FANNY RITTER VON MARX MÉMOIRE D’ÉTUDE JANVIER / FANNY RITTER VON MARX2–014 MEMOIRE D’ETUDE – JANVIER 2014
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Séminaire régénération des milieux habités Sous la direction de C. Younès, X. Bonnaud, M. Rollot, A. Tüscher & A. Tufano
« L’espace de notre vie n’est ni continu, ni infini, ni homogène, ni isotrope. Mais sait-on précisément où il se brise, où il se courbe, où il se déconnecte et où il se rassemble? On sent confusément des fissures, des hiatus, des points de friction, on a parfois la vague impression que ça se coince quelque part, ou que ça éclate, ou que ça cogne. Nous cherchons rarement à en savoir davantage et le plus souvent nous passons d’un endroit à l’autre, d’un espace à l’autre sans songer à mesurer, à prendre en charge, à prendre en compte ces laps d’espace. Le problème n’est pas d’inventer l’espace, encore moins de le ré-inventer ... mais de l’interroger, ou, plus simplement encore, de le lire.» Georges Perrec Espèces d’espaces Galilée, 1974
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RESUME: La limite urbaine est un enjeu posant problème à l’usager, à l’habitant, à l’architecte, qui se fait fort de remplir les vides, de résoudre les problèmes tant urbains, architecturaux que sociaux. En quête d’une harmonie éternelle, l’Homme cherche continuellement une résolution des limites auxquelles il se heurte. Rêve utopiste, singulier, généralisé, futuriste (dépasser les limites physiques qui se trouvent devant nous, marcher sur l’eau, habiter dans les airs…) , les limites participent de notre imaginaire et de notre quotidien. Elles nous permettent d’aller au delà, ne pas se faire contrarier par des limites physiques, par une ville imparfaite. La question de la limite est ardue car elle prend des formes très variées… Plutôt que de limiter, la barrière urbaine ou architecturale ouvre sur un monde intérieur, sur une valeur nouvelle. Nous démontrerons que toutes les barrières infranchissables que nous avons tentées de définir au mieux précédemment peuvent être dépassées autrement que physiquement. Nous questionnerons, à ce sujet, la notion même de limite urbaine : Elle peut apparaître clairement comme rupture à un moment précis, dans un contexte donné puis peut au contraire être perçue comme une continuité dans une autre configuration. L’adaptabilité des espaces, la différence entre perception et sensation, la notion de milieu et le partage de celui ci seront au centre de notre réflexion. Fluctuante ou non, rigide ou non, physique ou psychologique, linéaire ou ponctuelle mais rarement infranchissable, la limite urbaine n’est peut être qu’une frontière mentale ?
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Aujourd’hui l’enjeu est de pouvoir concevoir des intelligences nouvelles permettant de dépasser ces vides par la pensée ou par leur réinterprétation, leur usage différencié, leur réappropriation. Les potentialités proposées par ces limites sont multiples, riches et facteur de régénération urbaine. Afin d’étayer notre recherche, nous prendrons exemples sur des cas similaires de réappropriation d’espaces délaissés étant facteurs de changements urbains. Pour mesurer l’ampleur des potentialités portées par les fractures urbaines et donner des exemples concrets à notre étude, mais jamais complets puisque les limites sont infinitésimales et différentes en chaque lieu, nous explorerons, entre autre, le site d’Europan 12 au Nord de Paris. Aujourd’hui il est l’archétype le plus proche de nous de l’espace se confrontant à des limites urbaines infranchissables. C’est une île entre des infrastructures lourdes délimitant tout le quartier, bloquant tout passage. Et pourtant, il est le site de tous les possibles, signe d’une prise de conscience généralisée de la potentialité de ce type de lieux. Finalement, la réelle question posée par ces barrières urbaines est leur épaisseur et les potentialités qu’elles renferment. Qu’elles soient poétiques, artistiques, constructives, habitables… Il faut réquisitionner leurs capacités souvent bien plus créatrices de lien que les nouvelles opérations en cours pour procéder de la régénération urbaine.
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I.
LIMITES URBAINES : DES LIEUX, DES IDEES a. La perception de la limite urbaine
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La limite étant un terme très vaste et englobant des notions hétérogènes, nous observerons objectivement la limite afin de rassembler nos connaissances subjectives de l’expérience que présente la limite.
b. La limite : vision d’Heidegger
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Suite à un cheminement critique, passant par l’analyse d’un texte fondateur de la théorie d’Heidegger, et phénoménologique, nous aboutirons sur notre question charnière ; la limite existe t elle réellement ?
II.
LIMITES À FORT POTENTIEL a. La limite, l’architecte et la ville
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Quel intérêt a t on à s’interroger sur la notion de limite ? Constitue t elle un réel enjeu pou l’architecte. L’usager ? Le citoyen ? L’urbaniste ? Entretient elle un rapport étroit avec la ville ou en est elle détachée ?
b. (in)définition
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Trouver les sens exacts des mots définissants la limite. Rupture ? Limite ? Barrière ? Frange ? Seuil ? Existe t il des typologies de limites ? Comment les regrouper ? Sont elles des objets urbains ou des questionnements ?
c. La limite comme facteur de la régénération urbaine
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La ville d’aujourd’hui sont confrontées à leur image vieillissante, leur sur occupation, leurs besoins de se réinventer pour continuer à rester attractives. Pour répondre à ces objectifs, elles se doivent de se régénérer. Les limites urbaines présentent une manière de réintroduire de la ville en ville et de créer des reliances régénératrices des milieux urbains.
d. Rupture urbaine, lien social
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La rupture et la limite urbaine sont des notion qui ne disparaitront pas. Que la ville change, se régénère, disparaisse ou progresse, il y aura toujours des terrains vagues, des non lieux, des dents creuses. Pourquoi ? S’il en est ainsi, il semblerait que ces espaces soient indispensables à la survie de l’urbain, empêcher la mort et la guerre des villes. Ces espaces portent en eux des aspects positifs, ils évitent des guerres sociales, des tensions urbaines. Ils sont nécessaires.
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III.
L’ARCHITECTE FACE À UN POTENTIEL À MAGNIFIER a. L’esthétique des franges : quand les appropriations spontanées font manifeste
p. 40 / 43
Dans cette partie nous prendrons comme exemple les interventions ayant déjà eu lieu. Tant de réappropriations d’espaces délaissés, de constructions spontanées, de dérogations aux ordres établis : les artistes, les institutions, les spécialistes, les architectes, paysagistes, urbanistes ont déjà œuvré pour la préservation ou le changement de ces lieux. Aujourd’hui ces interventions font manifeste.
b. Une spatialité à réinvestir à l’heure de l’immatériel
p. 43 / 53
L’adaptation et la régénération étant aujourd’hui les thèmes les plus actuels au sujet de la construction de la ville sur elle même, ce sont aussi ceux qui ont été choisis comme fil conducteur d’Europan 12. Nous montrerons en quoi ces concepts sont présents sur le site d’Europan et en quoi ils sont actuels pour la notion de limite, elle aussi sujette à l’adaptation et facteur de régénération de la ville sur elle même.
CONCLUSION : UN TERRITOIRE UNITAIRE/UNIFIE OU LA NEGATION DE LA LIMITE
p. 55 / 56
Ouverture et conclusion sur la potentialité des limites urbaines. Un espace sans limite est un espace invivable, le but ultime n’est pas de les combler ou même de les reconvertir. Il s’agit plutôt de mieux les connaître pour pouvoir les appréhender de manière plus spontanée, de savoir à quoi elles nous servent, en quoi elles nous nourrissent.
BIBLIOGRAPHIE & ANNEXES
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INTRODUCTION: Le renouvellement urbain est un thème très actuel faisant l’objet de nombreux colloques ou de publications diverses et de lois (Loi Solidarité et Renouvellement Urbain de 2000). Il répond également à un autre point central de l’actualité qui est celui du développement durable: dessiner une ville soutenable c’est avant tout renouveler celle sur laquelle on travaille. Le renouvèlement est pourtant un thème vaste et complexe car il englobe beaucoup de matières différentes telles que politique, urbanisme, sociologie, économie, protection de l’environnement... La régénération urbaine, la facette la plus pertinente du renouvellement urbain, en tant qu’elle représente un des moyens les plus efficaces pour revitaliser les centres villes et maîtriser l’urbanisation périphérique des grandes métropoles est le centre de notre objet d’étude. C’est aux territoires de cette régénération que nous allons nous intéresser lors de notre travail. D’une grande diversité, par leur dimension spatiale, leur nature et degré de problèmes auxquels il devient nécessaire d’intervenir, nous affinerons notre recherche sur un certain type de lieux (ou de non lieux…) Parmi le foisonnement de territoires de régénération urbaine, nous pouvons en classer certains dans les catégories suivantes : Les centres-villes frappés de dévitalisation face à la concurrence notamment commerciale des périphéries urbaines. Les quartiers anciens où le parc immobilier se dégrade et où viennent s’installer des populations inattendues. Les vieilles banlieues déstabilisées par le déclin de leur base industrielle. Les terrains « brownfields » : terrains ou installations ayant perdu tout ou partie de leur utilité initiale se généralisant en friches urbaines de quelques
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hectares à plusieurs centaines. Généralement dépourvus d’habitat et demeurant vacants de nombreuses années, ils constituent d’énormes fractures et discontinuités dans les morphologies urbaines. On en dénombre plusieurs de types génériques : les friches industrielles, les friches ferroviaires, les friches portuaires et les friches militaires. Mais dans les grandes agglomérations, ces différents types de friches se juxtaposent, s’imbriquent, se mélangent comme une mosaïque de territoires abandonnés ou en reconversions plus ou moins actives à plusieurs vitesses, rendant plus complexes et difficiles les projets de régénération d’ensemble. Ces lieux n’ont été considérés comme potentialités de régénération que très tard : la plupart des municipalités ont initialement ressenti les friches comme des handicaps, difficiles à supporter économiquement. Décourageant tout nouvel investissement, espaces sans valeur d’échange ou d’usage, finalement sans visage, ces espaces ont entrainé dans leur chute l’image des quartiers environnant voire même de la ville toute entière. Quelques expérimentations novatrices ont opéré un véritable basculement des perspectives d’aménagement et des projets urbains qui considèrent le devenir de ces espaces en transit ou en difficulté comme des opportunités bienvenues et exceptionnelles. Au cœur des nouvelles initiatives culturelles, les friches industrielles sont devenues, depuis une trentaine d’années, de nouveaux espaces à conserver et/ou à investir. Leur réinvestissement induit non seulement une conservation du bâti dont le caractère patrimonial est lentement reconnu, mais pose aussi des questions quant aux opportunités de réutilisation et de réaménagement des territoires dans lesquels elles s’inscrivent. Au cœur de notre étude il y a ces lieux, ne rentrant dans aucune catégories : ces franges indéterminables dont les limites elles même sont floues. Souvent
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assimilées à des fragments des territoires en reconversion, ils possèdent des caractéristiques propres très particulières et sont, eux aussi en pleine mutation pour devenir des accélérateurs de régénération urbaine et de lien social. C’est pour mieux en déterminer les origines, les définitions, les formes et leur avenir potentiel que nous nous interrogeons sur la capacité que les fractures urbaines possèdent en matière de régénération de milieux habités : Où se situent les limites ? Quels sont leurs statuts ? Comment les mettre en avant ? Peut on parler de seuil dans les vides et les creux urbains ? Ils ne sont pas définis, comment les juger ? En quelle mesure les discontinuités urbaines peuvent elles être un facteur de régénération des milieux habités ? Quelles sont elles et quelles sont leurs potentialités ? Comment habiter ces non lieux ? Comment les habiller ? Peut on réellement les mettre en avant ? Par quel biais ? Pour l’atteinte de quels objectifs ?
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LIMITES URBAINES : DES LIEUX, DES IDEES
La perception de la limite urbaine
Nous démarrons notre analyse par un constat : nous sommes tous, quel que soit notre statut (citoyen, usager, touriste…) confrontés à des limites quand nous parcourons la ville, pourtant, nous sommes incapables d’en donner une définition claire. Elle en devient tellement floue et fluctuante qu’elle se transforme en idée abstraite, en concept. Pourtant la limite possède tous les attributs la rendant réelle, tellement concrète qu’elle est une base de la régénération urbaine.
Afin de mieux comprendre ce qu’est une limite, nous débuterons notre étude par la manière dont cette dernière peut être perçue. Pour K. Lynch, la question que pose les limites urbaines est liée à leur appréciation par un échantillon suffisamment grand de la population. Si la limite urbaine existe et existera toujours, elle n’est pas perçue comme telle par tout un ensemble de population, par une communauté urbaine. La communauté, est contradictoire en ses termes : elle englobe sous un même mot des individus qui ont quelque chose en commun (ici leur vision de la ville), elle crée une entité fortuite. On part du constat qu’un ensemble de relation dont on suppose l’existence font lien, un lien fort mais indéterminé. Si une soit disant « communauté » reconnaît une limite en un point, surface ou ligne de la ville qu’ils partagent, tous n’en perçoivent pas les contours de la même manière, tous ne la connaissent pas depuis la même période et n’en tirent pas les mêmes conclusions…
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Malgré tout, si une somme d’individus partageant la même ville se font une image similaire d’une limite qu’ils identifient tous, c’est qu’il y a là un enjeu de taille à régler. Nous verrons plus tard qu’afin d’appréhender une limite, il est essentiel de l’appréhender totalement. Pour C. Lévi-Stauss, appréhender un fait totalement c’est : « Appréhender du dehors, comme une chose, mais comme une chose dont fait cependant partie intégrante l’appréhension subjective consciente et inconsciente » Claude Levi-Strauss Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss Sociologie et Anthropologie, 1950.
L’appréciation de ce qui se joue aux limites d’un système spatial dépend beaucoup du fait qu’on le perçoive de l’intérieur ou de l’extérieur. De l’extérieur, les limites sont perçues avec retard, le système s’identifie mal et le changement est facilement attribué à un accident local, qui peut paraître déterminant. De l’intérieur, le système étant bien connu, on tend alors à en chercher très loin les manifestations : la limite est souvent constatée d’un point de vue plus éloigné, l’extinction ou l’exténuation du système est moins liée aux contingences locales. En général, la valeur et le sens de la limite s’apprécient mieux après que l’on a pris connaissance du système, de l’intérieur. Beaucoup de limites sont des coutures qui réunissent plutôt que des barrières qui séparent 1 et il est intéressant de constater les différences d’effet que produisent ces deux sortes de limites dans la réalité.
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Roger Brunet dans Les mots de la géographie, dictionnaire critique définit la barrière ainsi : Au sens plus général et plus ou moins figuré. Barrière climatique, barrière écologique : ce sont des lieux de changement de système, ou d’extinction
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Ces lieux obligent les habitants à s’y rassembler car ils jouent aussi un rôle d’entonnoir : leur rôle y est forcément ambigu, ils servent tantôt de nœuds linéaires, tantôt de limite, tantôt de voie, suivant le moment où l’on s’y rend ou la personne considérée.
La limite : vision d’Heidegger
Afin de mieux cerner cette ambivalence de la limite urbaine sous ses fromes les plus complexes, nous passerons par l’analyse d’un texte fondateur de cette question : celui d’Heidegger dans « Bâtir, Habiter, Penser » à propos du pont. (voir Annexe 1) Selon Heidegger, le pont porte en lui cette ambivalence que nous avons jusqu’à présent prêtée à la limite urbaine : celle de séparer, d’exclure, d’oublier et à la fois celle d’ouvrir, de permettre une installation, d’être un facteur de régénération et d’habiter. Le Fleuve, rupture spaciale par excellence, en tant qu’il sépare deux territoires continus de terre, qu’il met à l’écart deux régions, deux sols, empêche la traversée, marque la frontière, a toujours été perçu comme tel : au Moyen Age déjà, le fleuve permettait de faire barrage à un domaine, coupait une ville d’une autre, séparait deux peuples…
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! d’un système, lié au moins en apparence, à un obstacle topographique, parfois à un effet de distance. « de l’autre côté de la barrière » : dans un autre « camp », un autre groupe social ou idéologique. « barrière mentale » : rupture dans l’espace, que l’on ne franchit pas aisément, compte tenu des représentations dont elle et l’au-delà de la barrière sont l’objet. Limite du monde connu et le début des fantasmes ou des stéréotypes.
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C’est également un cours d’eau intemporel, une permanence géographique et cartographique de taille. Le fleuve a été, est et sera fleuve pendant toute une éternité. On voit ici poindre la notion de temps liée à la limite du fleuve surmonté qui est reprise dans le texte d’Heidegger : « Le pont, à sa manière, rassemble auprès de lui la terre et le ciel, les divins et les mortels. » « De ses arches élevées ou basses, le pont saute le fleuve ou la ravine : afin que les mortels – qui gardent en mémoire ou qu'ils oublient l'élan du pont – afin qu'eux-mêmes, toujours en route déjà vers le dernier pont » L’allusion à la mort que fait Heidegger en parlant du pont et du fleuve n’est pas anodine. L’eau a toujours été un symbole dans les croyances religieuses comme dans l’imaginaire commun. Ainsi Jean Baptiste baptise Jésus en le lavant (au sens propre comme figuré) de tout péché. Les chrétiens morts par rapport à leur ancienne vie caractérisée par le péché, ressuscitent dans une nouvelle et éternelle vie avec le Christ. Dans la Grèce antique, les limbes, (du latin limbus, qui signifie marge ou frange) correspondent à un lieu de l'au-delà situés aux marges de l'enfer. Par extension, ils désignent un état intermédiaire et flou. Les enfers étaient séparés du monde des mortels par plusieurs fleuves successifs dont la traversée n’était autorisée qu’à certains défunts. La traversée d’un fleuve marquait alors déjà une sorte de privilège, de rite d’initiation, de passage obligé qui fascinait les mortels. En ce sens, le fleuve constitue la dernière limite à franchir avant d’atteindre un monde nouveau, illimité en temps (éternel) et en espace. Le fleuve est aussi, selon Heidegger, l’espace du « tout ». Il récupère les eaux de pluie, les minuscules gouttelettes pour les réunir en un lit continu, il est la destination finale des eaux de ruissèlement, il est un écosystème à lui seul, il abrite la vie aquatique, il est la mer, l’affluent, le cours d’eau,
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l’estuaire… « Que celles-ci suivent leur cours gaiement ou tranquillement, ou que les flots du ciel, lors de l'orage ou de la fonte des neiges, se précipitent en masses rapides sous les arches, le pont est prêt à accueillir les humeurs du ciel et leur être changeant. » Le fleuve malgré la limite qu’il constitue est sans doute l’élément le plus englobant de la géographie. Il rassemble en son sein tellement d’éléments qu’une science à part entière, appartenant en partie à la géographie lui a été dédiée. L’homme du Moyen Age et par extension l’homme contemporain, ne voit plus le fleuve comme avant. La technique ancienne laissait le fleuve être ce qu’il était. Heidegger parle du pont que l’on place pour pouvoir traverser le fleuve : ici, grâce à la technique, l’homme s’adapte au fleuve pour pouvoir traverser, mais il n’exploite pas le fleuve. L’homme ne commande pas le cours du fleuve : « Le pont laisse au fleuve son cours et en même temps il accorde aux mortels un chemin, afin qu'à pied ou en voiture, ils aillent de pays en pays. » Avec l’aide des techniques modernes, l’Homme se sert du fleuve, il l‘exploite à plusieurs fins : commerce, transport, énergie, promenade, tourisme… Par conséquent, la réalité du cours d’eau se dévoile différemment : elle devient un fond disponible, un stock d’énergie, un revenu fixe, une économie à part entière. Le fleuve n’est alors plus considéré que comme ces stocks exploitables, et non plus pour ce qu’il est originellement. Le fleuve ne constitue pas seulement une coupure dans le continuum qu’est la terre mais aussi une continuité qui lui est propre, le seul décalage de point de vue permet de le considérer ainsi : le fleuve part d’un point pour en rejoindre un autre, sans jamais se couper. Il change de niveaux, de vitesses, de largeur, de paysage, de couleur mais atteint toujours son but. Le fleuve en soi est sans doute la plus puissante des continuités, c’est cette couture, ce lien fort qui en fait, quand il intercepte le continuum de la terre une limite à l’un quand l’autre est continu.
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Etudions à présent le pont comme un révélateur des possibles de la terre mais aussi du fleuve puisque nous avons stipulé qu’il était ambivalent et quasiment contradictoire : limite et continuité à la fois. Dans le texte de Heidegger, le pont représente l’élément libérateur de la Terre : « C'est par le pont que la seconde rive se détache en face de la première. ». Sans l’implantation du pont, les rives pourraient continuer éternellement à être vues comme suivant simplement un cours d’eau. Pourtant, le fait de pouvoir s’installer sur le pont force l’interprétation plus cernée du spectateur. Les deux rives sont vues simultanément, les rives ne sont plus un seul élément appartenant au fleuve mais bien deux éléments distincts appartenant à la Terre : « Les rives ne suivent pas le fleuve comme des lisières indifférentes de la terre ferme. Avec les rives, le pont amène au fleuve l'une et l'autre étendue de leurs arrière-pays. Il unit le fleuve, les rives et le pays dans un mutuel voisinage. » Le pont fait deux choses que la rive est incapable de laisser voir et comprendre : il réunit en rompant l’obstacle sans l’abîmer ni le toucher et par cela rend possible l’étendue de la Terre au dessus du vide. Il rassemble les Terres et rompt l’obstacle. En opérant à nouveau d’un changement de point de vue critique on constate également qu’en considérant le fleuve comme continuum, le pont ne vient en rien le ralentir, l’abîmer, lui rompre sa continuité. Le fleuve connecte alors et ne sépare plus, grâce à l’image du pont, Heidegger souhaite faire comprendre les rapports du lieu à l’espace, et de l’Homme au lieu. Pour lui, le pont est « l’aménagement » par excellence parmi les 3 types d’habiter qu’il distingue. Pour lui, l’aménagement « amène les choses à leur être ». Le pont permet d’opérer ainsi.
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Or, la construction d’un pont est le fruit d’une décision politique : « aménager » l’espace, c’est aussi le resserrer pour mieux le maîtriser, abolir les frontières terrestre pour en recréer de nouvelles choisies sans contraintes. En allemand, Heidegger appelle Raum la chose ménagée : une place rendue libre pour un établissement de colons ou un camp. Un espace “ménagé”, rendu libre, à l’intérieur d’une limite. Relier deux portions de terre pour créer un nouvel espace et donc étendre le territoire défini est un acte proprement politique, celui qui détermine les limites de la cité. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’il est cristallisé dans le langage de tous, on dit « couper les ponts » pour signifier ne plus côtoyer de près, on dit « faire des ponts entre deux pensées », c’est à dire faire s’enrichir l’une et l’autre des pensées par l’entremêlement avec la seconde. C’est le lieu par excellence des métaphores parce que c’est un lieu au symbole fort : Jésus marche sur les eaux par il est lui même le pont entre tous les Hommes, toutes les Terres, il abolit les frontières et prouve aux Hommes la potentialité supérieure. En ce sens, quand le mortel traverse le pont, il réitère l’expérience de Jésus, à son tour il rassemble, il crée une proximité nouvelle qui n’efface pas la distance des deux rives l’une de l’autre. En ce sens là, l’usager du pont sauve les rives : « Le pont rassemble car il est l'élan qui donne un passage vers la présence des divins : que cette présence soit spécialement prise en considération (bedacht) et visiblement remerciée (bedankt) comme dans la figure du saint protecteur du pont, ou qu'elle demeure méconnaissable, ou qu'elle soit même repoussée est écartée. Le pont, à sa manière, rassemble auprès de lui la terre et le ciel, les divins et les mortels. » Il les sauve car il les fait ressortir toutes deux et atteindre leur stade le plus extrême : l’essence de la rive. Sauver pour Heidegger signifie prendre soin, faire attention à et donner de l’importance à. Le pont déploie une énergie impressionnante pour « tenir ensemble » les deux morceaux de Terre séparés
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par le fleuve. C’est ainsi que le pont sauve les deux rives et le fleuve. C’est cette forte mise en tension dynamique qui intéresse Heidegger. C’est la possibilité que le pont offre de marcher sur l’eau ou d’étendre la Terre ! Comme nous l’avons dit en préambule, le fleuve est sans doute la plus puissante des continuités, géographique, physique, frontière naturelle et sociale (les peuples sont répartis sur les terres, certaines encerclées par les fleuves ne peuvent d’agrandir en colonisant les terres voisines). Plus la continuité est forte, puissante, assumée, plus la rencontre avec un autre continuum sera difficile. C’est le cas quand la terre continue rencontre le fleuve continu. L’un devient alors la limite de l’autre : « Les choses qui d'une telle manière sont des lieux accordent seules, chaque fois, des espaces. Ce que désigne le mot Raum, son ancienne signification va nous le dire. On appelle Raum, Rum une place rendue libre pour un établissement de colons ou un camp. Une espace (Raum) est quelque chose qui est « ménagé », rendu libre, à savoir à l'intérieur d'une limite, en grec péras. » Quand un lieu est instauré, il va automatiquement organiser, orienter, changer l’espace qui l’entoure. Autrefois indéfini, quasiment continu et invariant, homogène dans son aspect, l’espace alentour va se spécifier. « Les choses qui d'une telle manière sont des lieux accordent seules, chaque fois, des espaces. ». Le pont deviendra « Raum ». Le pont aura une limite physique, un contour. On pourra dire quand il commence à s’élever et quelle taille il fait, où il s’arrête, de quelle matière il est constitué. Une fois que le passant se trouve sur le pont, à l’intérieur de ses contours physiques, il est dans une place libre. Un nouveau lieu qui diffère de la terre qu’il vient de quitter ou de celle qu’il va rejoindre à l’extrémité du pont : « La limite n'est pas ce où quelque chose cesse, mais bien, comme les Grecs l'avaient observé, ce à partir de quoi quelque chose commence à être (sein Wesen beginnt). C'est pourquoi le
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concept est appelé orismos, c'est- à-dire limite. L'espace est essentiellement ce qui a été « ménagé », ce que l'on a fait entrer dans sa limite. Ce qui a été « ménagé » est chaque fois doté d'une place (gestattet) et de cette manière inséré, c'est-à-dire rassemblé par un lieu, à savoir par une chose du genre du pont. » La limite n’est en effet, pas une fin en soi, c’est un contour, une séparation entre un système et un autre. Un seuil en somme. En ce sens, le pont peut être considéré comme une limite : il est ce qui ménage un autre espace à sa logique propre (le fleuve), il est ce qui permet de ménager. Il n’est pas une fin de processus mais l’amorce d’un autre : celui de la requalification des berges, de la redéfinition des chemins qui partiront de ce lieu, de la conquête de la rive d’en face, de l’échange qui peut maintenant s’installer entre les deux Terres… Le pont rassemble, instaure un processus à un temps T qui se prolongera jusqu’au temps T+n « Il s'ensuit que les espaces reçoivent leur être des lieux et non de «l'» espace.» : Cette dernière phrase de Heidegger fait référence à l’être passif du pont (l’être du pont comme chose s’oppose à l’être d’un étant) qui reçoit son essence du fait qu’il devient lieu et non de l’espace dans lequel il s’inscrit. Ainsi, « notre pensée (…) habituée à estimer trop pauvrement l'être de la chose » en considérant le pont comme chose réelle à potentiel fort, arriverait à comprendre que c’est justement parce que le pont est chose avant tout qu’il devient lieu et que, de ce fait, il assume son rôle de pont dans son essence même, il « reçoit son être » parce qu’il est lieu. A cette analyse de la notion de limite par le détour que nous effectuons par l’explication de la notion de pont par Heidegger, nous pouvons ouvrir sur de multiples questions : Est ce la limite urbaine qui arrive à faire émerger la notion de lieu ? Si le lieu existe, alors la limite n’est plus qu’un outil pour mieux le découvrir mais plus une fin en soi ? La limite étant souvent ambivalente :
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continuité ou seuil, barrière ou continuum, est elle assez pertinente urbainement pour être considérée comme telle ? Est ce par en la magnifiant que la ville arriverait à devenir adaptable, actuelle, continue et homogène ?
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II.
LIMITES A FORT POTENTIEL
La limite, l’architecte & la ville
Notre postulat de base était celui de constater que les non lieux posaient problème à un grand nombre de catégories. Or, après 4 année passées en école d’architecture, nous avons pu constater que les projets les plus intéressants, tant architecturaux qu’urbains, sont ceux se focalisant sur un site à problèmes, un espace délaisser à reconnecter au reste de la ville. Et pour cet objectif, arriver à trouver de moyens d’irrigation nouveaux des subtilités permettant de contourner des règles établies par la ville, de réinjecter de la vie là où la ville est arrivée à un paradoxe. Les architectes, paysagistes et urbanistes ont de tout temps travaillé pour « résoudre des problèmes », qu’ils soient de toute échelle, de tout temps et en tout lieu. Or ces « problèmes » varient d’un concepteur à un autre : en effet, poser un problème c’est également choisir les éléments de la situation que l’on va retenir, en établir les limites de l’attention à lui consacrer, lui imposer une cohérence qui permet de choisir entre juste et problématique et surtout quelle direction suivre pour corriger la situation.
« Le problème qui est posé à l’architecte est de transformer un état initial donné non satisfaisant en un état final souhaité. A l’opposé des problèmes de mathématique ni le but ni les obstacles à l’atteinte de ce but ne sont clairement exprimés dans le problème de conception. De ce fait, l’expression initiale peut en être trompeuse, car les difficultés ne sont pas toujours apparentes ; elles doivent être découvertes par le concepteur. » Assya Bendeddouch, Le processus d'élaboration d'un projet d'architecture, L'Harmattan, 1998
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Le vide en ville a toujours posé problème, d’une part parce que l’Homme à peur du vide, de laisser un espace non clos comme vide. Si bien qu’il le remplace le plus rapidement par un mot plus technique, le vide devient alors « place » ou « zone », « aire » ou encore « mail ». D’autre part parce que les architectes sont formés pour remplir le vide, l’éliminer, remplir la page blanche. Depuis les années 1950, la croissance des villes se faisait sur des périphéries à envahir, sur des Greenfield2, conquis comme des taches d’huile et où le vide n’était que résiduel, honteusement indéfini. Cependant, notre histoire européenne nous a aussi fait construire sur le construit, ayant un territoire d’histoire, marqué par nos frontières. Nos villes sont aujourd’hui des palimpsestes, des villes-strates, des miroirs de millions de vies vécues. Elles ont une vie interne organique, reflétant les transformations successives qu’elles ont subies. Depuis 10 ans, la croissance n’est plus celle par expansion mais plutôt par implosion, par une régénération des milieux habités. A présent, la croissance urbaine se fait sur les Brownfields :
« L’art de compléter la ville devient la nouvelle tendance qui lui permet de croitre de manière soutenable. On a aujourd’hui et dans le futur à faire avec la réutilisation des friches industrielles, des terrains vagues, des terrains laissés libres par les anciens chemins de fer, qui se transforment… Le terrain d’expansion des villes, ce sera ce qui y est déjà enfermé, les trous noirs qui y résident, ces terrains qui aujourd’hui ne sont plus vides ! » Renzo Piano, À la lumière du Lingotto, conversation avec Renzo Piano, Cité de l’architecture et du patrimoine, 2012.
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Greenfield : Tout ou partie de propriété semi-rurale non ou peu développée sauf pour son utilisation agricole, considérée tout particulièrement comme site de développement urbain
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Ces trous noirs de la ville, ces creux honteux, ces espaces oubliés sont mis à l’écart avant d’être au centre des intérêts de tous. Ils sont retranchés et tentent de s’extraire de l’espace urbain et constituent alors des limites claires pour le passant, des barrières pour qui voudrait naïvement et méthodiquement traverser toute une zone. Pour les observer, il faut se mettre à l’écoute de nos faux pas quand la clarté rectiligne des boulevards flanche pour un dédale ombragé des ruelles ou pour le silence des terrains vagues. C’est ainsi que l’on découvre la limite urbaine à proprement parler, ce seuil de discontinuité qui déconcerte la marche et qui interroge les sens.
(In)définitions ! ! « Si vous êtes des mots, parlez ! » André Bouchet La limite urbaine nous semble offerte, offerte à qui veut bien ouvrir les yeux, à qui veut bien en parler aussi, car tout le monde en parle de nos jours. Est ce parce que nous entrons dans une ère nouvelle, plus riche qu’avant en matière de frontières ? Plus divisée que jamais et pauvre puisque tailladée de limites en tous genre ? Ou bien au contraire, ne parle t on si souvent de limites urbaines que parce qu’elles portent en elles une potentialité jamais assez mise à profit ?
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Une chose est sure, cette infiltration de l’idée même de limite n’est pas anodine. Elle signifie quelque chose de notre rapport à la ville, à l’espace, au monde et à l’époque qui est la notre. Afin de mieux en connaître les raisons de son existence, nous analyserons les mots qui la définissent. « Les limites sont des éléments linéaires qui ne sont pas considérés comme des voies : ce sont généralement mais pas toujours, les frontières entre deux sortes de zones » Kevin Lynch, L’image de la cité, Dunod, 1969.
Dès ses origines, le mot de limite est une notion vague, définie partiellement et de manière très générale. Le
dictionnaire
lui
même
en
donne
un
nombre
de
synonymes
impressionnants : « Limite ; n.f. singulier. - Borne, ligne séparant deux territoires, deux pays, deux terrains contigus, ligne naturelle ou convenue, marquant que le terrain, le territoire ou la chose finit là. - Moment séparant deux laps de temps - Terme extrême d’un espace de temps (début ou fin) - Point extrême, ce que l’on ne peut dépasser - Ligne marquant la fin ou le début d’une étendue Synonymes : démarcation, fin, borne, confins, démarcation, marche, frontière, barrière, ligne, contour, barre, frange, seuil » Avec les 5 définitions proposées par le dictionnaire, on constate qu’il s’agit autant de l’espace dans lequel on est que de celui duquel on est coupé, que la limite traite. L’étendue des territoires séparés ne diminue en rien la puissance
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de la notion de limite abordée : qu’il soit question d’un terrain exigu ou d’un pays entier. On note également que le temps y tient une place importante, à ce titre, M. Sportès, proche de G. Debord écrit « Il n’est pas de limite, de frontière, de garde-fou que l’on puisse imposer au temps » dans son ouvrage Solitudes (2000). Pour mieux cerner cette première définition universelle, nous nous appuierons sur des auteurs spécialistes en géographie, philosophie, urbanisme, et littérature pour mener une réflexion plus ciblée. Pour le géographe Roger Brunet, la limite est indicatrice d’épaisseur : « C’est un signal de l’apparition ou de la disparition d’un phénomène ou d’une organisation dans l’espace, d’une distribution spatiale. » Roger Brunet, Les mots de la géographie, La documentation française, 1992.
Selon lui, la limite est parfois tranchée, souvent graduelle : elle prend la forme de franges, de marges, parfois même de marches. La limite de la ville a pu être stricte lorsqu’elle correspondait à une enceinte mais à cette époque là, il y avait également des faubourgs en sa périphérie (qu’ils soient intérieurs ou extérieurs). Aujourd’hui cette notion de limite de la ville est très complexe dans la plupart des métropoles. Pour ce qui est des limites d’une contrée, d’une région, d’un département, elles sont ordinairement floues, définies si ce n’est par un panneau, parfois par un écriteau peu consulté ou par un simple changement de code postal, cela ne les empêche nullement d’exister comme deux entités a part entière. En revanche, les frontières des Etats sont devenues plus nettes, cela s’explique aussi par le durcissement de règles anti-terrorisme, des contrôles de doine, des accords passés entre pays… Selon R. Benet, la limite en tant que telle est souvent associée à la limite urbaine, difficile à identifier, changeante et liée aux périodes de l’histoire. Il la
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définit également comme étant perçue différemment que l’on vienne de l’intérieur ou de l’extérieur de celle ci. Cela prouve qu’il existe une multitude de « couches » qui se superposent pour créer une barrière d’épaisseur variable et dont la définition ne peut qu’être floue. P. Monbeig donne un nom très précis à ces couches multiples constitutives de la frontière, il les nome « franges » ou « franges pionnières » : « Plutôt que de parler de front, il vaut mieux parler de « frange pionnière » car c’est rarement par une coupure brutale mais plutôt par une progression plus ou moins rapide que l’on passe des espaces organisés à ceux qui le deviennent » Pierre Monbeig, Géographie générale, Encyclopédie de la Pléiade, Gallimard, 1966.
Ces franges sont, au même titre que les définitions de la limite observées précédemment, des bordures d’un espace. Elles portent en elles l’idée d’une altération du tissu que l’on quitte ou d’une apparition d’un autre tissu que l’on rejoint. On peut alors rapprocher ce mot de celui de « marge » voire de marche, comme R. Brunet le faisait dans sa définition. On définirait alors l’épaisseur de la limite par l’analogie à la fibre fimbria, au bord du vêtement. Les franges urbaines seraient des banlieues ou des espaces péri-urbains selon le contexte. Déjà, la notion de limite inclut, par le détour du mot « frange », la définition d’un espace à part entière, d’une zone physique où il se passe des choses, d’un entre deux habitable, constructible, visible, sensoriel… Chose qui n’était pas évidente à la première définition trouvée dans le dictionnaire.
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Pour les philosophes, la notion de limite a été explorée dans différents buts : qu’elle soit appliquée à la limite psychique, intellectuelle, visible ou non, unificatrice ou non, rares sont les définitions de la limite urbaine. « Il s’agit d’un point, d’une ligne ou d’une surface, considérés comme marquant la séparation entre deux régions de l’espace (primitivement, de deux territoires) » André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Presses universitaires de France, 1923.
Kant parlera du concept de « Grenzbegriff » (concept-limite) comme moyen d’attribuer
une
somme
de
connaissances
communes
à
un
peuple
géographiquement situé. Ainsi la limite spéciale serait elle peut être une différence notoire de culture entre un peuple et un autre ? Un canton et son voisin ? Un continent et un autre ? On notera également que dans la définition des philosophes aussi, la limite peut être une surface, donc un espace, comme l’avait introduit le mot « frange ». L’étymologie du mot limite nous mène à considérer d’autres synonymes du mot. En effet, « limite » est issue du latin limes qui signifie frontière, mot qui lui même vient de limen, le seuil. Le seuil est
un passage et obstacle en même temps. Il inclut l’idée d’un
établissement humain. Le seuil est associé à celui de la maison, donc du sol ferme. Il a une dimension de sacré, donc « séparé ». Il signale la rupture entre la sphère individuelle ou du moins familiale, et la sphère de socialisation dans le cadre de la maison. En serait il de même dans celui de la ville si nous la considérons comme une somme de couches individuelles, de franges ayant leur individualité propre.
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Un seuil au sens abstrait marque, dans l’espace, le temps ou le mouvement, une rupture, une discontinuité, une limite. Nombre de seuils, s’ils sont franchis, signalent par accumulation, un changement d’échelle, ou l’émergence d’un nouveau système, d’un nouveau phénomène, d’une nouvelle « qualité ». Pour apprécier ces changements, il est nécessaire d’adopter une distance critique. Celle ci sera la marque première du seuil. « Selon les situations, les seuils sont tantôt des espaces intermédiaires, mal caractérisés, dépendants, marginaux dans tous les sens ; et tantôt des lieux de passage intense, des foyers d’activité qui commandent aux espaces circumvoisins » Roger Brunet, Les mots de la géographie, La documentation française, 1992.
! On commence alors à percevoir, au travers de cette définition du seuil qui caractérise la limite, la notion de potentialité. Les limites urbaines, ces seuils mal définis, peu identifiés et identifiables auraient ils donc un intérêt ? Porteraient ils en leur sein un foisonnement d’opportunités à saisir par les nouveaux planificateurs de la ville ? Les architectes ? Les designers ? Les artistes, cinéastes, sculpteurs ? Ou tout simplement des espaces ouverts à l’annexion pour qui veut bien les voir et les faire fructifier ? Lorsque nous entendons parler autour de nous, dans les médias, aux réunions de PLU, aux assemblées générales sur le thème de la ville en changement, lors de concours ouverts, partout, d’un monde idéal sans barrière et sans exclusions, ce n’est pas la notion de frontière qui est en cause. Les limites sont perçues comme un appel à la curiosité et au départ.
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Notre idéal ne devrait pas être celui d’un monde sans limites, d’une ville sans frontières, d’un espace sans barrière, mais celui d’un monde où toutes les limites
seraient
clairement
identifiées,
reconnues,
respectées
et
franchissables. Afin d’aller en ce sens, K. Lynch détermine un certain nombre de ces limites dans son ouvrage « L’image de la Cité ». Il les classe en fonction de leur « degré d’infranchissabilité » : Pour lui, « Les limites qui semblent les plus fortes sont celles qui non seulement prédominent visuellement, mais aussi ont une forme continue et sont impénétrables aux mouvements traversants » Kevin Lynch, L’image de la cité, Dunod, 1969.
Il identifie ainsi en premier lieu les rivières, fleuves et bords de mer. Pour cela il prend exemple sur les rives de la Charles River à Boston. Bien que requalifiées, embellies et ouvertes sur l’eau, ces berges-ci sont closes sur elles même puisqu’interdisant la traversée vers la rive d’en face. Les rives de fleuves constituent un recueil des frontières les plus caractéristiques que présentent la plupart des grandes métropoles. S’étant historiquement construites en bord de fleuve afin de s’ouvrir au commerce et plus généralement à la voie de circulation la plus aisée, elles gardent souvent cette fracture béante en plein cœur de leur centre historique. Les autoroutes et certaines voies de chemin de fer ou de métro rentrent dans une seconde catégorie particulièrement constitutive de ruptures urbaines : les limites fragmentaires abstraitement continues mais visibles à certains endroits discontinus seulement. Inaccessibles aux piétons, infranchissables à certains endroits, saillants en partie, ces tronçons particuliers ne sont perceptibles que partiellement, entre
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deux points d’appui, entre deux de leurs extrémités, entre un pont ou un tunnel… Il faut tenir compte de la puissance de rupture d’une limite : quand pour toute qualité nous mettons en avant la continuité et la visibilité, il n’est pas nécessaire pour que les limites soient fortement ressenties, qu’elles soient impénétrables. Le limites, qu’elles soient perçues de manière fortes ou non sont de plusieurs nature, souvent difficile à classifier tant les cas particuliers sont nombreux et les règles, en matière de rupture existent peu. On note la récurrence de certaines typologies de limites : Lignes de chemin de fer, topographie, voies de transit, frontières de quartier, barrières naturelles, creux ou ponts créés par les autoroutes…
a. La limite comme facteur de la régénération urbaine
« La ville est un univers de changement. Les signes de l’intervention humaine saturent l’espace visible (…) tout est histoire, tout relève de la transformation des lieux, de leur aménagement, de leur usage. La permanence qui se donne à voir ici, c’est celle de l’évolution continuelle. » Michel Peroni & Jacques Roux Paysages en ville Les annales de la recherche urbaine n°85, 2000
Si naïvement la ville se résumait à un astucieux mélange entre espace public et espace privé, la limite aurait bien du mal à trouver sa place. L’espace public peut être rapporté directement à l’espace clos, celui de l’intimité, du cocon, peut être assimilé à celui de l’habitat humain. C’est un
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espace centré sur l’Homme, l’espace qui lui est dédié et dans lequel il peut se développer : son écosystème personnel, qu’il peut adapter à son mode d’évolution propre, ses habitudes, ses envies. L’espace ouvert, lui, est celui de la rencontre, ce n’est pas un lieu mais des lieux, une nappe continue de connexions et de liens. C’est précisément l’espace de la collectivité ou l’Homme unitaire passe en arrière plan. Ce n’est plus celui où l’Homme fait ce qu’il veut mais celui où il se trouve en connexion avec les autres, qu’il le veuille où non. Cet espace ouvert participe également de l’équilibre des Hommes puisqu’il est le lieu de cristallisation des rapports sociaux. En définitive, l’espace clos est relatif à soi, c’est la maison, la chambre, le « chez-soi », tandis que l’espace ouvert est relatif au « commun » général, c’est la rue, la grande place, la ville… Or, quand l’Homme arrive au contact de la limite, il s’opère une phénomène étrange : il est confronté dans un espace ouvert à une clôture. Un espace clos dans un espace ouvert, ou plutôt, un espace que l’on croyait ouvert qui en réalité est clos. Un mensonge auquel on aurait honte d’avoir pu croire. Si, à ce moment précis, l’Homme se sent dupé, honteux, gêné d’avoir été le dindon d’une farce dont il ne comprend plus les rouages, c’est que face à la limite, l’Homme se questionne, il est renvoyé à lui-même. Il s’opère un retournement inattendu : la limite au lieu de terminer une séquence, l’ouvre sur un vagabondage confus de la pensée. C’est en cela que la limite constitue une opportunité pour l’Homme : celle de ré-fléchir (ne plus juger ce que l’on voit mais retourner le miroir vers soi et penser à notre personne, notre être), celle d’imaginer, celle de comprendre, ou simplement celle d’être marqué.
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Si l’apprentissage et la réflexion passent par la compréhension, ils passent également par l’expérience traumatique. Un marquage à chaud qui reste une marque en ce qui le mot signifie de plus élémentaire : une trace indélébile qui intervient à un instant T et sur laquelle on continue de se construire. Il y a un avant et un après cette marque. Quand on se casse le bras par exemple, au moment de la chute, la douleur, la situation, l’environnement sont comme arrêtés et s’impriment en notre mémoire. Pendant la guérison en portant un plâtre, nombreuses sont les personnes à s’inquiéter des circonstances et de la gravité de la blessure. Pourquoi est ce ainsi ? Parce qu’on sait que la personne qui s’est blessée a appris de son incident, qu’elle ne réitèrera pas l’expérience dans le même cadre, qu’elle en ressort grandie ou au contraire détruite, et qu’à chaque fois qu’elle sentira une faiblesse dans son bras, elle revivra un peu son traumatisme de chute. Il en va de même pour les expériences traumatiques morales. Sans rentrer dans un long débat sur la psychanalyse, nous noterons simplement que nos habitudes sont rapidement et régulièrement bousculées par des traumatismes mineurs. Ils nous paraissent si mineurs que nous pourrions presque les nommer « traumatismes de routine » : ces rues fermées pour intervention de pompiers qui nous font changer de trajet, ces métros en retard qui nous font découvrir la ville à une vitesse plus lente, ces ascenseurs en panne qui nous font voir pour la première fois la couleur des paillassons de nos voisins… Toutes ces expériences nous font nous questionner, nous retournent sur nous mêmes. Il s’agit quasiment du même processus que celui qui nous fait réfléchir quand on se trouve face à une limite urbaine inattendue. C’est en cela que réside le paradoxe de la limite. Dans un espace ouvert où habituellement nous orientons notre esprit vers les autres, où la fluidité est de mise, où l’altérité occulte presque entièrement l’unicité, l’Homme se met soudainement à s’interroger lui même, à faire immédiatement le processus qu’il met en place dans son intimité, chez lui.
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La limite est un exemple singulier d’expérience traumatique psychique mettant le paradoxe en place.
Afin de déterminer en quoi la limite est un réel facteur de régénération urbaine, on pourrait alors se poser la question de la forme et de l’épaisseur de cette limite, comme nous l’avons déjà fait auparavant sans jamais réellement réussir à en déterminer les contours de manière certaine. Comment peut on dessiner une forme sans limite ? Ou comment dessiner une limite ? Ces questions sont aussi alambiquées que celle d’imaginer une nouvelle couleur. On ne peut y répondre car elles atteignent un seuil de notre pensée : une limite à nouveau. On peut alors, pour tenter d’approcher la question sous un angle moins scientifique, se demander si la limite n’aurait pas l’épaisseur que chacun veut lui donner, la forme que chaque personne lui donnerait serait différente. Si, imprégnés de nos remarques sur le paradoxe de l’espace ouvert/espace fermé et celui de la limite qui ouvre au lieu de fermer, nous émettions une hypothèse sur l’épaisseur et le dessin commun de chacun d’entre nous sur un type de limite. Ce contour, ce périmètre pourrait très simplement être lié au temps pendant lequel notre esprit reste marqué par cette rupture urbaine. Par exemple, si d’un trajet préparé, je suis détourné de mon but par le passage d’une voie de chemin de fer qui ma bloque le passage, je vais tourner ma pensée vers moi, en tentant de reprogrammer un nouveau trajet, en me demandant pourquoi je me suis fait duper par la géographie du lieu qui, à l’étude sur plan, semblait simple. Une fois que j’aurais retrouvé la ville comme je l’imaginais, que j’aurais replanifié un trajet et que je ne m’étonnerai plus de ce qui m’a fait perdre tant de temps, je serais sortie de la limite. J’aurais dépassé son contour.
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La limite est considérée comme un non lieu et un tout-lieu à la fois, ce serait le lieu où tout prendrait sens, une exception qui confirmerait la règle de la ville en somme. Or ce qui détermine un lieu, et donc son contour, c’est que l’on se trouve ici, pas ailleurs. « Tout [y] est là dans une simultanéité de profondeur qui s’approfondit en ellemême d’une seule tension de durée. » Henri Maldiney Philiosophie, art et existence Cerf, 2007
On pourrait alors, pour définir le non lieu que représente la limite partir de cette définition du lieu pour en déterminer les caractéristiques principales : Si dans le lieu « tout est là », alors dans le non lieu, il n’y aurait rien. Ce serait un vide, un « rien n’est là ». Pourtant, si la limite et le non lieu sont des cassures dans la logique continue de la ville, elles sont bien remplies. Qu’elles le soient pour un usage particulier (le passage des trains, l’écoulement d’un fleuve, le dégagement nécessaire aux vues des constructions alentour) ou par laps de temps (en attente de construction, en démolition, en reconversion, en étude), il s’y trouve des choses. Il n’existe nul part un espace totalement vide, un trou béant dans la terre ou absolument rien n’existerait. C’est parce qu’ils sont des terrains idéaux pour les expérimentations et les jeux, que les enfants s’y retrouvent pour y jouer, qu’ils les préfèrent aux jardins publics répondant à des règles strictes et étant, la plupart du temps, beaucoup plus vides que des terrains vagues, des friches ou des zones non aedificandi. Si, en présence du lieu les choses s’approfondissent, alors dans le non-lieu, dans la limite et sur ses contours, les choses seraient plates, sans
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profondeur, mortes, sans dilemme ou sans paradoxe. Une sorte de platitude reposante que l’on opposerait à la frénésie de la ville, constituée de lieux. Or nous avions dit précédemment que c’est grâce à l’existence de la limite que la ville existe réellement. C’est l’exception essentielle à la survie de la continuité de la ville, à la survivance et la régénération de l’urbain. Si dans le lieu, la notion de durée est présente, elle ne l’est absolument pas dans la limite ? Ou alors, dans un non lieu, le temps aurait une autre valeur. Il se compresse, ou se dilate puisqu’il répond à une logique différente, celle d’une antithèse du lieu. Quelle serait l’antithèse du temps ? Piet Mondrian s’interroge sur la même question : « Le temporel évolue, et ce qui bouge appartient au temps. (…) La mobilité c’est bouger et changer avec le mouvement du temps. » Piet Mondrian Le drame de la guerre des villes Revue PLUS, n° 3 / 4, 1988
La limite qui n’est pas programmée, dessinée entièrement, qui ne bouge plus depuis qu’elle existe, qui n’a pas connu de temps forts, ne bouge donc pas. Cela signifierait qu’elle serait hors du temps ? Forts de cette définition de la limite par la négation de la définition du lieu, nous pouvons nous poser à présent la question des typologies de limite et de leur implication dans la régénération de l’urbain. Nous avons vu plus haut que la limite peut être considérée comme un « vide » bien qu’elle soit en réalité pleine et que se soit justement dans ce remplissage mystérieux et changeant qu’elle trouve sa richesse. Dans les définitions qui sont données à la limite et que nous avons déjà étudiées précédemment, la limite est perçue comme un espace interstitiel, un vide honteux que l’on évite de définir.
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Elle est perçue comme un accident de parcours urbain, rarement jugé positivement. Comme le dit très simplement Flaubert dans son dictionnaire des idées reçues : « ACCIDENT : (n.m.) Toujours déplorable ou fâcheux (comme si on devait jamais trouver un malheur une chose réjouissante...). » Gustave Flaubert Dictionnaire des idées reçues Editions Conard,1913
Pourtant, nous soutenons la thèse inverse, nous sommes convaincus que les limites portent en elles des potentialités d’une richesse inestimable, de nature différentes, d’un nouveau mode de régénération de la ville et par conséquent de la société. Mais revenons à la perception de la limite pour tenter d’en percevoir de nouveaux aspects. C’est un (non)espace appelé « espace négatif » en opposition en espace positif, tout comme l’espace vide (n’est ce d’ailleurs pas une contradiction en soi que de qualifier un espace de « vide » ?) est en opposition à l’ « espace plein ». De prime abord, la limite est négative. C’est, si on emprunte ce terme à la photographie, un instantané non traité, brut et non raffiné que l’on garde à l’abri, caché et que l’on ressort quand il s’agit de développer à nouveau un cliché. Par analogie nous pouvons définir la limite ainsi : c’est un instantané urbain, figé, suspendu dans le temps. Elle est non traitée, brute, peu (voire pas) qualifiée, non raffinée. Elle est gardée à l’abri des regards, honteuse, cloisonnée
parfois
pour
lui
donner
une
contenance,
pour
tenter
maladroitement de la délimiter. Et, comme un négatif de photographie, on s’en sert quand il s’agit de développer un quartier, la ville, de remplir les vides, de
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cacher les stigmates d’une ville qui ne se serait pas faite en un jour comme si c’était une honte de la part nos civilisations si habituées à planifier totalement et partout. « Elles représentent ce qui résiste encore dans les métropoles, ce qui résiste aux emprises réglementaires et à l’homogénéisation. Elles constituent en quelque sorte la réserve de disponibilité de la ville » Pascal Nicolas-Le Strat Expérimentations politiques Fulenn, 2008
Les qualités des différentes limites semblent perceptibles dans cette définition, elles semblent poindre mais les moyens de les utiliser ou des les (ré)intégrer dans le tissus urbain existant restent obscurs. Il nous est déjà arrivé à tous de nous trouver confrontés à ce type de lieux. Certains y passent en essayant de les oublier, d’autres se réjouissent de pouvoir s’y installer sans être dérangés (parking de voitures, déversions de déchets…), les autres les évitent volontairement pour ne pas avoir à s’y confronter. « L’expérience du lieu peut être rare mais peut être donnée à n’importe qui. Je veux dire que l’expérience peut être simple mais jamais banale » Henri Maldiney Philosophie, art et existence Cerf, 2007
Mais ce qui rend ce sujet actuel et d’une importance capitale, c’est que les politiques de la ville doivent, elles, faire face à ces espace interstitiels, elles doivent prendre des décisions, que ce soit aujourd’hui ou pour planifier la ville de demain, or elle ne savent pas encore réellement sous quel angle les aborder.
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Nous sommes à l’ère de la densification, l’ère de la construction sur les constructions : les écoles d’architecture, berceaux de la cristallisation des modes de « faire la ville » du futur, orientent leurs cours de projet sur cette thématique. "
« Urban changeover : Paesaggio Sopraelevato » au Politecnico di Torino
"
« Construire la ville sur la ville » à l’ENSA de Nantes
"
« Densificazione urbana : riempire i bucci» au Politecnico di Milano
"
…
Dans peu de temps, les villes iront vers une densification de plus en plus importante, éviteront à tout prix l’étalement urbain, de nouveaux processus de fabrication interne verront le jour, une nouvelle révolution de l’urbain est déjà en marche. Et pour ce faire, les non-lieux que constituent ces limites vont devoir être pensées (et pansés) comme facteur primordial du nouveau processus de fabrication de la ville. Elles permettront de définir un nouvel ordre urbain, social, culturel, économique et politique. Il ne s’agit plus de les mettre en valeur comme le feraient les villes musées, comme il est d’usage de faire des « restes » de la ville dont on ne sait quoi penser. Il est question aujourd’hui de les activer pour qu’elles prennent la place qui les attend dans le tissu constitué et en permanente mutation. Les limites sont trop souvent considérées comme des fins, et non comme espaces de transition, comme entre-deux, comme distance nécessaire pour une cohabitation aisée, comme espace de jeu des enfants et lieu de déambulation des rêves des parents. Leur statut indéfini les fait percevoir comme des lieux incertains, en attente de transformations ou de décisions institutionnelles et administratives (c’est un
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réflexe humain, de croire qu’une institution plus puissante que soi décide de l’avenir, de ce dont on ne sait quoi penser). Ils pourraient, au lieu d’attendre, être activés d’une autre manière, par d’autres acteurs. Ils pourraient fonctionner selon des principes nouveaux d’autogestion et de programmation temporaire ou éphémère, flexible et réversible. C’est en somme vers une reliance généralisée que les villes tendent en souhaitant de densifier pour se régénérer (l’un ne passant pas forcément par l’autre et vice-versa). Aujourd’hui ce besoin de relier, de renouer des liens physiques, sociaux, matériels, urbains est devenue une priorité : elle n’est plus uniquement complémentaire d’un individualisme assez généralisé mais aussi une réponse aux inquiétudes communes de la vie individuelle en milieu urbain. Afin de pouvoir mettre en synergie tous les éléments permettant d’habiter et de cohabiter de manière plus homogène, le souci des caractéristiques communes (qualité d’espace, sécurité, durabilité, pérennité…) se confronte à la singularité des lieux, des différents creux, des limites (aussi hétéroclites que nous avons pu le constater). C’est précisément ces rythmes pluriels et leurs résonnances changeantes avec le temps qui constituent l’enjeu des reliances de la ville de demain.
d.
Rupture urbaine, lien social
! ! G. Perec dans son ouvrage Espèce d’espace imagine de nouvelles façons d’habiter le sensible : il réorganise alors l’espace selon des fonctions sensorielles et y rajoute une pièce difficilement imaginable mais essentielle à la survie de l’appartement : la pièce inutile. « Absolument et délibérément inutile. (…) C’aurait été un espace sans fonction. Ca n’aurait servi à rien. Ca n’aurait renvoyé à rien. » Pour lui, le rien, le vide, l’afonctionnel aurait pu devenir la clef de voute de la bonne vie de famille dans un appartement. En irait il de même en ville ?
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La rupture et la limite urbaine sont des notion qui ne disparaitront pas. Que la ville change, se régénère, disparaisse ou progresse, il y aura toujours des terrains vagues, des non lieux, des dents creuses. On pourrait même pousser le raisonnement pour conclure sur le fait que tant que la ville abritera en son sein des continuités, une fluidité quasi constante, elle augmentera alors son nombre de limite du même coup. S’il en est ainsi, il semblerait que ces espaces soient indispensables à la survie de l’urbain, empêcher la mort et la guerre des villes. Ces espaces portent en eux des aspects positifs, ils évitent des guerres sociales, des tensions urbaines. Ils sont nécessaires. Les frontières de la ville définissant des limites urbaines que nous avons creusées et questionnées précédemment, trouvent quelque part une sorte de « légitimité » qui leur permet de rester en place (pour un temps donné, plus ou moins court, à l’échelle de l’humanité). Si nous questionnons leurs raisons d’être, nous arriverons à trouver une piste d’explication de l’aspect positif que les limites urbaines engendrent. "
Tout d’abord, elle a une légitimité géographique. La limite se trouve à un endroit particulier, où si elle n’est pas comblée, cachée, transformée, c’est qu’elle y a été créée par la nature du lieu, par sa géographie.
Par accident parfois, comme c’est le cas suite à un tremblement de terre, un tsunami ou tout autre catastrophe naturelle. Un quartier se retrouve coupé en deux par une fracture physique, un terrain qui a glissé… D’autres fois pour des raisons géographiques liées à un temps long, comme celui de la constitution des montagnes. Même si on le voulait, on ne pourrait stopper les montagnes dans leur ascension, pourtant elles créent des ruptures
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importantes dans les villes qui s’y sont construites. Les infrastructures de transports
sont
complexifiées,
les
communications
peu
aisées,
les
constructions toujours plus lourdes pour résister à la chute, les accès alambiqués… Il s’agit parfois aussi de la perte de fonction première d’un élément naturel, dû au temps et à la Nature. C’est le cas par exemple des fleuves dont le lit s’est déplacé. L’usage de la limite que créait le fleuve a perdu sa fonction, et a créé un vide urbain. La fonction n’est alors plus celle d’un fleuve transportant l’eau mais un lit creux et vide afonctionnel. Dans ce type d’espaces, l’accident traumatique est survenu, créant une limite quasiment immuable. Qu’elles soient transformées, mises en avant, ou requalifiées, les limites engendrées par la nature sont perçues différemment, comme si elles seules étaient « naturelles » et qu’il s’agissait du « destin de ces lieux ». C’est du moins ce que l’on entend quand on questionne la légitimité de ces creux, de ces ruptures. "
Ensuite, nous pouvons constater que la limite est légitime voire nécessaire pour les opérations de grands équipements de circulation (réseaux ferroviaires, viaires, autoroutes..). Or on constate un paradoxe propre aux grandes villes occidentales développées dans lequel la question de la limite est au cœur du problème.
En effet, les grands équipements viaires (autoroutes, départementales, échangeurs, bretelles…), ferroviaires ou maritimes, sont les facteurs premiers de développement de villes. C’est le long de ces axes que s’organisent les magasins, les revendeurs, les entrepôts, et surtout, c’est le long de ces axes que s’étend la ville. Il aujourd’hui toujours possible d’identifier sur une carte le centre d’une ville puisqu’elle s’est (quasiment) toujours développée le long de la croix formée
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par le cardo-décumanus (axes Nord-Sud et Est-Ouest). Il en ira de même avec le développement du chemin de fer. Pourtant, lorsqu’une nouvelle infrastructure de transport s’installe sur un tissu déjà constitué, elle y opère une fracture gigantesque. C’est le cas par exemple de l’autoroute du Nord, la plus fréquentée de France, qui s’est construite en 1967 et qui relie Paris à Lille en coupant littéralement la ville de Saint Denis en deux. Malgré les efforts considérables de réparation de cette fracture (notamment par la couverture de quelque 30 000 m2 d’autoroute sur une portion passant par Saint Denis), la ville est toujours meurtrie. Le développement de la ville passerait donc par de violentes fractures des tissus préexistants fonctionnant bien ? Il s’agirait d’un « mal nécessaire » pour la survie de la ville ? Ou simplement d’un choix politique erroné, d’un pari perdu ? Quel qu’il en soit, une autoroute passant sur un territoire (qu’elle soit au même niveau de sol que le passant, au dessus ou au dessous de lui) est une limite en soi. Prenons le cas le moins problématique en apparence : celui d’une autoroute surélevée du sol, portée par de larges poteaux de béton. Dans ce cas présent, si ce n’est pas sa traversée qui pose problème, c’est alors le bruit continu et l’espace qu’elle engendre qui fait limite. Jusqu’à présent il n’a pas été trouvé de solution idéale pour résoudre ces questions : Comment habiter la sous-face d’une autoroute, comment traiter ses abords ? Peut on y insuffler la lumière, le silence, la vie ? Faut il le considérer comme un passage ou comme un espace ? Quelle fonction lui donner ? Ephémères, durables, quel avenir pour ces limites ? "
Les limites peuvent également être perçues comme des zones d’ombres pour les institutions, des poches non dessinées, des résidus de la gestion de la ville en général. Elles bénéficient alors d’une
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légitimité toute relative, on pourrait alors parler de légitimité « de fait », comme pour un mensonge par omission, il s’agirait d’une légitimité par omission. Depuis toujours, la ville s’est construite de manière instinctive, par succession d’initiatives personnelles, de projets de petite échelle qui, superposés les uns aux autres créent ce que l’on appelle, une fois qu’elle semble avoir un semblant de logique propre, une ville. Un sorte de palimpseste témoignant de l’âge estimé de l’urbanité. C’est justement parce que la ville, celle que nous décrivons, contient des limites résiduelles ou indues par des superpositions peu heureuses que l’on la nomme ville. Les villes nouvelles, où toutes les limites sont abolies, que tout est contrôlé, maîtrisé, occupé, ne peuvent aujourd’hui plus concourir au même statut que celui des villes « traditionnelles ». Simplement parce que leur aspect fini n’ouvre pas à la rêverie, à l’initiative individuelle, à l’appropriation sauvage, aux opérations non formelles ou officieuses. « La ville est au contraire un univers de changement. Les signes de l’intervention humaine saturent l’espace visible (…) tout est histoire, tout relève de l’histoire, de la transformation des lieux, de leur aménagement, de leur usage. La permanence qui se donne à voir ici, c’est celle de l’évolution continuelle. A tel point qu’en ville, la notion de paysage n’est pas indemne des processus de mémoire ou d’anticipation : ici hier, il y avait ; demain là, il y aura. » Michel Peroni & Jacques Roux Paysages en ville Les annales de la recherche urbaine n°85, 2000
Ce que les villes traditionnelles ont de plus que les villes nouvelles, c’est leur propension à intégrer de l’imprévu en leur sein.
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L’éliminer du calcul comme un accident casseur de rationalité comme le font les institutions projetant les villes-illimitées, c’est interdire la possibilité d’une pratique vivante de l’urbain. Ce serait équivalent à ne laisser à ses habitants aucun choix, ne leur laisser que des morceaux d’une programmation fait par le pouvoir d’un autre et altérée uniquement par l’évènement. Avoir au sein d’une ville de multiples limites, c’est introduire en elle le principe de temps accidenté. « C’est ce qui se raconte dans le discours effectif de la ville : une fable indéterminée, mieux articulée sur les pratiques métaphoriques et sur des lieux stratifiés que l’empire de l’évidence dans la technocratie fonctionnaliste. » Michel de Certeau L’invention du quotidien Gallimard, 1990
"
La limite urbaine a aussi des légitimités sociales. En réaction à différents types de ruptures du milieu urbain, les Hommes arrivent à retisser de nouveaux liens sociaux. Certains autres profitent de la limite urbaine pour s’en faire une limite psychologique qui les rassure, une sorte de zone franche les protégeant des autres.
Si certains quartiers ségrégués et fragmentés résistent à la dissolution des liens sociaux en renforçant le mode d’intégration locale, à la fois familial, communautaire et religieux, d’autres n’échappent pas à la tendance généralisée au repli sur soi et à l’abandon de toute recherche de sociabilité dans l’entre-soi. Dans ce cas, il ne s’agit pas systématiquement d’une perte de repères ou d’une preuve de détresse psychologique. Deux quartiers aux origines différentes, aux rites contraires, aux habitudes opposées, aux CSP discontinues, préfèrent souvent ne pas se mélanger,
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n’ayant pas les mêmes modes d’habiter ou de vivre la ville. Il ne s’agit pas ici de décisions politiques ou étatiques mais d’initiatives privées, individuelles. Le fait que ces deux populations contraires s’installent d’elles-mêmes dans deux ghettos différents, recréant chacun un entre soi rassurant, prouve qu’il s’agit d’une mise à distance voulue afin d’être plus libre dans une zone limitée3. Dans l’espace déterminé par ces ghettos, les populations souhaitant s’isoler peuvent vivre selon leurs lois, coutumes, rites particuliers tout en faisant face au reste de la ville dans laquelle ils s’exportent en se conformant cette fois aux règles générales urbaines. Aujourd’hui on parlerait plutôt d’enclaves, de quartiers, de zones mais plus de ghettos. Pourtant l’idée reste la même : celle de profiter d’une limite urbaine, physique, sensible, pour permettre à toute une population de se sentir entre soi, de hiérarchiser leurs espaces de liberté. Ainsi ces résultats conduisent à la conclusion que dans un contexte urbain d’inégalités et de forte ségrégation spatiale, la capacité locale de régulation normative d’une part, et l’entrecroisement des liens sociaux à l’échelle du quartier d’autre part, constitue des formes de vie autour des limites urbaines. Supprimer la limite urbaine qui sépare deux quartiers indépendant l’un de l’autre pourrait rendre les rapports sociaux plus compliqués et la cohabitation difficile. On considèrera donc ce type de limite comme légitime du point de vue social et humain.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 3
Nous noterons l’ironie de cet objectif : la liberté étant habituellement vue comme l’appropriation d’un espace illimité, elle se confronte ici à des frontières claires.
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III.
L’ARCHITECTE FACE À UN POTENTIEL À MAGNIFIER
a. L’esthétique spontanées font
des franges : manifeste
quand
les
appropriations
Nous terminerons notre cheminement intellectuel sur des illustrations de requalifications urbaines se focalisant sur les ruptures pour régénérer la ville d’aujourd’hui et de demain. Le pouvoir régénérant de ces oubliés de l’urbanisme est inestimable, de plus en plus de métropole s’appuient sur eux pour continuer de construire la ville sur elle même, la rendre plus riche, adaptable et exemplaire. Plutôt que de parler de profit, d’intérêt, de légitimité, nous arriverons à prouver le caractère régénérant des limites urbaines en abordant ses aspects positifs en des termes plus larges : ceux du partage, de la potentialité, de l’ouverture du champ des possibles, de la permissivité de ces espaces. C’est par ce détour que nous parviendrons à donner à la limite son gène régénérant à fort potentiel futur. Ce qu’il y a de beau dans ces espaces, ces « non lieux », ces limites épaisses ou ponctuelles, ces creux, ces trous, c’est qu’ils n’ont pas (encore ?) d’étiquette. Ils ne sont pas là pour quelque chose en particulier. C’est la raison pour laquelle nous les évitons souvent, que nous ne savons pas quoi en penser… Ce qui est beau et qui les rend essentiels à l’Homme, c’est qu’ils sont les terrains des rêveries. « Une ville qui ne fait pas rêver n’est pas une ville » Pierre Sansot Poétique de la ville Klincksieck, 1973
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Comme le dit Pierre Sansot, le rêve est une expérience unique des sens (le souvenir et l’imprégnation que l’on en a). Il n’y a pas d’épuisement des possibles dans ces lieux rêvés. Ces endroits doivent être partagés, pour arriver à partager toutes les expériences du sensible. Ils sont indispensables à nos vagabondages, à la stimulation nouvelle de nos sens et à leur partage, à la survie de l’Homme et donc à celle de la ville, forme construite du développement humain. En arrivant à cet objectif, on pourra alors enfin prétendre être en un point précis et, grâce au partage de ce lieu, dire que l’on y retrouve le monde global. N’est ce pas ce que l’on ressent en étant dans un lieu urbain défini en ville ? « Le véritable lieu urbain est celui qui nous modifie, nous ne serons plus en le quittant celui que nous étions en y pénétrant » Pierre Sansot Poétique de la ville Klincksieck, 1973
Il en sera de même pour les limites que l’Homme sera parvenu à surpasser, à domestiquer, à appréhender, à connaître mais surtout à conserver. Elles deviendront de réels lieux urbains à caractère régénérant. « Dans tous les pays, la nécessité de l’organisation créée, volontaire, avec tout ce qu’elle entraîne de responsabilités sociales, prend le pas sur le phénomène de l’organisation spontanée. C’est même à mon sens ce qui caractérise notre époque, cette obligation dans laquelle nous nous trouvons de penser en termes complexes d’organisation du territoire. » Henri Maldiney Philosophie, art et existence Cerf, 2007
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Ce que dit ici Maldiney est assez représentatif de la façon que les urbanistes (mais au même titre, les administrations, l’Etat, les communes, les architectes…) ont d’appréhender les limites urbaines. En témoigne également la manière que nous avons actuellement de renouveler nos villes : les outils dont disposent les « projeteurs » sont rares et procèdent de manière assez systématique. Ce sont aujourd’hui les ZAC qui incarnent le mieux la force de frappe du renouvellement urbain. Quant aux opérations qui tendent à faire du quasi sur-mesure (comme celles de l’ANRU), elles se heurtent rapidement aux problématiques des acteurs (trop nombreux) de la ville. A l’heure du soin apporté à l’environnement en mettant en place des moyens et des équipes colossales, l’occident peine à résoudre la question que posent les limites urbaines au cas par cas comme il serait sans doute préférable de faire. Les outils inadaptés, les règlements excluant ces définitions de limites urbaines, les acteurs trop nombreux de la ville et le nombre de typologies différentes de limites ne proposent pas encore d’éléments de réponse à ces questions complexes. Des mailles métalliques interdisent l’accès des terrains vagues, leur donnant ainsi une certaines préciosité : visibles, libres, vides mais interdits, ils sollicitent l’œil : introduisant l’intrigue de leur présence en jouant de jeux de transparence. Ils sont même surveillés par des gardiens, semblables à des agents de police jumelés de gardiens de musées : comme si ces espaces étaient si rares qu’ils nécessitaient d’être cadrés par une grille, comme l’est une œuvre par un cadre, commentés par des experts, préservés par ces gardiens du vide. Finalement, ils semblent être les éléments les plus pérennes de la ville et à la fois les plus mutables. Pérennes dans le temps long et mutable dans l’adaptabilité et la flexibilité qu’ils permettent.
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Ravalement, remise en peinture, restauration, aseptisation, effacement du passage du temps, toutes ces opérations tendent finalement à une muséification du patrimoine bâti. Or la limite garde souvent le même aspect depuis sa naissance jusqu’à sa transformation, son utilisation pour une autre fonction. Elle est, de par le fait qu’elle soit vide peut être, pérenne, immortelle.
b. Une spatialité à réinvestir à l’heure de l’immatériel
Notre sujet d’étude étant assez vaste, nous avons affiné notre terrain d’investigation sur une zone plus particulière : celle du 12ème concours d’Europan à Paris Porte des Poissonniers. Nous décrirons l’aire d’intervention et les raisons pour laquelle elle constitue un cas typique de zone de régénération urbaine et en quoi les discontinuités inclassables qu’il propose sont aujourd’hui au centre des questionnements des sociologues, politiques, artistes, urbanistes, architectes et paysagistes. Les villes d’Europe sont engagées depuis quelques années dans une transformation assez radicale : elles doivent au plus vite diminuer leur empreinte écologique pour tenter de résoudre le problème généralisé de la crise énergétique, doivent afin de préserver l’espace disponible essentiel à l’équilibre global réduire leur étalement urbain tout en attirant toujours plus de populations en ville, se doivent d’être attractives et ouvertes pour rester dans la course mondiale. Toutes ces transformations concernent à la fois la forme de l’a ville, son histoire, ses forces et faiblesses, sa morphologie et leur métabolisme, lié aux modes de vie qu’elle induit.
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Pour répondre à ces changements propres à notre époque, le concours Europan propose chaque année à des équipes d’architectes-urbanistespaysagistes de réfléchir à l’un des aspects de la question. En 2013, c’est la problématique du temps qui a été choisie comme axe de réflexion afin de rendre la ville plus adaptable. Le titre de cette cession fut donc « la ville adaptable, insérer les rythmes urbains » Afin d’ouvrir la réflexion à une zone et un public large, une cinquantaine de sites, dont sept en France, sont proposés en Europe. Les équipes sont quant à elles constituées de toutes les disciplines concernées par la mutation des territoires (architectes, urbanistes, géographes, paysagistes, designer…) et pas seulement aux seuls architectes et urbanistes. Lors de la 12ème édition du concours Europan, le seul site parisien proposait se trouvait porte Poissonniers au Nord-Est de Paris. C’est la première fois qu’un site dans Paris intra muros est proposé pour le concours Europan. Il s’inscrit dans le vaste territoire en mutation de la périphérie parisienne faisant l’objet d’une réflexion stratégique qui a pour principal but de refaire sur ellemême une ville dense, durable, qui insèrerait progressivement la ville de demain
dans
la
ville
d’aujourd’hui.
Afin de permettre aux équipes de mieux connaître le site, il leur est proposé une visite du terrain d’étude (27 ha) et de projet (4 ha) en presence d’experts du terrain qui permet de mettre l’accent sur les principales caractéristiques du lieu. Dans le cas de la porte des poissonniers, le rapport de visite insiste sur la presence de “fractures urbaines, d’opportunités foncières à plus ou moins long terme, de limites et contraintes présentes sur le terrain d’études” Le thème du concours étant assez clair, il est évident que le jury concède à la libération de certains espaces par leur possibles mutabilité et poussent, de ce fait, à la libération du foncier permettant une plus grande marge de manœuvre
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projectuelle sur un territoire particulièrement contraint par des limites urbaines multiples. En limite des anciens quartiers de faubourgs, le territoire de la Porte des Poissonniers est composé de tissus urbains traditionnels, de grandes emprises d’activités industrielles, et d’opérations urbaines des années 60-70, logements sociaux, équipements, stades, entrecoupés par des infrastructures majeures, des réseaux viaires et ferroviaires. Toutes ces limites urbaines présentent un réel enjeu sur l’espace considéré par le concours mais aussi plus largement dans toute l’agglomération parisienne : - Le périphérique qui marque la bordure du site étudié par Europan est en viaduc, surplombant les immeubles tel un monstre de technologie, comme un axe de la modernité désuète, bruyant et grouillant. Il a été construit sur les anciennes fortifications, et est très souvent perçu comme une barrière, un mur entre Paris et la banlieue, ceux du dedans et ceux du dehors. Il semble même aujourd’hui être un frein aux ambitions d’un Grand Paris qui sait désormais que son avenir est aussi sur les marges, hors les murs. La mise à l’échelle de Paris passe par le dépassement du périphérique, son intégration urbaine et métropolitaine. Il endosse le rôle de dernière barrière de Paris, la dernière ombre au tableau de la ville de lumière, si unie et illimitée qu’elle paraît. La frontière coupure est rêvée en frontière couture. Le périphérique apparait comme une nouvelle terre promise pour une métropole à l’étroit qui veut dépasser les bornes pour réconcilier l’Urbs et la Civitas4, ré-articuler la ville fonctionnelle et la ville administrative, améliorer la vie quotidienne des habitants et conserver son rang dans le classement des villes mondes.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 4!En latin la ville est « urbs », et signifie une ville avec son enceinte qui en Grèce est la cité nommée « Polis ». Les romains l’opposent à la « civitas » désignant l’ensemble des citoyens qui constituent la ville!
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Les solutions proposées pour tenter de redonner une réalité urbaine construite (ou du moins programmée, choisie) à cette rupture sont celles comparables à de petits tricotages permettant de retisser le lien entre la ville et la banlieue en continuant à profiter par endroit des perspectives métropolitaines. On cherche à estomper l’impact d’une infrastructure essentielle que l’on ne peut faire disparaître en multipliant les liaisons de part et d’autre, en équipant les portions couvertes et en végétalisant. Prenons pour exemple la couverture de la Porte des lilas avec son jardin, son cinéma et son école qui fait figure de modèle pour le futur du périphérique qui s’esquisse. "
Vient doubler cette rupture gigantesque, l’auréole de ceinture verte qui encercle Paris.
La ceinture verte parisienne a été imaginée comme un système homogène, elle a été confrontée pendant un siècle à un développement urbain qui a peu à peu effacé la lisibilité de l’intention initiale. Pourtant les caractéristiques de ce territoire, qu’elles soient sociales, foncières ou paysagères permettent d’imaginer pour l’avenir l’émergence d’une identité parisienne nouvelle. Autour des infrastructures des boulevards Maréchaux et du Boulevard périphérique, les occupations de ce territoire se sont juxtaposées : ceinture de HBM, parcs, jardins, squares, équipements sportifs, mails, terrains de jeux… Mais la pression foncière associée à une image persistante d’espace arrière et de rejet a mené à une urbanisation qui a rompu la cohérence d’ensemble pour laisser place à un territoire hétéroclite, segmenté, divisé et composé d’objets sans liens les uns avec les autres. Dans le contexte métropolitain actuel, la ceinture verte a un rôle à jouer et doit dépasser l’image de coupure et de no man’s land pour devenir un espace qualitatif, habité, parcouru, partagé, au service de la ville dense. La valorisation
de
ses
caractéristiques
spécifiques,
offrant
des
qualités
paysagères, des potentialités de parcours et d’usages nouveaux, de corridors écologiques, de lieux de biodiversité, sera rendu possible par une action sur
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les systèmes qui la composent, c’est précisément la réflexion qui est proposé aux équipes projetant sur le secteur Europan. Aujourd’hui encore, cette barrière verte se sépare difficilement cette image d’espace-poubelle où les équipements gigantesques in-traversables aux accès uniques (avec comme exemple le stade de la porte de la chapelle qui possède plusieurs terrains de sport, de tennis, de football, de handball mais dont l’accès ne s’effectue que par la rue arrière des poissonniers, le long des voies ferrées) froment des enclaves considérables dans ces quartiers.
"
Il en va de même pour les 3 gigantesques infrastructures qui ponctuent le territoire d’étude et de projet d’Europan 12, tels que les ateliers RATP se trouvant entre la ceinture verte et le boulevard Ney, la caserne du ministère de la défense, et l’ancien hangar à avion requalifié en mosquée temporaire.
Ils sont tous les 3 positionnés sur des parcelles-ilôts de taille considérable et ne sont pas traversables, clôturés, recouverts de parkings… Sites de l’état, du ministère de la défense ou de la RATP, leur activité actuelle est indispensable à Paris. Les locaux vacants ont été réactivés pour abriter respectivement de 300 à 400 SDF la nuit pour les locaux de la défense, et pour recevoir quotidiennement 3 000 à 5 000 croyants appelés à la prière pour le hangar de l’Etat (cette solution avait été trouvée provisoirement pour résoudre le problème des prières de rues dans les 18 et 19ème arrondissements). Etant donné leur vocation humanitaire et sociale, ces infrastructures en sont pas vouées à être détruites ou relocalisées. En revanche la question de leur mutabilité et de leur adaptation au tissu alentours doit être reposée au regard des projets à venir sur ce site prometteur. Les ateliers de la RATP, fonctionnant comme des hangars et garages à bus, on conscience du besoin de mutabilité de leur parcelle.
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L’adjoint au maire du 18ème arrondissement, chargé de l’urbanisme les définissent ainsi : « Ce sont indéniablement des infrastructures lourdes qui créent des barrières insurmontables en ville : de la rue Championnet il n’y a pas de quoi remonter vers le nord. (…) On tombe devant des endroits dans lesquels des bus sont stationnés dans des hangars ou même en plein air» Michel Neyreneuf,
Il s’agit pour les équipes concourant à Europan d’arriver à réintroduire de la ville dans ces enclaves industrielles (en proposant par exemple d’enterrer une partie des parkings à bus sous les locaux RATP) pour reconnecter ensuite ce secteur au reste du projet architectural et urbain. Le but n’étant plus de détruire entièrement des bâtiments pour en reconstruire de nouveaux mais plutôt d’intervenir partiellement sur des zones spécifiques pour y régler des enjeux locaux ciblés. "
La rupture Est-Ouest qui morcelle encore le territoire d’étude et de projet d’Europan se compose d’un triptyque d’avenues : le boulevard Ney, la petit ceinture et le boulevard des maréchauds.
Il est noter que l’une de ces limites urbaines tente à s’affaiblir : avec l’arrivée du tramway des Maréchaux et la réalisation des grands projets de Renouvellement Urbain, le boulevard a réussi à ralentir sa circulation automobile et à recréer des passages, des traversées en de nombreux point qui rendent cette ancienne autoroute urbaine en un boulevard praticable et accessible. En revanche concernant le boulevard Ney et la petite ceinture, la rupture reste de taille. En effet, la petite ceinture au niveau de la porte de la chapelle s’enfonce dans le sol pour atteindre le niveau originel de circulation (non remblayé). Il faut à travers les propositions de projets arriver à proposer une réponse aux espaces morts induits par ces dénivellations, requalifier ces fractures et les relier au reste de la ville environnante.
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"
Les dernières limites urbaines que nous constatons sur le site d’Europan sont celles des voies ferrées et des autoroutes : deux modes de circulation à grande vitesse nécessitant des infrastructures lourdes, difficilement traversables, constructibles, et accessibles.
En effet, le site est délimité à l’est par le passage des voies ferrées venant de la gare du Nord qui délimitent une emprise au sol considérable, coupant le quartier Clignancourt (à l’ouest) du quartier la chapelle (à l’est). Le boulevard des maréchaux et le boulevard Ney passent de dessous en tunnel tandis que la périphérique passe au dessus des voies de chemin de fer, en viaduc. Il est stipulé dans les documents spécifiques d’Europan qu’une traversée des voies ferrées doit être projetée afin de raccorder le futur quartier « chapelle international » qui accueillera un quartier mixte, comprenant logements, bureaux et équipements, associés à des services de fret ferroviaire. Des bureaux seront construits le long du boulevard Ney en vis-à-vis de la future université Paris 1. C’est donc la seule proposition de traversée de limite urbaine qui est formellement décrite dans les documents de consultation du concours. Pour les autres limites, chaque équipe proposera sa propre vision de solution alternative afin de les outrepasser. L’autoroute A1 qui passe en périphérie du secteur d’étude d’Europan est néanmoins à prendre en considération par les équipes. Ce « plat de nouille » comme l’appellent les automobilistes est en effet au centre des interrogations actuelles.
Plusieurs
bretelles
vont
être
supprimées,
d'autres
seront
raccourcies pour la création du premier quartier intercommunal : 22 ha à cheval sur le 18ème arrondissement de Paris, Saint-Denis et Aubervilliers vont être aménagés pour permettre l'implantation de 1 500 logements, de bureaux, de commerces et d'équipements. Le but pour les équipes d’Europan va être également d’arriver à insuffler de la ville ou du moins du lien dans ce nouvel échangeur afin qu’il ne réitère par
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l’expérience subie pendant de longues années, d’un nœud rigide, difficilement parcourable et traversable par les modes dits « doux » (piétons, cyclistes…). Sur le secteur de Paris, porte des Poissonniers, Europan interroge un site qui, en raison de son lien avec une entité plus grande qu’est la métropole parisienne, développe ses potentialités urbaines. Cette entité peut être physiquement concrète, comme une infrastructure de transport, ou peut être un réseau virtuel de relations entre plusieurs nœuds urbains. Bien que les communautés qui habitent ou utilisent ces sites puissent être petites et apparemment isolées, la connexion avec le réseau leur ouvre des possibilités d’amélioration de leur vie urbaine par un nouveau mélange de différents programmes et une urbanité plus complexe. L’objectif d’Europan est également d’arriver à préparer ces territoires à résister aux différents scénarios qui pourraient affecter les autres éléments du réseau ou le réseau lui-même et les organiser de façon à ce qu’ils puissent adopter différents rôles au sein du réseau. Les plus grandes limites urbaines décrites par ce site sont celles liées aux réseaux (viaire, ferroviaire, autoroutier…) : Comment ce territoire morcelé peut-il s'adapter à la possibilité de changements importants du réseau, voire à sa disparition, par la définition de ses propres caractéristiques urbaines et architecturales ? Si ces questions ont occupées de nombreuses équipes venues du monde entier s’inquiéter de ces enjeux propres à la métropole parisienne mais ayant, comme nous l’avons montré plus haut, une résonnance mondiale, seules 3 d’entre elles ont retenu l’intérêt du jury. Ces trois équipes mentionnées ont, en plus d’avoir répondu aux attentes du jury concernant le thème de l’adaptabilité de la ville, proposé une vision différente de la question de la limite urbaine.
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La première équipe a baptisé son projet « IN TRANSITION, A LOCAL METROPOLIS » et a proposé un remaillage de l’espace public, une densification aérée, et a développé un dispositif de petites tours qui s’implantent de la rue Championnet au périphérique, épaississant et brouillant la limite de Paris et les a décliné à plusieurs échelles de temps et d’espace. Pour cette équipe, le caractère enfermant de la ville de Paris est posé comme une question et non plus comme un fait : la limite de la ville n’a peut être plus raison d’être aujourd’hui et c’est par un système urbain granulaire qui sort de la logique d’objets ou de celle d’îlots qu’elle peut être outrepassée de manière satisfaisante. L’espace public relie, les vides sont annexés pour permettre une plus grande fluidité d’usage. La petite ceinture est annexée par des jardins partagés, les différences de hauteurs entre les différents boulevards sont palliées par des passerelles multiples… En somme, plus aucune limite urbaine n’est laissée comme telle, les creux, les vides, sont tous contrôlés et nouvellement créés. La seconde équipe récompensée a interprété le périmètre d’étude comme composé d’un ensemble d’éléments disparates et autonomes reliés par un espace public et largement végétal. Elle a alors proposé un prototype de “monument de la cohabitation” destiné à des habitants temporaires de la ville. Derrière ce projet se cache une préoccupation pour la régénération de la ville par son aspect social, élément central de la vie métropolitaine dont le caractère impermanent pourrait même devenir une esthétique. Les limites urbaines physiques sont donc parfois conservées, d’autres fois comblées mais toujours identifiées. C’est sans doute aussi ce qui a desservi au groupe qui s’est vu critiquer le manque de prise de position sur les limites physiques. L’approche sociale de la limite en ville est une solution pour rendre la ville adaptable, la régénérer et cibler ses développements futurs en faisant prendre
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partie les habitants. Comme nous l’avons vu précédemment, le lien social peut être un des facteurs les plus forts pour la régénération des limites urbaines. La
dernière
équipe
a
baptisé
son
projet
«
GREEN
BELT
DILATATION » et propose de créer un vaste espace vert articulé avec la petite ceinture, dans une vision large des espaces verts des limites de Paris. Les franchissements sont projetés comme des prolongements des espaces verts ou vides. Un franchissement du périphérique est installé en prolongement de la trame viaire de Saint--Ouen. Cette équipe a proposé de régénérer la ville par ses espaces vides, par ses respirations. La reprise de la thématique de la ceinture verte
permet de
donner une respiration urbaine à la ville et de mettre le quartier en réseau. Les limites urbaines sont toutes mises en réseau les unes avec les autres, ouvertes au public comme offertes à la ville pour son développement futur, ou pour la respiration qu’elles offrent, par les contretemps qu’elles donnent à la ville rapide. Finalement, ces résolution urbaines, architecturales et paysagèrent proposent de palier aux limites urbaines de manières très différentes, en intervenant plus ou moins sur ces fractures pour recréer de la ville et arriver à adapter ses nouveaux rythmes. Comme le constate Mondrian : « Le vrai est constitué de vérités différentes. Une chose distincte ne révèle pas tout en une seule image. (…) Les différenciations voient le vrai. Rebus : où est le vrai ? Les différenciations sont aussi relatives que les images, que le temps et l’espace.» Piet Mondrian Le drame de la guerre des villes Revue PLUS, n° ¾ 1988
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C’est précisément à cela qu’ont du se confronter les équipes d’Europan, arriver à proposer une vision relative à l’image que l’on se fait du lieu, le temps qui s’y passera et l’espace qu’elle induit aujourd’hui et dans le futur. « Comment dans ce secteur, avec toutes les contraintes que j’ai pointées (la mosquée, les tours, les dénivellations), recousez vous tout cela ? Et comment faites vous pour que la ville s’adapte petit à petit ? » M. Neyreneuf
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CONCLUSION : UN TERRITOIRE UNITAIRE / UNIFIE OU LA NEGATION DE LA LIMITE
Notre objectif est d’arriver à prouver que la ville, tant qu’elle existera et sera le modèle la plus attractif de vie pour les populations, abritera toujours des limites en son sein. Quand une entité gigantesque et complexe qu’est la ville commence à édicter des règles pour planifier sa survie, il est normal qu’elle ait à faire des choix, qu’elle prenne parti. Ce que nous essayons aussi de démontrer en filigrane est que ces choix sont aujourd’hui occultés, seule la résultante physique de ces décisions nous heurtent. Il est temps, pour pouvoir régénérer la ville, la reconstruire, l’améliorer, de prendre conscience de ses limites, d’en connaître la genèse et d’avoir en main les clefs du changement pour une amélioration de ces espaces. Les limites peuvent être assimilées à des accidents de tout ce qui tend vers une planification. Elles apparaissent puis disparaissent, pour réapparaître ici ou ailleurs sans être forcément souhaitées, ni même attendues. Elles apparaissent parce que les rails ici ont tracé un sillon, et donc une tranchée pour l’instant non traversable, là parce qu’un élément urbain n’est plus adapté aux besoins, là encore parce qu’une autoroute a été surélevée et qu’elle crée une sous face large, plongeant les passants dans le noir… Elles disparaissent parce que la ville dans sa logique ne peut les tolérer. Il aura fallu prendre le temps de décider de ce que ces franges allaient advenir, temps durant lequel les limites continuent à s’imposer aux yeux de tous, quand la municipalité, honteuse, ne tente pas de les cacher derrière des palissades. Car la ville préfèrera ne pas voir celles qui sont trop significatives, trop symptomatiques de la relative lourdeur (et lenteur) de l’appareil de recyclage urbain. Il y a et il y aura toujours cette tendance à vouloir présenter la ville constamment sous son meilleur jour.
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La limite urbaine et l’espace qu’elle engendre est présenté de manière opportuniste : en récupérant des lieux laissés pour compte temporairement par le recyclage urbain, par la construction sur le construit, par l’adaptabilité, il s’autorise une existence. La limite n’a pas de sens du point de vue fonctionnel, elle trouve sa raison d’être dans l’imaginaire qu’elle nous permet d’ouvrir, dans ce soulagement, cette évasion qu’elle nous procure. C’est l’espace réservé, inutile mais surtout du plus, c’est le contretemps essentiel à l’harmonie de la partition que compose la ville.
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« Disons qu’un parcours, pour être signifiant, doit effectuer la modification de celui qui l’a entrepris » Pierre Sansot Poétique de la ville Klincksieck, 1973
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OUVRAGES LUS OU PARCOURUS : "
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LE CORBUSIER, La charte d’Athènes, Seuil 1957.
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B. GOETZ, Théorie des maisons, Editions Verdier, 2011.
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FILMS OU COURTS METRAGES :
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Hana-bi de Tadeshi Kitano, 1997
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Profession reporter de Michelangelo Antonioni, 1975
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L’éclipse de Michelangelo Antonioni, 1962
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Mon oncle de Jacques Tati, 1958
"
Playtime de Jacques Tati,1967
"
Les 400 coups de François Truffaut, 1959
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Terrain Vague de Marcel Carné, 1960
"
Le chat de Pierre Granier-Deferre, 1971
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ANNEXE 1 « Léger et puissant », le pont s'élance au-dessus du fleuve. Il ne relie pas seulement deux rives déjà existantes. C'est le passage du pont qui seul fait ressortir les rives comme rives. C'est le pont qui les oppose spécialement l'une à l'autre. C'est par le pont que la seconde rive se détache en face de la première. Les rives ne suivent pas le fleuve comme des lisières indifférentes de la terre ferme. Avec les rives, le pont amène au fleuve l'une et l'autre étendue de leurs arrière-pays. Il unit le fleuve, les rives et le pays dans un mutuel voisinage. Le pont rassemble autour du fleuve la terre comme région. Il conduit ainsi le fleuve par les champs. Les piliers, qui se dressent immobiles dans le fleuve, soutiennent l'élan des arches, qui laissent aux eaux leur passage. Que celles-ci suivent leur cours gaiement ou tranquillement, ou que les flots du ciel, lors de l'orage ou de la fonte des neiges, se précipitent en masses rapides sous les arches, le pont est prêt à accueillir les humeurs du ciel et leur être changeant. Là même où le pont couvre le fleuve, il tient son courant tourné vers le ciel, en ce qu'il le reçoit pour quelques instants sous son porche, puis l'en délivre à nouveau. Le pont laisse au fleuve son cours et en même temps il accorde aux mortels un chemin, afin qu'à pied ou en voiture, ils aillent de pays en pays. Les ponts conduisent de façon variées. Le pont de la ville relie le quartier du château à la place de la cathédrale, le pont sur le fleuve devant le chef-lieu achemine voitures et attelages vers les villages des alentours. Au-dessus du petit cours d'eau, le vieux pont de pierre sans apparence donne passage au char de la moisson, des champs vers le village, et porte la charrette de bois du chemin rural à la grand-route. Le pont de l'autoroute est pris dans le réseau des communications lointaines, de celles qui calculent et qui doivent être aussi rapides que possible. Toujours et d'une façon chaque fois différente, le pont ici ou là conduit les chemins hésitants ou pressés, pour que les hommes aillent sur d'autres rives et finalement, comme mortels, parviennent de l'autre côté. De ses arches élevées ou basses, le pont saute le fleuve ou la ravine : afin que les mortels – qui gardent en mémoire ou qu'ils oublient l'élan du pont – afin qu'eux-
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mêmes, toujours en route déjà vers le dernier pont, s'efforcent au fond de surmonter ce qui en eux est soumis à l'habitude ou n'est pas sain pour s'approcher de l'intégrité du Divin. Le pont rassemble car il est l'élan qui donne un passage vers la présence des divins : que cette présence soit spécialement prise en considération (bedacht) et visiblement remerciée (bedankt) comme dans la figure du saint protecteur du pont, ou qu'elle demeure méconnaissable, ou qu'elle soit même repoussée est écartée. Le pont, à sa manière, rassemble auprès de lui la terre et le ciel, les divins et les mortels. (…) Suivant un vieux mot de notre langue, rassemblement se dit thing. Le pont entendu comme ce rassemblement du Quadriparti que nous venons de caractériser - est une chose (ein Ding). On pense, à vrai dire, que le pont, d'abord et à proprement parler, est simplement un pont. Après coup et à l'occasion, il peut encore exprimer beaucoup de choses. En tant qu'il est une telle expression, il devient un symbole, par exemple pour tout ce que nous venons de dire. Seulement le pont, lorsqu'il est un vrai pont, n'est jamais d'abord un simple pont et ensuite un symbole. Il est tout aussi peu un simple symbole en premier lieu, en ce sens qu'il exprimerait quelque chose qui en toute rigueur ne lui appartiendrait pas. Pensé en toute rigueur, le pont ne se montre jamais comme une expression. Le pont est une chose et seulement cela. « Seulement » ? En tant qu'il est cette chose, il rassemble le Quadriparti. Sans aucun doute, de toute antiquité, notre pensée est habituée à estimer trop pauvrement l'être de la chose. Il en est résulté, au cours de la pensée occidentale, que l'on représente la chose comme un X inconnu porteur de qualités perceptibles. De ce point de vue, il est bien sûr que tout ce qui appartient déjà à l'être rassemblant de cette chose nous apparaît comme une addition introduite après coup par une interprétation. Pourtant le pont ne serait jamais un simple pont, s'il n'était pas une chose. Le pont est à vrai dire une chose d'une espèce particulière ; car il rassemble le Quadriparti de telle façon qu'il lui accorde une place. Car seul ce qui est luimême un lieu (Ort) peut accorder une place. Le lieu n'existe pas avant le pont.
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Sans doute, avant que le pont soit là, y a-t-il le long du fleuve beaucoup d'endroits qui peuvent être occupés par une chose ou une autre. Finalement l'un d'entre eux devient un lieu et cela grâce au pont. Ainsi ce n'est pas le pont qui d'abord prend place en un lieu pour s'y tenir, mais c'est seulement à partir du pont lui-même que naît un lieu. Le pont est une chose, il rassemble le Quadriparti, mais il le rassemble de telle façon qu'il lui donne un emplacement. A partir de cet emplacement se déterminent les places et les chemins par lesquels un espace est aménagé. Les choses qui d'une telle manière sont des lieux accordent seules, chaque fois, des espaces. Ce que désigne le mot Raum, son ancienne signification va nous le dire. On appelle Raum, Rum une place rendue libre pour un établissement de colons ou un camp. Une espace (Raum) est quelque chose qui est « ménagé », rendu libre, à savoir à l'intérieur d'une limite, en grec péras. La limite n'est pas ce où quelque chose cesse, mais bien, comme les Grecs l'avaient observé, ce à partir de quoi quelque chose commence à être (sein Wesen beginnt). C'est pourquoi le concept est appelé orismos, c'est- à-dire limite. L'espace est essentiellement ce qui a été « ménagé », ce que l'on a fait entrer dans sa limite. Ce qui a été « ménagé » est chaque fois doté d'une place (gestattet) et de cette manière inséré, c'est-à-dire rassemblé par un lieu, à savoir par une chose du genre du pont. Il s'ensuit que les espaces reçoivent leur être des lieux et non de «l'» espace.» Heidegger, Essais et conférences, « Bâtir, Habiter, Penser » p. 180-183
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ANNEXE 2 Zone de projet Europan 12 à Paris
Territoire d’étude (rouge) et de projet (jaune)
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Echangeur de la porte de la chapelle Source ; Ludovic Maillard
Vue de la zone de projet à 45° Source ; site Europan
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Photos des différentes composantes du site de projet Source ; site Europan
1. Blvd Ney
3. Caserne Gley
2. Mail Cocteau
4. Petite ceinture
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Réponse de l’équipe récompensée : IN TRANSITION, A LOCAL METROPOLIS Source : site Europan France
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