Le français dans le monde N°398

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REVUE DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANÇAIS

le français dans le monde

// MÉTIER // N° 398 mars-avril 2015

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LIBERTÉ

DOSSIER : Liberté d’expression, enseigner la presse

// ÉPOQUE //

mars-avril 2015

Angélique Kidjo, chanteuse béninoise engagée pour la cause des femmes // MÉMO //

Le Québec chanté et enchanté de Fred Pellerin

FIPF

N° 398 15 €

9 782090 370911

En Arabie Saoudite, le français voie royale

D’EXPRESSION Enseigner la presse // DOSSIER //

ISSN 0015-9395 97820903709-11

La Maison d’Antoinette soutient les cultures francophones en Grèce

Timbuktu, un film contre le fanatisme au Mali



Le français dans le monde sur Internet : http://www.fdlm.org

numéro 398 Métier / Innovation

Les fiches pédagogiques à télécharger

En avant les télésimulations avec DramaFLE !

Économie : Le TGV, un modèle tout-terrain ? Poésie : « Bâillon » Clés : La notion de besoin BD : Parler la langue ou bien ? Test et jeux : La voix

ÉPOQUE 6. Portrait

Angélique Kidjo, chœur battant

8. Tendance

Ça cause animal

9. Exposition

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Des créateurs venus d’ailleurs

10. Économie

Le TGV, un modèle tout-terrain ?

12. Sport

Faut que ça glisse

13. Média

Plus Belle la vie, miroir télévisuel de la société française

14. Regard

« L’Occident a perdu le monopole de la puissance sportive »

MÉTIER 18. L’actu 20. Focus

« Le numérique change la mission de l’enseignant »

22. Mot à mot

Dossier

Liberté d’expression

enseigner la presse « L’éducation aux médias est un défi mondial » ......................................50 De Daumier à Charlie, deux siècles de caricature ....................................52 Demandez Le petit Vitruvien ! .................................................................54 Un blogue en classe de FLE : pour quoi et comment faire ?......................56

32. Enquête

Le français, « la voie royale »

34. Entretien

Dites-moi Professeur

« Toute mutilation de langue est une mutilation de l’être »

24. Initiative

36. Point de vue

26. Clés

38. Savoir-faire

28. Expérience

40. Innovation

La Maison d’Antoinette La notion de besoin Au défi de la traduction

fiches pédagogiques à télécharger sur : www.fdlm.org

Il y a de l’étranger dans la langue Bien se préparer aux tests de langue En avant les télésimulations avec DramaFLE !

42. Ressources

MÉMO 60. À écouter 62. À lire 66. À voir

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FICHES PÉDAGOGIQUES PAGES 71 À 76

INTERLUDES 4. Graphe Liberté

18. Poésie

Géo Norge : « Bâillon »

44. Nouvelle

Miguel Bonnefoy : « Icare »

58. BD

Parler la langue ou bien ?

68. Test et jeux

Couverture : © Shutterstock / miz’enpage

La voix

Le français dans le monde, revue de la Fédération internationale des professeurs de français - www.fipf.org, éditée par CLE International – 9 bis, rue Abel–Hovelacque – 75013 Paris Tél. : 33 (0) 1 72 36 30 67 – Fax. 33 (0) 1 45 87 43 18 – Service abonnements : 33 (0) 1 40 94 22 22 – Fax. 33 (0) 1 40 94 22 32 – Directeur de la publication Jean-Pierre Cuq (FIPF) Rédacteur en chef Sébastien Langevin Conseiller de la rédaction Jacques Pécheur Secrétaire de rédaction Clément Balta – Relations commerciales Sophie Ferrand Conception graphique miz’enpage - www.mizenpage.com – Commission paritaire : 0417T81661. 54e année. Imprimé par IME, Baume-les-Dames (25110). Comité de rédaction Dominique Abry, Isabelle Gruca, Valérie Drake, Pascale de Schuyter Hualpa, Sébastien Langevin, Chantal Parpette, Manuela Pinto, Nathalie Spanghero-Gaillard. Conseil d’orientation sous la présidence d’honneur de Mme Michaëlle Jean, secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie : Maguelone Orliange (MAE), Jean-Pierre Cuq (FIPF), Pascale de Schuyter Hualpa (Alliance française), Raymond Gevaert (FIPF), Michèle Jacobs-Hermès (TV5MONDE), Xavier North (DGLFLF), Imma Tor (OIF), Nadine Prost (MEN), Fabienne Lallement (FIPF), Lidwien Van Dixhoorn (RFI), Jean-Luc Wollensack (CLE International).

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Les reportages audio des mois de mars-avril 2015 à télécharger : Actualité : le grand rassemblement du 11 janvier 2015 (audio et transcription) Micro-trottoir : « liberté » (audio et transcription) Société : les libraires s’organisent (audio et transcription) Technologie : comprendre l’influence du temps sur le moral grâce à Twitter (audio et transcription)

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« Charlie Hebdo refuse lui aussi de publier certains dessins, ce n’est pas honteux. Observer des tabous, ce n’est pas forcément une régression. Ce n’est pas un pas en arrière pour la liberté d’expression, c’est un pas en avant pour l’intelligence. » Plantu, Nouvel Obs, 7 février 2006

« Le dernier mot de la liberté, c’est l’égoïsme. »

Le Génie de la Liberté, colonne de Juillet, place de la Bastille à Paris © XC - Shutterstock

Gérard de Nerval

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« La liberté, comme l’amour, a un coût, celui de l’intranquillité. Ni l’un ni l’autre ne sont jamais acquis. » Sylvie Germain, Petites Scènes capitales


« Je prendrais la liberté de lui répondre : Mon frère, peut-être avez-vous raison ; je suis convaincu du bien que vous voulez me faire ; mais ne pourrais-je pas être sauvé sans tout cela ? » Voltaire, Traité sur la tolérance

Liberté « C’est par le travail que la femme a en grande partie franchi la distance qui la séparait du mâle ; c’est le travail qui peut seul lui garantir une liberté concrète. » Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe

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« Et par le pouvoir d’un mot Je recommence ma vie Je suis né pour te connaître Pour te nommer Liberté. » Paul Éluard, Poésie et Vérité

« Le premier des droits de l’homme c’est la liberté individuelle, la liberté de la propriété, la liberté de la pensée, la liberté du travail. » Jean Jaurès

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© Elina Sirparanta

sport

Faut que ça

Le bob à 2 français, piloté par Loïc Costerg (Coupe du Monde de La Plagne, 31 janvier 2014).

Du 27 janvier au 1er février dernier, La station savoyarde de La Plagne accueillait une étape de «la Coupe du Monde de bobsleigh. L’occasion de voir de plus près ce sport à sensations fortes. Embarcation immédiate !

La piste olympique de bobsleigh de La Plagne.

© Elina Sirparanta

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Glisssssssssse L Par Clément Balta au-delà de la simplicité de son principe : descendre le plus vite possible es objectifs d’être dans un grand toboggan de glace. le Top 8 pour le classement européen et Top Une piste... à essayer 15 en Coupe du Monde, En France, il existe une seule piste de où c’est notre meilleur bobsleigh, construite pour Albertville résultat, sont atteints ! », clame 1992, celle de La Plagne. Sur 1 500 m Loïc Costerg, dont l’équipage est et 19 virages, le terrible engin y déle seul engagé côté français, après vale à une vitesse pouvant aller à plus ses deux manches en bob à 2. Une de 130 km/h. C’est dire l’importance performance notable dans un sport du pilote, dont la moindre erreur d’hiver qui peine à se faire une place peut renverser cette Formule 1 pour au soleil et dont le grand public givrés. Dans la version bob à 4 (seulea souvent entendu parler par des ment en duo chez les femmes), deux dehors plus ou moins exotiques : pousseurs et un freineur complètent l’incroyable épopée de l’équipe l’équipage. La phase de poussée inijamaïcaine aux Jeux de Calgary, tiale est la plus technique, au point en 1988, immortalisée par le film qu’un championnat de France y est Rasta rockett (et encore présente à consacré. La recherche technoloSotchi) ; la passion du prince Albert gique a aussi son importance, ce qui de Monaco, qui a participé en tant fait du bob un sport à la fois mécaque pilote à cinq olympiades. nique et athlétique, de concentraNé à la fin du xixe siècle du côté de tion et d’adresse. Saint-Moritz, en Suisse, présent dès Voilà pour le versant sportif. Sur les premiers jeux Olympiques d’hiver l’adret économique, la réalité est de Chamonix de 1924, ce sport de parfois cruelle, notamment pour glisse – bob signifiant en anglais « ba- un équipage français en recherche lancer, osciller », et sleigh « traîneau » permanente de financement. « Un – mérite toutefois qu’on s’y arrête, impératif pour continuer. Il faut des

moyens pour les hommes, un encadrement de qualité et du matériel performant », assure Loïc Costerg, dont le budget pour la saison en cours est de 115 000 € (le triple pour les Allemands). Sachant qu’un bob performant coûte plus de 80 000 €, les Bleus doivent souvent bricoler. Cette année, ils ont lancé une collecte de fonds par Internet pour s’offrir un jeu de patins, et même loué un bob à 4… aux Allemands. L’avenir de cette discipline fort coûteuse (outre sa construction, une piste de bobsleigh doit être réfrigérée en permanence lors des épreuves) passe par une réelle volonté politique, l’État ayant refusé de la financer lors de la précédente olympiade, que Costerg avait finie 17e (à 4). La descente d’initiation effectuée par le ministre français des Sport lui-même, en décembre, aidera peut-être à la propulser plus avant. Comme à la rendre plus populaire : il est en effet possible au quidam d’imiter le ministre en effectuant – avec un pilote – une petite virée à toute berzingue sur la piste de La Plagne, et ce jusqu’au 5 avril ! n

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média

© François Lefebvre/France3

Mardi 13 janvier, 20  h 20 : Plus Belle la vie est aussi Charlie. Les attentats ont été intégrés après un tournage d’urgence à l’épisode 2 667 du feuilleton, ce miroir du quotidien des téléspectateurs français.

Plus Belle la vie, miroir télévisuel de la société française

Ç

Par Jacques Pécheur

a fait plus de dix ans que ça dure. 30 août 2004 : premier épisode de Plus Belle la vie et début d’une histoire d’amour autour de ce soap opera à la française qui réunit en moyenne chaque soir, sur France 3, plus de 5 millions de téléspectateurs. Un rituel autour du seul feuilleton quotidien de l’offre télévisuelle française. C’est au Mistral, quartier imaginaire de Marseille, qui n’est pas sans évoquer le Panier, que se déroule l’action, avec un lieu incontournable et pagnolesque : son bar, qui sert précisément de cadre à l’épisode qui évoque la tragédie de Charlie Hebdo. Un quartier où l’on suit la vie personnelle de ses habitants, leurs joies, leurs problèmes du jour, leurs ennuis plus sérieux et bien sûr leurs amitiés et leurs amours, mais aussi les histoires, les intrigues dans lesquelles ils sont embarqués. C’est ainsi qu’avec le temps, les Marci, les Chaumette, les Torres, les Frémont, les Nasri, les Nebout (et on

en passe), ainsi que tous les personnages secondaires ou épisodiques, familles, amis, anciens habitants du quaroktier et l’indispensable commissaire Castelli sont devenus les complices familiers des téléspectateurs. Défendre et illustrer le lien social Des téléspectateurs auxquels Plus belle la vie propose de suivre plusieurs histoires parallèles à l’occasion de chaque épisode qui, quoi qu’il se passe au Mistral, qu’il neige (ce qui est rare) ou qu’il vente, représente une journée et pas plus dans la vie des personnages : à savoir une intrigue principale plutôt policière autour d’événements dramatiques ou étonnants ; une intrigue secondaire tendance roman sentimental ou sujet de société ; et enfin une intrigue plus légère voire humoristique qui s’appuie sur des péripéties de la vie quotidienne. Des épisodes qui intègrent les dates symboliques du calendrier et donnent l’impression de se dérouler au fil de la vie réelle : réveillon

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le 24 décembre, Saint-Valentin le 14 février, Fête de la musique le 21 juin, résultats du baccalauréat début juillet… Ce sont tous ces éléments de proximité qui expliquent le succès jamais démenti de Plus belle la vie : pour Julien Borde, secrétaire général des programmes de France 3, « le miroir du quotidien des téléspectateurs, une vie de quartier et le reflet de l’évolution de la société, des personnages qui nous ressemblent » ; « la capacité du feuilleton à coller à l’actualité, selon Jean-Yves Le Naour, auteur d’un ouvrage sur le phénomène, à oser aborder des sujets qui fâchent : harcèlement à l’école, homosexualité, sans-papiers » ; « un appel au vivre ensemble, un ensemble de valeurs » pour Hubert Besson, le producteur. Cette relation d’empathie peut également se constater à travers l’afflux de touristes : ils sont 100 000 à venir chaque année à Marseille et s’en aller à la recherche des différents lieux de tournage du feuilleton, avant de repartir les bras chargés… de produits dérivés. n

« Plus Belle la vie » en chiffres 2 600 épisodes en dix ans. Des intrigues où s’entrecroisent 56 familles. 1 200 comédiens ont incarné les personnages et échangé 875 000 répliques. 140 personnages sont morts et 100 sont passés par la case prison. 385 000 verres ont été bus au bar du Mistral. Marseille rimant avec soleil, il n’a plu que 4 jours sur l’ensemble des épisodes du feuilleton !

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l'actu FIPF

trois questions à

« La Chine a besoin de jeunes francophones compétents »

©DR

Commission du monde arabe : deux langues pour un congrès La ville d’Hammamet en Tunisie a accueilli le troisième congrès de la Commission du monde arabe de la FIPF fin octobre 2014. De grandes retrouvailles sur fond de tension politiques et sociales dans la sous-région.

C

’était à l’hôtel Laico, en salle Carthage, dans les jardins d’Hammamet. En ce 30 octobre 2014, le troisième congrès de la Commission du monde arabe (CMA) de la FIPF était officiellement déclaré ouvert. Il aura fallu attendre près de 5 ans pour que cette communauté d’enseignants de français puisse de nouveau se réunir au grand complet, après Le Caire en 2007 et Beyrouth en 2009. 5 ans durant lesquels l’Afrique du Nord a vécu de grands moments d’exaltation et de terribles déceptions. 3 ans après le Printemps

de Jasmin, la Tunisie accueillait donc les congressistes, entre élections législatives et scrutin présidentiel. « Langue et culture arabes, Langue française et cultures francophones : contacts, dynamique et synergies », tel était le thème de ces quatre jours de rencontre, « Le français en plus » leur slogan. Et ce sont bien les rapports entre langue française et langue arabe qui ont servi de colonne vertébrale à la grande majorité des dizaines de communications. Un axe fort et pertinent qui a permis aux propos de ne pas se disperser. De la phonologie comparée aux échanges lexicaux, en passant par les contextes d’apprentissages, les didactiques convergentes et les choix en matière de politique linguistique dans les 7 pays de la Commission, les liens puissants qui unissent langues arabe et française ont ainsi façonné des échanges parfois vifs mais toujours constructifs et éclairants.

Ce congrès a également été l’occasion d’une conférence estampillée Le français dans le monde : Jean-Pierre Cuq y a posé la question de la transposition en didactique du français langue étrangère et seconde et

s’est ainsi interrogé sans tabou sur certains aspects théoriques et méthodologiques du Cadre européen commun de référence pour les langues. Un vrai moment de réflexion qui inaugure en beauté un cycle de conférences du Français dans le monde lors de chaque grand événement de la FIPF à venir. Plus de 350 participants venus du Liban, d’Égypte, de Jordanie, de Mauritanie mais aussi d’Irak, d’Algérie et d’Arabie Saoudite, mais aussi du Japon, du Canada, de Corée du Sud ou du Brésil, ont finalement répondu à l’appel de ce grand rendez-vous de la CMA. Peut-être parce que dans les pays de la région plus qu’ailleurs dans le monde, la langue française est synonyme de liberté – de penser, de s’exprimer, de travailler –, ce rassemblement a été une magnifique réussite tant du point de vue strictement professionnel qu’en termes de relations humaines. Comme l’a souligné en clôture l’hôte du congrès Samir Marzouki, président de la CMA et de l’Association tunisienne pour la pédagogie du français, « l’importance du levier associatif » a été plus que jamais décisive. Un levier qui a permis de déplacer les montagnes pour que se rencontrent hommes et femmes de bonne volonté. n S. L.

(97,1 %) mais devant l’allemand (22,1 %) et l’espagnol (12,2 %). Un résultat dû à un mélange d’opportunités et d’initiatives. Opportunités, là où les systèmes éducatifs nationaux rendent obligatoires l’apprentissage d’une deuxième langue comme c’est le cas en Italie, en Macédoine ou en Roumanie. Initiatives, là où les services culturels français

renouvellent l’offre de français au travers des enseignements bilingues auxquels est associée une image d’excellence, ou encore en proposant un double diplôme comme en Allemagne, Italie ou Espagne avec les AbiBac, EsaBac et autre BachiBac… Pas inutile en période de crise, et une belle illustration de ce que peut être l’attractivité. n J. P.

Le levier associatif

Sondage Europe : progression de l’apprentissage du français Si l’on en croit Eurostat, l’Office statistique de l’Union européenne, les jeunes Européens sont 34 % à apprendre le français au collège, 4 % de plus qu’en 2005. Ce qui fait du français la deuxième langue apprise en Europe par les collégiens, après l’anglais

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Deming Cao, président de l’Association chinoise des professeurs de français (ACPF) dresse le portrait de l’enseignement du français en Chine. Propos recueillis par Sébastien Langevin Comment a évolué l’enseignement du français en Chine ces dix dernières années ? Lors des dernières années, l’enseignement du français en Chine s’est développé à grande vitesse : en 1998, l’année où j’ai pris la direction de l’Association chinoise des professeurs de français, il y avait en tout 23 départements d’études françaises pour toute la Chine. Aujourd’hui, moins de vingt ans plus tard, le nombre de départements de français s’élève à 137. En parallèle de ce développement rapide, les modes de formation ont également évolué en se diversifiant. Autrefois, les études françaises concernaient presque uniquement l’apprentissage de la langue, maintenant il existe au moins quatre modèles pour les formations. L’un à deux diplômes, avec le français (première langue) et l’anglais (deuxième langue). Un autre également à deux diplômes avec le français et une autre discipline (telle que économie, finance, droit, journalisme...). Un troisième modèle composé d’une majeure et d’une mineure : le

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Billet du président

©DR

français accompagné d’une orientation vers une discipline (souvent sanctionnée par un certificat). Et un dernier, associant également majeure et mineure, avec une discipline accompagnée d’une orientation vers le français. Quelles sont les attentes des nouveaux étudiants chinois vis-à-vis de la langue française ? Avec le développement sur tous les plans des relations entre la Chine et la France, ainsi qu’entre la Chine et les pays francophones, le besoin de jeunes francophones compétents se fait se plus en plus sentir. Cette perspective d’un marché du travail accueillant est un facteur important pour les étudiants en langue française. De plus, la culture française attire les jeunes depuis toujours, mouvement qui continue à se renforcer. Le français conserve également l’image d’une langue d’importance stratégique dans les relations internationales et dans les échanges humains. Enfin, en France, il

Les étudiants chinois sont très sensibles à la perspective de pouvoir aller étudier en France y a de très bonnes universités et grandes écoles, et les études ne coûtent pas cher comparé aux universités anglophones. Les étudiants chinois sont très sensibles à cette perspective de pouvoir aller étudier en France. Quels sont les principaux projets votre association pour cette année 2015 ? En 2015, l’Association chinoise des professeurs de français va organiser son congrès annuel, un stage de formation pour les jeunes enseignants de français, un séminaire sur la pédagogie du français et un concours d’éloquence pour les étudiants. Afin de nous inscrire dans la continuité, nous allons également publier un nouveau numéro de la revue Études de l’enseignement du français en Chine. n

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Le fait que les assassins de janvier en France parlaient français ne peut laisser les professeurs de français indifférents. Entendons-nous bien : ce n’est certes pas dans les cours de français qu’ils ont appris à haïr et à tuer, ni dans aucun autre des enseignements qu’ils ont reçu dans nos écoles. Mais la réalité tragique a soudain renvoyé chaque éducateur, chaque enseignant de français, face à lui-même, à ce qui le construit : ses convictions, ses croyances, sa langue, son métier. À ce qui nous réunit et à ce qui nous sépare. On estime à plus de 900 000 le nombre de professeurs de français dans le monde. Il y en aurait près de 550 000 en Afrique, près de 200 000 en Europe occidentale, 75 000 en Amérique du Nord, 50 000 en Europe centrale et occidentale, 50 000 en Amérique latine, 30 000 en Asie. Comment dès lors penser, au-delà de l’horreur et de la réprobation quasi unanime, que nous ayons tous réagi de la même manière aux événements terribles qui ont secoué la France en ce début d’année 2015 ? Chacun de nous l’a fait, bien sûr, avec son humanité mais certainement aussi avec le poids de ses habitus culturels. Y a-t-il cependant dans notre bagage didactique des outils fondamentaux qui aident chacun à élaborer une réponse professionnelle et conforme à sa position culturelle et humaine face à l’inhumanité ? La réponse est oui. Elle est à chercher dans la réflexion fondamentale et pédagogique sur les rapports des cultures. Plus que tout autre, le professeur de français doit être conscient du sens de chaque mot, de chaque préfixe qu’il emploie. Car incalculables peuvent être les conséquences de l’imprécision en ce domaine. Le plus commun est sans doute pluri, issu du latin plures, comparatif pluriel de multus (nombreux), qui a lui-même donné son quasi-

© Léo Paul Ridet

Multiculturel, interculturel, transculturel… Jean-Pierre Cuq, président de la FIPF

synonyme, le préfixe multi. Une société formée par addition de plusieurs éléments culturels d’origine différente est dite pluriculturelle ou multiculturelle. La multiculturalité ou pluriculturalité désignent donc une simple coexistence, une juxtaposition de cultures qui peuvent s’ignorer l’une l’autre, vivre l’une sans l’autre. Jusqu’à quel point ? Le préfixe inter- désigne « un lien entre entités de même nature ». Il a gardé de la préposition latine (inter) dont il est issu une valeur sémantique de mise en relation de circonstances pouvant aller jusqu’à l’échange et la réciprocité. De ce fait l’inter n’est pas « entre », endroit où il n’y a rien, mais un lien souvent non apparent à première vue, à construire intellectuellement, et qui donne du sens au positionnement des objets comparés. C’est le fait d’accorder à deux entités le même statut qui crée les conditions premières de la comparaison. Adopter une position interculturelle et la transmettre dans son enseignement est donc prioritaire : c’est l’enseignement du respect fondamental de l’autre et de ses convictions. Mais inter- se distingue aussi du préfixe trans-, issu de la préposition latine trans qui signifiait « audelà de ». Sa valeur de mouvement lui a donné le sens de passage à travers. Or ce qui passe à travers chaque culture laisse peu à peu une trace dans chacune. Cette trace, ce sont ces valeurs qui nous dépassent et qui dépassent celles que chacune de nos cultures nous donne à croire indépassables, ce sont les valeurs fondamentales que nous voulons construire et transmettre, inlassablement, en français, dans les interstices de l’humain. n

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enquête

L’Université Al Imam Mohamed ben Saoud, à Riyad.

Depuis plusieurs années, l’Arabie Saoudite fournit des efforts substantiels pour promouvoir l’enseignement du FLE dans les grandes institutions universitaires au sein du Royaume et renforcer du même coup son ouverture sur le monde francophone.

Moez Lahmadi est professeur à l’Université Al Imam Mohamed ben Saoud, à Riyad (Arabie Saoudite).

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Q

Le français, Par Moez Lahmadi

ui a oublié la réaction de surprise et de fascination du président français François Hollande, lors de sa visite dans la capitale Riyad en 2013, suite à l’intervention d’un journaliste saoudien qui s’exprimait dans la langue de Molière avec une aisance et une éloquence remarquables : « D’abord, je voudrais vous féliciter pour votre français », lui a dit le chef d’État, qui n’avait certainement pas une idée claire et détaillée des avancées fantastiques que l’Arabie Saoudite avait réalisées en matière de promotion de l’enseignement du français et de la diversité linguistique et culturelle. Des statistiques flatteuses Les chiffres fournis par l’APFAS (1) (Association des professeurs de français en Arabie Saoudite) corroborent cette réalité et attestent le souci permanent des décideurs politiques et académiques saou-

diens de créer les conditions adéquates pour le bon développement et l’épanouissement de l’arbre francophone, lequel commence à porter ses premiers fruits (exquis). Pour preuve, les dernières statistiques : environ 10 000 Saoudiens et étrangers apprennent le français dans le Royaume ; quatre établissements français accueillent environ 3 200 élèves ; le nombre total d’ étudiants en 2013 était de 2 700 avec une forte augmentation (+ 22 %) à Djeddah grâce à de nouveaux locaux ; trois universités ont un département de français au sein de leur département de traduction ; et en septembre, un nouveau département de français a été ouvert à l’université privée du roi Al-Faysal ; quatre universités enseignent le français comme option, soit au total 1 800 étudiants environ ; 20 écoles (privées, internationales et communautaires) ont des programmes partiellement ou totalement en français. Ajouter à cela que plus de 600 élèves et étudiants se sont présentés aux examens du DELF (avec

une augmentation de + 30 % en 2013) et que le nombre de boursiers saoudiens en France en 2013 a atteint 1 400 : ils étaient moins de 100 en 2008 ! Et rappeler qu’il existe à l’Université Abdul Aziz de Djeddah, ainsi qu’à l’Université du Roi Saoud, une section féminine de français. De nombreux événements, manifestations culturelles et décisions traduisent la volonté des dirigeants saoudiens d’irriguer le champ langagier et culturel du Royaume avec les eaux limpides des sources francophones. Ainsi, en avril 2013, les trois métropoles saoudiennes, Djeddah, Al-Khobar et Riyad, avaient organisé les 21e Rencontres de la Francophonie. Fin mars 2014, s’était déroulée à Djeddah la Fête de la Francophonie avec des rencontres, des activités et même des concerts de musiques impressionnants. Le 26 mars, précisément, l’équipe saoudienne de football avait aussi remporté, au King Fayçal School Arena, la première coupe de la Francophonie organisée par le Service de coopération et d’action culturelle à Riyad.

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la « voie royale »

L’Université Abdul Aziz, à Djeddah.

Un centre de rayonnement de la francophonie dans le Golfe Désormais, les trois grandes villes saoudiennes font partie de ces centres francophones qui ne cessent de contribuer au rayonnement du français dans le Golfe et plus généralement en Asie : « Ces trois centres franco-saoudiens, lit-on sur le site de l’ambassade de

France à Riyad, constituent le seul dispositif spécialisé d’enseignement du français aux adultes en Arabie. Voués exclusivement à l’enseignement de la langue française, ils accueillent en cours du soir un public majoritairement saoudien et de plus en plus nombreux. Parallèlement aux cours “grand public”, ces centres sont aussi ouverts aux publics de spécialité et tournés vers les entreprises. Ils sont aujourd’hui à même d’accueillir, dans des programmes de préformation linguistique, tous les futurs boursiers du ministère saoudien de l’Enseignement supérieur relevant des projets bilatéraux de coopération universitaire (2). » Dans chacune de ces trois villes (Djeddah, Al-Khobar et Riyad), il y a une École française internationale et un Lycée français qui reçoivent chaque année des centaines de nouveaux élèves et lycéens d’origine française et francophone. Les trois hébergent également un Centre franco-saoudien (CFS) qui dispense des cours de français semestriels (6 semaines)

Le français dans le monde // n° 398 // mars-avril 2015

De nombreux événements, manifestations culturelles et décisions traduisent la volonté d’irriguer le champ langagier et culturel du Royaume avec les eaux limpides des sources francophones ou accélérés (un mois). Les deux diplômes de valeur internationale délivrés par ces centres sont le DELF et le DALF. De leur côté, les AFAS (Alliances françaises en Arabie Saoudite) des trois villes participent activement à la promotion de la langue et de la culture françaises en Arabie, avec des cours de français du niveau A1 à C2 pour toutes les catégories d’âges et la délivrance de diplômes DELF, DALF, TEF et TCF, agréés par les autorités scolaires et universitaires françaises. À tous ces centres de rayonnement linguistique et culturel français, il faut ajouter la MDFD (Maison

de France à Djeddah), la MDFR (Maison des Français à Riyad), le CAFSD (le Cercle d’affaires franco-saoudien de Djeddah) et enfin l’APFAS qui contribuent remarquablement, eux aussi, à la floraison de la francophonie aux quatre coins du Royaume. Autant dire que le français langue étrangère connaît aujourd’hui une irrésistible ascension au MoyenOrient et commence réellement à rivaliser avec la deuxième langue officielle de la région, à savoir l’anglais. Si l’Arabie Saoudite continue sa « quête » francophone sur ce même élan, elle rejoindra certainement la liste des États observateurs au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie (3), avant de devenir État associé et pourquoi pas membre à part entière. n 1. Site de l’Apfas : http://apfr-sau.fipf.org/accueil. 2. Consulter la page : http://www.ambafrance-sa. org/Centres-Franco-Saoudiens,979. 3. La liste des États membres, associés et observateurs est disponible sur le site de l’OIF : http://www.francophonie.org/-80-Etats-etgouvernements-.html

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