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INTERVIEW

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INTERVIEW

INTERVIEW

FANGLU LIN

Heart & crafts

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Trésor bleu

Fanglu Lin, en pleine séance de teinture à l’indigo, technique de tie and dye millénaire, perpétuée par les femmes de la minorité Bai. Une tradition classée au patrimoine culturel immatériel en Chine.

LA VALEUR N’ATTEND PAS LE NOMBRE DES ANNÉES. A 32 ANS, LA CHINOISE FANGLU LIN, LAURÉATE DU PRESTIGIEUX LOEWE FOUNDATION CRAFT PRIZE, COMBINE AVEC TALENT ART ET ARTISANAT ANCESTRAL. INTERVIEW D’UNE ARTISTE INSPIRÉE.

”She’s Indigo Painting 2”

Œuvre en coton, fil de coton et broderie, 65 x 90 cm (2020).

Nuage de tissu. Trois mois ont été nécessaires à l’artiste pour réaliser “She”, cette installation murale de plus de 6 mètres de long avec laquelle elle a remporté le prestigieux prix. C’est une œuvre pour laquelle Fanglu Lin a alterné nouage, couture, pliage et plissage de nombreux morceaux de tissu de coton blanc, formant au final une sculpture texturée et organique.

Courtesy of Art + Shanghai Gallery and Fanglu Lin

2014, dans une cour du village de Zhoucheng (province du Yunnan). Quand l’artiste chinoise Fanglu Lin découvre comment les femmes de la minorité Bai effectuent le pliage et la teinture par nœuds — une technique millénaire de teinture à l’indigo, classée au patrimoine culturel immatériel en Chine –, elle est immédiatement captivée par les formes texturées complexes qui en résultent. De quoi inspirer profondément cette diplômée de l’Académie centrale des Beaux-Arts de Pékin, passée par le Japon et l’Allemagne, qui a un temps œuvré comme designer. Et lui donner l’envie irrépressible d’utiliser cette technique dans ses propres créations. C’est ainsi, avec son installation organique et texturée “She” réalisée dans ce village, qu’elle remporte en mai 2021 le prestigieux Loewe Foundation Craft Prize. Une œuvre comme un hommage à ces artisanes qui lui ont transmis leur savoir-faire.

Pouvez-vous nous parler de “She” ? Fanglu Lin. C’est une gigantesque installation murale en tissu, réalisée en utilisant les techniques millénaires de liage et de teinture par nœuds, façon «tie & dye ». Pendant des mois, chaque jour, j’ai travaillé auprès des femmes Bai pour apprendre l’ensemble de leurs gestes : nouer, coudre, plier, plisser… Mon but était d’atteindre un grand niveau de maîtrise pour que je puisse utiliser cette technique dans ma pratique artistique. Dans ce processus, il y a une étape qui s’appelle « Aua Uha » par laquelle, grâce au nouage, le tissu originellement plat se mue en une texture riche et époustouflante. C’est cette partie-là qui m’inspire le plus.

Avez-vous souvent recours à des pratiques artisanales dans votre travail ? F. L. Elles sont indissociables de ma pratique artistique. Durant mes études à l’Académie centrale des Beaux-Arts de Pékin, j’ai étudié et travaillé la céramique, la laque, le verre... J’apprécie l’artisanat traditionnel dans toutes ses formes et j’ai envie de lui donner une nouvelle vie parce que je l’ai toujours regardé avec l’œil d’une artiste contemporaine. J’ai d’ailleurs l’intention d’explorer d’autres artisanats anciens dans le monde, réalisés par des minorités ethniques en Chine, en Asie du Sud-Est, en Afrique, en Amérique du Sud… Un projet retardé à cause de la pandémie mais que j’ai toujours en tête. u

Avez-vous toujours travaillé le textile ? Pourquoi ce matériau ? F. L. Cela date de ma découverte de cette technique au Yunnan. Les formes qu’elle génère et dont il émane une puissance primitive m’ont impressionnée. Depuis, toutes mes tentatives sont liées au tissu, et notamment mon nouveau projet de recherche réalisé à partir du tissu brillant et tissé à la main par la minorité Dong à Guizhou, dans le sud-ouest de la Chine. Les premières installations et sculptures seront d’ailleurs montrées à la Design Miami/Podium x Shanghai en novembre 2021.

Pourquoi est-ce important pour vous de mélanger art et artisanat ? F. L. Notre société se diversifie de plus en plus, tout comme l’art. Il apparaît donc dépassé de considérer l’artisanat et l’art séparément aujourd’hui. Mêler les deux motive les artistes à travailler plus étroitement avec la nature, dans une optique écologique. Personnellement, plus j’absorbe les images et les formes traditionnelles de cet artisanat en tant qu’éléments créatifs, plus mon expression artistique est radicale et originale. Et puis, créer avec la main, pratiquer des gestes précis unissent la raison et la sensibilité, l’esprit et le corps.

Long apprentissage

« Pendant des mois, tous les jours, j’ai travaillé et appris auprès des artisanes leurs gestes. Mon but : pouvoir utiliser cette technique dans ma pratique artistique. »

Courtesy of Art + Shanghai Gallery and Fanglu Lin Que vous apporte le Loewe Foundation Craft Prize en tant qu’artiste ? F. L. Comme c’est un prix prestigieux pour lequel de nombreux et excellents artistes et artisans du monde entier concourent chaque année, il m’apporte plus de visibilité, notamment en dehors de la Chine. C’est également un encouragement important pour ma carrière artistique, qui me conforte dans l’envie de poursuivre, sans hésitation, dans cette voie de transmission et d’innovation de l’artisanat traditionnel. Et puis c’était un test concernant mon travail ! Plus généralement, un tel prix peut encourager la diversité dans l’art et offrir une nouvelle perspective au public.

Quel rôle les marques et les grands groupes doivent-ils jouer dans ce soutien à l’art et l’artisanat ? F. L. C’est très important qu’ils puissent soutenir le développement de l’art et de l’artisanat en tant que responsabilité sociale. Compte tenu de leur position, de leurs atouts, de leurs ressources et de leur influence, ils sont bien placés pour aider à faire grandir artistes et artisans.

e “She’s Yellow 1” Façon disque solaire en coton, fil de coton et bois, Ø 70 cm, peint à l’huile (2020). c “Elopement Rhapsody” Une chaise dans laquelle se logent de mystérieuses tentacules... En coton teint « tie & dye» et acier, 76 x 76 x 96 cm, 100 kg (2017). De plus en plus d’artistes se tournent vers l’artisanat, qu’en pensez-vous ? F. L. Personnellement, choisir de combiner l’artisanat traditionnel chinois avec mon expression artistique est aussi un moyen de trouver mes racines. Ces techniques nous indiquent d’où nous venons et où nous devons aller. N’est-ce pas la question la plus fondamentale de l’être humain ? Il me semble que de nombreux artistes ressentent ainsi les choses Q

DES TALENTS RÉVÉLÉS

« Même si les pratiques sont ancrées dans la tradition, l’enjeu consiste toujours à réinventer quelque chose, à le faire progresser », note Jonathan Anderson, le directeur artistique de Loewe, à propos du Loewe Foundation Craft Prize, doté de 50 000 dollars et lancé en 2016 par la maison de luxe espagnole. Un prix qui s’inscrit dans la volonté du groupe LVMH de sauvegarder et revaloriser l’artisanat, à l’image de son soutien au Prix des Artisanes tout juste lancé par “ELLE”, “ELLE Décoration” et “ELLE à Table” (lire p. 44). Chaque année, parmi une trentaine de finalistes originaires du monde entier, le Loewe Foundation Craft Prize récompense un artiste, un artisan ou un designer qui, à travers ses créations, réinvente et célèbre un artisanat traditionnel. En 2021, outre la lauréate Fanglu Lin, deux mentions spéciales ont été attribuées. La première au Chilien David Corvalán, pour sa sculpture géomorphique “Desértico” en fil de cuivre et résine, et la seconde au Japonais Takayuki Sakiyama pour son œuvre en céramique inspirée des ondulations de la mer. Des heureux primés désignés par un jury de choix composé, entre autres, de Jonathan Anderson, Olivier Gabet, directeur du musée des Arts décoratifs, et des designers Naoto Fukasawa et Patricia Urquiola.

O Pour en savoir plus, rendez-vous sur The Room (theroom.loewe.com), la plateforme qui recense tous les finalistes depuis 2016, et sur craftprize.loewe.com.

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