Le co développement avec l'afrique en 8 questions

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Le co-développement industriel avec l’Afrique en huit questions

Si l’Afrique est courtisée pour ses matières premières, son taux de croissance, et ses marchés, elle attire de plus en plus d’industriels en quête de partenariats de production, notamment au Maghreb. Depuis quelques mois, les médias, les cabinets de conseil et même le Gouvernement vantent les mérites de la « colocalisation industrielle ». La France est invitée à s’inspirer du modèle de coopération existant entre l’Allemagne et les ex-pays de l’Est. Elle pourrait ainsi redéployer une partie de son appareil productif dans les pays au sud de la Méditerranée, avec qui elle partage une proximité géographique et culturelle. Pour les industriels, cela permettrait non seulement d’accéder à de nouveaux marchés mais également de renforcer leur compétitivité coût et hors-coût sur le marché européen. Pour les pays du Sud, les avantages se formulent en termes de transferts de compétences et de rattrapage technologique. Ces partenariats « gagnant-gagnant » ne sont néanmoins pas sans risque.


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SOMMAIRE Question 1 : En quoi la stratégie des entreprises allemandes à l’international diffère-t-elle de celles françaises ?

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Question 2 : Quels sont les facteurs qui ont conduit les entreprises allemandes à segmenter leur chaîne de production avec les pays d’Europe centrale et orientale (PECO)

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Question 3 : Cet « effet de bazar » a-t-il globalement été favorable à l’économie allemande ?

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Question 4 : Les pays au sud de la Méditerranée peuvent-ils constituer une base arrière de l’industrie française, comme les PECO le font pour l’Allemagne ?

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Question 5 : Quels types de partenariats sont engagés avec les pays au sud de la Méditerranée ?

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Question 6 : Quels sont les effets sur l’économie française du développement des partenariats de production ?

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Question 7 : Ces partenariats peuvent-ils être généralisés à l’Afrique subsaharienne ?

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Question 8 : Quelles sont les opportunités à saisir en Afrique subsaharienne ?

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Question 1 En quoi la stratégie des entreprises allemandes à l’international diffère-t-elle de celles françaises ?

Plusieurs études ont montré que l’écart de compétitivité séparant les entreprises industrielles allemandes et françaises s’expliquait en partie par des stratégies différentes en matière d’internationalisation1. Alors que les grandes entreprises françaises privilégient l’investissement à l’étranger et la production depuis leurs filiales étrangères, leurs homologues d’outre-Rhin externalisent des segments intermédiaires de leur chaîne de valeur dans des pays émergents ou en transition. L’Allemagne importe ainsi, depuis des filiales implantées dans des pays à moindre coût, des composants et des produits semi-finis, qu’elle transforme ensuite sur son sol en produits finis. Le cas des échanges dans le secteur automobile illustre cette divergence entre les deux pays (cf. Encadré 1). Encadré 1. Des stratégies automobiles différentes en France et en Allemagne

La France importe pour consommer, l'Allemagne pour produire.

En 2011, 45 % de la production de voitures particulières par les constructeurs automobiles allemands s’est effectuée sur le territoire domestique, contre seulement 30 % pour les constructeurs français. La même année, les exportations automobiles allemandes étaient constituées aux trois quarts de véhicules et pour un quart seulement de pièces détachées. En revanche, les véhicules représentaient seulement 59 % des importations. Les constructeurs automobiles français font davantage le choix de la proximité des marchés et privilégient donc, plus que l’Allemagne, la production par leurs filiales à l’étranger. Les véhicules représentaient en 2011 une part des exportations moins importante qu’en Allemagne (63 %) et une part des importations plus importante (73 %). Source : Douanes françaises.

1 Fontagné L. et Gaulier G., 2008, « Performances à l’exportation de la France et de l’Allemagne », Conseil d’analyse économique. Fontagné L. et Toubal F., 2010, « Investissement direct étranger et performances des Entreprises », Conseil d’analyse économique

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Question 2 Quels sont les facteurs qui ont conduit les entreprises allemandes à segmenter leur chaîne de production avec les pays d'Europe centrale et orientale (PECO)2 ?

Géographiquement proches, les PECO sont des partenaires historiques de l’Allemagne, traditionnellement privilégiés dans les échanges. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne a certes exercé une politique étrangère de retenue. Mais, selon Pierre Verluise3, les dirigeants allemands ont favorisé dès 1960 des mouvements de réimplantation d’entreprises partout où il y avait eu une présence allemande avant 1945, qu’elle ait été démographique ou culturelle. Ce processus s’est accéléré après la chute du Mur en 1989 et la fin du communisme en 1991, la réunification ayant permis une redéfinition de la sphère d’influence allemande au sein des PECO. L’Allemagne a progressivement réussi à restructurer puis à intégrer le tissu industriel des PECO, hérité de la période communiste, dans son propre système productif grâce à une conjonction de plusieurs facteurs. D’une part, comme le souligne l’IPEMED, les PECO ont largement bénéficié des fonds européens qui leur ont été accordés pour mettre à niveau leurs économies dans la perspective de leur adhésion à l’Union européenne. Les investissements massifs consentis dans les infrastructures de ces pays ont facilité la division du travail allemande. D’autre part, l’Allemagne a pu également compter sur une main d’œuvre qualifiée à l’Est. Dans la plupart des PECO, la part de la population active ayant atteint au moins un niveau de formation secondaire généraliste ou professionnelle était de 80 % un an avant leur adhésion à l’UE en 2003, contre 64 % dans l’UE 15. Cela s’explique en grande partie par la place importante qu’occupait l’industrie dans les économies communistes4. Enfin, selon Guillaume Duval5, ce redéploiement d’activité a également été rendu possible grâce au management des entreprises allemandes et à la place qu’y occupent les syndicats de salariés. En effet, les directions ont pu conduire ces délocalisations sans heurts puisqu’elles découlaient de négociations au sein des conseils de surveillance paritaires, les représentants des salariés étant étroitement associés à la gestion des entreprises.

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Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Slovénie, Slovaquie, République tchèque. Pierre Verluise, 2005, « Géopolitique de l'Europe. L'Union européenne élargie a-t-elle les moyens de la puissance ? », Edition Ellipses. 4 COLISEE, 2003, « Economie des PECO entrant dans l'Union Européenne », octobre. 5 Duval G., 2013, « Made in Germany : Le modèle allemand au-delà des mythes », Edition Le Seuil 3

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Question 3 Cet « effet de bazar » a-t-il globalement été favorable à l’économie allemande ?

Au milieu des années 2000, cette imbrication économique croissante de l’Allemagne et des PECO a suscité de nombreux débats, alimentés notamment par le professeur Hans Werner Sinn de l’Institut für Wirtschaftsforschung. Selon lui, l’économie allemande est devenue une plate-forme de réexportation, qualifiée d’économie « de bazar »6. Dans une telle économie, les exportations ont un fort contenu en importations et génèrent peu de valeur ajoutée. En réalité, de nombreuses études7 ont montré que cet effet a été plus que compensé par les gains de compétitivité ainsi engendrés et par la croissance des exportations de l’industrie allemande. En faisant fabriquer une part de leurs produits à faible valeur ajoutée dans cet Hinterland, comme l’avaient fait vingt ans plus tôt les sociétés japonaises en s’appuyant sur les pays émergents d’Asie, l’Allemagne bénéficie d’un avantage compétitif important. Elle peut, en effet, incorporer dans les biens finaux des produits intermédiaires fabriqués à des niveaux de productivité et de qualification élevés mais pour des coûts plus faibles. D’après les données de l’Organisation internationale du travail (OIT), les coûts salariaux dans le secteur manufacturier de ces pays, alors candidats à l’entrée dans l’UE, représentaient à la fin des années 1990 en moyenne moins de 10 % des coûts salariaux allemands. Le renforcement de la compétitivité-coût allemande lui a permis d’investir davantage dans la recherche et développement et de miser très fortement sur les aspects hors prix de ses produits. Les travaux de la direction du Trésor8 montrent ainsi que l’Allemagne est parvenue, sur la période 2000-2007 à accroître ses avantages comparatifs dans des domaines à contenu technologique plutôt élevé, à forte valeur ajoutée et d’assez haut de gamme, tout en se désengageant des domaines à faible valeur ajoutée et à faible contenu technologique. En conservant les activités amont (conception) et aval (marketing), l’offre de produits allemands bénéficie de l’image de marque associée au made in Germany, synonyme de qualité, alors même qu’elle intègre peu de contenu en travail allemand. Il faut en effet

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Sinn H.-W., 2004, « Basar-Ökonomie, ifo-Standpunkt », n° 50, janvier. Lallement R., 2006, « Investissement direct, compétitivité et attractivité », Regards sur l'économie allemande ; CAS, 2010, « Quel réequilibrage pour les moteurs de la croissance allemande », note de veille, n°176 8 :Madariaga N., 2009, « Spécialisationsà l'exportation de la France et de l'Allemagne : similitude ou divergence ? », n°68, DGTPE – Trésor-Eco 7

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rappeler que, pour la Commission européenne, seule « la dernière étape de transformation » définit le pays d’origine d’un produit. Une voiture composée à 90 % de pièces détachées étrangères peut ainsi être considérée comme allemande si elle est assemblée en Allemagne9. La proximité géographique a également permis aux industriels allemands de maintenir un contrôle permanent sur la qualité des biens produits. D’après l’institut COE-Rexecode, qui interroge chaque année les importateurs européens10, les biens allemands jouissent généralement d’une meilleure réputation en termes de qualité, de robustesse, de fiabilité, de service… La qualité perçue, l’image de marque supérieure de ses produits lui permettent de fixer des prix sensiblement plus élevés que leurs concurrents français. On note donc que les investissements allemands, conjugués au processus d’adhésion des PECO à l’UE, ont joué un rôle fondamental dans la transition et le rattrapage économique de ces derniers. Ces pays ont progressivement pu bénéficier de transferts de savoir-faire, ce qui a facilité leur montée en gamme sur des activités à plus forte valeur ajoutée11. Ce phénomène s’accompagne mécaniquement d’une augmentation du coût du travail. Selon une étude de la BNP Paribas, le salaire brut mensuel, exprimé en parité de pouvoir d’achat est passé en moyenne sur la zone de 720 à 1 100 euros entre 2001 et 2008, soit une progression moyenne de 6,2 % l’an12. Cette situation conduit d’ailleurs les entreprises allemandes à s’intéresser de plus en plus au bassin méditerranéen. Elles se sont notamment fortement déployées en Tunisie et y développent, autour de leurs sites de production, des activités à forte valeur ajoutée (administration, design, R&D, etc.) mobilisant la main d’œuvre qualifiée locale. Les transferts de compétences que cela occasionne contribuent à renforcer l’intégration industrielle de l’Allemagne et de la Tunisie13.

9 En 2012, le Commissaire européen à l’Union douanière, Algirdas Semeta, a remis en cause la stratégie d’ « économie de bazar » outre Rhin qui, selon lui, relève d’une pratique de concurrence déloyale. Il a donc suggéré de réserver l'appellation d'origine « made in Germany » uniquement aux produits dont la fabrication a eu lieu à 45 % en Allemagne. 10 COE Rexecode, 2013, « Enquête qualité-prix auprès des importateurs européens ». 11 Freudenberg M., Lemoine F., 1998, « Les dix pays candidats et l’union européenne : l’intégration en marche », la lettre du CEPII, n°169, juin. 12 Vincent A., 2010, « PECO : la convergence à l’épreuve de la crise », note de conjoncture, BNP Paribas, janvier. 13 IPEMED, 2012, « Les industriels allemands en Tunisie: Précurseurs d’un nouveau modèle de coopération Nord-Sud ».

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Question 4 Les pays au sud de la Méditerranée peuvent-ils constituer une base arrière de l’industrie française, comme les PECO le font pour l’Allemagne ? Voulant s’inspirer de ce qui a fait la force des industriels allemands, le Gouvernement, les médias et certains observateurs14 invitent la France à envisager une stratégie analogue avec les pays au sud de la Méditerranée. Ces pays, et tout particulièrement ceux du Maghreb, plus proches, présentent de nombreux atouts pour les industriels français. D’une part, le coût du travail y est plus faible qu’en Europe. A titre d’exemple, le salaire minimum marocain est de 250 euros par mois. A cela, il faut ajouter la disponibilité de la main d’œuvre et la présence de ressources qualifiées (ouvriers, techniciens, ingénieurs, diplômés), souvent insuffisamment nombreuses en Europe. On note également une importante capacité des universités et des centres de formation locaux à développer d’étroites collaborations avec les entreprises et les écoles françaises. Ces dimensions sont essentielles pour nouer des partenariats de production notamment dans des secteurs où les exigences en matière de technicité et de qualité ou encore les contraintes liées aux normes de sécurité sont importantes. La proximité géographique des pays au sud de la Méditerranée est aussi un élément clé. Elle permet de limiter les coûts logistiques, notamment de transport, par rapport aux localisations asiatiques. La proximité des fuseaux horaires et la langue commune sont autant de facteurs facilitant les déplacements des équipes européennes sur des sites méditerranéens. Dans les secteurs aéronautique et électronique, cette proximité permet par exemple des interactions entre les centres de design situés en Europe et les sites de production. Par ailleurs, ces partenariats de production sont soutenus par les autorités publiques qui ont mis en place de nombreuses mesures incitatives pour attirer les entreprises étrangères : les entreprises exportatrices sont exonérées d’impôt pendant dix ans en Tunisie, cinq ans au Maroc. S’ajoutent à cela diverses aides visant à stimuler les investissements. Renault a ainsi obtenu du gouvernement algérien qu’aucun de ses concurrents ne puisse s’établir dans le pays pendant les trois prochaines années, ce qui lui permet de conforter ses positions (notamment vis-à-vis de Volkswagen)15. Le système douanier est aussi particulièrement intéressant. Outre la création de zones franches, certains pays comme la Tunisie ont systématisé le dédouanement des industriels.

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McKinsey, 2012, « Industrie 2.0 : cinq pistes pour permettre aux industriels français de tirer parti de la mondialisation » Déclaration à la presse du Ministre de l’industrie algérien, Chérif Rahmani, le 20 décembre 2012, lendemain de la signature de l’accord définitif entre le gouvernement et le constructeur français

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Partant de ces constats, le succès d’une stratégie productive d’hinterland, pour reprendre le terme usuel concernant l’Allemagne, dépend de la capacité des pays du Sud à relever plusieurs défis. D’une part, il s’agit de miser sur la professionnalisation de la main d’œuvre car, contrairement aux PECO, ces pays n’ont pas de tissu industriel très développés. Une culture industrielle insuffisante peut se traduire par exemple par un manque de mobilité de la main d’œuvre, des niveaux élevés d’absentéisme… Il existe dans ces pays des viviers de diplômés chômeurs mais tous n’ont pas de formation professionnelle. Cela entraîne deux types de coûts pour les entreprises : un coût de formation des employés locaux (création d’un centre de formation, tutorat par des cadres français…) et le financement de postes d’expatriés pour les postes à haute responsabilité (direction d’usine notamment). Ainsi, les projets d’industriels français au sud de la Méditerranée s’accompagnent généralement de la création de centres de formations. Les pouvoirs locaux les cofinancent souvent, par souci d’attractivité mais également dans le but de susciter des externalités positives bénéfiques à l’ensemble de l’industrie locale. STMicroelectronics, au Maroc et en Tunisie, s’est par exemple associé aux institutions locales, en partenariats avec des écoles et des universités françaises, afin de mieux ancrer les métiers liés à l’électronique et aux semi-conducteurs dans les formations existantes. Toutefois, étant la première entreprise de haute technologie à avoir ouvert un centre de R&D en Tunisie, le groupe a dû faire face à un turnover important des ingénieurs recrutés et formés16. D’autre part, dans la plupart des pays mentionnés, le secteur privé local reste peu développé et peu diversifié. Les conditions d’accès au financement sont souvent jugées draconiennes et les procédures trop rigides. A titre d’exemple, selon l’office des statiques algériennes, seuls 9,5 % des 1 020 058 entreprises réparties sur le territoire en 2011 relèvent du secteur industriel. Les autres sont des entreprises commerciales et des entreprises de services, individuelles ou de faible taille. Le tissu de sous-traitants industriels est donc absent. Or, il est essentiel de développer une industrie intermédiaire locale, fiable et performante, qui réalise l’intégration des composants techniques importés avec ceux produits localement. Faute d’un tissu industriel capable de produire localement à grande échelle, le développement de partenariats de production se trouve freiné. Le climat des affaires ne contribue pas non plus au développement du secteur privé. Ces pays se caractérisent, entre autres, par le rôle central de l’État et le maintien d’un système très bureaucratisé ; l’adoption d’une loi n’y est pas une garantie de sa bonne exécution. On note toutefois que certains pays déploient aujourd’hui des efforts importants pour améliorer l’environnement des affaires. Au Maroc, l’Etat a conclu avec le secteur privé un Pacte national d’émergence industrielle, dont l’objectif est de relancer les filières industrielles où le Royaume peut se considérer comme compétitif, de renforcer le tissu entrepreneurial et d’améliorer l’efficience de ses programmes. En Algérie, le gouvernement annonçait en juin 2013 sa nouvelle politique industrielle, avec notamment cent propositions pour l’amélioration du climat des affaires dans le pays.

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Cascioli M., Mortelier G., 2011, « Convergence en Méditerrannée », IPEMED. 9


Question 5 Quels types de partenariats sont engagés avec les pays au sud de la Méditerranée ?

Compte tenu de leur proximité géographique et culturelle, les entreprises françaises ont noué depuis longtemps des relations économiques privilégiées avec les pays au sud de la Méditerranée. Les entreprises de ces pays ont longtemps été cantonnées aux phases d’assemblage à faible valeur ajoutée et à faible qualification. Depuis le début des années 2000, cela est en train d’évoluer. Certains pays, plus particulièrement ceux du Maghreb, redéfinissent leur stratégie de développement : ils entendent saisir des opportunités dans des secteurs à plus forte valeur ajoutée et initier des sauts technologiques. Outre les partenariats dans les filières « traditionnelles » comme l’énergie, l’agro-alimentaire et le textile, des projets se développent dans l’automobile, aéronautique, les TIC… révélant de nouvelles dynamiques productives pouvant modifier l’insertion de ces pays dans les chaines de valeur mondiales. Ces projets sont encouragés par les gouvernements locaux à travers le développement de parcs technologiques. On en dénombre quatre au Maroc et cinq en Tunisie. L’Algérie prévoit de développer des parcs dans le domaine de la pétrochimie et de la pharmacie et le Maroc prévoit à terme 22 parcs industriels aux standards internationaux. Les transferts de compétences des entreprises françaises devraient permettre aux pays du sud de la Méditerranée de diversifier leurs économies et d’enclencher un rattrapage technologique. La montée en gamme des filières est un objectif phare des gouvernements locaux, comme le montre l’exemple du Maroc dans l’aéronautique (cf. Encadré 2). Encadré 2. Le Maroc souhaite monter en gamme dans l’aéronautique Le Maroc est devenu un pays incontournable pour la fabrication et l’assemblage d’équipements d’avions. Le Royaume est positionné sur des segments industriels faisant appel à une main d’œuvre qualifiée et nombreuse. Dans les prochaines années, le pays ne souhaite plus seulement optimiser le triptyque qualité-coût-délais et la flexibilité de la production : il souhaite quitter le statut de base industrielle low cost et intégrer davantage d’activités à forte valeur ajoutée. Le Maroc couvre aujourd’hui toute la palette des métiers du secteur aéronautique : production et assemblage de pièces, d’équipements et de systèmes, câblage, électronique, traitement de surface et chaudronnerie, usinage et mécanique de précision, maintenance des moteurs et des avions, études et ingénierie… ainsi que divers services d’accompagnement. Des efforts sont notamment réalisés dans les domaines du marketing et de la veille technologique. L’objectif affiché est de faire monter en gamme son industrie aéronautique afin d’étendre son offre à des activités connexes comme le spatial, la défense, l’électronique embarquée ou encore les matériaux composites. En septembre 2013, a ainsi été inauguré le Midparc, plateforme industrielle visant à étoffer son offre d’infrastructures. Les sociétés qui s’y installent sont exonérées d’impôts pendant cinq ans et bénéficient d’une exonération fiscale de 2,5 % pour les dix années suivantes. Bombardier-Maroc sera la première usine à s’installer dans ce hub aéronautique de Casablanca. Outre les différentes mesures prises par le gouvernement pour attirer davantage d’industriels de référence mondiale et diversifier ses métiers, il faut souligner la prédisposition des sous-traitants marocains à s’insérer dans des clusters en vue de bénéficier du levier de l’apprentissage inter-organisationnel.

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Tableau 1. Exemples de partenariats productifs noués entre des entreprises françaises et des entreprises au sud de la Méditerranée AEROLIA

RENAULT

ST MICROELECTRONICS

SECTEURS

AERONAUTIQUE

AUTOMOBILE

ELECTRONIQUE

ACTIVITES

Filiale d’EADS, n°1 français des aérostructures et acteur mondial pour la conception et la production de fuselages d’avion

Constructeur automobile

Fabrication de semiconducteurs pour des usages spécifiques (circuits intégrés, circuits analogiques…)

IMPLANTATION

Tunisie et Maroc depuis 2012

Maroc et en 2014 en Algérie

Tunisie, Maroc

ACTIVITES COUVERTES

Spécialisé dans la production de pièces élémentaires laissant les productions les plus sophistiquées, notamment les composites, à l'Europe. En Tunisie, l’unité de production assure le montage de sousensembles simples et intègre un réseau local de sous-traitance. Ouverture d’une usine au Maroc pour répondre aux fortes augmentations de cadence demandées par son client Airbus.

Production de différents modèles d'entrée de gamme (Lodgy et Dacia Dokker), des voitures entièrement conçues au Maroc. En Algérie, création d’une usine d’assemblage pour le marché local et l’Afrique subsaharienne.

Au Maroc : assemblage et test de produits (…) ; ouverture d’un centre de design spécialisé dans la conception de circuits intégrés et développement de logiciels. En Tunisie : développement d’un centre de R&D. Première entreprise de haute technologie à avoir établi un centre de R&D en Tunisie.

OBJECTIFS ET FACTEURS DETERMINANTS

Recherche de diminution de coût de production tout en maintenant les délais. Proximité géographique qui permet de limiter les temps de transport. Proximité culturelle et faible décalage horaire qui facilitent la gestion de projets complexes nécessitan3ts le soutien des équipes en France. Qualité de la formation des techniciens et des ingénieurs.

Au Maroc : Produire des véhicules low cost destinés essentiellement aux marchés européens. Exporter facilement sa production via le port de Tanger Med. En Algérie : renforcer son leadership sur le deuxième plus grand marché automobile d’Afrique.

Possibilité de bénéficier des ressources qualifiées à des coûts réduits même si elles nécessitent des formations adaptées. Embauche d’ingénieurs difficiles à trouver en Europe à des coûts plus modérés qu’en Europe. Production de composants technologiques de haute qualité.

IMPLICATIONS

Développement d’un réseau de fournisseurs français et européens implantés dans les deux pays mais aussi locaux. Aerolia s’appuie au Maroc sur la création en 2011 de l'Institut des métiers de l'aéronautique (IMA) pour recruter. Aerolia, entend créer en Tunisie une chaîne aéronautique complète avec le développement d’une activité d’engineering (calcul et dessin de structures) pour répondre aux besoins de l’Europe dans ce domaine.

Développement d’un réseau de fournisseurs français mais aussi marocains. Les employés recrutés localement sont formés dans les locaux de l’Institut de Formation des Métiers de l’Industrie Automobile (IFMIA) inauguré en 2011.

ST Microelectronics a établi des partenariats avec des universités et des écoles techniques locales mais aussi françaises pour contribuer au développement d’un savoir- faire solide en micro-électronique.

Source : La Fabrique de l’industrie, d’après les travaux de l’IPEMED

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Question 6 Quels sont les effets sur l’économie française du développement des partenariats de production ?

La question est fréquemment posée : quel est l’impact de ce type de partenariats sur l’emploi en France ? Le co-développement se fait-il au détriment de l’investissement industriel dans notre territoire ? Il apparaît que, comme dans le cas allemand, les gains escomptés en termes de compétitivité et de nouvelles opportunités d’affaires relativisent cet effet négatif redouté17. Dans le secteur aéronautique par exemple, les entreprises françaises implantées au Maghreb bénéficient de viviers d’emplois à bas coût mais aussi d’un accès à des volumes de production leur permettant de rester dans la course à l’innovation. En renforçant leur compétitivité coût, ces entreprises sont à même de saisir de nouvelles opportunités de marchés. Les marges supplémentaires dégagées peuvent être réinvesties, créant en France des emplois moins directement exposés à la concurrence internationale (services de comptabilité, de gestion, de marketing, de conception ainsi que les métiers liés aux étapes plus techniques de mise en production). En outre, l’augmentation de l’activité de l’entreprise a un impact sur celle de ses fournisseurs français. La création d’unités de production d’Aérolia en Tunisie a par exemple entrainé l’implantation de plusieurs soustraitants français (Figeac Aero, Corse Composites aéronautiques, Mecahers…). Dans d’autres secteurs comme l’automobile, ces partenariats de production peuvent aussi servir de base pour les exportations au Moyen-Orient et en Afrique subsaharienne. Le développement de ces partenariats de production soulève parfois une seconde question, concernant le rattrapage économique des pays méditerranéens. Cela pourra à l’évidence les amener à se positionner sur des segments de fabrication de produits intermédiaires ou finaux à forte valeur ajoutée. A l’instar des PECO, cet effet de rattrapage prendra du temps. Par ailleurs, ce risque n’est pas nouveau pour la France, puisque des pays comme la Chine concurrencent déjà les pays européens sur des marchés à forte valeur ajoutée les télécommunications.

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Fontagné, L., et Lorenzi J-H., 2005, « Désindustrialisation, délocalisations ». Rapport du Conseil d’Analyse Economique n°55, février. Gazaniol A., 2012, « Internationalisation, performances des entreprises et emploi », La Fabrique de l’industrie 12


Question 7 Ces partenariats peuvent-ils être généralisés à l’Afrique subsaharienne ?

L’Afrique subsaharienne dispose d’un secteur manufacturier moins avancé que celui d’Afrique du Nord, elle éprouve ainsi des difficultés à s’intégrer dans les chaînes de valeur existantes des grandes firmes multinationales. Les partenariats avec des entreprises françaises restent dominés par l’exploitation des matières premières (pétrole, gaz, minerais et bois) et des ressources agricoles. Les fleurons de l’industrie française sont présents de longue date dans la région : Total pour les hydrocarbures, Areva pour l’uranium au Niger, Eramet pour le manganèse au Gabon ou encore Technip dans les secteurs pétrolier et pétrochimique au Nigeria. Le groupe Bolloré a notamment investi dans la logistique portuaire, le transit et le transport de marchandises et la CFAO dans les secteurs de la distribution d’automobiles et de produits pharmaceutiques. Les Français ont également des intérêts dans l’agro-industrie : Bolloré possède des palmeraies au Cameroun, Rougier exploite les forêts du Congo… Certains pays commencent toutefois à impulser de nouveaux types de partenariats, davantage orientés sur des activités productives et largement portés par des investisseurs étrangers. C’est par exemple le cas de l’Ethiopie : le gouvernement a décidé en 2005 de miser sur la production de chaussures pour développer l’industrie du pays. En moins de dix ans, le nombre de tanneries et de fabricants de chaussures a triplé, l’ensemble du secteur a été privatisé et des investisseurs italiens, turcs et chinois ont installé leurs usines en Ethiopie pour fournir les magasins américains et européens en milieu de gamme. Les capitaux chinois ont également servi à construire une zone industrielle qui devrait accueillir plus de 80 usines en 2014, dont une chaine de montage automobile. Les investisseurs chinois sont principalement motivés par les coûts salariaux très faibles. En 2012, le salaire moyen d’un travailleur qualifié éthiopien représentait respectivement 25 % et 50 % de son équivalent en Chine et au Vietnam. Pour un travailleur non qualifié, ces rapports étaient respectivement de 18 % et de 45 %18. De même, au Nigéria, le gouvernement a procédé à des modifications législatives afin de favoriser l’émergence d’une industrie automobile locale. En 2013, le constructeur automobile japonais Nissan a signé un accord de coopération avec le conglomérat africain Stallion Group, concernant l’assemblage de véhicules dans une usine située près de Lagos. Cette usine sera ouverte à Renault, partenaire de Nissan, et pourrait à terme fabriquer des voitures sous la marque du constructeur français. L’objectif de cette alliance est de renforcer la capacité de production du site, qui devrait être agrandi, d’y assembler des modèles low cost comme la Dacia de Renault et d’accroître les ventes en Afrique du Sud. On le voit, les exemples de co-développement sont encore rares en Afrique subsaharienne. Toutefois, les partenariats avec des entreprises étrangères jouent un rôle essentiel pour

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Jacquemot P., 2013, « Perspectives économiques pour l’Afrique subsaharienne. Questions et scénarios », L’Economie politique, n°59, Alternatives Economiques, juillet. 13


accélérer la transformation des économies africaines. Les contacts plus étroits avec des multinationales induisent des transferts technologiques et de compétences, qui permettront à l’Afrique de s’orienter progressivement vers des activités plus productives. Les dragons asiatiques se sont eux aussi industrialisés en attirant les firmes occidentales sur leurs territoires. On note ainsi que les entreprises chinoises ont commencé à localiser en Afrique des plateformes de production et d’exportation, dans le cadre de la stratégie Going global, lancée par Pékin en 2006. L’objectif est d’obtenir des matières premières a moindre coût, de profiter de la compétitivité des coûts salariaux et du développement rapide du marché intérieur africain. Toutefois, dans la plupart des pays concernés, de nombreux défis restent à relever pour appuyer la transition vers des secteurs à plus forte valeur ajoutée. Le continent africain doit veiller à poursuivre l’amélioration de l’éducation. Si les taux de scolarisation ont presque doublé pour atteindre près de 80 % dans le primaire et que des progrès ont été accomplis dans le secondaire et le supérieur, le taux de chômage des moins de 25 ans reste très élevé. Ces jeunes ne sont pas orientés vers des secteurs porteurs comme les infrastructures, les matières premières, les télécoms, l’agroalimentaire ou le secteur financier. En outre, l’Afrique subsaharienne dispose de très peu de filières techniques (type CAP, BEP, Bac technique ou BTS) et l’apprentissage mérite d’être mieux encadré. Cette jeunesse au chômage est une véritable menace qui pèse sur la croissance. Bruno Losch, chercheur au Cirad19, estime que 330 millions de jeunes Africains arriveront sur le marché du travail dans les quinze prochaines années. L’Afrique doit également régler le problème du manque de financement du secteur privé et faciliter l’accès au crédit. La Banque mondiale estime la part de marché des trois principales banques à plus de 70 % en Afrique, ce qui renchérit le coût d’accès au crédit. Le développement des marchés financiers est également indispensable pour accompagner les opérateurs économiques dans le développement de leurs activités. Les pays africains doivent enfin moderniser leurs infrastructures (accès à l’électricité, routes…), améliorer leur cadre juridique et institutionnel (notamment lutter contre la corruption) et se doter de stratégies industrielles ambitieuses afin de garantir la rentabilité et la viabilité des investissements dans le continent.

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Losch B., 2012, « Relever le défi de l’emploi : l’agriculture au centre », Perspective stratégie de développement, Cirad, n°19, Octobre. 14


Question 8 Quelles sont les opportunités à saisir en Afrique subsaharienne ?

L’Afrique compte aujourd’hui parmi les régions du monde ayant la croissance économique la plus importante. Cinq des vingt économies qui croissent le plus rapidement sont en Afrique subsaharienne. Avec une croissance annuelle moyenne de 4,9 % entre 1995 et 2012 et une augmentation prévue de 5,6 % en 2013 et de 6,1 % en 2014, les opportunités pour les industriels français sont loin d’être négligeables. Au-delà de ses richesses connues (ressources naturelles, poussée démographique...), l’Afrique commence à bénéficier des réformes économiques et structurelles menées pendant deux décennies. Certains pays de cet espace hétérogène ont désormais un environnement d’affaires plus propice aux investissements directs étrangers. Un marché intérieur de consommation est en train d'émerger très rapidement, du fait de la croissance de la population urbaine et de l’augmentation de ses revenus. Selon un rapport de la Banque africaine de développement20, 34,3 % de la population africaine (soit 313 millions de personnes) appartenait en 2010 aux classes moyennes21, contre 26,2 % en 1980 (111 millions). Cet essor d’une classe moyenne est tout à fait tangible : les ventes de réfrigérateurs, de télévisions, de téléphones portables, de deux-roues et d’automobiles ont explosé dans pratiquement tous les pays d’Afrique ces dernières années. Selon le McKinsey Global Institute22, le chiffre d’affaires du secteur de la consommation (vente en gros, au détail, banque, télécommunications et tourisme) devrait croître de 300 milliards d'euros d’ici à 2020. L’institut en conclut que les entreprises françaises ne peuvent se permettre de négliger l’immense potentiel du continent. « S’implanter rapidement dans les pays africains offre la possibilité de créer des marchés, d’établir des marques, de façonner la structure des secteurs, d’influencer les préférences de consommateurs et de nouer des relations de long terme ».

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BAD, 2011, « The middle of the pyramid dynamics of the middle class in Africa », market brief, 20 avril. Selon la BAD : personnes ayant un pouvoir d’achat journalier compris entre 2 et 20$ (dollars de 2005) en Parité du Pouvoir d’Achat. 22 Mckinsey Global Institut, 2010, « L’heure des lions : l’Afrique à l’aube d’une croissance pérenne », juin. 21

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La Fabrique de l’industrie 81 boulevard Saint-Michel 75005 PARIS

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