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REVUE DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANÇAIS
le français dans le monde
lefrançais le monde dans
N° 373 JANVIER-FÉVRIER 2011
// MÉTIER //
Francomania, un site pour et par les professeurs de français de Russie JANVIER-FÉVRIER 2011 ■ DOSSIER : Voyages en France, le regard de Raymond Depardon
En Allemagne, l’orthographe demeure une compétence stratégique
N°373
// ÉPOQUE //
FIPF
www.fdlm.org
13 €
-
ISSN 0015-9395 ISBN 978-2-090-37064-5
// DOSSIER //
La librairie française de Tokyo, un rêve de mots et d’images
// MÉMO //
La poésie créole de Daniel Waro
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Sommaire
Métier / reportage
Les fiches pédagogiques à télécharger Graphe : « Espoir » Portrait : Ne le dis à personne : Guillaume Canet est mon idole ● Tendance : À quoi tu joues ? ● Économie : La presse écrite cherche un remède à sa crise ● Poésie : Grand Corps Malade, « Le jour se lève » ● Clés : La notion de stratégie fiches pédagogiques d’apprentissage à télécharger sur : ● Bande dessinée www.fdlm.org ● Jeux ● ●
ÉPOQUE 4. Portrait Ne le dis à personne : Guillaume Canet est mon idole
6. Regard « Internet n’est pas un monde parallèle »
Rendez-vous au Polyglot Club
8. Tendance À quoi tu joues ?
9. Sport Des rugbymen généreux de leur corps…
10. Économie La presse écrite cherche le remède à sa crise
12. Évènement Docteur Mœbius et Mister Gir
14. Librairies francophones Lecteur japonais entre deux rives
MÉTIER 18. L’actu
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Dossier
Voyages en France
Le regard de Raymond Depardon Analyse La France vue de la terre ...................48 Entretien Retour sur la question du désert français ........................................50 Décryptage « Le lieu est site d’apprentissage, et l’expérience, un enseignement » .................54 Regard « Le patrimoine français dans son splendide anonymat » .............................56
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Le français dans le monde sur Internet : http://www.fdlm.org 20. Focus La classe de français entre sédimentation et variation
34. Innovation Francomania : pour et par les professeurs de français en Russie
INTERLUDES 2. Graphe « Espoir »
22. Mot à mot Dites-moi Professeur…
36. Enquête
16. Poésie
24. Clés
Le français, deuxième langue au rayonnement international
Grand Corps Malade, « Le jour se lève »
38. Initiatives
44. Nouvelle
Le futur… pas si simple
Quand les concours de langue stimulent les étudiants
Frédéric H. Fajardie « Hospitalité »
28. Savoir-faire
40. Ressources
56. BD
L’orthographe reste une compétence stratégique
Sites Internet et blogs, le point sur les droits… et les devoirs
Pascal Placeman, «Sale caractère» «Touché, c'est toi le loup»
La notion de stratégie d’apprentissage
26. Zoom
30. Expérience « Vivre en Aquitaine » pour des Européens en marche
32. Reportage Couverture : Raymond Depardon / Magnum / CNAP
Rendez-vous au Polyglot Club
MÉMO 58. À écouter 60. À lire 64. À voir
66. Jeux Bonnes résolutions, etc.
Le français dans le monde, revue de la Fédération internationale des Professeurs de français - www.fipf.org, éditée par CLE International – 9 bis, rue Abel Hovelacque – 75 013 Paris Tél. : 33 (0) 1 72 36 30 67 – Fax. 33 (0) 1 45 87 43 18 – Service abonnements : 33 (0) 1 40 94 22 22 – Fax. 33 (0) 1 40 94 22 32 – Directeur de la publication Jean-Pierre Cuq (FIPF) Directeur de la rédaction Jacques Pécheur (ministère de l’Éducation nationale – FIPF) Secrétaire général de la rédaction Sébastien Langevin Relecture/correction Marie-Lou Morin Relations commerciales Sophie Ferrand Conception graphique Miz’enpage - www.mizenpage.com – Commission paritaire : 0412T81661. 49e année. Comité de rédaction Dominique Abry, Isabelle Gruca, Valérie Drake, Pascale de Schuyter Hualpa, Chantal Parpette, Jacques Pécheur, Florence Pellegrini, Nathalie Spanghero-Gaillard. Conseil d’orientation sous la présidence d’honneur de M. Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie : Jean-Pierre Cuq (FIPF), Pascale de Schuyter Hualpa (Alliance française), Raymond Gevaert (FIPF), Michèle Jacobs-Hermès (TV5), Xavier North (DGLFLF), Soungalo Ouedraogo (OIF), Florentine Petit (MEN), Jean-Paul Rebaud (MAEE), Madeleine Rolle-Boumlic (FIPF), Vicky Sommet (RFI), Jean-Luc Wollensack (CLE International).
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interlude // «Enfants d’un jour, ô nouveau-nés, Pour le bonheur que vous donnez À vous voir dormir dans vos langes, Espoir des nids Soyez bénis, Chers anges !» Alphonse Daudet, Les Amoureuses, « Aux petits enfants »
«S’il te faut l’aurore pour croire au lendemain Et des lendemains pour pouvoir espérer Retrouver l’espoir qui t’a glissé des mains Retrouver la main que ta main a quittée Alors tu n’as rien compris.»
© Matthias Kulka/Corbis
Jacques Brel, « S’il te faut »
La fiche pédagogique à télécharger sur : www.fdlm.org
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«Toujours avec l’espoir de rencontrer la mer Ils voyageaient sans pain, sans bâtons et sans urnes Mordant au citron d’or de l’idéal amer.» Stéphane Mallarmé, Poésies, « Le guignon » Le français dans le monde // n° 373 // janvier-février 2011
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«L’action est une suite d’actes désespérés qui permet de gagner l’espoir.»
«C’est quoi une vie d’homme ? C’est une lutte entre l’espoir et le désespoir, entre la lucidité et la ferveur… Je suis du côté de l’espérance, mais d’une espérance conquise, lucide, hors de toute naïveté.»
Georges Braque
Aimé Césaire, entretien dans Présence africaine
Espoir «L’espoir ne fait pas de poussière.» Paul Éluard, Poésie ininterrompue, « Ailleurs, ici, partout »
«Il y a de l’espoir pour tout le monde, c’est ce qui fait tourner l’univers.» Paul Auster, Moon Palace
«Les hommes, j’entends les hommes qui ont l’espoir de la victoire de l’homme, jugent des phares à leur clarté, et non à l’ombre qui tourne après elle.» Louis Aragon
«Dans toutes les larmes s’attarde un espoir.» Simone de Beauvoir, Les Mandarins
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époque // portrait
Par Bérénice Balta
/Corbis © Alessandra Benedetti
Cinq millions d’entrées : Les Petits Mouchoirs est le succès de l’année des films français. Réalisateur et scénariste, Guillaume Canet, d’abord acteur, est en passe de devenir le chef de file de sa génération. Portrait.
Ne le dis à personne :
Guillaume Canet est mon idole D ans la vraie vie, il est souriant, réfléchi, sympathique. Exactement ce qu’il est au cinéma, sauf quand un metteur en scène va déterrer ses zones d’ombre. C’est aussi un réalisateur qui s’accomplit film après film et un homme qui se nourrit des bons comme des mauvais côtés de la vie pour progresser. Bref, c’est l’ami que l’on rêve d’avoir… Pour ne pas dire qu’il peut largement prétendre au titre de gendre idéal ! Et pourtant une chute spectaculaire, ça peut vous changer le cours d’une vie. Comme celle que s’était tracée le jeune Guillaume Canet. Féru d’équitation – il faut dire que papa et maman tiennent un haras en région
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parisienne –, il s’entraîne dur depuis qu’il est enfant pour devenir un cavalier émérite et franchir ainsi les obstacles les plus périlleux. Mais patatras ! Lors d’un concours, sa monture et lui se retrouvent les quatre fers en l’air. 500 kilos sur le râble quand on en fait, environ, huit fois moins, ça ne présage rien de bon. Adieu donc box, cheval et manège… même si Guillaume Canet continue de monter très régulièrement, souvent aux côtés de quelqu’un qu’il admire beaucoup, Jean Rochefort, l’acteur avec lequel il a réellement fait ses débuts au cinéma… C’était en 1997, dans Barracuda de Philippe Haïm. Mais revenons à notre chute. Notre acteur-réalisateur, qui n’est pas en-
Guillaume Canet en six dates : 10 avril 1973 : naissance à Boulogne-Billancourt. Jusqu’à la fin des années 1990 : équitation à un haut niveau. 2000 : Prix Jean Gabin (qui récompense un jeune acteur prometteur). 2003 : Mon idole, première œuvre de fiction. 2007 : César du meilleur réalisateur pour Ne le dis à personne. 2010 : En plus de l’écriture et de la réalisation des Petits Mouchoirs, Guillaume Canet participe à la bande originale de son film.
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Tournage des Petits Mouchoirs au Cap-Ferret. Pour Guillaume Canet, cette troisième réalisation est son film « le plus abouti ».
core un homme d’images, a 18 ans et un rêve qui s’éloigne au galop. On le retrouve alors, le cheveu hirsute, qui pousse la porte du Cours Florent et se frotte à l’art dramatique. La suite nous prouve que bien lui en a pris. Les bons choix de l’acteur Tout naturellement, c’est d’abord sur les planches qu’il débute (alors qu’aujourd’hui il dit à propos d’un éventuel retour au théâtre : « J’attends qu’on me propose des pièces qui me plai-
sent »). Dans une pièce d’Henry de Montherlant, La ville dont le prince est un enfant. Son partenaire est Christophe Malavoy. Pas mal pour un débutant. D’ailleurs, c’est une constante chez Guillaume Canet : s’il y a la qualité des œuvres et des cinéastes, il y a aussi, et surtout, toujours de grands partenaires. Jean Rochefort, on l’a dit, pour ses premiers pas cinématographiques… suivront Jean Yanne, Leonardo DiCaprio, Sophie Marceau, Gérard Depardieu, Gérard Lanvin,
François Berléand, Benoît Poelvoorde, François Cluzet, Vanessa Paradis, Emir Kusturica et, pour clore une liste non-exhaustive, Marion Cotillard, qui est passée du rôle de « coéquipière » à celui de « moitié »… Grâce à des choix sûrs, l’acteur s’est imposé tant dans le paysage cinématographique français qu’international. Des personnages en demi-teinte, parfois à la limite de la naïveté, légèrement bohème qui le disputent à des rôles moins lisses, plus étoffés, ont ainsi construit la carrière de celui dont le physique reste, au fil des ans, éternellement adolescent. Les succès du réalisateur Et puis il y a le réalisateur qui écrit. D’abord deux courts-métrages et, hop, en 2002, il saute le pas et offre à sa femme de l’époque, Diane Kruger, un rôle dans Mon idole, son premier long-métrage où il donne aussi la réplique à François Berléand. Prometteur, l’essai est transformé quatre ans plus tard avec la brillante adaptation du roman d’Harlan Coben, Ne le dis à personne. Il confiait, à l’époque, « qu’il s’agisse des bouquins qu’on avait pu me proposer ou des idées personnelles que j’avais, je n’étais jamais assez enthousiaste, assez passionné pour rentrer dans la machine infernale de la réalisation. L’écriture, la préparation, le tournage, cela demande deux ans de votre vie. Au moment où j’avais enfin une idée, je suis tombé sur Ne le dis à personne et pour la première fois, je me suis approprié cette histoire ». À l’arrivée, succès public et récompenses dont le césar du meilleur réalisateur. L’alternance « je joue/je réalise »
Les petits mouchoirs : les copains par-dessus bord Un groupe d’amis de longue date a pour habitude de se retrouver au bord de la mer, pour les vacances d’été. Cette fois, il y en a un qui reste sur le carreau parisien à la suite d’un grave accident, tandis que la joyeuse troupe s’en va, malgré tout, refaire le monde au CapFerret. Mais une fois sur place, le bel ordonnancement de leur petite vie se trouve finalement bien ébranlé par cette absence imprévue. Ce film choral avec François Cluzet, Marion Cotillard, Gilles Lellouche, Benoît Magimel, Jean Dujardin, Valérie Bonneton est une ode à l’amitié et à l’amour.
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© Ernie Stewart/Retna Ltd./Corbis
© Alessandra Benedetti/Corbis
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Marion Cotillard est passée, pour Guillaume Canet, du rôle de « coéquipière » (Jeux d’enfants) à celui de « moitié ».
fonctionne bien… Mais, curieusement, c’est un gros pépin de santé – le clouant sur un lit d’hôpital plusieurs semaines durant – qui le conduira aux Petits Mouchoirs. Sans être autobiographique, cette histoire de potes est, de l’aveu même de son metteur en scène, son film « le plus personnel. Je n’ai jamais eu une telle facilité à écrire, mettant un peu de moi-même et de mon histoire dans chaque personnage. C’est aussi mon film le plus abouti ». Du coup, cette bande d’amis qui se retrouve chaque été au bord de la mer a séduit un public nombreux et hétérogène. Sans doute parce que l’histoire à tiroirs fonctionne comme un miroir et qu’il y a un peu de chaque spectateur dans Jean Dujardin (un copain de l’école primaire), Benoît Magimel (rencontré sur un téléfilm), Marion Cotillard (sa compagne), ou encore Joël Dupuch, un ostréiculteur du CapFerret (qui tient son propre rôle), ami dans la vraie vie du réalisateur. Enfin, puisqu’il faut bien conclure, on a envie de souligner qu’à toutes ces nombreuses qualités artistiques, s’ajoutent des valeurs humaines : implication dans la sauvegarde de l’environnement, sens du partage, écoute d’autrui… À presque 38 ans, Guillaume Canet va en se bonifiant : le meilleur est donc à venir… ■
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époque // regard
Par Alice Tillier
« Internet n’est pas
© Ulf Andersen
Le développement de liens sociaux au-delà de son milieu d’origine, les nouvelles hiérarchies, la dynamique de dons et de contre-dons : le socio-anthropologue Antonio Casilli, chercheur à l’École des hautes Études en Sciences sociales à Paris, analyse les logiques à l’œuvre au cœur d’Internet.
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Votre livre, Les Liaisons numériques, traite des changements induits par le numérique sur l’espace, le corps et les liens sociaux. Une idée essentielle revient à travers ces différents thèmes : il n’y a pas de coupure tranchée entre Internet et le reste de notre vie… Antonio Casilli : Dans les années 1990, quand le numérique a commencé à devenir un média de masse, Internet était vu par beaucoup comme une sorte de monde parallèle. On imaginait que les individus porteraient bientôt des casques permettant de se déplacer dans un « cyberespace », une « réalité virtuelle ». Internet était un au-delà – ambivalent bien sûr : paradis pour les uns, enfer pour les autres. En réalité, ce n’est pas un espace transcendant : Internet traverse tout notre quotidien. La « vie en ligne » n’obéit-elle pas à des normes qui lui sont spécifiques ? A. C. : Une des grandes promesses d’Internet était l’horizontalité : il devait faire disparaître une structure sociale pyramidale. C’est au fond la logique du réseau. Et effectivement, les stratifications sont
déjouées. Pensez aux sites de santé, comme Doctissimo, qui permettent de combler une partie de l’inégalité de l’accès aux soins et introduisent une démocratisation médicale. Autre exemple : les sanctions contre les comportements déviants, qui passent le plus souvent par une mise à l’écart par l’ensemble de la communauté du site. Et pourtant, des hiérarchies demeurent, à travers le modérateur ou l’expertise médicale qui perdure. De nouvelles hiérarchies apparaissent même, entre les membres « experts » et les nouveaux arrivants.
Internet a permis le développement de liens faibles. Là où il y avait des zones de vide dans les réseaux de connaissances personnelles se créent des passerelles, par-delà les différences de milieu social, professionnel… Le français dans le monde // n° 373 // janvier-février 2011
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compte rendu L’étendue des possibles L’ouvrage tient tout entier dans le titre, Les Liaisons numériques, qui en évoque immanquablement un autre : Les Liaisons dangereuses. Ni marquise de Merteuil ni vicomte de Valmont dans les nouvelles technologies, mais comme dans le fameux roman épistolaire écrit au XVIIIe siècle par Choderlos de Laclos des liens entretenus par des correspondances (emails, tchats, forums), une dimension charnelle – les relations humaines ne peuvent faire abstraction du corps –, des recherches d’amitiés et d’amour avec la part de risques que cela comporte. Mais le propos d’Antonio Casilli n’est pas d’insister sur le danger : à l’encontre des détracteurs d’Internet, technophobes, il veut montrer l’étendue des possibles ouverts par le numérique et les changements qu’il a provoqués dans nos sociabilités.
Trois axes sont abordés : notre rapport à l’espace, au corps et nos liens sociaux. À partir de l’analyse des jeux 3D mettant en scène des avatars, des réseaux sociaux comme Facebook ou encore des blogs, le socio-anthropologue s’attaque à trois idées encore solidement ancrées dans certains esprits : l’espace numérique n’est pas un espace à part, coupé de l’espace « réel » ; le corps n’y a pas disparu ; Internet, loin d’être désocialisant, favorise la création de liens sociaux. Études de cas, récits d’expériences et analyse des travaux d’autres sociologues se mêlent pour donner un ouvrage très vivant, dans lequel Antonio Casilli prend son lecteur par la main pour le conduire non pas à des conclusions définitives mais à des questionnements essentiels.
un monde parallèle » Ainsi se nouent des liens qui n’auraient pas été possibles avant l’ère Internet… A. C : Internet n’a pas fait disparaître les liens forts, qu’il contribue d’ailleurs à entretenir, mais il a permis le développement de liens faibles. Là où il y avait des zones de vide dans les réseaux de connais-
sances personnelles se créent à présent des passerelles, par-delà les différences de milieu social, professionnel, etc. : le partage d’un goût musical commun suffit. Mais attention, qui dit liens faibles ne dit pas faux liens. Ils peuvent être peu fréquents, mais toujours activables. Le paradoxe est que ces
liens faibles passent par un acte déclaratif fort : sur Facebook, on demande à devenir « amis ». C’est en réalité une métaphore, ou en tout cas une forme nouvelle d’amitié, qui ne relève plus de l’intime, mais au contraire s’affiche en public, et comporte souvent une part d’utilité bien comprise.
contraire les surfaces maritimes qui sont convoquées, à travers l’incontournable terminologie nautique ou celle, plus ludique, des sports aquatiques. Combien de fois avons-nous dit “naviguer en ligne” ou, encore récemment, “surfer” ? […] Dans un tout autre registre, les ordinateurs se font porteurs d’un imaginaire domestique. On parle alors de “page d’accueil”, d’“adresses” mail, d’“hébergement” sur un serveur. L’un des systèmes d’exploitation les plus répandus tient son nom des fenêtres (windows) des maisons. Les artefacts électroniques sont aussi des objets familiaux […]. »
Internet a une emprise de plus en plus grande. Son mode de fonctionnement pourrait-il s’étendre à la « vie hors ligne » ? A. C. : D’un côté, on assiste à des tentatives pour modifier le fonctionnement d’Internet, en lui appliquant les règles qui ont cours à l’extérieur : c’est par exemple la loi Hadopi, en France, qui veut mettre fin aux « téléchargements illégaux » pour défendre les droits d’auteur contre la dynamique de don et de contre-don et l’idée, certes utopique, de bien collectif qui caractérisent Internet. D’un autre côté, le web change effectivement les comportements : les Tea Parties américaines, rassemblées par le biais des réseaux sociaux, sans qu’elles aient de chef de file reconnu, ont par exemple donné aux hommes politiques de belles leçons de démocratie participative. ■
extrait « Nous “entrons” en ligne, nous “visitons” des pages web, nous “accédons” à des sites. Ces expressions ne sont pas seulement des façons de parler, des métaphores que nous empruntons dans nos conversations portant sur les ordinateurs et les réseaux numériques au quotidien. Elles sont aussi le symptôme de notre manière de penser ces technologies : visiblement, nous associons volontiers l’information et la communication à la notion d’espace. […] D’un côté, l’espace de l’information évoque une grande étendue vide. Parfois il s’agit d’une surface terrestre. Les premiers théoriciens du Net parlaient de la “frontière électronique” en empruntant à l’imaginaire des westerns. Parfois ce sont au Le français dans le monde // n°373 // janvier-février 2011
Antonio Casilli, Les Liaisons numériques, Seuil, coll. La couleur des idées, pp. 19-20.
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époque // tendance
Par Jacques Pécheur
© Joe Clark/Tetra Images/Corbis
« Drôle de jeu », « La règle du jeu », « Les jeux sont faits »… Jeux vidéo ou jeux familiaux, quand le lien social se joue au fond de l’écran ou sur la table.
À quoi tu joues ? C
e qu’ils aiment : conquérir le monde, tirer dans les coins, être plus rapide que l’ennemi. Non, ce ne sont pas des tueurs, non, ils ne font pas la une des journaux à la rubrique « faits-divers », ce sont simplement des joueurs de jeux vidéo. Certes ils jouent à des jeux guerriers, certes ils s’y inventent des vies de héros, mais dans l’ensemble ce sont des adolescents comme les autres. Des adolescents, des jeunes bien dans leurs baskets, des jeunes filles qui ne rejettent pas leur univers convenu, avec ce qu’il faut d’animaux ou de poupées dont elles ne voudraient pour rien au monde se séparer. Voilà pour le côté pile. Côté face, il y a les créateurs et l’économie du système : trois milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel, 130 entreprises et des productions de plus en plus coûteuses avec des effets et des décors dignes du grand cinéma au point qu’on ne peut pas s’empêcher de penser, 3D compris, que « les jeux vidéo seront au XXIe siècle ce que le cinéma fut au XXe siècle ». Et dans cette nouvelle économie de l’entertainment en plein développement, la France
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n’est pas en reste : on y trouve quelques-uns des meilleurs créateurs et quelques-unes des sociétés les plus profitables, comme Ubisoft. Mais la France n’est pas en reste non plus côté consommateur : premier pays européen de blogs adolescents, elle est aussi celui qui concentre les plus forts taux d’addiction. Les études regorgent d’exemples de jeunes gens passant plus de huit heures à jouer devant leur écran et ne dormant que quatre ou cinq heures par nuit. Il est vrai qu’entre-temps les jeux « massivement multi-joueurs » ou MMORPG sont passés par là. Le principe : le joueur se crée un personnage et se connecte pour pouvoir s’allier avec d’autres ou les combattre. Et de clic en clic, jusqu’à se retrouver parfois plus de 300 sur la Toile à ferrailler. Pas question alors de décrocher, car éteindre, c’est mourir… au moins virtuellement. Ensemble, autour de la table… Ici, changement de plan. Retour à un décor plus courant : la table familiale et ses fameux « jeux de table », Monopoly, Trivial Pursuit, Scrabble, Cluedo… Là, pas de stress, de grands
Pas de stress, de grands éclats de rire, de la complicité…
© Catherine Raillard/Corbis
éclats de rire, de la complicité, bref « des jeux très générationnels, conviviaux, qui rapprochent », si l’on en croit Thierry Karpiel, directeur d’une entreprise d’édition de jeux de société. Des jeux qui continuent à avoir le vent en poupe : 12 millions de boîtes vendues en 2009 avec une croissance de 5% et qui résistent bien face au marché des jeux vidéo surtout grâce à leur prix, avec une fourchette entre 11 et 50 euros contre 30 à 70 euros pour les jeux vidéo. Astuce des éditeurs de ces jeux familiaux : monter dans le train numérique et proposer des versions en ligne, sur console de jeux, DVD ou même iPhone ; monter aussi dans le train identitaire et proposer des versions localistes ou régionalistes. Ici, champion toute catégorie, Monopoly, avec ses versions banlieue (9-3), marseillaise, bretonne ou corse. Alors, que faire ? S’exclamer : « Vive le lien social ! », ou, comme le philosophe Jean Baudrillard, souhaiter la « Bienvenue dans le désert du réel » ? ■
La fiche pédagogique à télécharger sur : www.fdlm.org Le français dans le monde // n° 373 // janvier-février 2011
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époque //sport
Par Pierre Godfrin
son président l’a sollicité pour la première fois cette année, le jeune trentenaire n’a pas hésité : « Je lui ai répondu oui tout de suite. Le Stade français est connu bien sûr pour ses titres de champion de France (cinq entre 1998 et 2007 depuis l’arrivée de Max Guazzini), pour son président emblématique, pour ses maillots un peu folkloriques et aussi par ce calendrier. » Une idée géniale selon le Lyonnais de naissance : « Cela permet de donner une autre image du rugby. Même si on est des combattants sur le terrain, on peut aussi être des hommes dans la plus simple tenue. »
Le calendrier des Dieux du Stade, qui présente des rugbymen dans leur plus simple appareil, fait le bonheur du public féminin. Mais c’est avant tout une initiative généreuse en faveur du monde associatif.
A
ttention ! Véritable objet culte ! Avec une moyenne de 180 000 exemplaires vendus par an, le calendrier des Dieux du Stade est une entreprise qui ne connaît pas la crise. Le concept est simple : à chaque mois de l’année est associé un – ou plusieurs – rugbyman qui pose nu (ou presque) devant l’objectif d’un photographe de renom. L’édition 2011 ne déroge pas à la règle, même si elle est voulue plus « sobre et virile avec un aspect pictural ». Les sportifs nus ont « posé avec simplicité dans des éléments proches de la nature », précise le communiqué de presse de la nouvelle version pour laquelle le photographe François Rousseau a réalisé 42 clichés. C’est Max Guazzini, le président du club parisien de rugby le Stade fran-
Le concept est simple : à chaque mois de l’année est associé un – ou plusieurs – rugbyman qui pose nu (ou presque).
Le rugbyman Fulgence Ouedraogo.
Pour le bonheur des associations Si les modèles d’un jour sont rémunérés par l’intermédiaire de leurs droits à l’image – le montant évolue selon leur statut –, une partie
Des rugbymen
généreux de leur corps… çais, qui en 2000 a décidé de s’inspirer du célèbre calendrier Pirelli pour faire parler de son club… Au-delà du plaisir des yeux Ouvert petit à petit aux rugbymen de tous les horizons puis à des athlètes d’autres disciplines sportives (l’un des meilleurs handballeurs au monde, Nikola Karabatic, et le défenseur central de l’équipe de France de football, Adil Rami, ont posé pour la « cuvée » 2011), le calendrier est devenu un objet de convoitise : « Plein de joueurs sollicitent maintenant Max [Guazzini] pour apparaître dedans. C’est mondialement connu. J’ai l’impression que beaucoup aiment l’avoir dans leur CV », confirme Pascal Papé, deuxième ligne du XV de France qui évolue avec le Stade français depuis 2007. Lorsque
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Max Guazzini Issu d’une famille d’origine italienne, Max Guazzini a grandi dans le sud de la France. Ce grand ami de Dalida est, dans les années 1980, l’une des têtes pensantes de la radio NRJ avant de devenir président du Stade français en 1992, qui végète alors en quatrième division. Sous son impulsion, le club parisien est devenu l’une des références du rugby européen.
de l’argent récolté est reversée à des associations choisies par Max Guazzini en personne. « C’est un élément de communication pour le club et cela permet de générer de l’argent pour des associations. Le président pense un peu à tout le monde sur ce coup », se réjouit Pascal Papé. Ainsi, en 2006, une partie des bénéfices est revenue à l’association Les Enfants de Biemassy, présidée par le rugbyman Serge Betsen, dont l’objectif est de favoriser l’intégration des enfants camerounais dans leur société grâce notamment au rugby. Tandis qu’en 2009 et 2010, c’est le Samu Social de Paris qui a été l’heureux élu. Au-delà du plaisir des yeux, les Dieux du Stade nous dévoilent aussi… leur générosité ! ■
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époque // économie
Par Marie-Christine Simonet
© Jean-Christophe Marmara / Figarophoto.com
Les coûts de la presse française sont de 30 à 40% plus élevés que chez ses voisins européens.
La presse écrite cherche
le remède à sa crise La presse écrite française est en crise. À qui la faute ? À cette question, il n’est pas de réponse simple et le fauteur de trouble n’est peut-être pas seulement celui qu’on croit.
La fiche pédagogique à télécharger sur : www.fdlm.org
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a presse écrite traverse une crise interminable et complexe. Que constate-t-on ? Une érosion de la diffusion de la presse payante, la concurrence des journaux gratuits et d’Internet dont les contenus informatifs sont souvent libres et qui drainent une partie des ressources publicitaires. Les derniers chiffres de l’Observatoire de la presse (OJD, organisme de contrôle de la diffusion de la presse) font état pour 2008 d’un nouveau recul des ventes de la presse nationale
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(-1,9%, avec 4,46 milliards d’exemplaires) par rapport à 2007, après des années d’effritement constant. Les résultats à venir pour 2009 ne devraient pas être plus brillants. Les États généraux de la Presse, réunis en janvier 2009, ont décrété « l’état d’urgence ». Non parce que la crise est nouvelle, mais parce qu’elle touche tout le secteur de l’information : les quotidiens nationaux, les gratuits, la presse quotidienne régionale, les magazines, la presse spécialisée. La rentabilité économique de la presse française est très faible. Ses
coûts sont de 30 à 40 % plus élevés que chez ses voisins européens : coûts de rédaction élevés, production et impression soumises aux lois respectives du Syndicat du livre, de la Société professionnelle des Papiers de Presse et à celle des Nouvelles Messageries de la Presse parisiennes (NMPP). Pour endiguer l’hémorragie, on comprime les rédactions. Mais la qualité des titres s’en ressent et, in fine, provoque la défection du lectorat. Le quotidien Libération a décidé l’« évolution zéro de la masse sala-
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en bref
L’arrivée de la tablette numérique, notamment de l’iPad, a suscité un nouvel espoir dans le monde de la presse. Certains patrons, comme Ernesto Mauri, président de Mondadori France, ont vu en elle « la dernière chance de sortir du modèle de la gratuité ».
représente une part vitale des ressources de la presse écrite. Elle est même l’unique revenu pour les journaux d’information gratuits. Lancés en 2002, ces derniers, distribués dans les transports en commun des principales villes de France, remportent un franc succès auprès des voyageurs qui découvrent en un clin d’œil les grandes lignes de l’actualité, traitée sans recul sur l’évènement, ni analyse. Ces journaux n’ont toutefois pas (hors la presse de petites annonces) réussi à trouver leur rentabilité.
© Constantini/Altopress/Andia
riale » ; le groupe L’Express-Roularta a annoncé un plan d’économies de 10 millions d’euros avec suppressions de postes à la clé ; France-Soir est en délicatesse avec l’oligarque russe qui l’a racheté ; Le Monde a procédé à sa recapitalisation et à de nombreux départs « volontaires » de ses journalistes… N’en jetez plus ! La baisse tendancielle de la diffusion se double de la stagnation des recettes publicitaires. Hormis pour la presse satirique ou militante, la publicité (et les petites annonces)
Pour endiguer l’hémorragie, on comprime les rédactions. Mais la qualité des titres s’en ressent.
Le français dans le monde // n°373 // janvier-février 2011
Internet défie la presse écrite Marc Tessier et Maxime Baffert notent pour leur part, dans leur rapport intitulé « La presse au défi du numérique », que « si l’irruption d’un nouveau média n’entraîne pas la disparition des autres, elle remet en cause leurs positions acquises. Elle conduit ainsi, le plus souvent, à une réduction de leur place ainsi qu’à un bouleversement des équilibres économiques sur lesquels ils avaient bâti leur croissance ». Pour ces deux analystes, « Internet oblige donc les autres médias, tout particulièrement la presse écrite, à prendre en compte cette concurrence frontale et à gérer un risque de “cannibalisation” beaucoup plus fort ». Tentant de répondre à ces nouveaux défis, des journalistes issus de la presse écrite lancent des sites en ligne gratuits – Rue89, Slate –, ou payants – Mediapart. Mais nul ne sait encore quelle sera à terme leur viabilité économique. Certains journaux en ligne fournissent aussi des blogs, qui permettent à leurs lecteurs de commenter l’actualité… et de s’approprier la fonction de journaliste. Ce qui pousse les journalistes, les vrais, à faire preuve encore plus qu’avant de contrôle de l’information. Pour MM. Tessier et Baffert, « les blogs sont relativement peu présents sur les sites des journaux français : 50 % des sites de la presse quotidienne nationale n’en proposent pas ». Toutefois, certains titres de la presse nationale « ont fait du développement des blogs un axe important et leurs sites abritent de nombreux blogs de qualité, qu’ils soient de lecteurs ou de journalistes ». Les mutations entraînées par Internet pourraient se montrer salvatrices. Prenant en compte le développement inexorable du numérique, la France reconnaît désormais le statut d’éditeur de presse en ligne. De quoi permettre de maintenir le pluralisme de l’information et de préserver les conditions d’une offre de contenu de qualité. ■
Les catastrophes d’origine naturelle et humaine, dont le séisme en Haïti et les inondations au Pakistan, ont pesé lourd sur l’économie mondiale en 2010, la grevant de 222 milliards de dollars (169 milliards d’euros), selon des estimations du réassureur Swiss Re. Un chiffre qui a « plus que triplé » par rapport à 2009. Selon Jacques Diouf, directeur général de la FAO, la clé de la sécurité alimentaire à long terme réside dans l’accroissement des investissements dans l’agriculture, notamment dans les pays à faible revenu et à déficit alimentaire.
Le géant de l’Internet Google a signé le 30 novembre un accord de partenariat avec l’Office européen des Brevets en vertu duquel il va permettre de traduire, grâce à son logiciel de traduction automatique, les brevets dans 29 langues différentes. Le gouvernement du Ghana veut interdire la vente de sous-vêtements d’occasion dans les rues à partir de février prochain, invoquant des risques de santé. Il envisage d’étendre l’interdiction aux matelas d’occasion, ainsi qu’aux mouchoirs, aux chaussettes et aux pantalons. 336 millions de tonnes. C’est le niveau qu’atteindra la consommation chinoise de pétrole et de produits pétroliers en 2020, selon Cai Xiyou, le vice-président du premier raffineur chinois, Sinopec. À cette date, environ 60% des besoins pétroliers de la Chine seront couverts par des importations.
© Shutterstock
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Quant à Internet, il est devenu un acteur majeur de l’information, un média à part entière, si l’on en croit Bruno Patino, directeur général de France Culture.
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époque // évènement
Par Sébastien Langevin
Gouache et acrylique sur papier, 44,3 x 33,6 cm Gir, dessin pour la couverture de Blueberry, tome 24 : Mister Blueberry, 1995
Célébré comme l’un des plus grands auteurs de la bande dessinée mondiale, Jean Giraud alias Mœbius connaît désormais les faveurs de l’art contemporain grâce à une ambitieuse exposition à Paris. Rapide aperçu de l’œuvre de ce génie aux deux visages, à travers quatre de ses principaux personnages. Suivez les guides !
© Dargaud / Charlier / Giraud
Blueberry Créé en 1962 avec Jean-Michel Charlier au scénario, le lieutenant Blueberry emprunte initialement ses traits à l’acteur Jean-Paul Belmondo. Mais ce personnage connaîtra de nombreuses évolutions, physiques et mentales, parcourant le Far West américain du début du XIXe pour devenir l’une des icônes de la bande dessinée franco-belge. C’est le côté Gir, ou Jean Giraud, qui est ici à l’œuvre : le dessin est extrêmement réaliste, l’histoire suit la trame d’un western classique. Grâce à cette série, Jean Giraud devient l’un des auteurs majeurs en Europe et commence des collaborations internationales, avec Stan Lee (États-Unis) ou avec le Japonais Jiro Taniguchi, par exemple.
Docteur Mœbius et Mister Gir Mœbius, dessin préparatoire pour Arzach, 1975
© Mœbius Production
Mœbius
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Mœbius (ici en bas à droite) se met régulièrement en scène dans ses propres bandes dessinées. Dans Les Réparateurs, il utilise les mises en abyme et se représente en tant qu’auteur, assis à sa table à dessin. Il est avant tout le personnage central d’Inside Mœbius, où il s’entoure des héros de ses propres bandes dessinées et évolue dans le Désert B, « B comme bis… C’est le deuxième monde, là où mon double a tous les pouvoirs ». Aussi à l’aise avec une large palette de couleurs qu’avec un simple feutre, Mœbius est un maître du noir et blanc, technique généralement peu appréciée des auteurs français.
Arzach Guerrier extraterrestre voyageant sur un oiseau mi-organique mi-mécanique, Arzach évolue dans un univers hors du temps et de l’espace. Totalement dénué de dialogues, le premier volume d’Arzach, paru en 1976, ne suit aucun fil narratif. Cette balade onirique profite de la technique des couleurs directes, Mœbius abandonnant pour l’occasion la classique mise en couleur de planches en noir et blanc. Mœbius excelle dans les univers de science-fiction comme celui d’Arzach: il a contribué à donner leur identité visuelle à de nombreux films comme Le Cinquième Élément de Luc Besson, Abyss de James Cameron ou Alien, le huitième passager de Ridley Scott. Mœbius, dessin préparatoire pour Arzach, 1995
Le major Grubert
© Mœbius
Facilement reconnaissable à son immuable casque à pointe, le major Grubert surveille le Garage hermétique, astéroïde à trois niveaux. Le premier niveau est un lieu de chaos, le deuxième permet l’incarnation de formes plus stables, notamment le Désert B, et le dernier est un espace réservé à la mécanique et à la technologie. Les habitants du Garage hermétique ne se savent pas observer par le major Grubert. Réalisé selon les règles de l’écriture automatique, Le Garage hermétique demeure un album unique dans la bande dessinée européenne. Mœbius déclinera ensuite cet univers et son personnage principal dans d’autres albums.
Mœbius, La Chasse au Major, 2009 - Acrylique sur toile, 90 x 130 cm
© Mœbius Production
© Mœbius Production
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Mœbius, Inside Mœbius 6, deuxième partie, 2007
Une exposition à double facette Un homme, deux artistes : l’exposition Mœbius-Transe-Forme reflète cette dualité, sans pour autant reprendre la dichotomie entre Jean Giraud le dessinateur réaliste et Mœbius l’illustrateur onirique. La prestigieuse Fondation Cartier pour l’art contemporain accueille une multitude de dessins, d’esquisses, de vidéos et de films de et sur Mœbius. Une première partie présente les créatures de papier imaginées par cet infatigable inventeur de mondes. Le deuxième volet explore des univers intérieurs fantasmagoriques, des formes et des personnages en perpétuelle évolution, en constante transformation. L’exposition fait converger espace transcendantale et astrophysique, peintures abstraites et observations scientifiques, hallucinations et méditations. Un court-métrage en 3D réalisé par Mœbius, présenté en avant-première, vient clore ce foisonnement de visions et de sensations.
Mœbius-Transe-Forme, Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris, jusqu’au 13 mars 2011.
http://www.fondation.cartier.com
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époque // librairies francophones 6/6
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La France comme l’aiment les Japonais : une librairie comme dans un rêve. Un rêve de mots et d’images.
Par Jacques Pécheur
Lecteur japonais C
’est comme une carte postale ou une photo de Robert Doisneau : la librairie occuperait un coin de rue d’un quartier parisien typique ; il y aurait une colonne Morris et un lampadaire en fer forgé comme dans la comédie musicale Un Américain à Paris. Il y a un banc aussi, deux même, genre banc public façon jardin du Luxembourg. Le tout peint en vert, un vert épicéa. Non pas tout en vert : l’entrée de la librairie est, elle, peinte en rouge, un beau rouge sang de bœuf. Ne manque même pas ce détail « pour faire vrai » que n’oublie jamais un décorateur, « Défense d’afficher, Loi du 29 juillet 1881 (Art. 5A) ». Où sommes-nous ? Non pas dans un film, mais si j’en crois la plaque fixée en haut à gauche, à l’angle de la vitrine, rue de l’Institut. L’Institut, c’est l’Institut franco-japonais de Tokyo et la librairie à l’enseigne « Rive Gauche » se trouve dans l’enceinte même de
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l’Institut. Si l’on y regarde de plus près, on lit d’une écriture plus discrète, « Omeisha, maison fondée en 1947 ». Et dans la vitrine, cette invitation : « Venez visiter la maison mère à quelques rues de là ». Une réserve nommée « Paradis » Car c’est en effet, si l’on peut dire, sur la rive droite, Fujimi chiyoda-ku, que tout a commencé. « C’est en 1947, confirme M. Okuyama, l’actuel directeur de la librairie, que mon père a créé, ici même, la première et l’unique librairie française de Tokyo. » Un père qui « avait étudié le français comme lycéen » avant de « partir pendant un an faire un stage chez Hachette pour apprendre le métier ». Là, « il est le premier stagiaire asiatique à se former au métier du livre ». Un métier pourtant pas facile à exercer dans le Japon d’après-guerre. En effet, raconte Yukio Okuyama, « il était très difficile d’importer des livres ; alors mon père les a tapés à la
machine puis les a fait imprimer et les a distribués ». Mais si l’entreprise a pu prospérer, ce n’est pas à cause de ces pratiques artisanales mais parce que, ajoute le libraire, « mon père connaissait de nombreux professeurs de français ». Une histoire qui se confond un petit peu avec celle de la diffusion contemporaine du français au Japon, et un succès qui a aussi largement profité du développement de l’enseignement du FLE dont la librairie assure la distribution massive des outils d’enseignement. Et pas seulement à Tokyo, mais dans tout le Japon. Autour de ce qui pourrait être une grande table familiale dominée par un lustre comme on peut en voir dans les films japonais des années 1950, dans cette réserve interdite d’accès qu’on appelle « le Paradis », s’affairent devant des ordinateurs plusieurs collaborateurs qui s’occupent de la vente en ligne : une activité non négligeable que M. Okuyama a démarré il y a une
dizaine d’années et qui représente aujourd’hui plus de 10 % de l’activité de la librairie. « Les Alliances françaises, les écoles privées, les instituts, les universités nous passent commande et nous leur assurons aussi un service de renseignements et d’informations. » Des rencontres et un dialogue Reste que 90 % de l’activité a pour cadre la librairie. Une librairie qui a le charme d’une bibliothèque et qui respire le bois : les livres ici savent d’où ils viennent, ils se sentent en bonne compagnie. À côté des ouvrages mis au programme par les professeurs de l’Institut et immédiatement accessibles – Romain Gary, Chateaubriand, Sartre, Pagnol et Platon –, un rayon important consacré au Japon d’aujourd’hui vu côté français : on y trouve aussi bien Le Dictionnaire insolite du Japon que La Barrière des rencontres ou encore l’invitation à entrer Dans l’intimité des femmes japonaises, à s’initier à L’Art des bouquets japonais
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La librairie Rive Gauche est au sein même de l’Institut franco-japonais. La maison mère, la librairie Omeisha, située au bord du canal de Sotobori, a été fondée en 1947.
entre deux rives ou à L’Art zen du temps. Tout cela fait bon ménage avec Le Petit Nicolas, le Larousse des desserts ou les volumes de La Pléiade. Sans compter les stars incontournables que Japonais et Français ont en partage : Kitano, comédien pitre côté japonais, cinéaste on ne peut plus admiré côté français, Alain Delon pour l’éternité ou Amélie Nothomb qui est ici comme chez elle.
C’est clair, Yukio Okuyama aime ce métier, même s’il est tombé dedans un peu par hasard : « J’avais 21 ans quand j’ai repris la librairie au moment du décès brutal de mon père. Je faisais alors des études de sciences économiques. J’étais donc encore étudiant et en même temps je m’occupais de la librairie. » Ce qu’il en retient ce sont les rencontres avec les écrivains
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(récemment Muriel Barbery), mais aussi les cinéastes (Luc Besson) ou les acteurs (Gérard Depardieu) et surtout les liens qu’il a tissés en France. Bien sûr il ne cache pas les difficultés de l’heure : « Avec la récession économique, analyse-t-il, le comportement des Japonais a changé. Ils ne sont plus prêts à prendre autant de temps pour apprendre une langue ; ils n’ont plus la motivation d’aller conquérir des marchés grâce à une langue. » Sans parler de la situation du français : « Il perd des positions aux dépens du chinois et de l’américain », même s’il se console avec « la présence de plus en plus considérable de Français à Tokyo », d’ailleurs très nombreux dans ce quartier. Mais l’homme n’est pas du genre à se laisser abattre, qui voit dans la décoration des Palmes académiques qui lui a été remise il y a quelque temps déjà « un encouragement à défendre la culture française ». Ici, un geste suffit : pousser la porte et entrer. ■
Feuilles d’automne 2010 Tokyo, 4 novembre. C’est vrai qu’il se passe toujours quelque chose entre la librairie et l’Institut franco-japonais : Dai Sijie « le conteur de l’entre-deux » est annoncé le 11 novembre, Jean-Marc LévyLeblond l’alchimiste le 12, Anne Wiazemsky « la ciné-fille » le 17 ; quant à la rencontre d’un Baobab et d’un Oscar, traduire de l’illustrateur Serge Bloch et du scénariste Kundo Koyama, elle est programmée le 5, précédée le 14 octobre de celle de deux graphomanes culte, Loustal et Terada Katsuya. Chacun sait aussi que l’érotisme et l’art culinaire ont toujours fait bon ménage, notamment en matière de métaphores : Agnès Giard, journaliste à Libération, pensionnaire à la Villa Kujoyama, a le 20 octobre disséqué une nouvelle fois l’imaginaire érotique japonais pendant qu’une autre pensionnaire de la même villa, Aurélie Pétrel, posait le 25 octobre que « nos plaisirs gastronomiques étaient condamnés à n’être plus que des plaisirs nostalgiques de voyeur ».
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