REVUE DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANÇAIS
le français dans le monde
// ÉPOQUE //
Nahal Tajadod, romancière entre Téhéran et Paris
N° 385 JANVIER-FÉVRIER 2013
4 fiches pédagogiques dans ce numéro
Langue française sans frontières aux Francophonies en Limousin
// DOSSIER //
DOSSIER : Les Français et le travail, entre nécessité et valeurs
Les Français et le travail
entre nécessité et valeurs
// MÉTIER //
FranceMobil s’invite dans les écoles allemandes depuis 10 ans
// MÉMO //
FIPF
www.fdlm.org
15 €
-
ISSN 0015-9395 ISBN 9782090370782
N°385
JANVIER-FÉVRIER 2013
Le français langue de spécialité pour l’Europe en Bulgarie
Adolescences congolaises selon Henri Lopes
« Strip-Tease » : la Belgique mise à nu
numéro 385
Sommaire ÉPOQUE 6. Portrait
Le français dans le monde sur Internet : http://www.fdlm.org Métier / Savoir-faire
Les fiches pédagogiques à télécharger
Non, le laboratoire de langues n’est pas mort !
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Graphe : choisir
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Festival : La langue française sans frontières
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Économie : La France pousse les feux de la compétitivité
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Poésie : Avenue du Maine
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Clés : La notion de lexique
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Nouvelle : La cafetière
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Test et jeux
Nahal Tajadod ou le jeu de la vérité
8. Festival Langue française sans frontières
10. Économie
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La France pousse les feux de la compétitivité
fiches pédagogiques à télécharger sur : www.fdlm.org
12. Regard « En apprenant, l’enfant se confronte à ses limites »
Dossier
14. Tendance
Les Français et le travail
Qu’est-ce qu’on lui offre ?
entre nécessité et valeurs
15. Sport Les mille et une voies
« Les Français placent le travail en tête de leurs valeurs » ..........48 Travailler, pour quoi faire ?........................................................50 Politiques managériales et inconfort des salariés......................52 Mon métier, ma passion ............................................................54
16. Portrait de francophone Xinghao Chen, le français en vadrouille
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MÉTIER 20. L’actu 22. Focus « L’approche historique permet un recul réflexif sur les technologies »
FICHES PÉDAGOGIQUES Pages 69 à 76 34. Savoir-faire Non, le laboratoire de langues n’est pas mort !
24. Mot à mot Dites-moi Professeur…
36. Reportage
INTERLUDES 4. Graphe
Apprendre le français, un jeu d’enfants !
Choisir
38. Innovation
18. Poésie
À l’écoute du club des professionnels du FLE
Max Jacob : « Avenue du Maine »
40. Ressources
42. Nouvelle
Dessine-moi une idée
Théophile Gautier : « La cafetière »
26. Clés La notion de lexique (1)
28. Enquête Formation FLE : quel diplôme choisir ?
30. Expérience Enseigner le thème de l’Europe en classe de langue
32. Entretien Couverture : © mizʼenpage - Shutterstock
« L’obsession d’être compris par tous »
56. BD MÉMO 58. À écouter 60. À lire 64. À voir
Comment changer le monde ?
66. Test et jeux Les superstitions
Le français dans le monde, revue de la Fédération internationale des professeurs de français - www.fipf.org, éditée par CLE International – 9 bis, rue Abel–Hovelacque – 75013 Paris Tél. : 33 (0) 1 72 36 30 67 – Fax. 33 (0) 1 45 87 43 18 – Service abonnements : 33 (0) 1 40 94 22 22 – Fax. 33 (0) 1 40 94 22 32 – Directeur de la publication Jean-Pierre Cuq (FIPF) Rédacteur en chef Sébastien Langevin Conseiller de la rédaction Jacques Pécheur (Institut français) Secrétaire de rédaction Clément Balta Relations commerciales Sophie Ferrand Conception graphique miz’enpage - www.mizenpage.com – Commission paritaire : 0417T81661. 52e année. Imprimé par IME, Baume-les-Dames (25110). Comité de rédaction Dominique Abry, Isabelle Gruca, Valérie Drake, Pascale de Schuyter Hualpa, Sébastien Langevin, Chantal Parpette, Manuela Pinto, Nathalie Spanghero-Gaillard. Conseil d’orientation sous la présidence d’honneur de M. Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie : Jean-Marc Berthon (MAEE), Jean-Pierre Cuq (FIPF), Pascale de Schuyter Hualpa (Alliance française), Raymond Gevaert (FIPF), Michèle Jacobs-Hermès (TV5), Xavier North (DGLFLF), Soungalo Ouedraogo (OIF), Jacques Pécheur (Institut français), Nadine Prost (MEN), Fabienne Lallement (FIPF), Vicky Sommet (RFI), Jean-Luc Wollensack (CLE International).
Le français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
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Le français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
Le français dans le monde en 2013 L’année 2013 qui débute apporte son lot de nouveautés au Français dans le monde.
De nouvelles fiches pédagogiques Comme vous le constaterez dans ce numéro (p. 69 à 76), les fiches pédagogiques retrouvent une place de choix dans les pages de la revue. Même si des fiches ont toujours été présentes, et le resteront, sur le site fdlm.org, vous en retrouverez désormais quatre supplémentaires dans chaque numéro. Des séquences pédagogiques réalisées par des professeurs de français : envoyez-nous vos fiches, elles seront peut-être publiées dans un prochain numéro du Français dans le monde. La revue étant faite par des professeurs de français pour des professeurs de français, n’hésitez pas non plus à partager vos expériences en classe et vos trouvailles didactiques dans des articles qui prendront place dans la partie « Métier ». Pour nous envoyer ces propositions de fiches ou d’articles (d’une longueur de 6 000 signes, espaces compris), une seule adresse : contact@fdlm.org.
Les abonnements numériques Vous découvrirez courant janvier 2013 une offre d’abonnement inédite sur le site fdlm.org : l’abonnement entièrement numérique. Avec cette toute nouvelle formule, vous pourrez consulter et télécharger tous les deux mois votre revue en format numérique, sur ordinateur ou sur tablette. Deux avantages principaux : un abonnement à prix réduit, et la certitude de recevoir votre revue en temps et heure, où que vous soyez dans le monde. Papier ou numérique, à vous de choisir votre Français dans le monde. Bonne année 2013 en français avec Le français dans le monde ! Sébastien Langevin - Rédacteur en chef
interlude // « Choisir ! c’est l’éclair de l’intelligence. Hésitez-vous?… tout est dit, vous vous trompez. » Honoré de Balzac, L’Illustre Gaudissart
CHOISIR « La vérité, c’est une agonie qui n’en finit pas. La vérité de ce monde, c’est la mort. Il faut choisir, mourir ou mentir. » Céline, Voyage au bout de la nuit
La fiche pédagogique à télécharger sur : www.fdlm.org A 2
« Choisis tes ennemis ; mais laisse les amis te choisir. »
© Image Source/Corbis
André Gide, Conseils au jeune écrivain
« On doit choisir entre s’écouter parler et se faire entendre. » Frédéric Dard, Les Pensées de San-Antonio
Le « plus » audio sur www.fdlm.org espace abonnés
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« Le jardinier peut décider de ce qui convient aux carottes, mais nul ne peut choisir le bien des autres à leur place. » Jean-Paul Sartre, Le Diable et le bon Dieu
« La chance de notre génération, c’est qu’on peut choisir qui on va aimer toute sa vie. Ou toute l’année. Ça dépend des couples. » Faïza Guène, Kiffe kiffe demain
« Choisir le dialogue, cela veut dire aussi éviter les deux extrêmes que sont le monologue et la guerre.» « Les coupables, il vaut mieux les choisir que les chercher. »
Tzvetan Todorov, Nous et les autres
Marcel Pagnol, Topaze
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époque // Portrait
Nahal Tajadod
ou le jeu de la vérité
Iranienne d’origine et Parisienne d’adoption, Nahal Tajadod a choisi le mode romanesque pour dénoncer sans complaisance les abus du régime islamiste. Saisissant de vérité sur la condition faite aux femmes en Iran, son dernier livre, Elle joue, a paru cet automne.
Texte par Sophie Patois Photos par Stéphane Beaujean
I
nstallée à Paris depuis trentecinq ans, Nahal Tajadod revendique à juste titre une double culture. Jusqu’à présent elle navigue entre la capitale française et Téhéran. « J’ai la chance de pouvoir quitter l’Iran, mais jusqu’à quand ?», s’inquiète-t-elle. Persane et belle, assurément, elle confie : « Je ne peux pas me départager… Je sais qu’ici on me présente comme l’Iranienne tandis qu’en Iran, je suis la francophone qui vit en France et écrit en français… » Née à Téhéran en 1960, dans une famille francophone et érudite (son père a traduit Victor Hugo en persan, sa mère était
« Je suis convaincue que c’est grâce à l’éducation et aux femmes que l’Iran va s’en sortir. »
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une spécialiste de Roumi, le grand poète perse), Nahal Tajadod suit naturellement la voie de la connaissance. En 1977, elle entre aux « langues O’ » à Paris, où elle étudie le chinois. « J’ai reçu une formation académique, souligne-t-elle. J’ai un doctorat en chinois et j’ai longuement travaillé sur les rapports entre l’Iran et la Chine, c’est-à-dire pour résumer sur toutes les religions non chinoises introduites en Chine par les Iraniens, comme le zoroastrisme et le manichéisme. » Elle publie alors de studieux ouvrages, à l’image de Mani, le Bouddha de lumière, catéchisme manichéen chinois, à destination d’un public confidentiel. Heureusement, Nahal Tajadod écoute les conseils de sa mère, spécialiste des langues préislamiques. Celle-ci l’incite à écrire une biographie de Roumi, très peu connu en France. Elle opte pour une version romancée et démarre ainsi, avec la publication en 2004 de Roumi le brûlé
Nahal Tajadod en 5 dates 25 février 1960 : Naissance à Téhéran (Iran). 1977 : Arrivée à Paris. Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). 1993 : Traduction avec Mahin Tajadod et Jean-Claude Carrière du Livre de Chams de Tabriz, de Mawlânâ Djalal al-Din Rumi. 2007 : Passeport à l’iranienne. Reçoit la grande médaille de la francophonie. 2012 : Elle joue.
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grand-mère s’est immolée” ! J’ai voulu en savoir plus et je lui ai proposé de travailler ensemble à partir de son histoire. Je ne voulais ni d’une biographie, ni d’un entretien. Je ne savais pas si cela fonctionnerait. Je craignais aussi de nous mettre en danger. » Jouant, comme Sheyda son héroïne (largement inspirée de Golshifteh), avec le réel et l’imaginaire, Nahal Tajadod trace non seulement un portrait de femme peu ordinaire, mais soulève aussi à sa façon le voile de toutes les femmes iraniennes. « Il faut savoir, s’exclame avec fougue la romancière, qu’il y a 70 % de femmes dans les universités iraniennes. On compte seize réalisatrices dans le cinéma, cinq cents éditrices… À cause de la situation économique, de l’embargo et de la dévaluation de la monnaie, les femmes sont obligées de travailler. Je suis persuadée qu’une femme qui travaille et gagne son argent ne peut pas être soumise. Même dans les milieux traditionnels, il y a des féministes. Je suis convaincue que c’est grâce à l’éducation et aux femmes que l’Iran va s’en sortir. »
une carrière plus médiatique… Car, à sa grande surprise, La biographie romancée du grand mystique séduit et, traduite en persan, devient un vrai best-seller en Iran ! « Je n’en revenais pas. Là-bas, vous trouvez au moins deux cents ouvrages sur Roumi… » Passeport pour le succès Dans la foulée, l’éditeur Laurent Laffont lui commande un livre sur l’Iran contemporain. « J’avais pris beaucoup de notes sur les blogs qui devenaient à la mode et qui fleurissaient un peu partout. J’avais dans l’esprit d’en faire un livre. Et puis, lors d’un séjour à Téhéran, j’ai eu cette histoire de passeport à renouveler que je n’arrivais pas à obtenir, je faisais rire tout le monde en racontant mes péripéties et les démêlés kafkaïens auxquels j’étais confrontée… J’ai fini par l’écrire et c’est devenu Passeport à l’iranienne, qui a plu tout de suite à mon éditeur et a conquis le public. » Dès lors, libérée du carcan « académique » comme elle dit joli-
ment, la romancière qui sommeillait en elle s’éveille et saisit avec Debout sur la terre (publié en 2010), l’histoire de son pays natal marqué par la révolution de 1979 (arrivée de Khomeiny et établissement du régime islamiste). Sa mère, disparue lors de l’écriture de Roumi le brûlé, y figure en première place sous les traits de l’héroïne Ensiyeh. Mais témoigner et transmettre ce qui l’attache à sa terre d’origine va bien au-delà d’une affaire de famille, comme le montre son dernier ouvrage, Elle joue, plus gravement ancré dans l’Iran d’aujourd’hui. La rencontre avec Golshifteh Farahani, comédienne internationalement connue, exilée en France, est à l’origine de ce livre. « Elle incarne une génération qui est née sous la révolution et n’a connu que le régime islamiste. Je l’ai rencontrée à Paris, elle a m’a intriguée. Tout à coup, en plein milieu d’une conversation anodine, elle prononçait une phrase comme “Ma
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Le jeu de la vérité Plaidoyer pour la liberté de création, pour le jeu, vital et essentiel, de la comédienne et de l’artiste en général, Elle joue permet à son auteur de s’amuser à mettre en perspective
« Témoigner et transmettre ce qui l’attache à sa terre d’origine va bien au-delà d’une histoire de famille. » l’Iran de sa jeunesse, vécu en minijupe et sans foulard. Et décrit une nation qui, malgré la censure, ne peut empêcher la modernité de transpirer à chaque coin de rue. Sans dogmatisme et avec une authentique empathie pour ses compatriotes, Nahal Tajadod offre ainsi une vision véritable de son pays d’origine, sévère mais juste. Un écho plus intime aussi, entre deux femmes d’une même trempe, mère et fille liées par une force similaire. « Sheyda pourtant me rappelle ma mère, écrit Nahal Tajadod dans le roman. Elle a l’âge d’être ma fille, elle pourrait aussi être ma mère. Son combat est le sien : une femme dans un monde d’hommes. Jusqu’à l’âge de treize ans, ma mère était habillée en soldat, en chef de tribu, par décision paternelle. (…) Toute sa vie, elle garda dans son attitude une force particulière, une vigueur, une virulence qui la différenciait de toutes les autres femmes. » Jeu de miroir, transmission, héritage ? Nahal Tajadod, par ce récit authentique et singulier, se distingue, elle aussi, sans conteste. ■
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époque // Festival Lecture de Lambeaux d’Anarchipel, du Comorien Anssoufouddine Mohamed.
© Sarah Nuyten
Langue française sans frontières
© Sarah Nuyten
La 29 e édition du festival des Francophonies en Limousin s’est tenue du 27 septembre au 6 octobre 2012 à Limoges. Dix jours de manifestations artistiques multiculturelles, autour d’une thématique : la langue française.
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Salia Sanou
Par Sarah Nuyten
N
’était pas loin le temps où le quartier grouillait de vie et d’allégresse… » Sous un petit chapiteau de style baroque, plein de couleurs et de miroirs, la lecture de Lambeaux d’Anarchipel commence. La nouvelle, écrite par le cardiologue et auteur comorien Anssoufouddine Mohamed, parle de la vie des habitants d’Anjouan, aux Comores, mais aussi de la maladie. Avec lenteur, une comédienne déclame le texte, très littéraire. En fond, une musique tantôt africaine et enjouée, tantôt angoissante. « Pourquoi penses-tu encore à nous en ces temps de sauve-qui-peut collectif ? Va-t’en tou-
bib ! » À la fin de la lecture, l’auteur prend la parole pour répondre aux questions, devant une petite cinquantaine de personnes. Beaucoup sont des habitués des Francophonies. Parmi eux, Christine, ancienne comédienne et metteur en scène : « Ces lectures, c’est ce que je préfère dans le festival, explique-t-elle. On est tout proche de l’écrivain et du comédien, c’est très intime. Et contrairement à une pièce de théâtre, une grande place est laissée à
« La francophonie, c’est la richesse d’une langue vivante déclinée en langues multiples, une langue à plusieurs visages. »
La fiche pédagogique à télécharger sur : www.fdlm.org B1 l’imaginaire de chacun. » Pour les auteurs comme Anssoufouddine aussi, ces lectures sont une source de satisfaction. « Cela donne vie à mes mots. Je trouve que c’est une forme bien adaptée aux textes que j’écris, juge l’écrivain comorien. Plus globalement, participer aux Francophonies en Limousin offre une visibilité à mon travail d’auteur. C’est une chance. » Lectures, pièces de théâtre, débats, spectacles de danse, expositions de photographies, concerts… Le tout gravitant autour de la question du français. « La langue a toujours été au cœur de ce festival, raconte Nadine Chausse, responsable de la Maison des auteurs (voir encadré). La francophonie, c’est la richesse d’une langue vivante déclinée en langues multiples, une
Le français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
© Sarah Nuyten
langue à plusieurs visages, à plusieurs odeurs, à plusieurs histoires aussi. Ici, on cherche à l’interroger, à tester ses possibilités et ses limites. » Ainsi, pendant dix jours, sont rassemblés des artistes venus du monde entier : Québec, Belgique, Madagascar, Cameroun, Suisse, Congo, Algérie, Burkina Faso, Togo, Canada ou encore GuinéeConakry.
Le photographe malgache Pierrot Men devant l'un des clichés de son exposition « 47 portraits d'insurgés ».
Le partage comme maître-mot Côté public, le festival accueille chaque année environ 20 000 visiteurs, à Limoges et dans une quinzaine d’autres villes et villages de la région. « On a décentralisé l’événement, afin que celui-ci soit accessible au plus grand nombre,explique Marie-Agnès Sevestre, la directrice du festival. Au départ, il est vrai que le festival est intimement lié aux let-
« À Limoges, on décloisonne les territoires. On se retrouve ensemble, d’où qu’on vienne, et on partage. » tres, notamment parce que la Maison des auteurs en est le réacteur nucléaire. Nous proposons des performances très pointues, comme par exemple les lectures, mais il y a aussi des spectacles accessibles au grand public, dans plusieurs domaines artistiques. Le principal, c’est d’avoir une curiosité pour la création au sens large. » Les Francophonies en Limousin visent à être une plateforme d’échange entre
Au-delà des frontières, spectacle créé par le Burkinabé Salia Sanou © Marc Ginot
les artistes, le public et surtout les langues. Car aux yeux de Marie-Agnès Sevestre, la francophonie est « une manière d’entendre les autres langues là où le français est parlé. » Ainsi, certains spectacles sont bilingues : « Mis à part
en France, il y a toujours une langue maternelle autre que le français dans les pays qui le parlent. C’est aussi ce frottement entre les langues qui est au cœur du festival. » Un partage entre les idiomes, mais aussi entre les artistes.
diens, de metteurs en scène ou encore d’universitaires – étudie les projets en janvier, mai et octobre, puis opère une sélection. La Maison des auteurs a ainsi vu passer entre ses murs plus de cent-cinquante auteurs francophones venus d’Afrique, d’Amérique du Nord, du Proche-Orient, d’Europe ou de l’océan Indien. La Maison des auteurs est directement rattachée au festival des Francophonies. Elle en est une source d’inspiration essentielle, mais représente aussi un vivier d’auteurs, puisque chaque année, certains des écrivains en résidence participent au festival.
« C’est un cadeau » Dans une salle obscure de l’opérathéâtre de Limoges, cinq danseurs avancent par saccades, se déhanchent, virevoltent. Avec eux sur scène, un musicien, une comédienne et un funambule. Et en toile de fond, une image projetée qui évolue, travaillée en direct par un plasticien. L’homme qui a créé et orchestre ce spectacle intitulé Au-delà des frontières s’appelle Salia Sanou. À la fois danseur et chorégraphe, il vient du Burkina Faso et c’est un des chouchous des Francophonies. « Il existe une très belle relation d’amour entre ce
La Maison des auteurs Depuis 1988, les Francophonies en Limousin accueillent toute l’année des auteurs de langue française en résidence d’écriture. Pour une durée de un à trois mois, ceux-ci sont hébergés dans la Maison des auteurs, une bâtisse située en plein centre-ville de Limoges, dans un jardin qui jouxte les bureaux du festival. Cette structure se veut à la fois lieu de résidence, d’initiative et de création littéraires, mais aussi de repérage. Chaque année, la Maison des auteurs reçoit un grand nombre de textes, envoyés des quatre coins du monde. Un comité de lecture – composé d’écrivains, de comé-
© Marc Ginot
Le français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
festival et moi, explique-t-il. La plupart de mes créations sont passés par ici, et c’est un vrai cadeau pour l’artiste que je suis. » Dans son dernier spectacle, le chorégraphe cherche à illustrer le concept de frontière. Frontière physique, mais aussi frontière psychologique : « C’est une séparation nette entre les pays et les gens. Elle est liée à la géographie, mais également aux différences de cultures, de pays, de couleur de peau. » Pour gommer ces frontières, il y a l’art de la scène, comme ici, où les genres se mélangent. Et il y a aussi la francophonie : « À Limoges, on décloisonne les territoires, souffle Salia. On se retrouve tous ensemble, d’où qu’on vienne, et on partage. » L’an prochain, les Francophonies fêteront leurs trente ans. Trente ans de regards croisés et d’échanges, désormais bien au-delà des mots. ■
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époque // économie © Lemasson/Globepix
Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault en visite à l’Institut de recherche technologique Jules-Verne, près de Nantes, en octobre dernier.
La fiche pédagogique à télécharger sur : www.fdlm.org B1
Le gouvernement français peut bien donner des gages de bonne conduite économique, ils ne sont pas encore suffisants. Tel est du moins l’avis de l’OCDE, qui a épinglé, le 27 novembre dernier, la politique économique de la France.
La France pousse is © Marijan Murat/dpa/Corb
les feux de la compétitivité Par Marie-Christine Simonet
S
i l’on en croit l’organisation internationale, le «pacte de compétitivité » rendu public le 6 novembre 2012 par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault est une «étape importante » mais encore insuffisante au regard des mesures structurelles jugées nécessaires pour sortir de la récession. 22 septembre 2012 : François Hollande et Angela Merkel lors de la commémoration des 50 ans du traité de l’Élysée conclu entre la France et l’Allemagne.
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Coût du travail et déficit En gros, il faudrait faire des coupes claires dans la dépense publique et s’attaquer aux 35 heures. « Même si les
travailleurs sont très productifs en France, par heure travaillée, ils ne travaillent pas assez par rapport aux autres pays de l’OCDE ! », estime le chef économiste de l’OCDE, Pier Carlo Padoan. Car, pour cette institution acquise au libéralisme économique, la productivité est la clé de la compétitivité, dont la perte entraîne une décote économique difficile à rattraper. De fait, on indique de source officielle qu’on travaille en France environ 1 585 heures par personne et par an pour une moyenne mondiale de 1 902 heures. En outre, le coût du travail serait bien trop élevé dans l’Hexagone. En avril 2012, l’office européen de statistiques
Eurostat a publié une enquête soulignant qu’en Allemagne, le coût horaire de la main-d’œuvre était de 30,1 euros, contre 34,2 euros en France.
« On travaille en France environ 1 585 heures par personne et par an pour une moyenne mondiale de 1 902 heures. » Sachant que, entre 2001 et 2011, le coût horaire s’est accru de 19,4 % outre-Rhin et de 39,2 % en France (voir tableau ci-dessus).
Le français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
en bref
© Ikon Images/Corbis
Sortie de récession pour la zone euro en 2013 mais avec une croissance au point mort (+ 0,1 %) et un chômage approchant les 12 %, un niveau record. La croissance chinoise a été de 7,5 % en 2012.
C’est ce qui expliquerait en grande partie que, dans un contexte de conjoncture mondiale dégradée, la France ait enregistré un déficit extérieur record de 73 milliards d’euros en 2011 (2 % du PIB), une croissance faible et une hausse drastique des demandeurs d’emploi. Parallèlement, la part du pays dans le commerce mondial ne cesse de s’effriter depuis le début de la décennie : ses exportations représentaient 6,3 % du total mondial en 1990, 4,7 % en 2000 et seulement 3,3 % en 2011. À titre d’exemple, l’Allemagne a connu une évolution inverse, avec 8,4 % de parts du marché global en 2011 (+2% par rapport à 2000). Selon le Trésor français, le nombre d’entreprises exportatrices peine à décoller des 90000 (données 2010), contre 364000 en Allemagne et 184000 en Italie.
miques et sociaux avec la dernière impatience... et beaucoup de méfiance par l’agence de notation. « Le bilan passé des gouvernements (français, ndlr) depuis vingt ans sur la mise en œuvre effective des mesures est médiocre », assure-t-elle. La plus emblématique des mesures censées revigorer la compétitivité de la France est un crédit d’impôts octroyé aux
Premier pas Et voilà que la note souveraine de la France vient d’être dégradée par l’agence de notation Moody’s, de AAA à AA1. Dans ces conditions, c’est peu dire que le « pacte de compétitivité » lancé par le gouvernement était attendu par tous les acteurs éconoLe français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
entreprises, s’élevant à 10 milliards d’euros en 2013, puis à 5 milliards chacune des deux années suivantes, de sorte que le crédit atteindra 20 milliards d’euros à partir de 2015. Appliqué sur les salaires allant de 1 à 2,5 Smic (1 425 à 3 562 euros), il représenterait alors pour ces rémunérations 6 % du coût du travail. Dans la ligne de mire gouvernementale, le renouveau industriel français et une embellie sur le front de l’emploi. L’OCDE estime que ce pacte de compétitivité va dans le bon sens, mais qu’il n’est qu’un premier pas. Il faut aller plus loin et pour cela, « réformer la fiscalité française en baissant les charges sociales » préconise l’organisation. De même, « la dépense publique doit être réduite ». Si elle confirme la prédiction de croissance en 2013 des autorités françaises, soit 0,3 % (avec un taux de chômage de 10,7 % contre 9,9 % en 2012), elle juge trop ambitieux les objectifs gouvernementaux de réduction de 3 % des déficits « dans les circonstances défavorables actuelles ». L’OCDE prévoit un déficit de 3,4 % du PIB en 2013 et de 2,9 % en 2014. ■
Les États-Unis deviendront le 1er producteur mondial de pétrole vers 2020, et exportateur net de brut vers 2030, suite à l’essor des hydrocarbures non conventionnels, prédit l’AIE. © Shutterstock
Un diamant historique exceptionnel de 76,02 carats, l’Archiduc Joseph, a battu plusieurs records mondiaux de prix. Il a été vendu en novembre aux enchères par Christie’s pour 21,47 millions de dollars.
406 milliards de dollars. Tel est le montant attendu par la Banque mondiale des transferts d’argent des migrants vers les pays en développement en 2012. C’est une hausse de 6,5 % sur 2011. Dubaï va construire un complexe touristique et commercial au beau milieu du désert. Il comprendra un hôtel de luxe et un parc d’attraction. Le calendrier n’a pas encore été précisé.
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© Shutterstock
Nombre de pays africains ont posé les fondements d’une croissance durable, estime l’Intitute of International Finance (IFF). Depuis 2007, la croissance de l’Afrique sud-saharienne est de 4,7 % par an.
époque // Regard
Pour aider les élèves en difficulté à l’école, il faut libérer un désir d’apprendre souvent entravé, nous explique Martine Menès, auteur de L’Enfant et le savoir.
« En apprenant, l’enfant se confronte à ses limites »
© Astrid di Crollalanza
Propos recueillis par Alice Tillier
Longtemps psychothérapeuthe en centre médico-psycho-pédagogique, Martine Menès est psychanalyste, membre de l’École de psychanalyse des forums du champ lacanien.
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La préface de Serge Boimare recommande votre livre, L’Enfant et le savoir, aux enseignants qui, face à l’échec scolaire, finissent par douter de leurs compétences pédagogiques. Est-ce pour les enseignants que vous l’avez écrit ? Martine Menès : Plus qu’aux seuls enseignants, le livre s’adresse à tous ceux qui travaillent avec des enfants et qui s’intéressent à la question du rapport au savoir. Car le débat médiatique développé à l’heure actuelle contre la psychanalyse a entraîné du côté du public une forte méconnaissance et une grave incompréhen-
sion. Les facteurs qui relèvent de l’inconscient sont aujourd’hui mis de côté au profit d’approches neurologiques ou cognitivistes. On a tendance à réduire l’enfant à un ensemble de troubles : troubles du comportement, dysorthographie, dyslexie, etc. Les méthodes comportementalistes n’abordent que les points de difficultés, là où nous regardons le sujet dans sa globalité.
« Les facteurs qui relèvent de l’inconscient sont aujourd’hui mis de côté au profit d’approches neurologiques ou cognitives. »
Le sous-titre de votre livre pose la question : « D’où vient le désir d’apprendre ? » Il n’est donc pas inné ? M. M. : Le désir de savoir vient du désir tout court, qui, lui, est inné. Le nourrisson vient au monde avec un désir, une appétence à appréhender ce qui l’entoure. Les bébés regardent, attrapent, saisissent le monde. Le désir de connaître existe d’emblée. Il s’organise peu à peu en désir de savoir. L’enfant commence par intérioriser les expériences qu’il vit. Puis vers l’âge de deux-trois ans, il va s’intéresser à ce qui n’est pas perceptible. C’est à cette période qu’il peut commencer à avoir des peurs – du noir, de rester seul… Il réalise que la
Le français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
© JLP/Jose L. Pelaez/Corbis
compte rendu
Comprendre les blocages Inhibition, angoisse, doute, mais aussi psychose, autisme, paranoïa : autant de troubles qui peuvent se manifester chez les enfants dans le cadre de l’école et qui traduisent des blocages dans l’apprentissage. Pour mieux les comprendre, la psychanalyste Martine Menès invite à regarder de plus près la question du rapport au savoir et du désir d’apprendre, qui s’enracine dans la plus petite enfance : nécessité vitale pour le nourrisson, l’apprentissage se tourne
vie a un début et donc une fin. Dans cette phase « métaphysique », l’enfant s’interroge sur l’existence, la mort, la sexualité. Cette explosion de curiosité existentielle se termine, à 6-7 ans, par ce qu’on appelle à juste titre l’âge de raison, avec une grande poussée de refoulement, car il est difficile de vivre si l’on a constamment l’angoisse de la mort. Et c’est à cet âge-là que l’école propose l’accès à des connaissances universelles :
« Apprendre suppose de ne pas savoir. Il faut accepter un manque, quelque chose de l’ordre de la défaillance. En apprenant, on se confronte à ses limites. » l’enfant s’est suffisamment autonomisé par rapport à ses préoccupations dans sa famille pour pouvoir s’intéresser à autre chose.
extrait « L’enfant commence à parler sans avoir besoin d’explication sur le fonctionnement de sa langue (la syntaxe), sans en connaître les règles de fonctionnement (la grammaire) et pas davantage le sens des mots d’usage qu’il devine peu à peu selon le contexte, dans la répétition de leur apparition et de l’acte qui l’accompagne. Il vérifie par essais et erreurs la pertinence des associations qu’il fait. Les mots s’apprennent non comme dans une encyclopédie ou un dictionnaire, mais dans l’interaction avec les autres. Ce premier apprentissage par intégration est rendu possible parce qu’il est alimenté par le désir de faire comme
le parent, de maîtriser l’échange, de pouvoir demander. L’enfant attrape le mot entendu, l’articule, le reproduit à l’occasion, jusqu’à obtenir la confirmation de son sens… ou la révélation de la confusion qu’il a faite. Ce qui est compris dans l’intimité du foyer ne le sera pas à l’extérieur. Il faut donc que le bébé abandonne l’usage métonymique de la langue, typique des débuts du langage, mais nécessitant la ‘‘traduction’’ des proches pour être compris par tout le monde. » Martine Menès, L’Enfant et le savoir. D’où vient le désir d’apprendre ?, Seuil, 2012, p. 139-140.
Le français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
progressivement vers la sphère intellectuelle. À travers de nombreux exemples tirés du vécu de patients qu’elle a accompagnés, ainsi que des passages littéraires particulièrement éclairants (L’Élégance du hérisson de Muriel Barbery, La Pluie d’été de Marguerite Duras), Martine Menès met en relief certains renoncements au savoir qui peuvent dérouter enseignants ou parents, pour mieux aider les enfants à dépasser leurs blocages. ■ A. T.
Avec, comme préalable à tous ces apprentissages, la langue maternelle apprise à la maison… M. M. : La langue est en effet le support de tous les apprentissages. Mais en réalité, la langue maternelle ne s’apprend pas. L’enfant l’attrape, la langue entre en lui, sous forme de sons, et le bébé met ces sons les uns à la suite des autres. Ce qu’on a entendu entre 0 et 3 ans constitue un bagage inconscient : certains rêvent dans une langue étrangère qu’ils n’ont jamais apprise, tout simplement parce qu’ils ont eu une nounou qui leur a parlé dans cette langue ! L’apprentissage de l’écriture permet dans un second temps de découper cette chaîne musicale en mots.
réflexion sur le sens de ce que l’on fait, qui est nécessaire pour faire siennes les connaissances.
Pourquoi est-il parfois difficile d’apprendre ? M. M : Apprendre suppose de ne pas savoir. Il faut accepter un manque, quelque chose de l’ordre de la défaillance. En apprenant, on se confronte à ses limites. Un certain nombre de jeunes, plus aujourd’hui peut-être dans un contexte culturel où la consommation est devenue une valeur, sont au contraire dans la toutepuissance. Or le désir, l’illusion de toute-puissance va à l’encontre de la
Le désir de savoir a-t-il impérativement besoin d’être stimulé ? M. M. : Bien sûr il faut que l’environnement fasse un minimum de propositions. Mais si rien de grave ne vient entraver le désir, l’enfant va tout seul vers le savoir. À l’heure actuelle, on a tendance à tomber dans un excès : les enfants sont sur-stimulés, gavés de savoir. Pour laisser la place à la naissance d’une envie de faire, de créer, il faut un peu d’espace pour l’ennui. ■
Ce désir de toute-puissance est-il de plus en plus répandu ? M. M : C’est difficile à dire, la question ne se posait pas en ces termes il y a cinquante ans, beaucoup d’enfants s’arrêtaient au certificat d’études. Mais il est vrai que les structures familiales ont été mises à mal, avec ce qui soutenait la transmission des interdits : la fonction paternelle au sens large, incluant les maîtres. À la place se sont multipliés les petits maîtres, les grands frères, les gourous de toutes sortes, qui encouragent à tout sauf au sens critique.
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époque // Tendance
Qu’est-ce
qu’on lui offre ? M
Au temps du cadeau commun : commode certes mais peut-être un peu trop commun…
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Par Jean-Jacques Paubel
ariage, anniversaire de mariage, anniversaire tout court (surtout les dizaines symboliques), méga teuf comme on dit maintenant... difficile d’échapper au cadeau commun. Surtout que le mode d’emploi est très simple : un proche envoyé en éclaireur va s’enquérir auprès de la, du ou des récipiendaires de ce qui leur ferait plaisir entre la petite escapade en amoureux, le barbecue sophistiqué, l’intégrale de la Saison n+1 de la série x, y ou z, sans oublier l’objet improbable qui laissera chacun interdit devant ce qu’il révèle d’insondable chez le, la ou les intéressés… Et voilà, c’est parti : ne reste plus qu’à faire circuler l’information, à récupérer chèques et espèces (les cartes de crédit ne sont pas autorisées) et le jour dit à déposer le tout dans une boîte à chaussures transformée pour la circonstance en chalet suisse. Ça c’est pour la version disons artisanale du cadeau commun. Car force est de constater que jouer les collecteurs de fonds pour un cadeau commun est rarement une partie de plaisir. Relances auprès des donateurs
potentiels, calculs à gogo, récupération de chèques, pièces et billets, perte de temps voire d’argent sont généralement au programme. Or si l’on ouvre aujourd’hui la page de Google à l’entrée cadeau commun, on tombe tout de suite sur une série de sites de Leetchi.com (tout le monde ne peut pas s’appeler Orange ou Apple) à Bankeez.com en passant par cadeaucommun.com qui vous offre facilités, conseils pour, je cite, « collecter de l’argent facilement en toute occasion ». Et au cas où vous manqueriez d’imagination sur les occasions, ces sites ne manquent pas d’en dresser la liste : « anniversaire, cotisations, dons, mariage, naissance, pot de départ, vacances » et même « cadeau commun », en quelque sorte le cadeau commun pour le cadeau commun… Là, la boucle est bouclée.
Simple et flexible Mais pourquoi cet engouement pour le cadeau commun ? Sur ce point, il faut s’en remettre à l’explication de l’économiste Todd Kaplan : « Le cadeau commun présente une série d’avantages : la coordination (vous évitez les doublons), une meilleure information sur ce que souhaite la personne, plus de moyens. Mais ce que veulent les gens en vous donnant un
cadeau, c’est envoyer un signal : à quel point ils vous connaissent, la valeur qu’ils accordent à votre relation… » Car il s’agit bien d’une nouvelle économie qui ne pouvait échapper à Internet et au commerce en ligne. Ce que vendent ces sites, c’est de la souplesse. « Nous avons voulu proposer une solution très simple et extrêmement flexible », expliquent Raphaël Compagnion et Pierre Larivière, créateurs de Bankeez.com. La plateforme lancée par ces deux ex-financiers de Lehman Brothers permet en effet de multiples utilisations, depuis le simple remboursement entre particuliers à la cagnotte à financer pour un achat commun en passant par les souscriptions permettant par exemple à une association de collecter des cotisations. On est décidément bien loin de la recherche attentive qui au bout du compte, dans l’acte d’offrir, signait un pacte de reconnaissance et de complicité partagée. Reste en ces temps de frénésie compulsive propre à la période des fêtes de Noël à méditer le conseil – qui est aussi le titre de son livre – de cet autre économiste, Joel Waldfogel, « Why you shouldn’t buy presents for the holidays », autrement dit : « Pourquoi vous ne devriez pas offrir de cadeaux pour les fêtes »… ■
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époque // sport © DR
Les mille
et une voies Il devait célébrer les 30 ans de La Vie au bout des doigts, le documentaire qui l’a révélé. Le grimpeur Patrick Edlinger est mort le 16 novembre dernier, à l’âge de 52 ans.
D
Par Clément Balta ans une œuvre de fiction lorsque la fin de l’histoire ne coïncide pas avec la résolution de l’intrigue, ce qui est souvent le cas des séries à suspense, les Anglo-Saxons parlent de cliffhanger. Littéralement, ce mot signifie « qui est suspendu à la falaise ». La vie de Patrick Edlinger recoupait cette double définition. Sa passion de l’escalade libre – le fameux « solo », à mains nues et sans matériel ni soutien – le plaçait tout à la fois au bord de l’abîme et dans une suspension perpétuelle, une quête toujours inachevée des sommets. « Ce qui est intéressant dans le solo, c’est le fait que ta vie soit en danger, assurait-il. (…) L’escalade ce n’est pas un sport, c’est un mode de vie. J’y trouve tous les besoins qu’on peut avoir en tant qu’être humain. » En 1982 un court film-documentaire de Jean-Paul Janssen, La Vie au bout des doigts, lui est consacré. Certains ont peut-être encore en mémoire ce corps fin et sculpté, ne tenant qu’à un auriculaire agrippé nonchalamment à la pierre, lien minuscule entre la montagne et le vide. On découvre alors ce fou grimpant aux allures de baba-cool, sorte de Borg des pitons, bandeau rouge sur crinière dorée qui lui vaudra le surnom d’« Ange blond ». Un ange passe, donc. Hagiographie Edlinger est le héros et la voix off du film, égrenant sa philosophie au gré des ascensions. « Ce qui est pour moi le plus important en escalade, c’est aussi la façon dont tu passes. L’intérêt c’est d’essayer d’être le plus esthétique, le plus harmonieux possible. C’est une expression corporelle au même titre que la danse, sauf que la chorégraphie éditée par les prises est un opéra vertical. » Formule poétique qui évoque l’un de ses frères de paroi, Patrick BerLe français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
« Je souhaite à tous les êtres, quelle que soit leur activité, de la vivre pleinement en homme libre », dit P. Edlinger en préface de la bio qui lui est consacrée.
hault, disparu après une chute en 2004, et inventeur du concept de « danse-escalade ». Mais Opéra vertical est aussi le titre de l’autre réalisation de Janssen qui a participé à forger la légende. « Patrick affirmait des valeurs inhabituelles pour l’époque, raconte ce dernier. La beauté de la nature, la joie du risque, l’esprit du vertige. Il n’a fallu que ces quelques images pour que le mythe s’installe. » Depuis une chute en 1995, l’escalade n’était plus une activité exclusive. Il avait ouvert un gîte dans le Verdon, non loin de ces falaises calcaires qu’il avait si intimement hantées. Mais rien n’avait pu remplacer l’ivresse des hauteurs. « C’est le basculement des gens de l’extrême lorsqu’ils reviennent sur terre. Ils ont vécu des choses tellement pleines, des émotions si pures que l’angoisse de ne plus les revivre est forte », explique Gilles Chapaz, qui préparait un film sur la vie du grimpeur.
Une biographie doit également paraître avant l’été. L’auteur, Jean-Michel Asselin, insiste sur le pionner. « C’est grâce à lui qu’aujourd’hui il y a des milliers de pratiquants. Il a révolutionné l’escalade sur le plan mondial en rendant populaire un sport qui était alors très confidentiel. » Patrick Edlinger a ouvert la voie, on ne saurait mieux dire. De multiples voies. Happant au passage un flot d’aficionados fascinés par cette soif des grands espaces, cette sérénité vertigineuse à fleur de roche. Autant de points de suspension apportés au cliffhanger. ■
infos en +
La Vie au bout des doigts : http://www.youtube.com/watch?v=NDcaPJXQAFE Opéra vertical : http://www.passiongrimpe.com/viewvideo/134/inconnu.html
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époque // Portrait de francophone (6/6)
Accompagnant un groupe de Français au Tibet, devant le palais du Potala, à Lhassa.
Xinghao Chen,
le français en vadrouille
Responsable du département francophone d’une agence de voyage chinoise, le Shanghaien Xinghao Chen a fait du français son visa pour l’emploi.
Texte et photos par Barbara Guicheteau
L
a Chine, pays de tous les records... Sur ce territoire grand comme dix-sept fois la France et riche d’une multitude de dialectes, la notion de langue étrangère est toute relative. Au quotidien, le Shanghaien Xinghao Chen, responsable d’une agence de voyage, jongle ainsi avec pas moins de quatre langues, domestiques et internationales.
« Son poste actuel, il le doit à sa maîtrise parfaite de la langue de Molière. »
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Le mandarin tout d’abord (ou putonghua en pinyin1), standard officiel de Fuzhou à Harbin, en passant par Pékin. Son dialecte natal ensuite, le shanghaien, de rigueur en famille. L’anglais, incontournable pour qui travaille dans le secteur du tourisme. Et enfin, le français, sa botte secrète. Son poste actuel, il le doit en effet à sa maîtrise parfaite de la langue de Molière. En charge de Mosaic voyages, le département francophone de l’agence Shanghai East Travel, il traite directement avec ses clients expatriés, originaires de l’Hexagone, mais aussi de Suisse, de Belgique ou encore du Québec. À l’occasion, il les escorte même en expédition, à Shanghai, en Chine et
au-delà, dans toute l’Asie. Tibet, Vietnam, Birmanie, Cambodge… peu importe la destination. Pour Xinghao Chen (Alain de son prénom français), « l’essentiel est de sortir des sentiers battus du tourisme ». Bagage culturel En globe-trotter averti, il prend donc soin d’éviter les lieux communs. Une démarche qu’il attribue pour partie à son séjour en France, de 2001 à 2004. « J’y ai découvert le plaisir de voyager, de gratter derrière la photo souvenir ». Au passage, il intègre un certain nombre de valeurs propres aux Français. Un bagage culturel qui lui permet aujourd’hui de saisir rapidement la demande de ses clients, voire d’anticiper leurs besoins.
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À Shanghai, chacun loue d’ailleurs son professionnalisme, légitimé par un partenariat durable avec le Cercle francophone, association de référence de la communauté expatriée. « Chaque nationalité a ses habitudes en voyage », sourit-il. Et en l’occurrence, « les Français aiment bien prendre leur temps, aller au fond des choses. Pas question de les bousculer ». Trois ans en France En 2001, quand il débarque à Lyon, Xinghao Chen est loin de se douter de ce qui l’attend. La France, il n’en connaît que les clichés d’usage. « Aujourd’hui encore, les Chinois l’associent au chic, à l’élégance, au romantisme. » Une réputation séduisante pour un étudiant de 22 ans. D’autant que « les frais de scolarité et de logement restent abordables pour un petit budget ». Sa première année, il la consacre à l’apprentissage de la langue au sein d’un institut privé. Un mauvais souvenir : « Nous restions entre Chinois, avec un programme très cadré. » Trop en tout cas pour le jeune homme, qui rêve de sortir de sa communauté. Dont acte la deuxième année. Sur les bancs de l’Alliance française
de Lyon, il rencontre des étudiants originaires du monde entier, découvre la culture de son pays d’accueil et améliore sa pratique du français, notamment à l’oral. « Pour un Chinois, le premier obstacle est la prononciation. Une fois celle-ci acquise, tout roule. » L’écrit lui résiste un peu plus longtemps, pour cause « de règles de conjugaison et de grammaire parfois complexes ». Ses bêtes noires ? Sans hésiter, « le subjonctif et les verbes irréguliers ». En compensation, certains rituels lui facilitent la tâche : « le dimanche, j’allais faire un tour sur le marché pour acheter un saucisson et un livre d’occasion », étranger de préférence, mais en version française. À force de lecture et de travail, le Shanghaien intègre la faculté d’économie de Lyon II, à la rentrée 2003. Déjà titulaire en Chine d’un bac +4 en import-export, il y valide en un an une maîtrise, mention assez bien. Et de confier, rétrospectivement : « Mes trois années passées en France restent les plus riches de ma vie. » L’aventure touristique De retour en Chine, fin 2004, Xinghao Chen souhaite valoriser son ex-
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périence lyonnaise en intégrant une entreprise francophone. Sa première candidature est la bonne : quelques semaines après ses retrouvailles avec son pays natal, il rejoint l’équipe du Sofitel à Shanghai. Mais l’hôtellerie se révèle rapidement un peu trop routinière pour le jeune diplômé, avide de décou-
« Professionnellement, je fais office de trait d’union entre les cultures francophones et asiatiques. » vertes. Une proposition d’une agence de voyage tombe alors à pic. En 2005, il se lance dans l’aventure touristique, en tant que spécialiste de la langue française. Huit ans plus tard, il est toujours fidèle au poste. Les restructurations de la maison n’ont pas eu raison de sa motivation. Au contraire. Au sein du navire East Travel, le département francophone jouit aujourd’hui d’une certaine autonomie, avec un nom propre – Mosaic Voyages – et une offre de services ad hoc. Autonomie justifiée par
le nombre de Français établis à Shanghai, près de 16 000 selon une estimation du consulat général, « ce qui en fait la première concentration de ressortissants en Asie ». En témoin privilégié, Xinghao Chen ne se lasse pas d’étudier les mœurs de ses contemporains. « Professionnellement, je fais office de trait d’union entre les cultures francophones et asiatiques. C’est un poste d’observation passionnant ! » Ce recul lui a permis de constater l’évolution considérable de ses compatriotes : « La Chine change très vite. » Trop vite ? « Je me sens chinois à 100 % et j’adore mon quotidien à toute vitesse à Shanghai, mais je n’élude pas le fait de repartir un jour vivre à l’étranger. » De tous les territoires francophones, le Québec a sa préférence, question de « qualité de vie » pour sa famille. Père d’un petit garçon de deux ans, Xinghao Chen aimerait lui enseigner le français. Sa femme s’y est déjà mise. Et de faire le vœu suivant : « Qui sait, un jour, on parlera peut-être français en famille ? » ■
1. Le pinyin est le système de transcription des sinogrammes en caractères latins.
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