Zamân - n°4, Hivers 2011

TEXTES, IMAGES & DOCUMENTS

H I V E R 2 O11 – N U M É R O 4

TEXTES, IMAGES & DOCUMENTS H I V E R 2 O 11 n째4

SOMMAIRE Abbas Akhavan bricolages (2008 – en cours) ................. 18/30/46/140/162/192/204/232 Michel Foucault Entretien avec Bagher parham, Téhéran, 1978 ...............................19 Anna Longo La fin de l’homme n’est pas la fin du monde ..................................31 Nayelli Zabaleta Solís Imaginaire métis. Le Mexique évangélisé ........................................47 Jordi Colomer Heroes (para México), 2009 ........................................................68 Rosa Montazami Recettes ..................................................................................84 Robert Gluck Le festival des Arts de Chiraz-Persépolis .......................................86 Julien Audebert & Olivier Cochet La retraite des Dix-Mille (D’après l’Anabase), 2010 .........................112 Dominique Lestel Délivrer le vivant de lui-même .................................................. 141 Hossein Mortezaeian Abkenar Photo de classe ...................................................................... 163 Magali Le Mens L’orientalisme aux couleurs mêlées de Manet.............................. 168 Parviz Mohebbi Assis/debout. le geste technique ................................................ 193 Sohrab Sepehri La chambre bleue.................................................................... 205 Damien Guggenheim Carte de vœux ........................................................................ 241

12 euros

É D ITO R IAL « Lire ce qui n’a jamais été écrit. » Ce type de lecture est le plus ancien : la lecture avant tout langage, dans les entrailles, dans les étoiles ou dans les danses.

Walter Benjamin, Sur le pouvoir d’imitation, 1933

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our son quatrième numéro, Zamân accomplit son destin posthume. En effet, si les nº1 et nº2 sont sortis en 1979-1980, et que le nº 3, publié au printemps 2010, a repris un projet heurté notamment par la révolution islamique iranienne, nous en soufflons à présent les dernières cendres après la renaissance (d’autres viendront) : deux numéros présents contre deux numéros passés, desquels nous sommes, pour ainsi dire, quittes ; le moment est mal choisi, lorsque les compteurs se remettent à zéro, pour dire l’avenir. Pour l’heure, que tous nos collaborateurs, libraires, lecteurs, auteurs, traducteurs, mais aussi compagnons ressurgis de la première heure, ainsi que toutes les voix joyeusement élevées en notre faveur depuis le début de cette seconde vie, soient chaleureusement remerciés.

Insister sur l’anachronisme de nos gestes est une façon d’envisager notre tâche depuis l’urgence même qui la guide. Il nous faut penser à chaque numéro comme au dernier : avec le même souci du détail concernant chaque événement théorique que nous abordons. Or, ce type d’événement, à même d’élargir l’horizon des possibles face à tout réductionnisme universaliste, voilà que la littérature et les arts visuels l’accomplissent aux côtés de la philosophie ou des discours analytiques et que, loin de s’exclure ou de s’annexer les uns les autres,

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ils s’informent et produisent des « constellations ». À l’héritage de son acception chez Walter Benjamin1, on ajoutera celle littéralement astronomique – constellations : figures que prennent des groupements d’étoiles grâce à leur proximité et dont les lignes, loin de s’étendre à l’infini, demeurent à la fois inquiètes et sécrétrices.

Pour ce nouvel opus, et cette année 2011, nous n’allons certainement pas organiser le contenu de la revue, ni en énoncer les principes.

Nous ne serons, ni le porte-voix qui se nourrit sur quelque place publique des idées ni la ruelle pour y entrer… mais un observatoireéchiquier, traitant ainsi toujours de l’histoire en fonction des « cases » qui la recouvrent – par anticipation et à rebours – et des idées comme de pièce qui courent sur cette surface.

Dès lors, laissons à d’autres le vœu pieu de l’« interdisciplinarité », tandis que nous expérimentons pleinement – grâce aux constellations – les temps hétérogènes où se mêle notre dessein, soit l’espace constructif Orient-Occident 2.Voyons où il s’exerce, où il peut ouvrir d’utiles passages, renverser les perspectives désuètes, mais aussi là où il se déforme, en vue de sa propre simulation, en attente que les discours critiques et analytiques en ressaisissent les formes. Prise dans ce double mouvement rétroconstructiviste, Zamân se doit d’ouvrir les champs sans les refermer, voire d’en tapisser les impasses par des affiches aux motifs incongrus – dont on se demanderait : « Mais qu’estce que c’est ? » Manière d’éviter de tomber dans certains travers, 1. « Les idées sont des constellations éternelles […] les phénomènes sont en même temps dispersés et sauvés. […] Chacune des idées est un soleil, et entretient avec les autres idées le même rapport que les soleils entre eux. » Walter Benjamin, « Préface épistémo-critique » à l’Origine du drame baroque allemand, Paris, Champs Flammarion, 1985 [1928], p. 31 et 34. Sur la théorie de la connaissance de Benjamin et le modèle de la constellation dans l’historiographie matérialiste, voir aussi le fragment XVII des Thèses sur le concept d’histoire, et surtout Stéphane Moses, « Les métamorphoses de l’Origine : noms, idées, étoiles », in PourWalter Benjamin, Ingrid et Konrad Scheurmann (dir.), Bonn, AsKI-Inter Nationes, p. 188-196.

2. À ce titre l’espace constructif ne tient pas tant dans l’objet de chaque article ou contribution, que dans leur agencement et à l’intersection, soit dans la revue elle-même.

éditorial

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comme la suridentification culturaliste, la recherche de l’altérité à tout crin ou la frénésie du global. Nous préférerons toujours (à l’altérité) l’altération des données démographico-cartographiques auxquelles nous présentons nos lignes d’inquiétudes sécrétrices. Altération est à entendre dans son acception minimale, c’est-à-dire à l’image du geste de Damien Guggenheim, avec sa Carte de vœux : geste d’archéologue et geste de copiste, qui nous donne à relire et à déchiffrer une lettre sans destin où la poétique de l’objet trouvé se mêle à l’histoire des techniques et de l’écriture. Une adresse certainement pas hors du langage mais en plein dedans, qui trouvera dans sa réexposition d’autres chemins. Insigne d’une démarche à contretemps, où passé et futur entrent en contact, et dans laquelle Zamân se reconnaît pleinement.

Une autre idée de l’altération se fait encore jour entre l’éthique du document et l’impératif de revisiter les savoirs officiels. Ainsi dans la série iconographique formée par les quatre reproductions d’artefacts sculpturaux (de la statue au masque) et les citations qui les accompagnent – tirées du même livre où l’image apparaît initialement (p. 45, 111, 161 et 167). La citation a son pouvoir critique, celui de décadrer et recadrer en même temps les discours qu’elle sous-tend.

Elle opère alors comme le marque-page dans l’idéologie à battre en brèche. Celle qui voit dans les peuples une archive d’objets morts à faire dormir sur les étagères des bibliothèques et des bouquinistes ; et ainsi, en silence, de les ennoblir en les portant aux nues ou en les entachant avec condescendance.

Notre espoir est bien, de donner à voir les documents d’une culture vivante et non pas, seulement, la collection des nombreuses histoires qui la composent ; ainsi de nous préserver de toute systématicité avec les concepts qui en ressortent et que nous manions. Car l’orientalisme, et en premier lieu l’œuvre capitale d’Edward Saïd, a autant servi à déconstruire la « création » de l’Orient par l’Occident

Photo de cl a sse Hossein Mortezaeian Abkenar

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ous étions une cinquantaine d’élèves dans une grande classe. À la fin de nos études, chacun est parti de son côté.

Cette même année, Javad a laissé tomber les études.

Reza Karimi est allé au front en martyre.

Une cérémonie eut lieu à l’école lorsqu’on y amena son cercueil. Ensuite la plupart d’entre nous sommes allés à la mosquée pour la cérémonie du deuil.

Ramine est allé faire son service militaire. Après ça, il a créé sa propre affaire, soi-disant une société de services.

Rassouli est devenu pilote. Son avion s’est écrasé à la guerre et il a été fait prisonnier. Il fut détenu pendant quatorze ans. Je crois qu’il a été libéré récemment.

Hamed est mort d’un cancer.

Houshang Razavi travaille toujours dans le magasin de son père.

Il y vend des bas et des chaussettes. Il est sûrement devenu très gros.

Kourosh est parti en Allemagne où vit son oncle qui lui avait envoyé une invitation. Il s’est endetté pour faire ce voyage. Une fois là-bas, il a entrepris des études pour devenir dentiste en faisant la plonge dans un restaurant.

JO R D I CO LO M E R Heroes (para México), 2009

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ans les illustrations étourdissantes qu’Élias Canetti donne du phénomène de la masse, une figure apparaît comme la plus manifeste d’entre toutes : le tas.

L’entassé recèle de toute évidence le plaisir de la récolte après l’activité collective : « Il y a des fêtes dans lesquelles les hommes célèbrent leur joie de ces tas qu’ils ont constitués. Ils sont fiers de les montrer.

Les fêtes se déroulent souvent autour de ces tas 1 ». Il semble que l’exubérance et la richesse dont témoignent ces tas garantissent la prospérité aujourd’hui, et au futur son lot de nouvelles semailles ; comme si dans le tas résidait la possibilité même de la vie. C’est avec une lucidité familière de ces hypothèses, que l’artiste Jordi Colomer a dressé nombre d’accumulations : des tas de corps, de caisses, de matelas, de canettes de bières.

Rien n’y évoque cependant l’excès ou le gaspillage. Bien au contraire, les tas de Colomer se présentent comme des offrandes en fragments ou la célébration de la seule construction (narration) possible : celle

1. Élias Canetti, Masse et puissance, trad. de l’allemand par R. Rovini, Paris, Gallimard, 1966 [1960], p. 92. Idem pour la citation en fin de texte.

qui convoque des morceaux, regroupe des bribes, unit des éclats. Tout comme le voyait Canetti, dans chaque tas sommeille une promesse retenue, une possibilité de retrouver la parole.

Tas de piñatas : ces figurine-surprises à suspendre que les enfants brisent avec un bâton, donnant lieu à une pluie de friandises. Piñatas apiñadas 2. Le mystère qui ressort de cette série de photographies est celui d’une fiction potentielle demeurée en attente, gardée en réserve.

Dans un premier temps, la pulsion festive symbolisée par le tas semble garantie avec les piñatas. Aujourd’hui encore, au Mexique, la tradition populaire enfantine des piñatas reste fortement enracinée, bien qu’elle soit à l’origine liée à l’évangélisation coloniale3. Dans ce contexte, les piñatas 2. En espagnol, « Apiñadas » signifie « entassées » et « piña », au sens figuré, signifie « bloc » ou « serré », à l’image de la pomme de pin. Ce jeu de mots suggère donc une relation sémantique directe entre la « piñatas » et l’idée du « tas » (« montón » en espagnol) [NDT].

3. De lointaine origine asiatique, et après diverses modifications, elles arrivent au Mexique, aux mains de missionnaires augustins espagnols du xvie siècle. Selon la version la plus répandue, les piñatas originales représentaient les péchés capitaux qu’on abattait avec le gourdin de la vertu. Les fruits et bonbons incorporés représentaient

pages suivantes Avenida Ixtapaluca (Houses for Mexico) 2009 video (photogramme) Heroes (para mexico) 12 tirages argentiques lightjet - Ed. 5 100 x 66 x 3,5 cm

n’étaient pas tant destinées aux enfants, qu’à l’ingénuité enfantine présupposée en chaque indigène – tous, comme des enfants, faisant bloc autour de la piñata pour faire foi de leur conversion. En réalité, dans le processus de christianisation, on utilisa explicitement les enfants pour mener à travers eux une politique de délation, et lutter contre l’idolâtrie qui résistait opiniâtrement à la colonisation.

Au recours de récits terrifiants, les religieux exhortèrent les enfants à la confession, ils condamnèrent leurs parents, brisant les liens générationnels et de solidarité 4. Cependant, rien n’y fit, on ne put extirper l’idolâtrie. À présent, le tas de piñatas contemporaines reproduit toutes sortes de personnages. Animaux et clowns traditionnels se mêlent, de manière déjà civilisée, aux héros de l’enfance exportés depuis la métropole où l’on signa l’Accord de libre-échange. Batman et Buzz Lightyear aussi bien les plaisirs et tentations terrestres, qu’une récompense pour avoir démontré la force de sa foi.

4. Au sujet des difficultés à éradiquer l’idolâtrie à l’époque du colonialisme, voir Serge Gruzinski, La Guerre des images. De Christophe Colomb à « Blade Runner » (14922019), Paris, Fayard, 1990.

(personnage du film d’animation Toy Story) s’adaptent sans difficulté à l’attitude hiératique caractérisant toutes ces figures disposées comme d’authentiques idoles.

Le nouveau colonialisme de l’impérialité 5 ne livre plus bataille mais, au contraire, promeut l’adoration polythéiste des images lui permettant de capter des marchés et d’accélérer la colonisation de l’imaginaire consommé. La trahison des enfants n’est plus nécessaire, ils sont devenus les meilleurs agents pour une dissémination tranquille d’un récit unique. Mais ce serait oublier que, au fin fond du tas, la « masse retenue » attend la fête des Damnés de la terre.

Martí Peran Traduit de l’espagnol par Catherine Arnaud.

5. Pour David Slater, « l’impérialité » représente la phase ultime du colonialisme, celle où l’intervention extérieure se concentre, après avoir « christianisé » et « civilisé », sur les politiques de « développement » susceptibles de garantir l’incorporation des pays périphériques à l’économie globale. Geopolitics and the Post-colonial : Rethinking North-South Relations, Oxford, Blackwell, 2004, p. 52-54.

T é h é r a n, 1978 M ich e l Foucau lt entretien avec Bagher Parham

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agher Parham : La philosophie prétend à l’objectivité dans son appréhension du monde. En tant que philosophe, comment voyez-vous la question de l’engagement politique ?

Michel Foucault : Je ne pense pas qu’il soit même possible de donner une définition de l’intellectuel, à moins d’insister sur le fait que tout intellectuel est par définition engagé politiquement. Bien sûr, à cer­ tains moments de l’histoire, on a tenté d’apporter cette définition de l’intellectuel d’un point de vue purement objectif et théorique, en considérant comme intellectuels ceux qui n’ont rien à faire des problèmes et des difficultés de leur propre société. Mais, à mon sens, il ne s’agit que de très rares cas et peu d’intellectuels ont adopté un tel postulat.

Pour ne s’en tenir qu’aux sociétés occidentales, des premiers philo­ sophes grecs aux intellectuels d’aujourd’hui, tous ont eu partie liée avec la politique, d’une manière ou d’une autre : ils se mêlent à la politique, et leurs actions ne prennent sens que dans la mesure où elles portent à des conséquences concrètes sur la société où ils vivent.

Quoi qu’il en soit, ce n’est là qu’un principe général. Donc, à la question : « Est­ce que l’intellectuel peut ou doit intervenir dans la vie politique, sociale et économique de son pays ? », je réponds que

Valda Setterfield de la Merce Cunningham Dance Company dans une performance de Rainforest en 1968 avec des coussins conçus par Andy Warhol. Utilisant les mêmes coussins, Rainforest fut présenté à Shiraz Event au Festival des arts de Shiraz de 1972 (Photo reproduite avec l’aimable autorisation de James Klosky)

Le Fe st iva l d e s a rts d e Ch ir az-P e r sé p o l i s L e s ava n t-g ar des d ’O c ci den t en Iran dans les années 1970

Robert Gluck

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endant les dernières années du règne Pahlavi du Chah Mohammad Reza en Iran, une panoplie de formes d’expression avant-gardistes et venue s’ajouter à une histoire riche de 2 500 ans, celle des arts traditionnels persans. Des musiciens, danseurs et cinéastes de renom venus de l’étranger se produisirent aux côtés de leurs pairs iraniens au Festival annuel international des arts de Chiraz. Une planification détaillée fut mise en branle pour la création d’un centre d’art important qui devait comporter des studios d’enregistrement et des espaces de travail pour ses résidents.

Le festival suscita l’envie, chez les jeunes compositeurs et artistes iraniens, d’étendre leur horizon en adoptant des techniques et une esthétique « contemporaines ». Par la suite, certains d’entre eux voyagèrent à l’étranger pour approfondir leurs études. Bien que la révolution islamique de 1979 marqua la fin du penchant institutionnel pour les avant-gardes et la fin des bourses d’études à l’international, l’expression créative déclenchée par le festival devait en revanche perdurer, notamment à travers le cinéma.

L’or i e ntal isme au x couleu r s m ê l é e s d e M a n et de l’Espagnole Lola à la créole Olympia.

Géographie de la chair et du désir

Magali Le Mens

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es questions les plus contemporaines de l’histoire de l’art, comme les processus idéologiques où entrent en jeu le genre et l’identité du sujet, se mesurent souvent à l’horizon historique de l’œuvre, voire de sa première exposition. Intéressons-nous à deux expériences consécutives d’exposition d’œuvres d’Édouard Manet : Lola de Valence en 1863 et Olympia en 1865, chacune accompagnée alors d’un texte dont la prise en compte et l’analyse s’avéreront fondamentales. D’autant qu’un aspect essentiel de ces œuvres fut longtemps négligé : les deux sujets représentés sont des femmes métisses. Comme nous allons le voir, le statut de l’Espagnole était alors équivalent à celui de la créole, considérées comme intermédiaires entre l’Orientale et l’Européenne : exotiques. Ce statut hybride en fit des figures changeantes, à la fois proches et étranges et, du même coup, adorées puis rejetées, puis adorées, et ainsi de suite.

Cet état souligne l’ambiguïté et la relativité des frontières, comme il met en évidence la construction culturelle du fantasme orientaliste dans sa proximité la plus perturbante.

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Dans un texte récent, l’historien Alain Corbin s’intéresse à « l’imaginaire érotique colonial 1 ». Cet imaginaire érotico-exotique, puisant son inspiration dans l’Orient, peut s’approcher en tant que construction historique et culturelle, à condition d’en déplier les strates – images-clichés aussi bien artistiques, littéraires que poétiques. Le lien étroit entre pratiques, désirs, regards, images, attentes et réception, qui traverse cet imaginaire, trouve son expression dans deux dispositifs qui déjouent avec ironie les clichés de l’orientalisme alors tout puissant. C’est d’abord à l’aide de la gestuelle que Manet opèra ce détournement du champ orientaliste, au sein duquel il officie pourtant. Le scandale soulevé par la combinaison de ces deux toiles avec les deux poèmes que le peintre y adjoint est symptomatique de l’attrait érotique exercé par ce type de construction. À partir des sources de l’époque et de réflexions plus récentes, nous explorerons ces constructions sociales et fantasmatiques – ces fictions codifiées – selon l’objectif qui les guida : mettre l’Autre à distance, faire le jeu des différences, enfin assurer la pérennité d’un désir contraignant et dominant qui souffrait difficilement la contradiction.

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« L E C H A R M E I NAT T E N D U D ’ U N B I J OU RO S E E T N O I R »

rrêtons-nous en premier lieu sur l’interaction entre peinture et poésie. Avec Lola de Valence, c’est – à ma connaissance – la première fois que Manet fait l’expérience d’exposer une peinture accompagnée d’un poème : le scandale fut provoqué par le choc de la confrontation entre cette peinture et les vers de Baudelaire qui la réaffirmaient. L’impression et la distribution de livrets augmentés de 1. Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, Georges Vigarello (dir.), Histoire du corps, t. 2 De la Révolution à la Grande Guerre, Paris, Seuil, 2005, p. 193.

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commentaires, fournis aux visiteurs du Salon, étaient une pratique courante au xixe siècle. Lors de l’exposition d’Olympia, en 1865, le malaise fut causé par l’inadéquation flagrante entre la toile et le poème. Zacharie Astruc semblait alors vouloir appliquer à l’exposition de peinture ce qu’il projetait pour le théâtre moderne – « le seul digne de la génération présente » : un texte qui prépare le public à ce qu’il va voir. « Un piquant écrit circule dans la salle ; il est une sorte d’intermédiaire entre la scène et le public, messager aimable autant qu’instructif, biographe zélé de la maison dont la mission délicate est de familiariser le spectateur avec les génies qu’il applaudit 2. » Cependant, la médiation entre Olympia et le spectateur devait échouer et même renforcer le scandale. Le poème de Baudelaire accompagnant Lola deValence, quant à lui, accentua et mis en valeur la modernité de l’œuvre, le poète et le peintre recherchant le même effet ; alors que le poème de Zacharie Astruc tenta d’atténuer le choc provoqué par le tableau mais échoua, puisque par contraste avec l’œuvre exposée, il en a accentué l’effet provocant. En 1862, Manet fit poser Lola Melea, dite Lola de Valence, une danseuse espagnole de la troupe du Théâtre royal de Madrid. En 1863, lorsqu’il exposa la peinture au Salon des refusés puis à la galerie Martinet, le quatrain de Baudelaire apparaissait sur un cartouche accroché au bas du cadre. Au Salon des refusés il exposa également une eau-forte exécutée d’après Lola deValence et comportant les vers de Baudelaire en légende.

Entre tant de beautés que partout on peut voir, Je comprends bien, ami, que le Désir balance ; Mais on voit scintiller dans Lola de Valence Le charme inattendu d’un bijou rose et noir 3.

2. Zacharie Astruc, Mémoire pour servir à l’édification du théâtre Le Globe, Paris, Imprimerie de la bibliothèque impériale, 8 décembre 1863, p. 23 (je souligne). Avec une mention au crayon à papier sur la première page de l’exemplaire de la Bibliothèque nationale de France (B.N.F.) : « Projet ou mieux Vœu de fondation d’un théâtre ouvert aux chefs-d’œuvre de toutes les littératures ».

3. Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, édition établie par J. Dupont, Paris, Flammarion, 1991 [1866], p. 212.

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Baudelaire envoya ce poème à Manet avec les recommandations suivantes : « À graver en petites bâtardes – Attention à l’orthographe, à la ponctuation et aux lettres capitales […] Il serait peut-être bien d’écrire aussi ces vers au bas du portrait, soit au pinceau, dans la pâte, soit sur le cadre en lettres noires 4. » Le poète souhaitait donc que ce quatrain puisse être intégré directement à la peinture, ou directement sur le cadre, ce qui ne fut pas le cas. Néanmoins, lorsque Manet montra de nouveau cette toile en 1867, dans son exposition particulière en marge de l’exposition officielle, il l’exposa avec ce poème, toujours accroché au bas du cadre. La peinture et le poème étaient pour lui indissociables. On peut regretter qu’aujourd’hui l’uniformisation muséale ne prenne pas en compte le dispositif de l’époque et sépare le poème du tableau. De cette absence ou ce déplacement, il n’est même pas fait mention sur le cartel. Apollinaire, en 1914, regrettait déjà : « On se demande pourquoi sous la peinture de Manet, qui est une des gloires de la collection Camondo, on n’a pas écrit, dans un cartouche, le quatrain de Baudelaire […] Cette inscription laudative est digne de la peinture qu’elle accompagnait et Baudelaire a assez défendu les peintres […] pour qu’après avoir été à la peine il soit aussi à l’honneur 5. » Le poème Lola de Valence fut ajouté à l’édition des Fleurs du mal de 1866 intitulée Les Épaves (neuf ans après l’édition originale), dans la section des Épigraphes, soit, selon Jacques Dupont, des « vers accompagnant des œuvres d’art, comme par exemple les légendes au bas des vieilles gravures 6 ». Baudelaire précise lui-même dans une subreptice « Note de l’éditeur » : « Ces vers ont été composés pour 4. Manet 1832-1883 (cat. d’exposition, Galeries nationales du Grand Palais, 22 avril-1er août 1983), Paris, Réunion des musées nationaux, 1983, p. 168.

5. Guillaume Apollinaire, chronique « Les arts », Paris-Journal, 12 juin 1914 ; du même auteur voir aussi Chroniques d’art 1902-1918, édition établie par L.-C. Breunig, Paris, Gallimard, 1960, p. 492.

6. C. Baudelaire, Les Fleurs du mal, op. cit., p. 326.

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servir d’inscription à un merveilleux portrait de Mademoiselle Lola, ballerine espagnole, par M. Édouard Manet, qui, comme tous les tableaux du même peintre, a fait esclandre. La muse de M. Charles Baudelaire est si généralement suspecte qu’il s’est trouvé des critiques d’estaminet pour dénicher un sens obscène dans le bijou rose et noir. Nous croyons, nous, que le poète a voulu simplement dire qu’une beauté, d’un caractère à la fois ténébreux et folâtre, faisait rêver à l’association du rose et du noir 7. » Mais, vraisemblablement pour atténuer l’effet de son quatrain, Baudelaire transforma significativement son poème par rapport à sa version muséographique : il retira la majuscule au mot « désir » et remplaça « dans Lola de Valence » par « en Lola de Valence », ce qui n’est pas rien.

Les commentaires de cette toile se résument aujourd’hui à la citation du poème de Baudelaire sans autre forme d’analyse, et à un jugement esthétique d’ordre quasi personnel, relatif à la beauté ou à la laideur de la femme peinte. On peut s’étonner par exemple que Juliet Wilson-Bareau, grande spécialiste de Manet, qui a rédigé la notice du célèbre catalogue d’exposition de 1983, s’en tienne à : « c’est […] sans complaisance que Manet décrit la femme. Elle est trapue, ses jambes sont musclées, et le moins que l’on puisse dire de son visage est qu’il lui manque la finesse ardente de la Carmen de Mérimée. Tabarant n’a pas tort de s’étonner du quatrain de Baudelaire, en jugeant Lola plutôt “hommasse” ». Elle explique par ailleurs, à propos de la lithographie, qu’il est difficile de « comprendre la fascination – qui paraît aujourd’hui peu compréhensible – qu’exerça sur le public parisien cette Espagnole plutôt “hommasse”, mais muse de la danse comme du chant pour Baudelaire et Astruc 8. » Cette circonspection affichée quant au charme et à la beauté de la femme représentée est d’autant 7. Ibid., p. 212.

8. Manet 1832-1883, op. cit., p. 148 et 154.

Entre tant de beautés que partout on peut voir, Je comprends bien, ami, que le Désir balance ; Mais on voit scintiller dans Lola de Valence Le charme inattendu d’un bijou rose et noir.

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plus incompréhensible que cette peinture est en accord complet avec le goût et l’esthétique des Fleurs du mal. Depuis Adolphe Tabarant, grand spécialiste et défricheur de l’histoire de Manet, les commentateurs se contentent, pour la plupart, de citer le poème de Baudelaire et de mentionner le scandale sans rien y ajouter (à l’exception d’Éric Darragon 9). On va jusqu’à s’étonner de l’inadéquation entre les couleurs relevées par Baudelaire et celles de la peinture. Juliet WilsonBareau toujours : « À regarder la couleur dans ce tableau, on est en droit de s’étonner encore, car l’association du rose et du noir n’y est pas évidente, mais plutôt celle du blanc et du noir, autour du visage, ou du noir et du rouge, dans l’étonnant morceau de peinture qu’est la jupe à pampilles […] Le vrai “bijou rose et noir” dans l’œuvre de Manet, ce sera bientôt l’Olympia 10. » À la lecture du poème de Baudelaire, et à la vue de la peinture de Manet, on réalise pourtant facilement qu’il ne s’agit pas d’un poème descriptif mais d’un poème en totale empathie avec la peinture et son personnage. Baudelaire admirait et connaissait lui aussi la danseuse. Le titre Lola deValence fait tout autant référence, semble-t-il, au personnage réel et peint qu’à la plasticité de la toile.

Une première lecture de ce poème nous invite à arrêter sur Lola de Valence notre Désir (majuscule), le regard de l’« ami » étant évidemment masculin : « Entre tant de beauté que partout on peut voir/Je comprends bien, ami, que le Désir balance ». Baudelaire invite cependant à considérer l’attrait particulier de celle-ci : « Mais on voit scintiller dans Lola de Valence/Le charme inattendu d’un bijou rose et noir. » La force principale de la poésie de Baudelaire est rappelée par l’article de Charles Asselineau versé au procès des Fleurs du mal pour outrage à la morale publique : « La poésie de M. Baudelaire, 9. Éric Darragon, Manet, Paris, Fayard, 1989, p. 116-118.

10. Ibid., p. 148.

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profondément imagée, vivace et vivante, possède à un haut degré ces qualités d’intensité et de spontanéité que je demande au poète moderne. Il a les dons rares […] de l’évocation et de la pénétration.

Sa poésie concise, brillante, s’impose à l’esprit comme une image forte et logique 11. » Baudelaire produit une allusion à double fond : ce qui brille de rose et de noir dans Lola, c’est le contraste entre les cheveux noirs et la peau à la fois claire et mate, caractéristique pour l’époque des femmes espagnoles, et plus particulièrement andalouse comme Lola Melea ; il peut aussi tout à fait être question du rose du sexe féminin en contraste avec ses poils pubiens noirs. On retrouve par ailleurs ce contraste, sans plus aucune ambiguïté, dans une chanson de salle de garde du début du xxe siècle : Son joli petit chose, Couleur de satin rose, Bordé de noir 12

Il se trouve que Baudelaire avait déjà joué le même tour ambigu dans un autre poème des Fleurs du mal, écrit en 1857 pour Mme Sabatier : Parmi toutes les belles choses Dont est fait son enchantement, Parmi les objets noirs ou roses Qui composent son corps chantant Quel est le plus doux 13 ?

Quant au mot « bijou », il fait partie des expressions populaires désignant le sexe féminin, particulièrement depuis Les Bijoux indiscrets 11. Charles Asselineau, in Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, t. 1, édition critique de J. Crépet et G. Blin, Paris, José Corti, 1986, p. 426.

12. Bernard Edmond Dardenne, Anthologie hospitalière et latinesque : recueil de chansons de salle de garde anciennes et nouvelles, entre-lardées de chansons du Quartier latin, fables, sonnets, charades, élucubrations diverses, etc. t. 1, Paris, 1911, p. 57.

13. C. Baudelaire, «Tout entière », in Les Fleurs du mal, op. cit., p. 89-90.

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de Diderot. Dans ce conte, comme Mangogul, sultan du Congo, désire « [s’]amuser aux dépens des femmes de [s]a cour » pour tromper son ennui, le génie Cucufa lui donne un anneau magique qui fait parler le sexe des femmes. Ce dernier y est désigné tout du long par le mot « bijou 14 ». S’il est encore permis de douter des rapports qu’entretiennent couleurs et « bijou » avec le sexe féminin, remarquons que le repentir de Baudelaire ne fut pas « sur Lola de Valence » – qui aurait esquivé toute ambiguïté – mais bien « en Lola de Valence » plutôt que « dans Lola de Valence/Le charme inattendu d’un bijou rose et noir ».

Théodore de Banville, dans ses Lettres chimériques de 1885, disait de Baudelaire et de son succès : « Baudelaire, le premier de ses contemporains, rompt audacieusement, résolument, avec les faussetés convenues et universellement adoptées. Il ne croit pas que, pour avoir duré très longtemps, un mensonge soit devenu sacré et respectable, et doive durer encore. Il a déchiré les voiles qui enveloppaient son époque, et l’a montrée telle qu’elle est, dans sa nudité horrible ; ce n’est pas sa faute si elle est moins belle que Phryné 15! » Manet, lui aussi, met crûment à nu ce qu’il voit. Pourtant, en apparence (et seulement en apparence), il s’inscrit dans les plus grands poncifs entretenus par l’image de la danseuse espagnole, surtout si l’on compare Lola de Valence à d’autres portraits de danseuses qui lui sont contemporains 16.

14. « Vous voyez bien cet anneau, dit-il au sultan, mettez-le à votre doigt, mon fils. Toutes les femmes sur lesquelles vous en tournerez le chaton raconteront leurs intrigues à haute voix, claire et intelligible. Mais n’allez pas croire au moins que c’est par la bouche qu’elles parleront.

– Et par où donc, ventre saint-gris ! S’écria Mangogul, parleront-elles donc ?

– Par la partie la plus franche qui soit en elles et la mieux instruite des choses que vous désirez savoir, dit Cucufa, par leurs bijoux. » Denis Diderot, Les Bijoux indiscrets, Paris, Robert Laffont, 1994 [1748], p. 34.

15. Théodore de Banville, Lettres chimériques, Paris, G. Charpentier & Cie éditeurs, 1885, p. 347.

16. Notamment avec les gravures suivantes : Mademoiselle Lola Montès, copie d’un pastel exécuté d’après nature par M. Dartiguenave, 1847 (2), Paris, Bibliothèque Nationale de France (B.N.F.). ; Sennora Lola Montez nach einem

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Il n’est pas à remettre en cause que le scandale fut, en partie, provoqué par la plasticité intrinsèque au tableau et la façon qu’avait Manet de schématiser, procédant par taches. De manière générale, les commentateurs de Manet l’ont déjà relevé et étudié. Mais il semble – c’est ce sur quoi je voudrais insister – qu’il ait voulu rendre ce personnage plus vivant que les gravures de journaux où se déhanchaient alors les danseuses espagnoles. La Lola de Valence peinte par Manet arbore ce sourire rehaussé d’une pointe d’ironie. Elle ne se laisse pas seulement regarder mais elle-même dévisage, jauge et juge. Sous le pinceau de Manet, cette danseuse habituellement offerte au regard tel un objet passif se mue en sujet pensant. Voilà de quoi perturber le désir sexuel masculin et le détourner des poncifs qui l’habitent. Son regard n’est ni doux, ni complaisant, ni flatteur, ni soumis : c’est un regard exprimant une subjectivation qui se hisse à la hauteur du spectateur. Ce que l’on sait des rapports amicaux liant Lola Melea à ses admirateurs, que ce soit Baudelaire, Manet ou Astruc, nous conforte dans cette idée : leur admiration allait tout autant au sujet sensuel et délectable qu’on voit danser qu’à l’esprit de ce sujet. Mais une autre donnée importante traverse encore son statut de l’Espagnole, et, comme nous allons le voir, il s’agit de sa partie liée avec celui de la créole.

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« L A P U R E T É DU S T Y L E G R E C , A F F I N É E PA R L E C A R AC T È R E A R A B E »

sselineau, dans le même article pour le procès des Fleurs du mal, explique : « Nous sommes tellement accoutumés à être lâchement encensés ; on nous a tant de fois répété à tous, grands ou englischen Originalgemälde von Linton, 1840-1850, Paris, B.N.F. ; La Pepa Vargas, danseuse espagnole (théâtre du Palais-Royal), 1854, Paris, B.N.F. ; ou encore la peinture de Gustave Courbet, La Signora Adela Guerrero, danseuse espagnole, 1851 (Bruxelles, musées royaux des Beaux-Arts de Belgique).

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petits, poètes, artistes, bourgeois, que nous sommes les plus vertueux, les plus parfaits, les plus délicats, qu’un poète qui vient nous secouer dans notre satisfaction hypocrite ou indolente nous fait peur et nous irrite17. » C’est certainement cette mauvaise habitude que Manet considère lorsqu’il choisit d’exposer Olympia, peinte en 1863, avec un poème à l’opposé de celui de Baudelaire. Éric Darragon, dans son livre sur Manet, revient sur l’importance pour le peintre de se faire accepter par les instances académiques des Beaux-Arts, et évoque comment il chercha à tout prix d’éviter le scandale. Il n’espérait en effet rien moins que gagner le goût des spectateurs, lorsque en 1865, il accompagna Olympia d’une strophe d’Astruc intitulée La Fille des îles et qui lui sera fatale. Celle-ci est tissée de poncifs et d’images toutes plus attendues les unes que les autres : Quand lasse de songer, Olympia s’éveille, Le printemps entre au bras du doux messager noir : C’est l’esclave à la nuit amoureuse pareille, Qui vient fleurir le jour délicieux à voir : L’auguste jeune fille en qui la flamme veille 18

Ce qui aurait alors profondément gêné les commentateurs contemporains, jusqu’au rejet le plus radical, c’est ce paradoxe entre une image crue – la peinture de Manet – et une autre, chaste, mièvre et convenue – la strophe d’Astruc imprimée dans le livret du salon (mièvrerie largement remarquée à l’époque). Quelques coups d’œil entre le poème et la peinture suffisent à montrer comme la « fille des îles », si « lasse de songer », répond au cliché le plus galvaudé sur la tendance à la paresse de la créole (lasse de songer alors même qu’elle est déjà allongée !). La servante noire, quant à elle, prise coup sur 17. C. Asselineau, op. cit., p. 433.

18. Cité dans É. Darragon, Manet, op. cit., p. 117.

Quand lasse de songer, Olympia s’éveille, Le printemps entre au bras du doux messager noir : C’est l’esclave à la nuit amoureuse pareille, Qui vient fleurir le jour délicieux à voir : L’auguste jeune fille en qui la flamme veille.

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coup entre deux périphrases, le « doux messager noir » et « l’esclave à la nuit amoureuse pareille », sert clairement l’idée orientaliste de la créole accompagnée de son double noir : son esclave. La production photographique de l’époque abonde dans ce sens. Puis, à l’écho de « la nuit amoureuse pareille », on imagine que la nuit a été ou sera blanche pour « l’auguste jeune fille en qui la flamme veille », jeune fille noble et respectable désignée encore sous l’image du « jour délicieux ». Cette dernière métaphore n’est pas sans incidence, car la proximité du mot veille et du mot flamme,couve d’autant mieux l’idée de virginité ; voire une vierge vestale, en son vœu de chasteté, veillant sur sa flamme.

Idéales ou anti-idéales, l’Espagnole et la créole furent célébrées ou imagées chacune à leur manière et, en concomitance, aussi bien par Astruc que Baudelaire et Manet. À ces deux ensembles texte-image des toiles et de leur poème, on peut ajouter un tableau que Manet a peint la même année que Lola deValence et ostentatoirement intitulé La Maîtresse de Baudelaire 19 ; il représente Jeanne Duval, la «Vénus noire » ou « vieille infante » du poète. Toute une série de poèmes des Fleurs du mal comme Le Monstre, ou le Paranymphe d’une nymphe macabre participent de la même esthétique décrite jusqu’ici. À travers Olympia, Manet rendit visible sans masque ni détour le type de la prostituée exotique et, par là même, la soif d’exotisme de l’homme occidental ; le peintre l’extrait en quelque sorte à son vêtement d’hypocrisie, à contre-courant de la tradition. Le tour de force de Manet consiste donc dans une sorte de compromission, paradoxale et allègre, avec les clichés puisés dans la photographie pornographique et orientaliste – marché florissant à son époque 20 –, qu’il rejoue et qu’il déjoue par le prisme discret du grotesque et de l’ingénuité feinte.

19. Conservé au musée Szépmüvészeti, Budapest.

20. Voir par exemple les « études photographiques » ou les « femmes maures » de Félix Jacques-Antoine Moulin.

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Dans ses premiers dessins et études de motifs pour l’Olympia, Manet l’esquisse en Espagnole 21. À travers les lieux communs de l’époque réunissant ou confondant l’Espagnole avec la créole, on trouve : le teint de peau presque indescriptible, les yeux et les cheveux noirs, le caractère réputé fantasque et changeant, lascif et volcanique, mais, surtout, son statut d’Orientale – et plus particulièrement de métisse.

Plusieurs célèbres romans de l’époque exemplifient cette assimilation.

Dans Le Contrat de mariage de Balzac, on peut lire : « La veuve offrait les indices de la constitution qui rend les Espagnoles et les créoles particulièrement célèbres. Elle avait les cheveux et les yeux noirs, le pied et la taille de l’Espagnole, cette taille cambrée dont les mouvements ont un nom en Espagne 22. » De même, Flaubert, dans son Éducation sentimentale : « [Frédéric] la supposait d’origine andalouse, créole peutêtre ; elle avait ramené des îles cette négresse avec elle ? […] jamais il n’avait vu cette splendeur de sa peau brune 23. » La peau des créoles comme celle des Espagnoles au xixe siècle étaient réputées difficiles voire impossibles à décrire. On l’a vu, certains auteurs comme Baudelaire en passent par des oppositions de tons ou de valeurs contradictoires. Balzac écrivit encore dans ses Études philosophiques : « Sa figure, tout espagnole, brune de ton, peu colorée […] 24 » ; ou dans ses Études de mœurs, à propos d’une créole : « Son visage toujours beau séduisait par ce teint créole dont l’animation ne peut être dépeinte qu’en le comparant à une mousseline jetée sur de la pourpre, tant la blancheur en est également colorée 25. » Théophile 21. Femme en Espagnole, dessin reproduit in Théodore Reff, Manet, Olympia, Londres, Penguin Books, 1977, p. 67.

22. Honoré de Balzac, La Comédie humaine, Le Contrat de mariage, t. 3, Paris, Gallimard, 1976, [1835], p. 542.

23. Gustave Flaubert, L’éducation sentimentale, Paris, Garnier, 1984 [1869], p. 7.

24. H. Balzac, La Comédie humaine, La Recherche de l’absolu, t. 10, Paris, Gallimard, 1979, [1845] p. 668.

25. H. Balzac, Le Contrat de mariage, op. cit., p. 543.

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Gautier, lui, décrivit ainsi le type espagnol andalou : « Ce que nous entendons en France par type espagnol n’existe pas en Espagne, ou du moins je ne l’ai pas encore rencontré. On se figure habituellement, lorsqu’on parle señora et mantille, un ovale allongé et pâle, de grands yeux noirs surmontés de sourcils de velours, un nez mince un peu arqué, une bouche rouge de grenade, et, sur tout cela, un ton chaud et doré justifiant le vers de romance : elle est jaune comme une orange. Ceci est le type arabe mauresque, et non le type espagnol 26. » Pour décrire cette trop subtile nuance de peau – qui n’en est pas une sinon dans le jeu pigmentaire de ses représentations picturales et poétiques – Gautier tenta d’en atténuer la couleur. Dans son roman, Militona, écrit quelque temps après son voyage en Espagne, il donna encore à voir « le type [plus] parfait de la femme espagnole » : « C’était toute la pureté du style grec, mais affinée par le caractère arabe, la même perfection avec un accent plus sauvage, la même grâce, mais plus cruelle, les sourcils dessinaient leur arc d’ébène sur le marbre doré d’un coup de pinceau si hardi, les prunelles étaient d’un noir si âprement noir, une pourpre si riche éclatait dans la pulpe des lèvres, qu’une pareille beauté eût eu quelque chose d’alarmant dans un salon de Paris ou de Londres 27. » Gautier remarquait au terme de cette description, que cette figure – belle et inquiétante – au lointain sang arabe, était à sa place en Espagne, mais aurait bien pu s’avérer dérangeante dans un salon de Paris. S’agissaitil pour lui de la tenir à distance en tant qu’étrangère, pour mieux la circonscrire dans un fantasme particulier, jugé plus attirant ?

Théodore de Banville, lui, s’attachait à décrire la peau et le physique de la maîtresse de Baudelaire, qui était devenu un objet de débats très vivaces en matière de perceptions chromatiques, à la 26. Théophile Gautier, Voyage en Espagne, Paris, Garnier-Flammarion, 1981 [1843], p. 145.

27. T. Gautier, Militona, in Œuvres complètes, section 1, t. 2, Paris, Honoré Champion, 2003 [1847], p. 391 (je souligne).

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limite de l’aberration pour le lecteur d’aujourd’hui : « cette Jeanne, admirablement belle, gracieuse et spirituelle, qu’il a toujours chantée.

Vous dites : “Le visage, lustré comme l’ébène, d’une amie aux dents d’ivoire, aux cheveux crépus, a inspiré cette litanie de tendresse…”

Ne vous en déplaise, Jeanne n’était pas noire du tout ; elle était même blanche. Sans aucun doute, c’était une fille de couleur ; les créoles, qui se connaissent à ces choses, le constataient infailliblement, au moyen de cette légère ligne blanche sur l’ongle que rien n’efface, et qui est le signe distinctif ; enfin elle avait la sveltesse, le geste agile, la grâce molle et séductrice des sang-mêlé ; mais elle n’était lustrée ni comme l’ébène, ni comme rien qui soit noir. Le poète l’aimait à vingt ans, il l’aima toujours 28. » L’obsession pour la gradation des couleurs de peau trouvait ainsi sa racine dans le choc des contrastes. Jules Janin, en 1853, dans une description de la vie et de l’œuvre de Casanova, racontait que celui-ci aimait tout type de femmes, selon une gradation qui allait des Européennes aux Noires en passant par l’intermédiaire que constituaient les créoles : « il les aimait, il les aimait toutes, quelle que fût leur fortune ou leur naissance, blondes ou brunes, vieilles ou jeunes, belles ou petites ; il a aimé même des négresses et des créoles dans un temps où la créole était presque une négresse 29. » Plus tardivement, les frères Goncourt rapportaient cette expérience singulière : « Il y a un jeune Gortchakoff, à Paris, qui réalise toutes les fantaisies qui lui passent par la tête. Voici la dernière, au Café Anglais. Un domestique du Café Anglais va chercher l’autre soir chez la Farcy une femme remarquablement blanche, qu’il demande avec sa robe noire, toute en noir. La femme prête : “J’ai une voiture en bas, dit le domestique.

28. T. Banville, Lettres chimériques, op. cit., p. 347.

29. Jules Janin, « Casanova », in Histoire de la littérature dramatique, t. 1, Paris, Michel Lévy frères, 1853, p. 383.

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– Est-ce qu’il y a une autre femme ? – Oui.” La femme descend, trouve dans la voiture une négresse habillée tout en blanc 30 ».

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e mélange des genres entre Orient et licence sexuelle fut relevé par Edward Saïd 31. Les récits de voyages en Orient de Flaubert et de Nerval témoignent de la recherche d’une sexualité sans limite, qu’ils estiment caractéristique des femmes orientales, et qui était détachée du cadre rigide de la société occidentale au xixe siècle.

Ainsi toutes les femmes supposées de près ou de loin orientales étaient soupçonnées d’avoir un tempérament de feu et une sexualité plus libre. Mais au-delà du voyage qui aurait permis de concrétiser ses désirs, la fonction des images dans l’alimentation de tous ces fantasmes, reste décisive. Les travaux d’Alain Corbin retracent la constitution, au tournant du xxe siècle, d’une iconographie et d’une littérature populaires coloniales, concourant à la vision « orientalisante de la chair 32 ».

La créole, tout comme l’Espagnole, était donc toujours plus susceptible d’être sujette à la lascivité et à la paresse que l’Européenne33.

Des Travailleurs de la mer de Victor Hugo, on peut mettre en exergue la 30. Edmond et Jules de Goncourt, Journal 1851-1865, Mémoires de la vie littéraire, t. 1, Paris, Robert Laffont, 1989, p. 749 (21 nov. 1861).

31. Edward Saïd, L’orientalisme. L’Orient créé par l’occident, trad. C. Malamoud, Paris, Seuil, 1980 [1979].

32. « C’est alors que s’élaborent plusieurs types ethniques de femmes, dénudées – mais voilées dans la réalité –, telles la Mauresque, la Berbère, la Moukhère. L’accent est mis sur l’animalité fantasmée de leur sexualité, chaque femme indigène étant perçue comme une prostituée potentielle […] Une hiérarchie des races s’élabore, qui ordonne la stimulation du désir sexuel ». A. Corbin, Histoire du corps, t. 2, op. cit., p. 196. Citons aussi Christelle Taraud, « La prostituée indigène à l’époque coloniale », Quasimodo, nº 6, Fictions de l’étranger, printemps 2000, travail sur lequel s’appuie Alain Corbin.

33. Balzac, toujours à propos d’une femme créole, écrivait dans un roman : « Sa réputation inattaquée offrait aux coteries bordelaises un éternel aliment de causerie, et la curiosité des femmes était d’autant plus vive que

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considération suivante : « Elle avait la gracieuse paresse créole, mêlée d’étourderie et de vivacité 34. » Mais en littérature, il semble n’exister rien de pire que les créoles exilées et transplantées en Europe, comme le démontre un autre détour par Balzac dans La Cousine Bette : « Conseillée par la redoutable intelligence de la créole parisienne qui passe ses heures étendue sur un divan, à promener la lanterne de son observation dans tous les coins obscurs des âmes, des sentiments et des intrigues 35 […] ». Et Eugène Sue, dans Les Mystères de Paris, de tourner la femme créole en archétype du vice, de la luxure et d’une sexualité sans borne où la pulsion de possession le dispute à la fascination effrayée : « Disons-le, cette grande créole, à la fois svelte et charnue, vigoureuse et souple comme une panthère, était le type incarné de la sensualité brutale qui ne s’allume qu’aux feux des tropiques. Tout le monde a entendu parler de ces filles de couleur, pour ainsi dire mortelles aux Européens, de ces vampires enchanteurs qui, enivrant leur victime de séductions terribles, pompent jusqu’à sa dernière goutte d’or et de sang, et ne lui laissent, selon l’énergique expression du pays, que ses larmes à boire, que son cœur à ronger 36. » Edward Saïd a montré comment cette vision d’un Orient générique et globale, qui se donne d’autant plus aisément à la domination, a été construite et maintenue par l’hégémonie d’une identité européenne, et ce, bien qu’on en voit toute l’ambiguïté géographique – avec le cas d’entités la veuve offrait les indices de la constitution qui rend les Espagnoles et les créoles particulièrement célèbres. » H. Balzac, Le Contrat de mariage, op. cit., p. 542.

34. Victor Hugo, Les Travailleurs de la mer, Paris, Gallimard, 1975 [1866], p. 661.

35. H. Balzac, La Cousine Bette, in La Comédie humaine, t. 7, Paris, Gallimard, 1977 [1847].

36. Eugène Sue, Les Mystères de Paris, Paris, Robert Laffont, 1989 [1843], p. 933. Autre exemple de cet appétit insatiable, et des plus éloquents, lorsque les frères Goncourt regrettent : « C’est une des choses les plus honteuses de Paris et qui prouve bien l’absence totale d’imagination et de fantaisie du libertinage moderne, même des plus fous et des plus riches – qu’il n’y ait ni un harem de particulier ni un bordel public, où le monde soit représenté en six ou sept échantillons. Ni une maquerelle ni un Seymour n’ont pensé à avoir une Circassienne et une Japonaise, une négresse et une mulâtresse, des échantillons d’Afrique, d’Amérique et d’O’Tahiti. Toujours la même viande de boucherie ! » E. et J. Goncourt, Journal, op. cit., p. 920 (11 janvier 1963).

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intermédiaires que représentaient les créoles et les Espagnoles – et donc aussi le pouvoir d’inversion ou d’auto-exclusion.

En effet, au-delà de la peau métissée que le xixe siècle attribuait aux femmes créoles et espagnoles, dans l’imaginaire et l’imagerie qui orientalisent le monde « non européen », l’Espagne pouvait se voir assimilé aux îles colonisées. En témoigne Victor Hugo dans la préface des Orientales en 1829. À l’instar de ses contemporains, et comme l’a vu Edward Saïd, Hugo rapprochait directement les études orientales – qui tendaient à remplacer les études de l’Antiquité classique – des fantasmes que l’Orient suscitait : « […] L’Orient, soit comme image, soit comme pensée, est devenu pour les intelligences autant que pour les imaginations une sorte de préoccupation générale […]. Les couleurs orientales sont venues comme d’elles-mêmes empreindre toutes ses pensées, toutes ses rêveries ; et ses rêveries et ses pensées se sont trouvées tour à tour et presque sans l’avoir voulu, hébraïques, turques, grecques, persanes, arabes, espagnoles même, car l’Espagne c’est encore l’Orient ; l’Espagne est à demi-africaine, l’Afrique est à demi-asiatique37. » Une conception qui semble résorber les complexités culturelles en interaction dans le monde, au profit des deux entités Europe et Orient à la frontière desquelles se configurent les différences entre pays ou peuples. À la fin du xixe siècle, Zacharie Astruc se livrait lui aussi à une géographie fantasmatique, estimant que « l’Espagne solitaire au bout de l’Europe, ayant l’Afrique devant elle » était « chauffée du même soleil ». Pourtant, poursuivait-il : « L’Europe, l’Afrique, deux mondes, et, sur les deux rives, que tant de siècles et de civilisation, tant d’incompatibilité divisent, des palmiers pareils élèvent leurs frondes bercées des mêmes haleines tièdes. » Mais audelà de la géographie, ou plutôt au point nodal d’une géographie de la 37. V. Hugo, Les Orientales, Paris, J. Hetzel, 1868 [1829], p. 2.

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chair et du désir, Astruc s’intéressait davantage aux femmes espagnoles qu’à l’Espagne : « L’Espagnole fut créée pour le désir […] Pourquoi ne serait-elle pas à jamais captive 38 ? », concluait-il.

Cet orientalisme construit à travers les yeux et les désirs d’une Europe hégémonique n’était cependant possible que dans un monde poli, normalisé, excluant les différences, et c’est bien ce même monde bourgeois que Baudelaire vient mettre à mal. Walter Benjamin, lui,a montré les processus de normalisation à Paris au milieu du xixe siècle39.

Cette bourgeoisie hypocrite, dominée par un ordre strictement masculin, n’admettait aucune dérogation à l’idéal esthétique en vigueur dans la peinture académique – comme dans l’iconographie coloniale.

Baudelaire, en dépit des clichés orientalistes 40 dont sa poésie n’est pas exempte, a insuffla la possibilité d’une esthétique différente et sans hiérarchie. C’est ce que semble suggérer le premier vers du quatrain pour Lola deValence : « Entre tant de beauté que partout on peut voir », qui sous couvert d’universalisme, recèle, à n’en pas douter, la force de l’attraction pour un sujet hétérodoxe – qui ne se résout à aucune des deux identités orientale et européenne.

Espagnoles et créoles occupèrent, jusqu’au seuil du xxe siècle, le statut à la fois spécifique et mouvant d’intermédiaire géographique, racial, culturel, où le sang serait mêlé de même que le climat. Elles cristallisèrent également une certaine inquiétude, dont la littérature, on l’a vu, regorge d’exemples – certains à nos yeux extravagants, voire produits d’une pure logique impérialiste. Du reste, au registre des représentations, cette couleur de peau intermédiaire s’avère particulièrement difficile à dépeindre ou à décrire, car on ne sait jamais, au 38. Z. Astruc, Espagne. Le Généralife, sérénades et songes, Paris, L.-H. May, 1897, p. 303.

39. Walter Benjamin, « Paris, capitale du xixe siècle », in Œuvres, t. 3, trad. Maurice Candillac, Pierre Rush et Rainer Rochlitz, Paris, Gallimard, 2000 [1935], p. 44-66.

40. On se référera aussi à une autre poésie des Fleurs du mal avec « À une Malabraise ».

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fond, à quel monde elle appartient, c’est-à-dire à celui d’un « nous » ou à celui d’un « eux » – pour parler comme Edward Saïd. La créole et l’Espagnole se révèlent donc figures de frontière ; or, dans un cas comme dans l’autre, Manet en fit un sujet autoréflexif qui semble penser et réagir, par son attitude, par son regard frontal ou son sourire, à hauteur du spectateur. Il brisa l’image exotique classique à son lieu d’inscription dans l’ordre commun du désir, ce dont témoigne l’effroi qui traversa la masse des parisiens devant lors de ces expositions. C’est pourquoi le détournement des poncifs qui entourent le métissage est à prendre singulièrement au sérieux dans la réception violente qui fut celle de ces œuvres 41.

La tentative d’atténuer l’effet provocant d’Olympia, en y adjoignant une poésie lyrique et mièvre, charriant tous les lieux communs de l’orientalisme, devait ainsi fatalement échouer, puisque le poème, descriptif et allégorique, et au final si éloigné de la peinture, ne pouvait que venir s’y fracasser, creusant outre mesure l’écart séparant déjà Olympia de sa propre époque. De même, la façon dont Baudelaire oriente le regard sur Lola de Valence tient du choc et décapite l’idée alors admise de la femme orientale ; à tout le moins, on peut supposer que le spectateur masculin fut renvoyé – par l’entremise du poème sur le sexe de cette femme – à la médiocrité de sa propre sexualité (« Je comprends bien, ami, que le Désir balance »). Le dispositif est d’autant plus efficace que Baudelaire et Manet utilisèrent les mêmes moyens plastiques de détournement des poncifs qu’ils mettaient à distance ; d’un côté, par une poésie heurtée, alors considérée comme imparfaite et, de l’autre, par des schématisations picturales à la facture visible et imparfaite également – du moins pour les critères académiques de l’époque. Les observations faites par Asselineau envers Baudelaire 41. Voir É. Darragon, Manet, op. cit, p. 116-118.

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quant à « des audaces, des négligences, des violences qu’explique la nature toute spontanée de son inspiration 42 » faisaient écho au type d’observations qu’on adressait alors à Manet, à savoir que, dans ses toiles, des morceaux de peintures à la finition excellente en côtoyaient d’autres, plus sommairement ébauchés 43. Si, pour le poète et pour le peintre, l’efficacité tenait sans doute à « l’équation entre l’impression et l’expression44 », c’est-à-dire la coïncidence de l’émotion ressentie et du moyen de l’exprimer, l’efficacité du dispositif texte-image qui les réunit, elle, tenait à l’adéquation allusive de la couleur peinte à la couleur écrite, et vice versa. Est-ce donc bien dans la question de la couleur que résidait le problème d’ensemble ?

Opposer le noir au blanc est plus facile que d’opposer deux couleurs déjà proches l’une de l’autre. Les différentes descriptions de peaux métisses que l’on a parcourues tentent de concilier des impressions de couleurs contradictoires. Souvenons-nous de Balzac, par exemple : « Sa figure, tout espagnole, brune de ton, peu colorée ». Comme si, du moment où il y avait métissage, on se trouvait dans l’impossibilité d’opposer les couleurs, mais à devoir plutôt les concilier dans un mélange – ce qui explique certainement que la géographie de l’exotisme ou de l’Orient rêvé soit ainsi mouvante dans le temps. Si 42. C. Asselineau, op. cit., p. 484.

43. « Mon cher directeur, M. Manet n’a pas sans doute la prétention d’avoir fait deux chefs-d’œuvre et je crois même qu’il pouvait mener beaucoup plus loin ses tableaux qui, dans certaines parties, restent à l’état d’esquisses.

Un peintre de cette valeur devrait se méfier de son extrême facilité qui touche en quelque sorte à l’improvisation.

Mais ce défaut prouve une ardeur, une vigueur, un tempérament peu communs à notre époque. M. Manet est en grand progrès sur lui-même : dans la toile Jésus insulté par les soldats, il y a des morceaux, principalement la tête du soldat de droite, qui sont traités d’une manière extrêmement remarquable. Aussi, dans son Olympia, où la poitrine, les mains, tous les morceaux faits en un mot, peuvent servir d’enseignement aux malins de ce temps qui ameutent, en grimaçant, la foule stupide contre une personnalité très vive et très originale. » Rapinus Beaulieu, pseudonyme de Carle Desnoyer, « Salon de 1865 », in Le Hanneton (11 juillet 1865), cité par Michael Fried, Le modernisme de Manet, Esthétique et origines de la peinture moderne, t. 3, Paris, Gallimard, 2000 [1996].

44. C. Baudelaire, « Puisque réalisme il y a », in L’art romantique, édition établie par L. J. Austin, Paris, Gallimard, 1968 [1852], p. 102.

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le xixe siècle perçoit les Espagnoles comme exotiques, c’est parce qu’il se plaît à croire dans le mythe du sang-mêlé, pour ce cas précis via les lointaines conquêtes arabes ; mais ce sont les mêmes processus et croyances qui prévalent pour les origines métissées des femmes créoles. Lorsque les frontières tranchées s’estompent, on voit souvent se créer dans l’histoire de nouvelles frontières symboliques, comme autant de prises efficaces pour les processus de domination.

En conférant un statut de sujet à ces deux femmes qui regardent crûment l’amateur de peinture, Manet – tout en participant paradoxalement à cette mythologie exotique de l’odalisque – détourne et rend caduque les rêves d’exotismes, constitutifs d’une forme de désir propre à l’homme du xixe siècle. Il arrive alors que l’Autre se rapproche, transgresse les limites et les espaces configurés par ce désir, et que les barrières symboliques s’estompent à leur tour et à l’instar des frontières géographiques.

Dél ivr e r l e v iva n t d e lu i-mê m e bi oét h i que & est hétique d e l’ani m ali t é

L

Dominique Lestel

e xxe siècle est marqué par trois ruptures évolutionnistes majeures, les premières de cette envergure depuis l’invention de l’agriculture et de la domestication au Néolithique. Depuis 1945, tout d’abord, une espèce peut désormais détruire toutes les espèces sur Terre, cette dernière, a fortiori, y comprise. Depuis 1961, ensuite, année de l’exploit de Youri Gagarine, des espèces peuvent quitter la Terre. Depuis 1997, enfin, les mammifères peuvent être artificiellement clonés. Les espèces étaient jusqu’alors formées à travers une longue histoire naturelle qui façonnait les corps et les comportements en fonction des environnements adoptés et des réponses apportées aux défis rencontrés. L’évolution darwinienne obligeait les espèces à se développer à partir de mutations aléatoires sélectionnées en fonction de critères instrumentaux qu’il est pratique de résumer en des formules classiques, sibyllines mais justes : manger ou être mangé, se reproduire ou disparaître. L’humain a par ailleurs toujours manipulé le vivant à son avantage, en particulier à travers la domestication, puis avec des techniques de manipulations de la reproduction comme l’hybridation.

La f in de l’ hom m e n ’ es t pas la fin d u mo n de Anna Longo

C

Si ces dispositions venaient à disparaître comme elles sont apparues, si par quelque événement dont nous pouvons tout au plus pressentir la possibilité, mais dont nous ne connaissons pour l’instant encore ni la forme ni la promesse, elles basculaient, comme le fit au tournant du xviiie siècle le sol de la pensée classique, – alors on peut bien parier que l’homme s’effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable 1.

es paroles célèbres ne sont pas de Zarathoustra, mais en effet le surhomme de Nietzsche et la fin de l’homme de Michel Foucault, ne sont pas si étrangers l’un à l’autre. Reste que, pour en saisir le sens, on n’entreverra nulle réponse à se demander qu’est-ce que le surhomme ou l’homme posthume. Le problème est plutôt – toujours d’après ces lignes inaugurales – d’investir le mode de pensée dans lequel le concept moderne de l’homme devient impensable. Autrement dit, nous parlons d’un régime de pensée dont les coordonnées épistémiques disent adieu à l’anthropocentrisme, tendance originaire 1. Michel Foucault, Les Mots et les Choses, Paris, Gallimard, 1996, p. 398.

J U L I E N AU DE BE RT & OL I V I E R COC H E T La retraite des Dix-Mille (D’après l’Anabase), 2010

Dans cette région, la terre était unie comme la mer et couverte d’absinthe. […]

Cyrus et ses cavaliers, environ six cents, occupaient le centre […]

Im ag ina ir e m ét i s Le Mex iqu e é vang é l i s é i c o n o g r a p h i e e n c o n s t ru c t i o n

Nayelli Zabaleta Solís

d

ès le xvie siècle, le phénomène d’évangélisation qui prit place au Mexique s’effectua comme un processus accéléré de resignification dans l’ima­ ginaire indigène. Dès la prise de Tenochtitlan, capitale de l’Empire aztèque, par les Espagnols en 1521, les dynamiques et les stratégies de communication utilisées par les missionnaires 1 furent évidentes et mises en œuvre sur les parvis des églises primi­ tives, sans se limiter aux lieux vierges, pour cette catéchisation massive qui impliquera, en quelques décennies, la configuration d’une icono­ graphie métisse. Ce processus entraînera, au sein des deux cultures antagonistes, une nécessaire relativisation et redéfinition de leurs concepts cardinaux, de la réception des images, de leur utilisation et de leur mémorisation.

Tout au long du xvie siècle, le parvis des églises fut le lieu où l’utilisation systématique de l’image remporta le plus grand succès,

1. Trois ordres mendiants principaux se sont rendus en Nouvelle­Espagne : les Franciscains (1524), les Dominicains (1526) et les Augustins (1533).

A ssis/d e b o u t le ge st e t ech n i qu e Parviz Mohebbi

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ans le creuset médiatique actuel, la profusion des images venant d’ailleurs nous enfouit sous les inondations, tsunamis, guerres et burqas, mais se mêlent aussi d’autres séquences, qui montrent, furtivement, de cet ailleurs et de sa vie quoti­ dienne, un autre aspect. Pour un bref instant dans ce flux d’images documentaires, imaginons que la caméra s’arrête sur un artisan d’un certain pays – disons l’Afghanistan – assis par terre, en train de fabriquer ou de réparer un parapluie, une pièce méca­ nique, une arme automatique, ou d’autres objets techniques. Ses pieds comme ses mains travaillent et représentent eux­mêmes des outils préhensiles ou de percussion, par leurs gestes étonnamment rapides et habiles. Ils s’adressent au peu d’outils qui les entourent avec une célérité surprenante. Les gestes se succèdent en se répétant çà, en s’intensifiant là. Ils s’ajustent avec la position assise de l’artisan1.

1. Dans l’acception que nous prendrons ici, la position debout comprend aussi la position assise sur un siège.

Elle désigne une élévation du sol, assez haute pour que les pieds puissent produire de l’énergie et des mouvements horizontaux, verticaux ou circulaires. Ce en quoi elle diffère de la position assise par terre. Toute référence à la position assise, dans cet article, signifie donc « assis par terre ». Notons que le petit tabouret particulièrement bas utilisé en Inde ne sert pas à s’élever du sol mais de protection contre le sol humide. Dans ce cas spécifique on est toujours assis par terre.

La ch am b r e b l eu e Sohrab Sepehri

A

u fond de notre jardin il y avait une loge pour le valet de l’étable. Au-dessus de la loge, il y avait une chambre qui était bleue. Elle se nommait la « chambre bleue », du moins en parlaiton ainsi. La loge et l’étable étaient partiellement construites sous le niveau du jardin, de sorte que, depuis les ouvertures du haut des mangeoires, on apercevait la tête des animaux jusqu’au cou. Un couloir suivi de trois marches menait à la chambre bleue qui entretenait une réelle intimité avec la terre. Nous vivions dans cette chambre.

Ma mère, un jour qu’elle entrait dans la chambre bleue, vit un serpent lové dans une des niches ; elle prit peur et quelle peur : le jour même nous émigrions de la chambre bleue pour aller dans une chambre située au nord de la maison. Une chambre blanche à cinq porte-fenêtres où nous devions restés. Alors que la chambre bleue, elle, resta vide jusqu’à la fin.

Dans le traité de Sang Hyang Xamahâyânikan qui décrit le bouddhisme mahyna1 de Java, il est dit : « Regarde la position des mudrs 1. Mahynisme : originellement de Java, désigne une des branches ou « écoles » du bouddhisme et par conséquent une des voies d’apprentissage du bodhisattva. Le culte de Mahyna, qui incarne le « grand véhicule », s’est diffusé notamment de l’Inde à travers tout l’Extrême-Orient, en Chine, au Japon, au Vietnam, en Corée, à Singapore, à Taïwan, au Tibet, au Népal, au Bhoutan et en Mongolie.

Ont participé à ce numéro : Hossein Mortezaeian Abkenar Écrivain et scénariste, vit et travaille à Téhéran. Auteur de recueils de nouvelles et de romans, comme Le Concert des târs interdits (1999), Parfum français (2003), pour lesquels il s’est distingué, notamment avec le prix Golshiri en 2006 pour Le Scorpion à la gare d’Andimechk (2006) ; tous publiés en Iran. Ce dernier roman a fait l’objet d’une traduction française : Le Scorpion, Paris, L’œuvre, 2011. Il enseigne la littérature à l’université de Téhéran. Il a écrit entre autres le scénario du film No one knows about Persian Cats de Bahman Ghobadi (2009).

Abbas Akhavan Artiste, vit et travaille à Toronto. Sa pratique va de l’installation éphémère, au dessin et à la vidéo. Il a plus récemment travaillé au concept de « paysage domestique » (le jardin, la cour…). Son travail a été exposé au Canada à la Vancouver Art Gallery et chez Artspeak, mais aussi au Musée d’art moderne Kunsten (Danemark), au Printemps de septembre (Toulouse) et à la galerie Third Line (Dubaï). Ses expositions à venir se tiendront au Darling Foundry, Mercer Union (Canada) et au Belvedere Museum (Autriche).

Julien Audebert Artiste, vit et travaille à Paris. Son travail a fait l’objet d’expositions, notamment à la galerie Kamm de Berlin (2008), à la galerie Art Concept de Paris (2008) et la galerie InExtenso de Clermont-Ferrand (2009) mais aussi à Art Basel en Suisse ou Santa Barbara Contemporary Art Forum aux Etats-Unis. Ses œuvres sont entrées dans plusieurs collections publiques.

Olivier Cochet Chercheur en physico-chimie et biologie, vit et travaille à Paris. Il a travaillé au sein des universités de Paris I Panthéon-Sorbonne (2008) et Vrije Universiteit à Amsterdam (2007).

Après des recherches sur les phénomènes collectifs dans les systèmes quantiques, il prépare actuellement une thèse à l’Institut Curie (Université Paris VI) sur la physique des comportements cellulaires collectifs et leur rôle dans la morphogénèse vivante. http://www.abstrax.fr

Jordi Colomer Artiste, vit et travaille entre Barcelone et Paris. Son œuvre, marquée d’un fort sens sculptural, englobe de multiples disciplines et tout particulièrement la photographie et la vidéo ainsi que leur mise en scène dans l’espace d’exposition. Dans ces œuvres-voyages, la thématique du déplacement est un leitmotiv, ainsi que les possibilités de survie poétique qu’offre la métropole contemporaine.

Il a exposé son travail en diverses occasions, au Bronx Museum, NYC (2010), au MOCA de Hiroshima (2009) ou encore au Jeu de Paume, Paris (2008). http://www.jordicolomer.com/

Michel Foucault (1926-1984) Philosophe, il est l’auteur d’une œuvre majeure et traduite dans bon nombre de pays, notamment Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge classique (1961), Les Mots et les choses (1966), L’archéologie du savoir (1969), Surveiller et punir (1975), L’histoire de la sexualité (3 tomes, 19761984), ainsi que ses nombreux cours au Collège de France. Il fit deux voyages pour des reportages

en Iran, entre septembre et novembre 1978, pour le journal italien le Corriere della sera et le journal français Le Nouvel Observateur, voir Michel Foucault, Dits et écrits, t. 2, 1976-1988, Paris, Quarto Gallimard, 2001, p. 679-694 et p. 701-716.

Robert Gluck Pianiste, compositeur et historien, vit et travaille à New York. Il a publié plusieurs articles notamment dans les revues Computer Music Journal, Leonardo Music Journal, Organized Sound,Tav +, Journal SEAMUS. Il est l’auteur d’un livre à paraître, You’ll Know WhenYou Get There: Herbie Hancock and the Mwandishi Band (University of Chicago Press). Parmi ses enregistrements discographiques, Something Quiet (FMR, 2010) et Extended Family pour Neil Rolnick (Innova, 2010). Il est Professeur associé de musique et directeur de l’ Electronic Music Studio à l’ Université d’Albany (New-York). http://www.electricsongs.com/

Damien Guggenheim Artiste, Vit et travaille à Paris. Ses œuvres ont été exposées à Paris, Genève et Bruxelles.

Dernière exposition : Dessin aujourd’hui et demain 5, exposition collective organisée par Eric Winarto, avec Paula Mueller, Emilie Satre, Christian Vetter, Eric Winarto, du 10 au 30 décembre 2010, Espace Kugler, Genève.

Magali le Mens Historienne de l’art, vit et travaille entre Paris et Lille où elle est chargée de mission au LaM (Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut). Elle a publié avec Jean-Luc Nancy, L’hermaphrodite de Nadar (éd. Créaphis, 2009) et publiera prochainement Modernité de l’hermaphrodisme dans la collection Fabula des Presses du réel.

Dominique Lestel Philosophe et éthologue, vit et travaille à Paris. Il développe depuis quelques années une anthropologie philosophique des rapports homme-animal, . Maître de conférences à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm et au Muséum National d’Histoire Naturelle, il a publié entre autres Les origines animales de la culture, Flammarion, 2001 ; Voyage au bout de l’espèce, avec T. Bardini, Dis Voir, 2010 ; L’animal est l’avenir de l’homme. Munitions pour ceux qui veulent (encore) défendre les animaux, Fayard, 2010.

Anna Longo Philosophe, vit et travaille entre Paris et Sienne. En doctorat de philosophie à l’Université de Sienne et à l’Université Paris 1 La Sorbonne, elle mène son travail de thèse sur le concept de répétition dans l’art depuis les années 1960 jusqu’à aujourd’hui et les rapports entre l’art et la science. Elle a également travaillé pour la galerie d’art contemporain Artericambi à Vérone.

Parviz Mohebbi Historien des techniques, vit et travaille à Paris. Collabore en tant que chercheur associé avec le CNRS (Monde iranien et indien) ainsi qu’avec l’Encyclopaedia Iranica, New York, Université de Columbia. Il a publié notamment Techniques et ressources en Iran du VIIe au XIXe siècle, Institut français de recherche en Iran, Téhéran, 1996. Il a été récemment l’auteur du chapitre “Technology”, dans l’ouvrage de Ziva Vesel & al., Images of Islamic Science, vol. 1, Illustrated manuscript from the Iranian World, p. 263-282, UNESCO/ CNRS, Institut français de recherche en Iran, 2009. http://parviz.mohebbi.perso.sfr.fr

Rosa Montazami (1922-2009) Cuisinière iranienne, elle a enseigné à Téhéran, et publié en deux tomes l’ouvrage de référence sur la cuisine iranienne, Honare âshpazi (L’art culinaire), Téhéran, éditions Ketâbe Iran, t. 1, 1966, t. 2, 1992.

Bagher Parham Écrivain et traducteur, il a enseigné en économie et en littérature à l’Université de Téhéran et vit désormais aux Etats-Unis. Il est l’auteur des ouvrages suivant en farsi : La Masse et le gouvernement, Téhéran, éd. Farzân-e rouz, 1999 ; Sous le regard de Ferdowsi : les fondements de critique de la raison politique en Iran, Téhéran, éd. Markaz, 1998 ; De l’âme de la critique et de la critique de l’âme, Téhéran, Agah, 1985. Il est aussi l’auteur de très nombreuses traductions, notamment vers le farsi (Hegel, Marx, Durkheim, Leo Strauss, Jean Wahl…)

Martí Peran Critique d’art et commissaire d’exposition, vit et travaille à Barcelone. Il a collaboré à de nombreux catalogues d’exposition et de revues comme Transversal (1996-2002) et collabore toujours avec Exit Express, Artforum International et plus particulièrement Roulotte. Parmi les expositions dont il fut récemment commissaire, Post-it City. Occasional Cities (CCCB, Barcelone, 2008 ; MAC Santiago du Chili, Centre culturel de Sao Paulo, 2009); After Architecture (Arts Santa Mònica, Barcelone, 2009). http://www.martiperan.net/

Sohrab Sepehri (1928-1980) Il fut l’un des premiers et des plus importants poètes de ce qu’on a appelé « La nouvelle poésie » en Iran, mouvement initié dans les années 1920. Parmi ses recueils de poésie, La Mort de la couleur (1951), La Vie des rêves (1952), Décombres du soleil (1961), Champ vert (1967) et l’anthologie Huit livres (1977) tous publiés en Iran ; pour les traductions en français voir l’éditorial de ce numéro. Mais Sohrab Sepehri qui avait voyagé dans le monde entier, était aussi, et peut-être avant tout, peintre. Il a exposé son travail de 1962 à 1978, dans les villes de Paris, New York, Téhéran, Chiraz, Sao Polo…

Nayelli Zabaleta Solís Historienne de l’art, vit et travaille entre Mexico et Sienne. En doctorat d’histoire de l’art et d’études visuelles à l’université de Sienne, elle est lauréate de la bourse du Conseil national pour les arts et la culture du Mexique, et collabore actuellement avec l’Institut d’histoire de l’art allemand de Florence.

Bulletin de commande (à découper ou sur papier libre) Prix de vente par correspondance de la revue Zamân : – France : 15 euros – Étranger : 18 euros Je désire commander … exemplaire(s) du numéro 3 soit … euros Je désire commander … exemplaire(s) du numéro 4 soit … euros Je désire commander … exemplaire(s) du numéro 5 1 soit … euros Total de la commande ......... euros Mon règlement par chèque est fait à l’ordre de Siempra et envoyé à Zamân 49 rue d’Aboukir, 75002 Paris, France.

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Informations et vente par correspondance : zaman-revue.com 1. À paraître à l’été 2011