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© Felix Brueggemann

Danger aux écuries

« Depuis une éternité, Doro et moi élaborions des plans pour nous acheter notre propre cheval. Pour réaliser ce rêve, nous économisions le moindre centime. Maintenant, elle possédait un cheval avec Inga sous prétexte que j, étais partie en vacances loin d, ici pendant un mois. Si, il y a quelques jours, mes parents ne m, avaient pas également offert un cheval, j, aurais sans doute pleuré de désespoir. (...) C, était moi sa meilleure amie, pas Inga. »

Nele Neuhaus est une auteure allemande de romans policiers et de romans pour la jeunesse. Son polar Blanche-Neige doit mourir (Actes Sud) s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires. Ses deux séries qui ont pour sujet la passion du cheval, Elena (Actes Sud) et Le Rêve de Charlotte (Fleurus), ont connu un grand succès en Allemagne.

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Dans la même collection :

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Titre original : Gefahr auf dem Reiterhof Déjà paru : Le Rêve de Charlotte © 2012 by Planet Girl in der Thienemann-Esslinger Verlag GmbH, Stuttgart. Cet ouvrage a été proposé à l’éditeur français par l’agence EDITIO DIALOG, Lille.

Direction : Guillaume Arnaud Direction éditoriale : Sarah Malherbe Édition : Lucie Pouget Direction artistique : Élisabeth Hebert Photographie de couverture : © Getty Images/White horse/Geoffrey Gilson Photography Direction de fabrication : Thierry Dubus Fabrication : Marie Guibert © Fleurus, Paris, 2016 Site : www.fleuruseditions.com ISBN : 978-2-2151-3106-9 MDS : 652 426 Tous droits réservés pour tous pays. « Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. »

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Traduit de l’allemand par Pierre Malherbet

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À Dorothée

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– Charlotte, tu es de retour ! Mme Friese, la mère de ma meilleure amie, Dorothée, sourit amicalement en me voyant devant sa porte. – Quand êtes-vous rentrés ? – Bonjour, Mme Friese. Je dansais d’un pied sur l’autre et j’étais tentée d’aller directement dans la chambre de Doro afin de lui apprendre la formidable nouvelle. – Ça fait un quart d’heure. Doro est là ? Pendant le long trajet de Noirmoutier à Bad Soden, j’aurais tant voulu demander son téléphone portable à mon 7

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père pour appeler mon amie et lui parler de Won Da Pie. Je n’en ai rien fait parce que mon grand frère était assis à côté de moi. Il aurait tout entendu et se serait moqué de moi. – Non, elle n’est pas là. Devine donc où elle est ! – Au centre équestre ? – À ton avis ? Où pourrait-elle être ? Mme Friese fit comme si elle était désespérée et ajouta : – Depuis six semaines, elle y passe tout son temps. Normal après tout. Nous ne vivions qu’à cent cinquante mètres à peine du club et Doro, la fille de nos voisins, à cent mètres seulement. Voilà quatre semaines, j’avais prié mes parents de me laisser profiter de l’été chez les Friese tant je voulais passer mon Galop 3 et savourer de longues journées au club. Ils ne voulurent même pas en entendre parler. Heureusement, pensai-je alors, sans quoi j’aurais loupé l’été le plus génial de toute ma vie. – Très bien, dis-je à Mme Friese. Merci. J’étais sur le point de partir lorsqu’elle me retint.

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Retour au club

– Charlotte… Attends… J’aimerais te dire quelque chose, commença-t-elle après une légère hésitation, comme si elle tournait autour du pot. Il… s’est produit quelque chose de super… « Pour moi aussi », pensai-je, sans rien dire. – Doro a peur que tu ne lui en veuilles. Mais il fallait que tout aille très vite. Maintenant, j’étais vraiment curieuse. Qu’avait-elle donc de si mystérieux à me raconter ? Pourquoi devrais-je en vouloir à ma meilleure amie ? – Mais… Que s’est-il passé ? La mère de Doro cherchait les mots justes et sa révélation me fit l’effet d’un choc. – Humm… Comment dire… Les parents d’Inga ont acheté un cheval avec nous, il y a trois semaines. Je fixai Mme Friese comme si elle m’avait donné un coup dans le tibia. – C’est… C’est génial… dis-je à contrecœur. Depuis une éternité, Doro et moi élaborions des plans pour nous acheter notre propre cheval. Pour réaliser ce 9

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rêve, nous économisions le moindre centime. Maintenant, elle avait donc un cheval avec Inga sous prétexte que j’étais partie en vacances loin d’ici pendant un mois. Si, il y a quelques jours, mes parents ne m’avaient pas également offert un cheval, j’aurais alors sans doute pleuré de désespoir. Soudain, j’eus la gorge nouée et la colère monta dans un coin de mon cœur. Je ne reprochais pas à ma meilleure amie d’avoir son propre cheval, non, ce n’était pas ça. Mais n’aurait-elle pu au moins le mentionner dans la lettre que j’avais reçue d’elle lors de ma dernière semaine à Noirmoutier ? Elle n’en avait pas soufflé un mot ! Pourquoi ? – Vraiment, Lotte, ne sois pas en colère contre Doro, me pria sa mère. Tu sais, Inga et elle sont tombées par hasard sur une annonce sur Internet. Inga connaissait déjà le cheval qu’elle avait vu au club de Vogelsberg, où elle est allée plusieurs fois en vacances. – Je ne suis pas en colère. Seulement déçue.

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Retour au club

La mère de Doro n’avait pas l’air de comprendre que sa fille et Inga m’avaient trahie. C’était moi sa meilleure amie, pas Inga. Mme Friese avait l’air vraiment ennuyée. – Elles te laisseront certainement monter Corsario, tenta-t-elle en guise de consolation. Soudain, je n’étais plus si pressée d’aller au club. Au cours des dernières semaines, j’avais presque oublié comment c’était. Mes parents croyaient que tous les jeunes d’un poney club étaient les meilleurs amis du monde. Pour ma part, ça faisait longtemps que je n’y croyais plus. La réalité était bien différente, en effet. Certes, ils avaient tous l’air sympathiques, mais, intérieurement, chacun ne pensait qu’à soi. C’est précisément parmi ceux qui ne possédaient pas leur propre monture, et qui devaient monter les chevaux du club, que la concurrence était la plus rude. Je partis lentement en direction du centre équestre. À bien y réfléchir, qu’elles aient acheté un cheval ensemble, dans mon dos, c’était un sacré coup bas de la part d’Inga et de Doro. Inga avait toujours été un peu jalouse de mon amitié avec Doro. Doro et moi habitions l’une à côté de 11

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l’autre, alors qu’elle résidait quelques kilomètres plus loin, dans un village voisin. Souvent, Doro et moi pouvions rester plus longtemps ensemble au club alors que la mère d’Inga venait la chercher. Plusieurs fois déjà, il y avait eu quelques accrocs parce qu’Inga s’immisçait entre nous et s’en allait raconter des histoires à l’une ou à l’autre. En achetant un cheval avec Doro, elle croyait enfin être parvenue à faire barrage entre Doro et moi. Si M. Kessler, le moniteur, avait tenu sa langue – et je n’en doutais pas –, personne n’était au courant pour mon Won Da Pie. Je décidai donc de garder pour moi cette nouvelle, et de donner mauvaise conscience à mes deux amies. Moi-même, je ne parvenais pas encore à réaliser que mon rêve était devenu réalité. Voilà seulement trois jours, j’avais vécu la plus belle histoire de toute ma vie et j’étais devenue propriétaire d’un cheval de la manière la plus inattendue qu’il soit. Au début des vacances estivales, précisément, le cheval chéri que je montais, Gento, avait été vendu, comme ça, sans autre forme de procès. Ça

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Retour au club

m’avait tellement touchée que je m’étais bien juré de ne jamais plus m’attacher à un seul d’entre eux. Rien ne s’était passé comme prévu. Fermement résolue à ne plus regarder un cheval de ma vie, j’étais partie en vacances avec ma famille sur Noirmoutier, une île française sur l’océan Atlantique. Un soir, j’avais vu un groupe de cavaliers se promener sur la plage après avoir franchi les dunes. Les observer ainsi galoper au milieu des vagues déferlantes et produire de belles éclaboussures dans la lumière du soir avait aussitôt ravivé ma flamme. Je m’en étais secrètement voulu de ne pas avoir emporté mes affaires d’équitation. Heureusement, maman les avait prises en catimini, et, le lendemain, papa m’avait conduite au club hippique de Noirmoutier. J’y avais fait la rencontre de Nicolas, le moniteur, de Véronique, sa femme, de son neveu, Thierry, et de sa sœur, Sophie. J’avais passé presque tous les jours au club, nettoyé les chevaux et la sellerie, les box et participé à toutes les tâches. En récompense, Nicolas m’avait donné des cours d’équitation très exigeants, mais riches en enseignements. J’avais 13

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pu monter à cru, à la longe, afin d’améliorer mon assiette et ma position. Sans aucun doute, le meilleur été de toute ma vie ! Jamais je n’oublierais mon tout premier galop sur la plage, sur Brunette, une ancienne jument de course, ni le concours remporté contre Thierry avec Le Zaza ! J’avais d’abord été assez désemparée sur la selle ; je n’étais ni une cavalière émérite ni très courageuse. Puis ça s’était amélioré. Au cours de ces quatre semaines, je m’étais entraînée presque tous les jours et j’avais appris tellement de choses que j’avais l’impression que six mois s’étaient écoulés depuis que j’étais partie à contrecœur pour la France. L’un des chevaux de Nicolas, un hongre bai de 6 ans, m’avait rappelé Gento au premier regard, tout du moins d’apparence puisqu’il n’était ni si docile ni si bien dressé. Nicolas, après l’avoir acheté, avait constaté qu’il avait été maltraité par ses anciens propriétaires. Des jours entiers, il ne s’était pas laissé toucher. Finalement, j’étais parvenue à gagner sa confiance à force de patience, et j’étais la seule à pouvoir le monter, à l’étonnement de tous. Je l’avais secrè14

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Retour au club

tement surnommé Won Da Pie et m’en étais occupée quotidiennement. Lors de notre dernière balade sur la plage et dans les marais salants, j’avais eu le droit de monter Won Da Pie. Sur le chemin du retour, nous avions été surpris par un violent orage. Véronique, la monitrice, était tombée de sa monture dans un lac salé. Sous le tonnerre et les éclairs, j’étais partie bride abattue pour chercher de l’aide. Le soir venu, Nicolas et Véronique, qui, fort heureusement, ne s’était que légèrement blessée, étaient venus à la maison pour me remercier. Ils avaient proposé à mes parents de leur vendre Won Da Pie et, à ma grande surprise, ils avaient accepté. C’est ainsi que ce merveilleux cheval était devenu le mien. Le lundi matin suivant, Won Da Pie prendrait place dans un camion à chevaux pour gagner l’Allemagne depuis Nantes. Nicolas estimait la durée du voyage à une trentaine d’heures. Mardi au plus tard, il serait chez moi. Et ma vie entière changerait du tout au tout ! Je pourrais monter tous les jours sans plus avoir à me contenter d’une 15

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seule et unique leçon par semaine sur l’un des chevaux du club. Au cours du long trajet depuis Noirmoutier, je n’ai cessé d’imaginer la mine que feraient les autres ! Simon, Dani, Anike et Susanne, parmi les plus âgés, ne cessaient de nous considérer, nous les plus jeunes, comme des moins-querien ou des esclaves ; ils seraient à coup sûr consumés de jalousie. Jusqu’alors, je ne savais pas vraiment ce que ­signifiait posséder son propre cheval, mais, pour l’heure, à l’idée des privilèges à venir, j’en avais le souffle coupé. Le lundi, alors que le club faisait relâche, je pourrais monter. Je n’aurais plus besoin de rapporter à la maison ma mallette de pansage, puisque je disposerais d’un casier au club. Si je voulais, je pourrais monter dans le manège, explorer la campagne et participer à tous les cours à ma guise. La joie que j’éprouvais en songeant à tout cela l’emportait largement sur ma déception.

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Il se passait bien des choses dans la carrière. M. Kessler donnait un cours d’équitation, Mme Schlichte et Ralf montaient de l’autre côté. Merle faisait travailler un cheval du club à la longe. C’était un spectacle rassurant et familier. J’avais pourtant l’impression d’être une étrangère. J’avais passé les dernières semaines dans un univers tout à fait différent, et, soudain, je me mis à regretter Nicolas et Véronique, Sophie, Rémy et… Thierry. Je ne pouvais m’empêcher de penser à lui, à ses yeux bleus, à son sourire qui avait fini par perdre toute malice pour devenir vraiment gentil. Pendant ces quatre semaines, il n’avait cessé 17

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de m’embêter et de se moquer de moi, mais je ne m’étais pas laissé intimider. Avant-hier, alors que je prenais congé de tout le monde, il m’avait accompagnée jusqu’à la voiture, puis, contre toute attente, il m’avait pris dans ses bras et m’avait donné son numéro de téléphone ainsi que son adresse mail. Lorsque j’y repensais, je sentais une nuée de papillons dans mon ventre. Quel dommage qu’il ne soit pas là ! Était-il sérieux en me demandant de venir lui rendre visite en France ? J’avais atteint l’entrée de la carrière, je devais respirer un bon coup. Que se passerait-il si je n’étais plus la meilleure amie de Doro ? À qui pourrais-je raconter mes aventures de Noirmoutier, mes excursions à cheval, mon galop sous l’orage ? Et à qui parler de Thierry ? Dans l’écurie se trouvaient attachés quelques chevaux que je reconnus immédiatement. Vicky, Quick et Barbados. Un seul m’était parfaitement inconnu. Corsario, probablement. D’ailleurs, Doro et Inga étaient en train de le panser. – Charlotte ! 18

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Doro laissa tomber brosse et étrille en me voyant et courut vers moi les bras grands ouverts. Ses boucles brunes volaient autour de son visage. Elle m’enlaça de toute son affection. Je me réjouissais sincèrement de la revoir, malgré la peine qu’elle venait, à son insu, de me causer. Elle m’avait manqué à de nombreuses reprises lors de mon séjour en France. Si elle avait été avec moi, tout aurait été mieux encore. – Salut, Inga ! dis-je à la jeune fille que j’avais toujours considérée comme une amie. Quelque peu hésitante, mais une lueur de triomphe dans le regard, elle vint à moi. Son bras gauche était plâtré. Lors de sa première leçon de saut d’obstacles pour l’examen, elle était tombée et s’était cassé le bras, ainsi que me l’avait raconté Doro dans une lettre. – C’était comment en France ? demanda Doro. Tu n’as pas donné signe de vie ! Tu avais pourtant promis ! Mince ! Elle m’avait prise de court ! J’avais tout bonnement oublié. Non, c’est exprès que je ne lui avais pas écrit,

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ni à Inga ni aux autres, tant j’étais jalouse qu’elles aient pu passer leur Galop et pas moi. – Qu’est-ce que j’aurais bien pu t’écrire ? répondis-je en haussant les épaules. Il ne s’est rien passé de spécial. Et tu ne connaît même pas les gens que j’ai rencontrés là-bas ? Alors à quoi bon ? Et ici, quoi de neuf ? Doro et Inga échangèrent un bref regard. – Allez, quoi ! Racontez-moi ! Je feignais de ne pas savoir. Même si Mme Friese ne m’avait rien dit, j’aurais immédiatement remarqué le nouveau cheval. – C’est… Euh… On a… commença Doro non sans gêne. Je voulais te le dire, mais on n’avait pas le numéro du portable de ton père. Sinon… Elle s’interrompit. – Sinon… Quoi ? Quelle mauvaise excuse ! Je tremblais intérieurement, tout en parvenant à regarder l’une et l’autre en feignant la curiosité et l’ignorance. Mon amie avait l’air d’avoir bien du mal à m’avouer sa traîtrise. Elle savait parfaitement à 20

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quel point le départ de Gento m’avait fait de la peine, et la voilà qui se tenait devant moi, mal à son aise, elle qui était à l’accoutumée si espiègle et insouciante. Dans sa lettre, elle n’avait pas écrit la moindre ligne au sujet de son cheval. Contrairement à Inga, elle semblait avoir un tant soit peu de mauvaise conscience. Inga, en effet, ne parvenait pas à réprimer son sourire béat. Elle avait maintenant son propre cheval, avec Doro, dont elle estimait l’amitié plus que la mienne. Je n’avais toujours été qu’une rivale pesante, une meilleure cavalière qu’elle, mais c’était du passé. Elle faisait dorénavant partie d’une autre caste. Réalisant à quel point elle était perfide, je me mis à sangloter. Je vous laisse imaginer ce qu’il se serait produit si je n’avais pas eu mon Won Da Pie ! D’un seul coup, le centre équestre, ma seconde maison, m’était devenu infiniment étranger. – Avec Doro, on a acheté un cheval ! explosa Inga. Son sourire était méchant. – Quoi ? Quand ça ? Je pris un air surpris et choqué, sans aucune difficulté. Il faut dire que je l’étais réellement. 21

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– Il y a trois semaines, dit Inga, confirmant ainsi que Doro aurait pu me le dire dans sa lettre. – Là, ce cheval blanc, c’est Corsario. – Lotte, je… Je… Euh… C’est… Je voulais vraiment te le dire pour que tu ne l’apprennes pas comme ça, balbutia Doro en rougissant. J’allai vers le cheval pour l’observer. Je n’étais pas une grande connaisseuse, mais force était de constater que c’était là un animal vraiment impressionnant, plus grand que mon Won Da Pie et blanc comme neige. Ses yeux sombres étaient sympathiques, il avait l’air docile. – C’est votre cheval ? Elles acquiescèrent. L’une fière, l’autre gênée. – Il s’appelle comment ? Il a quel âge ? – Corsario. Il a 15 ans, répondit Inga. Un holstein. Il a gagné plus de vingt concours de saut d’obstacles. – Ah… Et qui le monte pour sauter ? Pour passer le Galop, vous avez dû apprendre. Je ne pus retenir ce coup bas. Inga n’avait rien appris, bien entendu, puisqu’elle s’était cassé le bras. 22

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– On se partage Corsario, fit-elle. Doro le monte pour un cours, puis moi à celui d’après. Dès que je n’aurai plus mon plâtre. – Pourquoi as-tu un plâtre d’ailleurs ? Bien sûr, je connaissais déjà la réponse. – Une chute pendant un entraînement, expliqua Inga en caressant le cou de Corsario. Il est super gentil, c’est un amour. Jamais il ne ruera ou n’en fera qu’à sa tête. Je jetai un coup d’œil à Dorothée qui baissa les yeux. – Salut, Charlotte ! lança à cet instant M. Kessler. Le moniteur avait fini sa dernière leçon de la soirée et il se faufilait sous les barrières de la carrière. – Alors, de retour ? Comment c’était, tes vacances ? – Super ! répondis-je en souriant. Il sourit également et me fit signe de le suivre. – Quand est-ce qu’il arrive, ton cheval ? demanda-t-il une fois suffisamment loin des deux autres pour qu’elles ne puissent entendre. – Mardi matin. Il quittera Nantes le lundi de bonne heure. Le voyage durera une trentaine d’heures. 23

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– Ah ! Et tu savais que tes amies s’étaient également acheté un cheval ? Ça m’a un peu surpris. Il lança un coup d’œil à Inga et à Doro qui essayaient, curieuses, de comprendre ce dont il retournait, en vain. – Inga vient de me raconter tout ça, dis-je en haussant les épaules. Ça a l’air d’être un beau canasson. Won Da Pie est… Comment dire… Différent. – Qu’est-ce que tu veux dire ? s’enquit M. Kessler. Était-il vraiment intéressé ? – C’est-à-dire… J’hésitai. Je ne l’avais pas remarqué en France, mais Won Da Pie n’était ni si élégant ni si soigné que ce cheval blanc. – Il a 6 ans et beaucoup de tempérament. Il m’a déjà envoyée valdinguer plusieurs fois par-dessus son encolure. Il a de belles origines et l’homme à qui nous l’avons acheté était d’avis qu’il pourrait faire un bon sauteur. Mais, pour l’instant, il n’a pas appris grand-chose. – S’il n’a que 6 ans, il est encore bien jeune. Tu connais ses origines ? demanda le moniteur avec curiosité.

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Je me souvins alors qu’il avait été autrefois un très bon cavalier de saut d’obstacles. – Son père s’appelle Quidam de Revel, les parents de sa mère sont Le Tôt de Semilly et Starter. Je connaissais ces noms par cœur. – En France, ce sont de très bons chevaux, ajoutai-je. M. Kessler ouvrit grands les yeux. Il avait l’air soudain très impressionné. – De très bons ? C’est le moins que l’on puisse dire ! Comment as-tu eu ce cheval ? – Je… Ah… Un pur hasard, balbutiai-je, surprise. – Mon Dieu ! murmura-t-il en souriant. Je suis pressé de le voir. Avec un tel pedigree, tu dois absolument conserver ses papiers. – Qu’est-ce que vous voulez dire ? J’étais quelque peu décontenancée. – Je veux dire, reprit-il avec enthousiasme, que cet étalon que tu as récupéré descend tout droit de la lignée des meilleurs sauteurs au monde ! Le père de Quidam de Revel est Jalisco B, lui-même descendant d’Almé Z, comme le 25

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célèbre Galoubet, le père de Baloubet du Rouet, le cheval de Rodrigo Pessoa. Nombre de chevaux de cette lignée ont été champions olympiques ! Je ne comprenais pas le moindre mot. J’étais figée sur place à le regarder. Jamais encore je ne l’avais vu si euphorique. M. Kessler était plutôt flegmatique et pas du genre à s’emporter de la sorte. Ce changement était-il dû au fait que j’avais maintenant mon propre cheval ? Jusqu’alors, nos échanges s’étaient limités aux instructions qu’il donnait pendant les cours et à un cordial « bonjour » puis « au revoir ». Décontenancée, je le regardais disparaître dans l’écurie. – Pourquoi t’a-t-il si longuement parlé ? Doro se tenait derrière moi. Je sursautai. – Ah… On parlait de la France, répondis-je. Ce qui n’était pas complètement faux. – Lotte, je sais bien que tu m’en veux. Je peux le comprendre, tu sais. J’étais complètement ailleurs et ne compris pas sur-lechamp ce qu’elle voulait dire. 26

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– Tu sais bien… À cause de Corsario. – Ah ! Ta mère me l’avait dit. Je ne t’en veux pas. Je suis seulement un peu déçue. – Tu dois me croire, Lotte, ce n’est pas ma faute. C’est Inga qui a insisté. Tu sais bien comme elle est lorsqu’elle veut à tout prix quelque chose. Doro haussa les épaules. Elle avait l’air si malheureuse que je n’avais plus le cœur à faire semblant de lui en vouloir. Sans compter que je voulais vraiment lui raconter mes vacances. – Corsario appartenait au haras de Sonnenborn, où elle était partie en vacances deux fois. Ils en demandaient huit mille euros et c’était trop cher pour ses parents. Elle me l’a tant répété… Jusqu’à ce que je demande à mes parents. J’aurais préféré avoir ce cheval avec toi, Lotte. Vraiment. Je la croyais. – Je n’avais pas compris, mais, tu vois, Inga était très jalouse de nous. Dorothée ne pouvait plus s’arrêter, et, de toute évidence, ça la soulageait de pouvoir me parler. Elle ajouta : 27

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– Je veux dire, elle aurait pu demander à Beate, par exemple, ou à quelqu’un d’autre. – Pourquoi ne m’as-tu rien dit dans ta lettre ? demandaije. Je voulais lui rendre ses aveux douloureux. Elle courba l’échine. – Je ne pouvais pas. Je me sentais si bête, Lotte ! Tu dois me croire. J’ai toujours pensé que ce serait une grande joie d’avoir mon propre cheval. Mais Corsario ne me procure vraiment aucun plaisir. Parce que… Je veux dire… Toi et moi, on voulait tant avoir un cheval ensemble ! Ce sont les parents d’Inga qui ont convaincu les miens. Qu’aurais-je fait à sa place ? Aurais-je renoncé à cette opportunité pour ne pas blesser mon amie ? Je la regardais en réfléchissant. Non, non, je n’aurais pas fait comme elle ! Bien sûr, je n’étais pas un ange. Mais, dans le fond, j’étais d’une grande loyauté, sans doute même trop confiante et nullement calculatrice. L’achat de ce cheval aurait pu signifier la fin de notre amitié. Je n’aurais probablement plus remis les pieds au club s’il n’y avait 28

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eu Won Da Pie qui attendait, à cinq cents kilomètres de là, de prendre place dans un camion pour venir en ­Allemagne. – Ah ! Ça n’a pas d’importance ! Je haussai les épaules. Ma déception s’envolait. – Je trouve ça chouette que tu aies ton cheval à toi. Puis bientôt, on pourra faire des sorties ensemble. Dans la campagne, et même participer à des tournois. – Comment cela ? demanda Doro, circonspecte. – Moi aussi je t’ai dissimulé quelque chose, avouai-je en parlant à voix basse, même si j’aurais préféré éclater de joie. Mes parents m’ont acheté un cheval il y a trois jours, par le plus grand des hasards. C’est un hongre de 6 ans, il s’appelle Won Da Pie. Il arrive mardi. Kessler est au courant. Dorothée me regarda, d’abord déconcertée, puis un large sourire s’esquissa sur son visage. Elle était de nouveau comme je l’avais toujours connue. – Mais… C’est super génial !

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– Oui ! dis-je en souriant aussi. Comme ça, on a toutes les deux notre propre cheval. – Qu’est-ce que c’est cool ! s’exclama-t-elle. On ne devra plus jamais monter ceux du club. – On pourra partir en balade quand nous voudrons. – Et tu pourras passer tes diplômes hippiques pendant les vacances d’automne, s’extasia Doro. On sera ensemble aux cours de saut ! Génial ! Ils en feront une tête, les autres ! – Ça, compte là-dessus ! On se souriait. Inga n’avait pu saboter notre amitié. – J’avais tellement mauvaise conscience ! avoua Doro une fois que nous nous fûmes calmées. Inga m’a vraiment mis la pression. Lorsque je lui ai dit non, elle s’est mise à pleurer et à m’appeler sans cesse. Je comprends maintenant comme c’était vicieux de sa part ! – Elle voulait purement et simplement m’effacer ! dis-je timidement. Un rapide regard sur ma montre me rappela qu’il était déjà presque 19 h 30.

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Une mauvaise amie

– Je dois rentrer. Je ne veux pas d’ennuis avec mes parents dès le premier soir. – On se voit demain, alors, répondit Doro. Inga monte Corsario pour le cours de 9 heures. Malgré son plâtre. C’est alors que j’eus une idée. J’avais chez moi encore quelques tickets pour avoir des cours. À l’avenir, je n’en aurais plus besoin. Je pouvais encore suivre cet entraînement. – Tu sais quoi, dis-je à mon amie, je vais y aller aussi. Pour la dernière fois sur un cheval du club. Nous sommes allées à la sellerie qui faisait également office de bureau. Sur la table était posé l’épais agenda où figuraient les différents cours. Seuls trois noms étaient inscrits pour la leçon du lendemain à 9 heures. J’ajoutai le mien. On verrait bien ce que j’avais appris avec Nicolas pendant mes quatre semaines à Noirmoutier !

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Composition et mise en pages : Text’Oh ! N° d’édition : 16062 Achevé d’imprimer en février 2016 par Legoprint, en Italie Dépôt légal : mars 2016

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© Felix Brueggemann

Danger aux écuries

« Depuis une éternité, Doro et moi élaborions des plans pour nous acheter notre propre cheval. Pour réaliser ce rêve, nous économisions le moindre centime. Maintenant, elle possédait un cheval avec Inga sous prétexte que j, étais partie en vacances loin d, ici pendant un mois. Si, il y a quelques jours, mes parents ne m, avaient pas également offert un cheval, j, aurais sans doute pleuré de désespoir. (...) C, était moi sa meilleure amie, pas Inga. »

Nele Neuhaus est une auteure allemande de romans policiers et de romans pour la jeunesse. Son polar Blanche-Neige doit mourir (Actes Sud) s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires. Ses deux séries qui ont pour sujet la passion du cheval, Elena (Actes Sud) et Le Rêve de Charlotte (Fleurus), ont connu un grand succès en Allemagne.

13,90 € TTC France

www.fleuruseditions.com

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Dans la même collection :

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