Se pose alors la question de la fin de ces marges ? On peut penser que c’est en réalité une donnée fictive puisque tout n’est qu’une succession d’évènements et d’ambiances différentes qui pourraient, à l’échelle du globe, se suivre à l’infinie. Comment représenter cette suite de «mondes» en sortant du cadre des représentions conventionnelles liées à l’architecture ? L’idée principale est, à travers le dessin et l’écrit, de pouvoir mettre en avant les différents traits qui caractérisent chaque monde et chaque ambiance. Nous avons alors imaginé un monde fantastique et futuriste mis en scène à travers un héro qui découvre au fur et à mesure tout ces différents univers. Ce dernier entretient un carnet de bords pour retranscrire son ressenti tout au long de son parcours extraordinaire. À la manière d’une caricature, le réel est transformé : - la zone pavillonnaire devient une cité ultraorganisée et habitée par des clones lobotomisés par leur quotidient répétitif - les Vergnes sont vu comme une mégalopole construite de manière verticale - le stade se transforme en une gigantesque arène...etc.
Textes & illustrations © Da Silva Pereira Diego, Dussap Victor, Roudier Félix
Tout d'abord il faut que je vous montre
l’endroit où je vivais auparavant. J'habitais la cellule de vie, numéro 32 de l'allée 12. Tout le monde avait sa propre cellule de vie, son espace vital. Chacune séparée par son muret, nous avions en charge de nous occuper de nos haies et de nos gazons grâce à l'entreprise d’entretien "Artificielle and Co". Nos journées étaient identiques : se lever à 6h30 précises, partir au travail à 8h avec une voiture aéronautique de la marque "Space-corp", travailler puis rentrer chez soi à 20h et enfin dormir au couvre-feu, à 22h. Voilà la destinée du peuple Omega et des autres peuples. Servir et obéir aux ordres des anciens qui siégeaient au stadium situé au centre de la ville.
Je n'étais pas critique envers eux, ni même en désaccord avec la vie que je menais car je ne connaissais rien d'autre à l'extérieur. Personne n'était sorti de cette enceinte ; nous avions la chance de connaître une vie calibrée pour notre bien-être commun. On nous apprenait que cela était déjà une chance ! Mais voilà, j'étais un Omega curieux, une erreur de conception d'après les anciens, et je m'étais toujours demandé ce qu'il y avait derrière le mur, derrière ce rempart au bout de notre monde. Personne n'avait le droit de le franchir. Je présumais qu'il n'y avait rien à voir derrière, sauf peut-être la mort. Alors pourquoi risquer de l'escalader ?
Au matin du premier jour du 14ème mois j'ai escaladé le mur, et voilà ce que j'ai vu : des plantes partout autour de moi. Elles n'étaient pas en plastique, elles semblaient vivre sous mes pieds. Elles étaient de tailles, de formes et de couleurs différentes. Cet ensemble d'imperfections naturelles provoquait chez moi un sentiment de liber té que je n'avais jamais connu auparavant. J'étais porté par l'envie de continuer ma route, d'aller plus loin, découvrir un nouveau monde inconnu. Je devenais explorateur ; j'avais laissé tomber le omega-554 avec son numéro et sa vie bien rangée pour devenir un homme libre. J'ai regardé une dernière fois derrière moi : le mur et, au loin, la silhouette de nos cellules de vie, un décor qui devenait étranger...
C'était un stadium comme celui de l'usine de procréation de notre district Oméga. Je pensais tout d'abord que ce stadium avait été déposé ici par hasard, mais plus je me rapprochais, plus je pouvais voir la foule s'amasser en masse autour de l'entrée principale. Il y avait un « événement » qui s'y déroulait... peut-être la remise du prix du meilleur travailleur de l'année. Il n'en était rien. C'était une foire humaine : des hommes aux faciès expressifs, il y avait de la joie, de la tristesse sur leur visage, un brouhaha que je ne pouvais comprendre...
J'étais dépassé face à ce spectacle que je ne comprenais pas. Je me demandais pourquoi ce peuple voulait-il conquérir les airs. Qu’y avait-il de si spécial à y trouver ? Je voulais avoir une réponse. Je décidai de me diriger vers le centre de la ville. Je parcourus de grandes rues larges où les gens semblaient déambuler sans véritable but. Je remarquai un attroupement plus dense à l'embranchement d'une des rues. Au bout, il y avait un édifice construit en vieilles pierres. Ceci n'avait pas été construit par ce peuple. Le bâtiment était trop petit et semblait venir d'un autre temps. Je décidai d'interroger les passants sur cet autre monde. Ceci m'intriguait réellement.
J'essayai tant bien que mal d'arrêter les pas-
sants... mais impossible. Ils gloussaient, parlaient fort entre eux en passant leur chemin devant moi. Certains parlaient un dialecte qui m'était inconnu, d'autres utilisaient des onomatopées aux consonances étrangères. Ils étaient habillés de longues vestes bariolées, en fourrure ou bien molle tonnées. Plusieurs portaient des toques et des chapeaux à l'effigie de leurs appartenances raciales. J'étais figé et perdu au milieu de cette atmosphère troublante. Il fallait que je parte, ma place n'était pas ici. Il n'y avait aucun code, aucune retenue et ces tours étaient trop hautes pour moi, un Oméga, habitué à nos cellules de vie...
J'étais pétrifié, le bruit strident devenait de plus en plus intense. Je me bouchai les oreilles. D'un coup, une machine passa à toute vitesse devant moi. Ses roues frottaient les poutres au sol formant des étincelles. Je ne pus déterminer l'allure de cette construction infernale. Elle semblait être composée de plusieurs entités fixées entre elles. Une fois passée devant moi, la mama chine continua sa route et disparut dans le lointain dans une gerbe de feu et un vacarme infernal. Il fallait que je la suive mais je devais faire attention à ne pas trop m'en rapprocher, par peur d'être écrasé. La machine était trop rapide pour moi, mais tant pis, je devais vérifier ce qu'elle contenait...
Il n'y avait pas non plus de grandes usines à alimentation. Ces champs avaient été cultivés par l'homme. Je décidai de m'écarter un peu du chemin qui longeait le grillage. Les odeurs des fruits et des légumes parvenaient à mes deux orifices olfactifs. Plus j'avançais au milieu de ces champs, plus les odeurs se mélangeaient, provoquant chez moi une sensation inconnue... j’avais faim. Mais je ne pouvais cueillir ces mets raffinés, des drones volants surveillaient la plantation. Je décidai donc d'avancer en suivant les chemins entre les parcelles. Maintenant, plus j'avançais, plus les odeurs agréables s’effaçaient peu à peu. Elles devenaient plus fortes, plus âcres et écœu rantes...
Désormais, j'avance seul, libre de toutes contraintes. Autour de moi il n'y a finalement rien de dangereux, je n’ai plus de craintes de ce qui m'attend. C'est en écrivant ces derniers mots, que je me rends compte que le district Omega où je vivais n'était pas une fin en soi, mais le début d'une succession d'autres mondes. Là où j'ai pu voir, entendre, goûter de nouvelles choses qui m'auraient été inconnues si j'étais resté chez moi, j'ai compris que je ne trouverai jamais de fin à mon aventure... mais est-ce ce que je recherchais ? Je ne pense pas. Aujourd'hui je continue mon périple. Et je sais pertinemment que les mondes vers lesquels j'avance ne seront jamais les mêmes que le petit univers que j'ai quitté. Découvrir est là l’essentiel !