet atelier d’un genre particulier n’est bien entendu pas répertorié dans les listes des FabLabs du monde. « Le terme FabLab existe, il est présent dans l’imaginaire. Baptiser notre endroit ainsi crée un début de sémantique à laquelle les gens peuvent se raccrocher », explique Mickaël Desmoulins. Une permanence est assurée les jeudis et vendredis, et les employés de l’entreprise peuvent tout aussi bien y venir pour réaliser des projets personnels que pour finaliser un prototype en cours dans le cadre de leurs fonctions. Les règles de partage et d’ouverture sont ici reformulées, tournées exclusivement vers l’entreprise. Elles décloisonnent certains circuits considérés comme hermétiques ou figés. Au FabLab, on organise des réunions, des « séances de créa » et on invente des moyens pour redonner de « l’agilité » à l’entreprise. Selon Mickaël Desmoulins, « cela a du sens d’avoir accès de manière très simple à une imprimante 3D pour réaliser des modèles, quand on travaille sur des sujets de brevet où l’on s’en tient normalement au PowerPoint. Cela évite aussi de dépenser de l’argent et du temps administratif pour avoir des pièces de test, ce qui demande également énormément de délais. »


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Le FabLab d’entreprise tel qu’il se développe dans plusieurs structures représente une sorte d’appel d’air pour leurs employés. La question de ces FabLabs internes est un sujet houleux au sein de la communauté des FabLabs français, la plupart considérant que l’emploi de ce terme est abusif et mensonger. En réalité, de nombreux points communs existent entre les structures classiques et celles animées par les entreprises. La plus grosse différence tient probablement à l’échelle, au périmètre d’action. Les FabLabs comme ceux d’Adeo, Renault, Airbus ou Air Liquide ont leurs propres communautés, issues du petit monde de l’entreprise. On y pratique, selon un oxymore lourd de sens, une « ouverture vers l’intérieur ». L’ouverture au sein des communautés de chaque entreprise est en effet totale et vise à mélanger des métiers ou niveaux hiérarchiques qui ne se croiseraient probablement pas si facilement en dehors de cet espace. En réalisant eux-mêmes leurs propres projets, les employés gagnent en compétences sur certains logiciels ou machines. Cela permet d’encourager une forme d’autoformation permanente. Chose remarquable également, les FabLabs d’entreprise et autres tiers-lieux de fabrication interne tendent à créer eux-mêmes leur propre réseau et de nombreux échanges ont lieu entre eux. C’est le cas notamment entre l’AIS de Segma, Seb, le protospace d’Airbus et le FabLab de Renault qui partagent leurs expériences et aménagent ensemble de nouvelles manières de « décloisonner » leurs entreprises.

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Extraits du livre

FabLabs, etc. De Camille Bosqué , Ophelia Noor et Laurent Ricard

Publié aux Editions Eyrolles

Plus d’informations sur SerialMakers http://serialmakers.com


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