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Les Demoiselles cheries

La Prisonniere

Venise de

Sophie de Mullenheim

La Prisonniere de Venise

Mathilde de la Jorsonnière débarque à Venise avec son père, corsaire du Roi. Dans cette ville aux mille visages, la jeune fille rencontre un soir Laetitia, orpheline et pensionnaire du sinistre Ospedale della Pietà. Bravant bien des dangers, Mathilde va aider sa nouvelle amie à s’évader…

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À Claire et Clémence

Illustration de couverture : Ariane Delrieu

Direction : Guillaume Arnaud Direction éditoriale : Sarah Malherbe Direction artistique : Élisabeth Hebert, Bleuenn Auffret Édition : Aude Sarrazin, Anna Guével Fabrication : Thierry Dubus, Marie Dubourg Mise en page : Text’oh © Groupe Fleurus, Paris, 2015 Site : www.fleuruseditions.com ISBN : 978-2-2151-3012-3 Code MDS : 652 370 Tous droits réservés pour tous pays. « Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. »

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Venise !

– Mathilde ! Le capitaine corsaire Pierre-Louis de La Jorsonnière toucha doucement l’épaule de sa fille endormie. Mathilde bondit aussitôt de son lit et attrapa le petit pistolet qu’elle gardait toujours à portée de main, sur sa table de nuit. – Des pirates ? s’exclama-t-elle, la voix encore un peu pâteuse. La jeune fille découvrit alors son père, assis au bord de son lit. Il portait une simple chemise de coton blanche et un haut-de-chausses couleur crème. Il n’avait ni sa veste de commandement ni son épée, qui ne le quittaient presque jamais. Son visage ne traduisait aucune inquiétude. 5

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– Personne ne nous attaque, père ? lui demanda-t-elle en recouvrant peu à peu ses esprits. Le capitaine de La Jorsonnière lui sourit. – Non, personne. Les pirates étaient les pires ennemis des corsaires français qui sillonnaient les mers au service de Sa Majesté le roi Louis XIV. Ces hommes terribles et effrayants étaient sans foi ni loi et ne travaillaient pour le compte de personne. Ils attaquaient tous les bateaux qui croisaient leur route : bateaux de commerce ou navires corsaires, français, anglais ou espagnols. Peu leur importait du moment qu’ils pouvaient y trouver de l’or ou des marchandises qu’ils revendraient à terre. – Je voulais simplement vous faire profiter de notre arrivée à Venise, dit alors le capitaine de La Jorsonnière. Venez voir comme c’est beau, ajouta-t-il en tendant à sa fille une robe de chambre bleu pâle coupée dans un tissu doux et épais. Mathilde frissonna tout à coup dans sa longue chemise de nuit blanche qui lui descendait jusqu’aux chevilles. Elle 6

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attrapa vivement le vêtement, le passa et enfila de simples mules avant de suivre son père qui avait ouvert la porte de sa cabine pour la mener jusqu’au pont du bateau. Dehors, l’air était frais. Il était très tôt. La cloche n’avait pas encore sonné pour réveiller tous les hommes d’équipage. Le soleil pointait tout juste à l’horizon. Mathilde serra un peu plus la robe de chambre sur sa poitrine et avança jusqu’à l’avant du bateau. Le vent soufflait légèrement et s’amusait dans ses cheveux bruns. La jeune fille était troublée. Elle n’avait pas l’habitude de sortir ainsi vêtue et coiffée sur le pont du Roy-Louis. Elle sentait bien que les matelots qui étaient de quart la regardaient avec surprise. Pour masquer sa gêne, Mathilde natta grossièrement ses cheveux et calqua son pas sur celui de son père. Mais bien vite, elle oublia son embarras et tout le reste : le spectacle qui s’offrait à elle était époustouflant. La jeune fille n’avait jamais rien vu de pareil. Elle s’appuya au bastingage et se pencha en avant en ouvrant grands ses yeux. Elle ne voulait rien perdre de ce magnifique tableau.

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Venise, la superbe Cité des Doges, se dessinait à l’horizon, dans la lumière douce des premiers rayons du soleil. Ses maisons et ses palais paraissaient dorés, et la ville tout entière donnait l’impression de flotter à la surface de la mer lisse comme un miroir. – Venise ! murmura le capitaine de La Jorsonnière. N’est-ce pas merveilleux ? C’était la première fois que le corsaire du roi se rendait dans cette célèbre ville d’Italie construite sur l’eau. D’ordinaire, il naviguait dans les eaux de l’océan Atlantique ou de la mer des Caraïbes. Ses missions le menaient jusqu’aux innombrables îles des Antilles, sous le soleil des tropiques. Toute l’année, il parcourait les mers chaudes pour intercepter les navires espagnols ou anglais, s’en emparer et rapporter ensuite son butin au roi Louis XIV. Tels étaient sa vie et son métier : ponctués de courses-poursuites, de combats et de trésors. Mais cette fois-ci, le Roi-Soleil lui avait assigné la tâche d’accompagner le nouvel ambassadeur de France à Venise. Cette requête était si inhabituelle pour un corsaire que Mathilde se demandait si le roi n’avait 8

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pas également confié une autre mission à son père. PierreLouis de La Jorsonnière était l’un de ses hommes les plus dévoués. Le roi savait qu’il pouvait lui faire une entière confiance. Mathilde s’était plus d’une fois étonnée auprès de son père : pourquoi devait-il conduire l’ambassadeur à Venise ? Mais il ne répondait jamais. Il lui semblait même qu’il évitait le sujet le plus possible. Pour la jeune fille, cela n’en était que plus mystérieux. En attendant de découvrir la vraie raison de la venue du Roy-Louis à Venise, Mathilde était pressée de visiter la ville. – C’est si beau ! murmura-t-elle à son tour. Le capitaine de La Jorsonnière se tourna vers elle et la regarda tandis qu’elle contemplait la Cité des Doges à l’horizon. Sa fille lui rappelait sa femme morte alors que Mathilde n’avait que 3 ans. Aujourd’hui, elle en avait 12 et ressemblait de plus en plus à sa mère. Elle avait son sourire franc, ses yeux marron, ses taches de rousseur sur les joues et le nez, sa silhouette fine et élancée. Mathilde devenait plus jolie de jour en jour. Pierre-Louis de La Jorsonnière

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s’en apercevait chaque fois qu’il la voyait sans son habit de corsaire qui la faisait ressembler à un garçon. Au quotidien, le capitaine en oubliait parfois que Mathilde n’était pas un membre de son équipage comme les autres. Depuis tout ce temps où elle vivait sur le navire à ses côtés, elle avait réussi à se fondre parmi ces hommes durs et courageux qui sillonnaient les mers avec lui. La jeune fille ne ménageait pas ses efforts et son obstination forçait le respect. Jamais elle ne rechignait à aider aux manœuvres ou à sortir sur le pont quel que soit le temps. Les années aidant, Mathilde s’était fait accepter par les matelots. Elle était presque devenue l’une des leurs. Pourtant, le capitaine savait combien les marins étaient superstitieux : beaucoup pensaient que les femmes à bord d’un bateau portaient malheur. S’ils acceptaient la présence de Mathilde, c’était uniquement parce qu’elle n’était pas encore une femme, et parce que leur capitaine ne leur avait pas laissé le choix. Pierre-Louis de La Jorsonnière ne pouvait en effet se résoudre à se séparer de sa fille unique et à la laisser en pension quelque part. Il la voulait auprès 10

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de lui pour pouvoir veiller sur elle et continuer de l’instruire aussi longtemps qu’il le pourrait. Il redoutait plus que tout le moment où Mathilde deviendrait une vraie jeune femme et tournerait la tête de ses hommes. Alors, elle devrait quitter le bateau et le laisser, lui aussi. Le capitaine voyait ce moment approcher à grands pas et il voulait profiter au maximum de ces dernières années avec son enfant chérie. – Quand accostons-nous ? demanda soudain Mathilde en se ­tournant vers son père. Le capitaine sourit. – Patience, dit-il en guettant malicieusement la réaction de sa fille. Mathilde fronça le nez, déçue. Elle n’avait aucune envie d’être patiente !

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En mission secrète

Les quais du port bruissaient déjà d’une instance activité lorsque le Roy-Louis accosta enfin. Mathilde, qui était retournée s’habiller dans sa cabine et avait passé une veste longue gris foncé sur une chemise blanche et un haut-dechausses beige, participait à la manœuvre. Debout dans les cordages, elle attachait les voiles fermement afin d’éviter que le vent ne s’y engouffrât et ne les déchirât. À plusieurs dizaines de mètres de hauteur, elle pouvait voir la ville de Venise qui s’étirait à ses pieds. Çà et là, elle apercevait des canaux sur lesquels glissaient de jolies gondoles, ces longues barques typiques de la ville. Par endroits, elle distinguait de petits pontons de bois qui conduisaient directement à 13

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la porte de grandes maisons. Tout à sa contemplation, Mathilde en oublia la position périlleuse dans laquelle elle se trouvait. Aussi, lorsqu’un marin lui tendit un nouveau cordage, elle lâcha les deux mains sans y penser pour ­l’attraper. Elle vacilla alors dangereusement, rétablit son équilibre en battant l’air des bras et se rattrapa de justesse à l’échelle de corde. – Ooooh ! cria-t-elle de frayeur. Le marin, qui la regardait, était tétanisé. Son cœur s’était arrêté de battre en voyant Mathilde chanceler. Il n’osait imaginer ce qu’il se passerait si la fille du capitaine avait un accident par sa faute. Il souffla un grand coup. – Faites attention, mademoiselle Mathilde ! La jeune fille lui sourit pour le rassurer. Elle tremblait comme une feuille bien qu’elle essayât de le cacher. – J’ai presque fini, lui dit-elle d’une petite voix. Je vais redescendre maintenant. Elle regarda à ses pieds. Tout en bas, sur le pont du navire, le capitaine Pierre-Louis de La Jorsonnière était en grand uniforme corsaire. Il avait fière allure avec son 14

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écharpe qui lui barrait la poitrine, sa veste à boutons dorés et son chapeau de feutre noir posé sur ses cheveux poivre et sel ramenés en catogan. Il supervisait les manœuvres tout en cherchant à repérer les différentes personnes qui se pressaient sur le quai pour accueillir son bâtiment. Il y avait là le responsable du port, les hommes qui lui proposeraient leurs bras pour décharger le bateau, les marchands ambulants qui espéraient vendre un peu de leur camelote aux hommes restés longtemps en mer, des artisans tonneliers qui attendaient de lui vendre des barriques neuves pour conserver ses aliments, quelques enfants aussi que toute cette animation amusait, sans compter les chiens errants qui se jetaient sur tout ce qui ressemblait à de la nourriture. Soudain, le capitaine de La Jorsonnière repéra une chaise à porteurs stationnée un peu à l’écart. Les deux hommes chargés de son transport portaient un costume noir. Le corsaire français ramena alors la main vers le bord de son chapeau pour saluer discrètement la silhouette que l’on distinguait dans la petite cabine en bois peint. Une main gantée de noir sortit aussitôt par la fenêtre de la porte 15

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et lui rendit son salut. Un rayon de soleil fit briller la grosse pierre rouge d’une bague portée sur le gant. Puis, les deux hommes en noir s’acti­vèrent, saisirent les montants de la chaise à porteurs et la hissèrent à quelques centimètres du sol. Ils quittèrent le port d’un pas cadencé. De l’endroit où elle se trouvait, Mathilde n’avait rien perdu du geste de son père ni de celui de l’inconnu auquel il était destiné. Tout cela lui semblait bien mystérieux. Le nouvel ambassadeur de France que son père avait conduit jusqu’à Venise n’était pas encore descendu à terre. La délégation officielle ne viendrait le chercher qu’au milieu de la journée. Que faisait donc cette chaise à porteurs et pourquoi son occupant ne s’était-il pas directement présenté au capitaine ? Toutes ces questions sans réponses ne faisaient qu’aiguillonner la curiosité de Mathilde.

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De lents préparatifs

La journée parut interminable à Mathilde. Comme chaque fois que le Roy-Louis accostait quelque part, son père était sollicité durant des heures. Il devait rencontrer les autorités du port, ­chercher un charpentier et un maître voilier pour réparer les avaries survenues pendant le voyage, veiller au déchargement des marchandises et au ravitaillement du bateau et remplir un monceau de papiers administratifs en tout genre. Qui plus est, en milieu d’après-midi, des envoyés du Doge, le chef de la ville, vinrent accueillir l’ambassadeur à bord du navire. La cérémonie dura longtemps : les hommes s’échangèrent des cadeaux, se tinrent de longs discours. Il sembla à Mathilde que cela ne se 17

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terminerait jamais. Elle observait la scène depuis l’avant du bateau et enrageait de ne pas pouvoir mettre le pied à terre. Quand le Roy-Louis naviguait dans les Antilles, la jeune fille était toujours l’une des premières à descendre du navire et à vaquer à ses propres occupations. Elle connaissait chaque port de la mer des Caraïbes où le Roy-Louis avait l’habitude d’accoster. Partout, la jeune fille avait des amis ou de la famille chez qui elle pouvait se rendre sans attendre. Elle était là-bas chez elle. Tout le monde la ­recevait et la respectait à cause de la réputation de son père. Ce dernier ne craignait rien à la laisser aller librement. À Venise, les choses en allaient autrement. Le capitaine de La Jorsonnière et sa fille étaient des étrangers ici : ils n’avaient nulle famille dans la cité. Si le corsaire du roi maîtrisait à peu près la langue italienne, il n’en allait pas de même pour Mathilde. Son père lui avait appris quelques rudiments, mais c’était bien insuffisant pour se faire parfaitement comprendre. Pierre-Louis de La Jorsonnière avait donc interdit à Mathilde de quitter seule le navire. Et 18

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comme elle n’avait ni nourrice ni servante pour lui servir de chaperon, la jeune fille était obligée d’attendre que son père puisse l’accompagner lui-même en ville. Elle mourait d’impatience et plus le temps passait, plus ses jambes la démangeaient. Lorsque le capitaine de La Jorsonnière vint enfin la trouver, il fronça les sourcils. – Vous n’êtes pas prête ? s’étonna-t-il. Mathilde le regarda sans comprendre. – Ne vous figurez pas que vous sortirez pour la première fois dans Venise ainsi accoutrée, la sermonna-t-il gentiment. Mathilde rougit violemment. Depuis le matin, elle ne s’était pas changée et portait toujours sa tenue de marin qui lui permettait de participer aux manœuvres avec les autres membres d’équipage. – Je vous laisse passer quelque chose de plus… Le capitaine hésita.

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– …de plus féminin et digne de votre rang, compléta-til. Venez me retrouver dans ma cabine lorsque vous aurez terminé. Ensuite nous sortirons. Nous avons tant de choses à voir ! Les yeux du capitaine de La Jorsonnière brillaient d’excitation. Lui aussi avait attendu ce moment toute la journée, même si rien dans son attitude ne le laissait paraître. Il avait hâte de découvrir les mille merveilles qui faisaient de Venise l’une des villes les plus fascinantes du Vieux Continent. Lorsque son père eut refermé derrière lui, Mathilde se précipita vers le gros coffre posé dans un coin de la pièce. C’était là qu’elle avait rangé les nombreuses toilettes qu’une couturière lui avait confectionnées avant le départ du RoyLouis pour l’Italie. C’était la première fois que Mathilde disposait d’autant de robes de couleurs et de formes différentes. Son père avait tenu à les lui offrir afin de faire d’elle une parfaite demoiselle.

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Il y avait quelques mois encore, il était rare que Mathilde se glissât dans une robe de taffetas. Elle ne s’y résignait que dans les très grandes occasions, préférant de loin les tenues souples et pratiques des hommes de mer. Mathilde avait l’habitude de porter des culottes, des bottes et de longues vestes coupées dans des tissus robustes et sombres. Jusqu’au jour où le Roy-Louis s’empara d’El Sol, un navire espagnol, et de tous ses occupants. Parmi les passagers, il y avait une riche demoiselle espagnole, Inès de Los Santos. Inès et Mathilde devinrent amies alors que tout semblait les séparer. Inès, qui était élégante et raffinée, passait ses journées à broder. Mathilde, elle, grimpait dans les cordages et tirait au pistolet. Les deux jeunes filles se plurent néanmoins. Durant le long voyage qu’elles partagèrent toutes les deux, Inès apprit à manier l’épée et à soigner les matelots. Et Mathilde découvrit qu’elle était jolie et coquette. Malgré tous les efforts d’Inès pour la convertir à la broderie, la jeune corsaire se refusa toujours à tenir une aiguille. En revanche, elle prit plaisir à s’habiller et à se coiffer en suivant les conseils de son amie. Pour le plus grand bonheur 21

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du capitaine de La Jorsonnière qui voyait sa fille devenir plus charmante de jour en jour. Mathilde ne se le cachait pas : elle aimait voir son père la regarder avec fierté quand elle se présentait à lui dans une robe élégante qui mettait en valeur sa silhouette parfaite et son visage adorable. Après avoir longuement étudié le contenu du coffre, Mathilde choisit une robe jaune pâle dont la jupe ample était rehaussée d’un corsage bordé de dentelles et de rubans. Avant de passer son vêtement, la jeune fille se déshabilla rapidement, s’aspergea la peau avec un peu d’eau fraîche puis se poudra légèrement le corps pour faire disparaître toute trace de sueur. Elle noua ensuite ses beaux cheveux bruns en un chignon tressé sur la nuque, piqua dedans une fleur de taffetas, jaune elle aussi, et enfila sa robe. Au moment de la fermer, elle grimaça en se contorsionnant. Ses longs doigts fins atteignaient avec peine les minuscules boutons alignés dans le dos de son corsage. « Si seulement j’avais une gouvernante, moi aussi », se dit-elle en se rappelant Alphonsine qui servait Inès depuis son plus jeune âge. 22

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La bonne femme, habile et discrète, était une aide précieuse qui les avait souvent assistées, Inès et elle, durant leurs longues séances d’essayage. Quand le dernier bouton fut enfin en place, Mathilde se détailla dans le miroir. Elle sourit à son reflet. Ce jaune était parfait : il rehaussait la couleur de son teint hâlé par son séjour en mer. La jeune fille glissa alors ses pieds dans des chaussures de soie, jeta une cape sombre bordée de fourrure sur ses épaules et s’apprêta à sortir pour rejoindre son père. Mais au moment d’ouvrir la porte de sa cabine, elle se ravisa. Elle retourna à ses vêtements jetés en pagaille sur son lit. Dans la poche de sa veste d’équipage, elle avait laissé son petit pistolet à la crosse entièrement gravée. Mathilde le saisit, hésita quelques secondes puis le glissa sous sa jupe, dans une poche dissimulée dans les épaisseurs de tissu. Son père n’aimerait pas la savoir armée, mais c’était plus fort qu’elle. Ce pistolet avec elle, Mathilde se sentait plus en sécurité.

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Quelques minutes plus tard, le père et la fille descendaient la passerelle qui les menait jusqu’au quai. Le capitaine de La Jorsonnière avait du mal à cacher sa fierté de voir tous les regards du port se tourner vers eux. Pour lui, il ne faisait aucun doute que l’on admirait la beauté de sa fille. Il lui pressa le bras tendrement et la conduisit jusqu’à une chaise à porteurs qui les attendait un peu plus loin. – Ne peut-on pas marcher un peu ? demanda Mathilde, déçue. Le capitaine sourit : il reconnaissait bien là le caractère aventureux de sa fille unique. Mais Mathilde avait pris beaucoup de temps pour s’habiller. Il ne pouvait se permettre d’en perdre encore davantage. Dans moins d’une heure, le concert privé donné en son honneur allait avoir lieu. Il ne devait pas se présenter en retard chez son hôte. Les ordres pris, les deux porteurs soulevèrent le fragile habitacle et s’éloignèrent du port d’un bon pas. Penchée à la fenêtre, Mathilde ne perdait rien du spectacle qui s’offrait à ses yeux. Les ruelles étaient étroites et il était difficile 24

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de s’y croiser. La nuit avait déjà commencé à tomber lentement. Des bougies et des lanternes s’allumaient çà et là dans la ville. Le vent qui soufflait doucement était devenu plus froid. Mathilde frissonna. – La circulation à Venise se fait surtout en gondole, lui précisa son père. Ici, les rues sont souvent de petits bras de mer. – Pourquoi n’en avons-nous pas pris une alors ? – Notre hôte habite tout près d’ici. Et en effet, quelques minutes plus tard, la chaise à porteurs ­s’immobilisa devant une imposante maison. – Nous sommes arrivés, capitaine, vint les prévenir l’un des deux porteurs. Le comte de La Moca vous attend. Le capitaine de La Jorsonnière descendit lestement de la chaise et aida sa fille à le rejoindre. Au moment où elle posa le pied dans la rue, Mathilde aperçut une colonne de jeunes filles qui se pressaient jusqu’à la porte de service de la grande demeure où elle-même s’apprêtait à entrer. Elles étaient toutes habillées de la même façon, avec une robe rouge en toile épaisse sur le devant de laquelle pendait un 25

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tablier blanc. Sur la tête, un fichu, blanc lui aussi, cachait entièrement leurs cheveux et retombait jusque sur leurs épaules. En outre, elles gardaient la tête obstinément penchée vers le sol, comme pour se protéger des regards étrangers. Mathilde regarda son père d’un air interrogateur. – Qui sont-elles ? Le capitaine de La Jorsonnière lui répondit par une simple moue : il l’ignorait. L’une des jeunes filles avançait plus lentement, à quelques pas derrière toutes les autres. Contrairement à ses camarades, elle ne marchait pas tête basse mais regardait fréquemment autour d’elle, comme si elle cherchait quelque chose. – Laetitia ! appela la femme qui menait la longue file indienne. Cessez de rêver ! La jeune fille sursauta et rejoignit le groupe en baissant la tête.

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La femme qui l’avait interpellée était grande et sèche. Son visage fermé n’inspirait aucune sympathie. Elle s’approcha de la jeune fille nommée Laetitia d’un air sévère. – N’espérez pas pouvoir vous échapper un jour, lui murmura-t‑elle méchamment. Vous savez bien que c’est im-pos-si-ble ! Elle détacha chaque syllabe de ce dernier mot et s’en retourna à l’avant du groupe. – Allons, mesdemoiselles. Pressons ! La jeune fille emboîta le pas au reste du groupe, à contrecœur. Quand elle passa tout près de Mathilde, elle releva la tête. Ses yeux verts brillaient intensément !

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Table des matières

1.  Venise !.......................................................................... 5 2.  En mission secrète......................................................... 13 3.  De lents préparatifs....................................................... 17 4.  Le comte de La Moca.................................................... 29 5.  La voix des anges........................................................... 37 6. Laetitia.......................................................................... 45 7.  Aidez-moi !................................................................... 51 8.  Corsaire à jamais !......................................................... 57 9.  Au fil de l’eau…............................................................ 59 10.  L’Ospedale della Pietà................................................. 67 11. L’échange.................................................................... 77 12.  Libre !......................................................................... 85 13.  Au cœur de l’Ospedale................................................ 91 14. Incognito.................................................................... 97 15.  Rendez-vous manqué.................................................. 107 16. Délire.......................................................................... 115 17. Interrogatoire.............................................................. 121

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La Prisonnière de Venise 18.  Mauvaise passe............................................................ 127 19.  Il était une fois…........................................................ 133 20.  Rendez-moi ma fille !.................................................. 141 21. L’absente..................................................................... 151 22.  Le sirop du diable....................................................... 155 23. Retrouvailles............................................................... 161 24.  Chez les clarisses......................................................... 165 25.  Nuit de carnaval.......................................................... 171 26.  Adieu Venise !............................................................. 181 27.  Musique ! ................................................................... 185

Achevé d’imprimer en Italie par L.E.G.O. S.p.a., en mars 2015 N° d’édition : 15 038 Dépôt légal : avril 2015

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Mathilde de la Jorsonnière débarque à Venise avec son père, corsaire du Roi. Dans cette ville aux mille visages, la jeune fille rencontre un soir Laetitia, orpheline et pensionnaire du sinistre Ospedale della Pietà. Bravant bien des dangers, Mathilde va aider sa nouvelle amie à s’évader…

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