9782215132264 le livre des contes de mon enfance ne

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9 LE LIVRE DES

CONTES

Plus de 50 contes traditionnels (Blanche-Neige, Jack et le haricot magique, la légende de saint Nicolas…) pour savourer un merveilleux moment en famille et partager des souvenirs d’enfance.

DE MON

ENFANCE

FLEURUS

FLEURUS

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09/06/2016 15:06


A Sarah Fontaine. Avec tout mon amour. Anne Lanoeë

Illustration de couverture : Dogan Oztel Direction : Guillaume Arnaud Direction éditoriale : Sarah Malherbe Édition : Charlotte Walckenaer Direction artistique : Élisabeth Hébert Conception graphique : Bleuenn Auffret Mise en page : Les PAOistes Fabrication : Thierry Dubus, Marie Guibert © Fleurus, 15-27 rue Moussorgski, 75018 Paris, 2016 www.fleuruseditions.com ISBN : 978-2-2151-3226-4 • MDS : 651 781 N1 Tous droits réservés pour tous pays. « Loi n°49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. »


Le livre des

CONTES de mon

ENFANCE Contes traditionnels racontés par Anne Lanoë

Fleurus


S ommaire Jack et le haricot magique

p. 14

Conte d’origine anglaise, illustré par Ursula Bucher Les Habits neufs de l’empereur

p. 23

D’après Hans Christian Andersen, illustré par Éric Puybaret La Reine des neiges

p. 28

D’après Hans Christian Andersen, illustré par Caterina Zandonella Peau d’âne

p. 38

D’après Charles Perrault, illustré par Vincent Maury La Bergère et le ramoneur

p. 45

D’après Hans Christian Andersen, illustré par Caterina Zandonella Le Vaillant Petit Soldat de plomb

p. 50

D’après Hans Christian Andersen, illustré par Éric Puybaret Hansel et Gretel

p. 56

D’après les frères Grimm, illustré par Ursula Bucher La Petite Souris grise D’après la comtesse de Ségur, illustré par Vincent Maury

p. 62


Les Musiciens de Brême

p. 72

D’après les frères Grimm, illustré par Ursula Bucher La Petite Sirène

p. 77

D’après Hans Christian Andersen, illustré par Éric Puybaret Le Chat botté

p. 86

D’après Charles Perrault, illustré par Caterina Zandonella La Belle et la Bête

p. 92

D’après madame Leprince de Beaumont, illustré par Vincent Maury Le Vilain Petit Canard

p. 101

D’après Hans Christian Andersen, illustré par Éric Puybaret Neigeblanche et Roserouge

p. 108

D’après les frères Grimm, illustré par Caterina Zandonella Les Cygnes sauvages

p. 115

D’après Hans Christian Andersen, illustré par Ursula Bucher Rumpelstilzchen

p. 125

D’après les frères Grimm, illustré par Vincent Maury L’Homme à la peau d’ours

p. 131

D’après les frères Grimm, illustré par Ursula Bucher Le Rossignol de l’empereur D’après Hans Christian Andersen, illustré par Éric Puybaret

p. 138


Raiponce

p. 145

D’après les frères Grimm, illustré par Antoine Deprez Les Trois Fileuses

p. 153

D’après les frères Grimm, illustré par Santiago Montiel Blanche-Neige

p. 157

D’après les frères Grimm, illustré par Stéphane Girel Les Fées

p. 164

D’après Charles Perrault, illustré par Santiago Montiel Cendrillon

p. 169

D’après Charles Perrault, illustré par Éric Puybaret Riquet à la houppe

p. 176

D’après Charles Perrault, illustré par Antoine Deprez La Belle au bois dormant

p. 183

D’après les frères Grimm, illustré par Santiago Montiel La Princesse au petit pois

p. 192

D’après Hans Christian Andersen, illustré par Stéphane Girel Poucette

p. 196

D’après Hans Christian Andersen, illustré par Santiago Montiel Les Trois Plumes D’après les frères Grimm, illustré par Stéphane Girel

p. 203


Le Petit Poucet

p. 208

D’après Charles Perrault, illustré par Éric Puybaret L’Esprit dans la bouteille

p. 215

D’après les frères Grimm, illustré par Santiago Montiel Les Souliers usés au bal

p. 220

D’après les frères Grimm, illustré par Antoine Deprez L’Eau de la vie

p. 227

D’après les frères Grimm, illustré par Stéphane Girel Douze en voiture de poste

p. 236

D’après Hans Christian Andersen, illustré par Sébastien Chebret Noël tous les jours !

p. 241

D’après William Dean Howells, illustré par Dorothée Jost La Légende du premier sapin de Noël

p. 246

Illustré par Stéphanie Ronzon Les Lutins et le cordonnier

p. 249

D’après les frères Grimm, illustré par Fred Multier Le Noël de Tilly

p. 253

D’après Louisa May Alcott, illustré par Dorothée Jost La Légende de saint Nicolas

p. 258

D’après la tradition du Nord et de l’Est de la France, illustré par Stéphanie Ronzon


Cantique de Noël

p. 261

D’après Charles Dickens, illustré par Sébastien Chebret Le Sapin

p. 267

D’après Hans Christian Andersen, illustré par Fred Multier La Befana

p. 272

D’après la tradition italienne, illustré par Dorothée Jost La Moufle

p. 276

D’après la tradition russe, illustré par Fred Multier Le Joueur de flûte de Hamelin

p. 280

D’après la légende allemande, illustré par Sébastien Chebret Les Sabots du Père Noël

p. 285

D’après Jacques des Gachons, illustré par Stéphanie Ronzon Œil d’étoile

p. 288

D’après Zacharias Topelius, illustré par Fred Multier La Petite Fille aux allumettes

p. 293

D’après Hans Christian Andersen, illustré par Dorothée Jost Le Noël des Trolls

p. 297

D’après Zacharias Topelius, illustré par Sébastien Chebret Le Bonhomme de neige D’après Hans Christian Andersen, illustré par Stéphanie Ronzon

p. 303


Kachtanka

p. 308

D’après Anton Tchekhov, illustré par Dorothée Jost Les Cadeaux des Rois mages

p. 313

D’après Heywood Broun, illustré par Sébastien Chebret Un rêve de Noël

p. 316

D’après Louisa May Alcott, illustré par Fred Multier Snegourotchka

p. 321

D’après la tradition russe, illustré par Stéphanie Ronzon Les Carillons

p. 326

D’après Charles Dickens, illustré par Sébastien Chebret Le Rêve de Becky

p. 332

D’après Louisa May Alcott, illustré par Dorothée Jost Casse-Noisette et le roi des souris

p. 337

D’après Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, illustré par Fred Multier Le Tout Premier Noël Illustré par Stéphanie Ronzon

p. 343


Jack et le haricot magique

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I

l était une fois une pauvre femme qui vivait seule avec son fils

prénommé Jack. Le seul bien qu’ils possédaient sur Terre était une vache qui leur donnait chaque jour du lait. Mais un matin, celle-ci ne donna plus rien et Jack et sa mère se regardèrent, consternés. « Qu’allons-nous faire ? gémit la pauvre femme en se tordant les mains. – Rassure-toi, mère ! lui répondit Jack. Je vais partir et trouver du travail ! – Oh, Jack, lui dit sa mère en le regardant avec douceur. Tu as déjà tenté ta chance, mais tu sais que tu es trop jeune ! Il ne nous reste plus qu’à vendre notre vache et, avec le bon prix que nous en tirerons, nous verrons bien ce que nous pourrons faire. – Bien, mère, lui répondit Jack. Comme c’est jour de marché aujourd’hui, je vais vendre notre vache de ce pas ! » Et Jack partit ainsi sur la route en conduisant sa vache au bout d’une corde. Mais il n’avait pas marché cinq cents mètres qu’il rencontra un curieux vieillard qui l’arrêta en l’appelant : « Hé, bonjour, Jack !


Jack et le haricot magique

– Bonjour », lui répondit Jack. Et il se demanda aussitôt comment cet homme pouvait connaître son nom. « Que viens-tu faire avec ta vache au bout d’une corde ? lui demanda le petit vieux. – Je vais de ce pas au marché pour la vendre. Et j’en tirerai un bon prix ! – Oh, je n’en doute pas ! lui dit le vieil homme. Je me demande si tu sais combien de haricots il faut pour faire cinq. – Deux dans chaque main et un dans la bouche, répondit Jack aussitôt. – Bien répondu ! Maintenant, regarde bien ces haricots. Ils sont magiques et je vais te proposer un marché ! Ta vache contre ces haricots ! – Vous n’y pensez pas ! Je vendrai ma vache pour dix pièces d’argent, au moins, et vous me proposez une poignée de haricots ! Non, ça, jamais ! – Mais ce ne sont pas des haricots ordinaires… Si tu les plantes, en une nuit ils pousseront droit, jusqu’au ciel. – Jusqu’au ciel ? Non, cela est impossible ! – Mais si ! Allons, crois-moi ! Tente ta chance, Jack, elle ne passe jamais deux fois ! – Eh bien… C’est d’accord », dit Jack impressionné. Et il laissa la vache au vieil homme en échange des haricots qu’il mit dans sa poche. De retour chez lui, Jack, qui n’avait pas été longtemps absent, se présenta devant sa mère. « Te voilà vite de retour, mon garçon ! Je vois que tu reviens sans notre vache, ce qui veut dire que tu l’as vendue. Alors, combien en as-tu donc tiré ?

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Jack et le haricot magique

– Tu ne devineras jamais, mère ! – Oh, bravo, Jack ! Alors, dix pièces d’argent ? Quinze ? – Mère, je t’ai dit que tu ne pourrais deviner ! Vois ce que j’ai rapporté ! Ce sont des haricots magiques et si tu les plantes, en une nuit ils… – Quoi ? Tu n’as pas fait cela, Jack ? Tu n’as pas été assez fou, assez idiot, pour échanger notre vache contre cinq pauvres haricots ! Mais qu’ai-je fait pour mériter cela ? » Et, de rage, la mère de Jack jeta les haricots par la fenêtre et envoya son fils tout droit dans sa chambre. Jack alla tristement se réfugier au grenier, et pleura doucement. Tout était de sa faute ! Mais le lendemain matin, Jack découvrit par la fenêtre une chose extraordinaire ! Les haricots que

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sa mère avait jetés avec rage avaient donné vie à un pied de haricot gigantesque, et celui-ci montait toujours plus haut pour se perdre dans les nuages ! «Le vieil homme n’avait donc pas menti», se dit Jack. Et de joie, il sauta sur une des branches basses du haricot et se mit à grimper, grimper, grimper. Si haut qu’il atteignit les nuages et toucha le ciel. Il vit alors une route qui serpentait et la suivit pour parvenir, enfin, devant une haute et belle demeure, pareille à un château de roi. Jack parcourut les pièces et arriva jusque dans une cuisine où se tenait une très grande femme.


Jack et le haricot magique

« Bonjour, madame, dit Jack très poliment. Auriez-vous la bonté de me donner un petit déjeuner ? J’ai bien faim et je n’ai pas mangé hier ! – Un petit déjeuner ? Mais si tu ne t’enfuis pas aussitôt, c’est toi qui seras le petit déjeuner de mon mari ! File aussi vite que tu es venu, car mon mari est un ogre et il te mangera s’il te découvre ! – Oh, s’il vous plaît, madame ! J’ai si faim qu’il m’importe peu d’être dévoré ! – Alors, viens ! » dit la femme qui n’était pas si méchante. Et elle lui donna de belles tranches de pain beurrées et lui versa une grande tasse de lait onctueux. Jack se jeta sur les tartines, mais il n’avait pas fini de manger que « Boum ! boum ! boum !», la maison se mit à trembler de haut en bas. « Ciel ! s’écria la femme. Voici mon ogre de mari qui rentre et, s’il te découvre, il ne fera de toi qu’une bouchée ! Cache-toi vite dans ce four. » Et elle eut à peine le temps de refermer la porte que l’ogre entra. C’était un ogre gigantesque et il portait à sa ceinture trois moutons ! « Tiens, femme ! dit-il en jetant les bêtes sur la table. Prépare-moi un bon rôti avec cela ! Mais qu’est-ce que je sens là ! Hum, hum, hum… Cela sent la chair fraîche ! – Allons, vous rêvez, mon cher mari ! Ou peut-être est-ce l’odeur des bêtes que vous rapportez là ! Allez vous rafraîchir et je vous préparerai pendant ce temps un bon repas ! » Comme Jack voulait s’enfuir, en sautant hors du four, la femme lui fit signe d’attendre que son mari se fût endormi après son repas. L’ogre mangea de bon cœur puis, quand il eut fini de déjeuner, il alla chercher dans un coffre trois gros sacs d’or et se mit à compter ses pièces. Sa tête ne tarda pas à devenir lourde et l’ogre s’endormit en ronflant bruyamment. Alors Jack sortit du four, prit en vitesse l’un des sacs d’or et s’enfuit en courant de la maison. Parvenu devant le haricot magique, il s’accrocha au tronc et se laissa glisser longtemps, jusqu’au moment où il atterrit dans le jardin de sa mère.

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Jack et le haricot magique

« Mère, mère ! s’écria Jack tout fier en brandissant son sac d’or. Nous avons désormais de quoi vivre pendant un long moment ! Regardez tout cet or ! N’avais-je donc pas raison quand je vous disais que c’était des haricots magiques ! » Et Jack et sa mère ne manquèrent plus de rien et vécurent richement pendant quelque temps. Mais un jour, le sac d’or fut vide et Jack se résolut de tenter à nouveau sa chance. Un beau matin, il sauta donc sur une branche basse du haricot magique et grimpa, grimpa, grimpa, jusqu’au moment où il parvint dans les nuages. Il reprit la même route et rencontra, devant le château de l’ogre, sa femme qui se tenait assise. « Bonjour, madame, fit Jack poliment. Seriez-vous assez bonne pour me donner quelque chose à manger ?

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– Va-t’en, mon garçon, ou mon mari te mangera pour son déjeuner ! Mais ne serais-tu pas le jeune garçon qui est déjà venu voici quelque temps ? Ce jourlà, mon mari perdit l’un de ses sacs d’or ! – C’est étrange ! Cette histoire me rappelle quelque chose, mais j’ai si faim que je ne puis ouvrir la bouche pour l’instant ! » La femme de l’ogre, qui était curieuse, le conduisit alors dans sa cuisine et lui donna à manger. Mais Jack avait à peine eu le temps de mordre dans une tartine que « Boum ! boum ! boum ! », le sol trembla et la femme cacha vite Jack dans le four. Tout se passa comme la fois précédente. L’ogre trouva que cela sentait la chair fraîche et mangea de toutes ses dents le rôti préparé par sa femme. Puis il lui demanda de lui apporter sa poule qui pondait des œufs d’or. L’ogre caressa l’animal et lui dit : « Ponds ! » La poule pondit alors un œuf tout en or et l’ogre, satisfait, s’endormit. Jack en profita aussitôt pour sortir du four et il saisit la poule pour l’emporter, mais celle-ci caqueta soudain bruyamment.


Jack et le haricot magique

L’ogre fut aussitôt réveillé, mais Jack était déjà loin et redescendit vite du haricot magique pour montrer à sa mère la merveille qu’il avait rapportée. Malgré ce nouveau trésor, Jack n’était pas satisfait et il lui prit, un jour, l’envie de regrimper en haut du haricot magique. Un beau matin, il s’élança donc et grimpa, grimpa, grimpa jusqu’au ciel. Il suivit la route comme les fois précédentes, mais jugea plus prudent de ne pas se montrer à la femme de l’ogre et alla tout droit se cacher dans une grande jarre. Il s’était installé depuis fort peu de temps lorsque « Boum ! boum ! boum ! », il entendit l’ogre rentrer avec sa femme. « Hum, hum, hum, renifla l’ogre. Cela sent la chair fraîche ! Je le sens ! Je le sens ! – Si c’est le petit chenapan qui t’a dérobé ton sac d’or et la poule merveilleuse, il doit être caché dans le four ! » Et vite, l’ogre et sa femme se ruèrent pour ouvrir le four ; mais Jack n’y était pas… Ils cherchèrent partout, en vain, et l’ogre se résolut finalement à prendre son repas. Puis, quand il eut bien mangé, il demanda à sa femme de lui apporter sa harpe d’or et dit à l’instrument : « Joue, harpe d’or ! » Comme par enchantement, la harpe se mit à jouer un air merveilleusement beau et répéta cet air jusqu’à ce que l’ogre se fût endormi. Jack sortit alors tout doucement de sa jarre et rampa jusqu’à la table puis, en un éclair, il déroba la harpe d’or et se dirigea vers la porte. Mais comme il s’en allait, la harpe sous le bras, celle-ci s’écria : « Maître, maître ! » et l’ogre se réveilla juste à temps pour voir Jack partir en courant. Jack s’enfuit aussi vite qu’il put, descendit la route, et atteignit bientôt la tige du haricot magique. Sans hésiter, il sauta en avant et descendit bien vite de branche en branche, mais l’ogre qui le suivait hésitait à s’élancer. Finalement, il sauta lui aussi sur la tige et se mit à descendre, mais Jack avait pris de l’avance. Quand il fut en vue de sa maison, il cria à sa mère de lui apporter au plus vite une hache et, à peine avait-il sauté à terre, qu’il attaqua à coups

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Jack et le haricot magique

de hache la tige du haricot magique. Un coup, deux coups, et le haricot fut fendu en deux ! L’ogre sentit que tout vacillait et s’arrêta un moment ; alors Jack donna un dernier coup et le haricot coupé en deux s’écroula. L’ogre, en tombant, s’écrasa par terre et le haricot vint bientôt s’abattre sur lui, le laissant mort. Jack avait triomphé ! Grâce aux œufs d’or, il vécut richement au côté de sa mère et, quand il voulait se distraire, il écoutait la douce musique de la harpe d’or. Il ne manqua jamais plus de rien, et on dit même qu’il épousa une belle princesse et qu’ils s’aimèrent longtemps !

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Les Habits neufs de l’empereur

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I

l y a bien longtemps de cela, dans un pays lointain, vivait un empe-

reur si coquet que chacun de ses gestes et chacun de ses pas avaient pour but de faire admirer sa toilette ! Et il dépensait une fortune pour s’offrir sans cesse de nouveaux habits. Or, un jour, arrivèrent deux escrocs dans la grande ville où habitait l’empereur. Les deux voleurs se firent passer pour des tisserands exceptionnels et prétendirent qu’ils étaient capables de tisser l’étoffe la plus fine et la plus extraordinaire qui soit. Leur étoffe était non seulement riche et belle, mais les habits confectionnés avec elle possédaient, par ailleurs, un pouvoir merveilleux : ils devenaient invisibles pour celui qui ne remplissait pas bien sa fonction ou qui était stupide !


Les Habits neufs de l'empereur

« Comme il me plairait de posséder de tels habits ! pensa aussitôt l’empereur. Si je les portais, je saurais qui dans mon royaume ne remplit pas bien sa fonction ou ses tâches et je distinguerais les sots des gens intelligents ! Tissez donc de cette étoffe pour moi », demanda-t-il prestement aux escrocs. Et pour ce faire, il leur donna une belle somme d’argent. Les faux tisserands installèrent donc deux métiers à tisser, puis demandèrent la soie la plus fine et l’or le plus précieux pour travailler. Et après avoir mis tout cela dans leur sac, ils firent semblant de tisser jusqu’à une heure avancée de la nuit, alors que les métiers étaient vides ! « J’aimerais beaucoup admirer cette étoffe », pensa peu de temps après l’empereur. Et comme il hésitait un peu à se déplacer, il envoya le plus vieux et le plus loyal de ses ministres. « Assurément, il est celui qui pourra le mieux apprécier l’étoffe, car il est

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intelligent et remplit sa fonction avec talent », pensa l’empereur. Le vieux ministre alla donc dans la salle où travaillaient les deux tisserands et, stupeur, il eut beau écarquiller les yeux et regarder à plusieurs reprises, il ne vit rien sur les métiers vides ! « Serais-je donc stupide ? pensa-t-il en lui-même. Serais-je donc indigne de ma fonction de ministre ? Nul ne doit le savoir ! » Aussi, fit-il mine de voir l’étoffe quand les deux escrocs l’interrogèrent. « C’est… c’est ravissant ! On ne peut rien imaginer de plus beau ! Ces motifs, ces couleurs… Je dirai à l’empereur que cette étoffe est exquise ! – À la bonne heure ! » s’écrièrent les faux tisserands. Et ils lui expliquèrent le nom des couleurs et des motifs, tandis que le pauvre ministre écarquillait les yeux. Le ministre ayant vanté l’étoffe et la splendeur de ses couleurs à l’empereur, les escrocs purent demander davantage d’or et de fil de soie et cachèrent prestement tout cela dans leur sac sans qu’apparaisse le moindre fil. Mais pour faire semblant de tisser, les deux fripons s’en donnaient à cœur joie !



Les Habits neufs de l'empereur

L’empereur, pour sa part, était toujours bien curieux de savoir comment avançait le tissage et envoya très vite un second observateur pour lui décrire l’étoffe et lui dire quand elle serait prête. Le malheureux ne vit rien de plus que le ministre et écarquilla les yeux devant un métier à tisser vide mais, comme il ne pensait pas être stupide, il se dit qu’il ne devait pas bien remplir sa fonction ! « Personne ne doit connaître mon secret ! » pensa-t-il, catastrophé. Et il déclara alors que l’étoffe était magnifique, ses couleurs chatoyantes et qu’il n’avait jamais rien vu de plus beau. Toute la ville parlait de cette étoffe splendide, aussi l’empereur voulut-il la voir lui-même. Escorté de sa cour et des deux fonctionnaires qui lui avaient vanté l’étoffe, il alla donc rendre visite aux deux tisserands qui tissaient vigoureusement, mais sans fil.

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« Admirez, Votre Altesse ! lui dirent le ministre et le second observateur en lui désignant l’étoffe imaginaire sur le métier à tisser vide. N’est-elle pas merveilleuse ? » Et ils la montraient du doigt, car ils pensaient que les autres pouvaient la voir. « Mon Dieu ! pensa l’empereur atterré. Mais je ne vois rien ! Serais-je donc stupide ? Serais-je un incapable dans ma fonction d’empereur ? Je suis dans une situation affreuse ! » Aussi dit-il à son tour que l’étoffe était splendide et qu’il était ravi ! Et il hochait la tête d’un air si satisfait en regardant le métier vide que toute sa suite l’imita. On conseilla même à l’empereur de faire tailler de beaux habits dans cette étoffe pour la procession qui devait avoir lieu peu de temps après. La veille de la procession, les deux escrocs travaillèrent d’arrache-pied et tous purent voir qu’ils se hâtaient d’achever les habits neufs de l’empereur. Ils firent mine d’enlever l’étoffe du métier, la coupèrent dans le vide avec de grands ciseaux et cousirent les découpes invisibles avec des aiguilles sans fil.


Les Habits neufs de l'empereur

Au matin, les habits furent prêts et ils accueillirent l’empereur en lui tendant un à un les vêtements imaginaires. « Voici le pantalon ! Voici le manteau ! Vous verrez, tout cela est si léger qu’on croirait ne rien avoir sur le corps ! » L’empereur se déshabilla alors et les escrocs firent semblant de l’habiller tandis qu’il se regardait dans le miroir. « Comme ces habits sont seyants ! dirent les gens de sa suite. Comme ils tombent bien ! » L’empereur se regardait encore, car il fallait donner l’impression qu’il admirât sa tenue, puis il sortit pour la procession. Et là, tous les gens s’écrièrent : « Les nouveaux habits de l’empereur sont extraordinaires ! Bravo ! Quelle beauté ! » Aucun de ses sujets ne voulait paraître stupide ; aussi tous firent encore semblant de voir l’étoffe. Tous, si ce n’est un enfant qui s’esclaffa soudain : « Mais l’empereur n’a pas d’habits du tout ! Vous ne voyez donc pas ? L’empereur est tout nu ! » Alors on entendit des chuchotements, et les gens crièrent finalement : « Mais oui ! L’empereur n’a rien sur lui ! » L’empereur, qui sentait bien qu’il avait été dupé par les escrocs, devint rouge de honte à l’idée de marcher dénudé mais, comme il ne pouvait fuir devant ses sujets, il continua de marcher, la tête haute. Et la procession poursuivit ainsi son chemin.

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La Reine des neiges 28

I

l était une fois un méchant troll qui eut un jour l’épouvantable

idée de fabriquer un miroir ensorcelé. Tout ce qui s’y reflétait était déformé et, tandis que les belles choses et les meilleurs sentiments étaient réduits à néant et devenaient laids, tout ce qui ne valait rien prenait de l’importance. En outre, dès qu’une bonne pensée traversait un homme, le miroir était pris d’un affreux ricanement. Ce fâcheux miroir fit le tour du monde, et comme il n’y eut bientôt plus un homme, plus un pays qui n’ait été déformé, les trolls décidèrent de le porter haut dans le ciel pour le présenter devant Dieu. Mais tandis que les trolls se rapprochaient du ciel, le miroir fut secoué de ricanements si terribles qu’il leur échappa des mains et alla s’écraser sur la Terre en une pluie de petits morceaux. Aussi petits qu’ils aient été, ces éclats de miroir étaient tout aussi maléfiques que le miroir entier et, lorsqu’ils se logeaient dans les yeux des gens, ceux-ci ne voyaient plus que le mauvais côté des choses. Enfin, certains petits frag-


La Reine des neiges

ments allèrent se planter dans le cœur de quelques personnes, et celles-ci ne tardèrent pas à devenir aussi froides et dures qu’un bloc de glace. Dans une ville lointaine habitaient deux charmants petits enfants prénommés Gerda et Kay. Ils étaient tous deux voisins, mais s’aimaient comme frère et sœur et habitaient sous les toits, dans deux mansardes qui se faisaient face. Comme les toits se rejoignaient à cet endroit et formaient une sorte de petite terrasse, les deux enfants se retrouvaient aux beaux jours, sur un petit banc, et leurs parents avaient placé là aussi deux caisses de bois où poussaient deux rosiers. Les rosiers se rejoignaient en un berceau de fleurs et de verdure, et Gerda et Kay y jouaient merveilleusement. Durant l’hiver, les deux enfants se regardaient à travers la vitre pleine de givre puis, quand le beau temps revenait, ils se retrouvaient dans leur petit jardin perché bien haut dans la gouttière. Comme ils étaient heureux alors ! Cet été-là, l’air fut chaud et doux et les rosiers fleurirent comme jamais. Gerda avait appris un beau cantique et le chantait à Kay : « Les roses poussent dans les vallées où avec l’Enfant Jésus nous pouvons parler ! » Les deux enfants étaient en train de regarder un beau livre d’images, tout près de leur grand-mère d’adoption, et cinq heures de l’après-midi sonnaient à la grande horloge, quand Kay s’écria soudain : « Aïe ! Quelque chose vient de me piquer au cœur ! Et aïe ! Quelque chose m’est entré dans l’œil ! » Gerda regarda de près l’œil de Kay, mais ne vit rien. « Ce n’est rien, c’est déjà parti ! » dit alors Kay. Mais il n’en était rien, car le pauvre enfant venait de recevoir dans l’œil un éclat du miroir maléfique et un petit morceau était aussi allé se loger dans son cœur… Il ne tarderait plus à devenir comme un bloc de glace. Déjà, Kay était devenu différent. « Pourquoi pleures-tu ? demanda-t-il méchamment à Gerda. Tu es bien laide ainsi ! Et puis ces roses sont affreuses, comme ces caisses de bois et tout ce qui est ici ! »

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La Reine des neiges

Et Kay rentra chez lui sans plus se soucier de Gerda. Les jours passèrent, mais Kay se désintéressa des jeux qu’il aimait auparavant et des histoires que leur racontait leur grand-mère. Jamais plus il ne venait s’asseoir auprès de Gerda sous les rosiers et, quand l’hiver revint, il préféra observer les flocons à la loupe. Un jour que la neige avait tout recouvert de blanc, Kay alla prévenir Gerda qu’il partait faire du traîneau sur la grande place de la ville, et il s’en alla aussitôt. Le jeu des enfants consistait à attacher leur traîneau à une charrette de paysan pour se faire tirer et aller vite. Kay était à peine arrivé sur la place qu’un grand traîneau blanc s’arrêta devant lui. Il était conduit par une mystérieuse personne, toute de fourrure blanche vêtue, et celle-ci ne montra pas son visage. Elle fit juste signe à Kay de s’accrocher et celui-ci, trop content de

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l’invitation, se laissa tirer. Le traîneau de Kay prit très vite de la vitesse et le garçon s’aperçut bientôt qu’il volait à la vitesse du vent. Des flocons tourbillonnaient autour de lui, de plus en plus gros, et Kay qui ne parvenait pas à détacher son petit traîneau regardait partout, effrayé. Enfin, le grand traîneau s’arrêta, et une grande dame blanche, belle et étincelante, se leva en ôtant sa fourrure de neige pour mieux regarder Kay. C’était la Reine des neiges. « Viens, mon garçon, et blottis-toi dans ma fourrure, car tu dois avoir bien froid », lui dit-elle en souriant. Kay s’approcha, et il lui sembla se couvrir d’un manteau de neige. Tandis que la Reine des neiges l’embrassait sur le front, Kay sentit un froid effrayant envahir son cœur qui était déjà pourtant de glace, puis il se sentit soudainement bien et oublia totalement la morsure du froid. Alors, la Reine des neiges posa un second baiser sur son front et Kay perdit le souvenir de Gerda et de tous ceux qu’il aimait auparavant. Ils s’envolèrent par-delà les forêts et les lacs, par-delà les mers et les pays, et la Reine des neiges enleva Kay dans son royaume de glace.


La Reine des neiges

Gerda, qui n’avait pas vu son ami revenir, s’inquiéta vite de son cher compagnon de jeu. Les garçons qui étaient sur la place lui racontèrent qu’un grand traîneau s’était arrêté devant Kay et l’avait emporté, et personne ne douta plus qu’il n’ait disparu ou qu’il ne soit mort noyé dans la rivière toute proche. Gerda pleura infiniment et les jours d’hiver lui semblèrent interminables. Quand le printemps fut revenu et que le soleil devint plus chaud, Gerda dit un jour en soupirant : « Kay est mort ! » Mais le soleil lui répondit : « Je ne le crois pas ! » Si bien que Gerda reprit espoir et alla parler à la rivière qui lui avait peutêtre enlevé son ami : « Accepterais-tu, si je te donne mes beaux souliers rouges, de me rendre mon cher Kay ? » Mais, comme elle était montée dans une barque pour s’approcher au plus près de l’eau et y jeter ses souliers, la petite embarcation fut entraînée par le courant et s’éloigna très vite de la grande ville. « Peut-être la rivière m’emmène-t-elle vers Kay », pensa Gerda, pleine d’espoir. Et elle regarda avec plaisir les paysages se succéder durant de longues heures. Elle passait devant un beau verger planté de cerisiers quand elle fut recueillie par une vieille femme qui s’émut de voir une si petite fille, seule, entraînée de par le vaste monde. « J’ai toujours désiré avoir une jolie petite fille comme toi », murmura la vieille femme en lui peignant doucement les cheveux peu après. Et, comme la vielle femme était un peu magicienne, Gerda oublia aussitôt Kay et resta longtemps auprès d’elle. Non loin de la maison poussait un jardin merveilleux où s’épanouissaient toutes les fleurs du monde, et Gerda y passa de longs jours à jouer ; mais bientôt il lui sembla qu’il y manquait une fleur, et lorsqu’elle eut compris qu’il s’agissait de la rose, Gerda se souvint des deux rosiers de sa maison et repensa à Kay. « L’été a passé, l’automne est venu, pensa Gerda, et j’allais oublier Kay ! »

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La Reine des neiges

Alors elle reprit vite son chemin et quitta le jardin de la vieille femme pour courir le vaste monde. Peu de jours après, Gerda fit la connaissance d’une corneille à qui elle ra-

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conta son histoire. La corneille lui parla en retour d’une princesse qui venait de rencontrer un jeune garçon courageux ; peut-être s’agissait-il de Kay ? L’oiseau conduisit Gerda au château de la princesse mais, lorsque la fillette découvrit le prince, elle fut bien déçue car il ne s’agissait pas de son ami ! Gerda était si attristée qu’elle raconta son histoire au prince et à la princesse, et ceux-ci s’émurent beaucoup de son courage. Ils décidèrent alors de l’aider et lui offrirent de beaux habits et un carrosse d’or pour poursuivre sa route. Ainsi Gerda repartit, courageuse petite fille à la recherche de son Kay. Elle atteint, de longues heures plus tard, une forêt sombre où hululait le vent, mais le carrosse d’or qui étincelait fut tout à coup attaqué par des brigands. « C’est de l’or, c’est de l’or ! » criaient-ils comme des fous. Et ils s’emparèrent de la voiture et de Gerda, effrayée. Les brigands l’auraient peut-être tuée si une petite fille ne s’était soudain jetée sur eux pour les mordre et les griffer. « Laissez-la ! Je veux qu’elle joue avec moi et qu’elle me donne son manchon et sa belle robe ! Et je veux qu’elle dorme dans mon lit ! »


La Reine des neiges

La petite fille des brigands partit ainsi avec Gerda dans son carrosse et la conduisit à son château qui était en ruine. Le soir venu, les deux enfants mangèrent, puis la petite fille montra la pièce où elle dormait à Gerda. Des pigeons roucoulaient sur les poutres du plafond tandis qu’un renne se reposait, attaché. « Es-tu une princesse ? demanda la fillette, tandis qu’elles se couchaient. – Non », lui répondit Gerda. Et elle lui raconta tout ce qui lui était arrivé et combien elle aimait Kay. La petite fille l’écouta puis s’endormit peu après, mais Gerda resta éveillée tant son séjour chez les brigands l’effrayait. C’est alors qu’elle entendit les pigeons lui parler : « Crou, crou ! Nous l’avons vu, ton petit Kay ! Il était assis dans le traîneau de la Reine des neiges et ils ont survolé notre forêt ! – Que me dites-vous ? cria Gerda. Où est partie la Reine des neiges ? – Sans doute en Laponie, car c’est un pays de neige et de glace. Mais demande-le au renne ! – Oui, acquiesça le renne. La Reine des neiges demeure en Laponie l’été, mais son château se trouve au pôle Nord. – Ô Kay, mon petit Kay », soupira Gerda en pleurant de joie. Et le lendemain, elle raconta tout à la fille des brigands. Celle-ci avait bon cœur, malgré sa rudesse. Elle se tourna aussitôt vers le renne et lui ordonna de conduire Gerda en Laponie. « Et fais vite ! » lui dit-elle en lui faisant de gros yeux. Le renne s’élança donc et conduisit Gerda, par-delà les glaces et les vents, jusqu’au pôle Nord. Ils s’arrêtèrent dans la maison d’une Finnoise et le renne raconta son histoire et celle de Gerda. « Tu as beaucoup de pouvoirs, dit le renne en regardant la Finnoise. Ne peux-tu pas donner à la petite fille la force de douze hommes pour vaincre la Reine des neiges ?

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La Reine des neiges

– Le petit Kay a reçu un éclat de verre dans le cœur et un même éclat dans l’œil. Il faut qu’il en soit débarrassé pour redevenir un être humain et ne plus être sous le pouvoir de la Reine des neiges ! lui expliqua la Finnoise. – Mais ne peux-tu donc pas aider Gerda dans tout cela et lui donner de la force ? implora le renne. – Ne vois-tu pas combien cette enfant est déjà forte ? répliqua la Finnoise. Les hommes et les animaux la servent et elle a déjà parcouru le monde les pieds nus ! Son pouvoir vient de son cœur, car c’est une enfant pleine de bonté et d’innocence. Elle doit entrer elle-même dans le château de la Reine des neiges pour délivrer Kay ! Il en est ainsi. » Le lendemain, le renne déposa donc Gerda devant une porte où commençait le royaume de la Reine des neiges et la petite fille parcourut durant de longues heures des allées de glace en cheminant, seule, à travers les salles du

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château. Les murs étaient faits de neige tourbillonnante et les pièces, vides et étincelantes, étaient illuminées par d’étranges aurores boréales.


La Reine des neiges

Enfin Gerda pénétra dans la salle du trône où miroitait un lac gelé. La Reine des neiges venait de partir et Gerda aperçut Kay, bleui de froid. « Kay, mon cher Kay ! Je t’ai enfin retrouvé ! » s’écria Gerda en s’élançant vers son ami. Mais celui-ci resta froid et impassible tant il était encore sous l’emprise de la Reine des neiges, et il ne la reconnut pas. Face à tant de froideur, Gerda qui avait tout enduré pour son ami se mit subitement à pleurer contre lui et ses larmes chaudes touchèrent le cœur de Kay et réussirent, comme par miracle, à y faire fondre la glace. L’éclat du miroir se délogea de son cœur et, tandis qu’il regardait Gerda, celle-ci lui chanta doucement leur cantique : « Les roses poussent dans les vallées où avec l’Enfant Jésus nous pouvons parler ! » Comme éveillé d’un songe, Kay éclata lui-même en sanglots et son œil fut définitivement débarrassé de l’éclat du miroir. Gerda conduisit sans plus tarder Kay loin du royaume de la Reine des neiges et ils furent bientôt de retour dans leur ville. Ils s’apprêtaient à franchir, main dans la main, le seuil de leur maison quand ils s’aperçurent, soudain, qu’ils avaient bien grandi depuis qu’ils avaient quitté leur berceau de roses. Ils étaient devenus de grandes personnes. Leurs petites chaises d’enfant étaient encore là et ils s’assirent auprès de leur grand-mère pour l’écouter, comme avant, et se sourirent. Ils étaient devenus adultes, mais ils avaient triomphé du mal grâce à leur cœur d’enfant.

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Peau d’Âne I

l y a bien longtemps de cela vécut un roi puissant à qui tout sou-

riait. La bonne fortune semblait le protéger et il possédait par ailleurs un bien curieux trésor. Dans ses écuries dormait un âne qui laissait dans sa li-

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tière chaque matin quelques belles pièces d’or. Ainsi le roi était-il assuré de ne jamais manquer de rien. Pour comble de bonheur, le roi avait épousé une femme aux merveilleux cheveux d’or et à la beauté sans égale. Ses yeux bleus étaient pareils à des saphirs étincelants et son visage pur semblait refléter le ciel. Mais alors que leur fille unique était encore petite, la reine tomba un jour malade et fit prêter un bien curieux serment à son mari : « Promettez-moi, si je meurs, lui dit-elle, de n’épouser qu’une femme qui serait belle comme moi et qui aurait des cheveux d’or pareils aux miens ! » Le roi jura à sa femme qu’il en serait ainsi et la reine, comme si elle avait attendu ces seules paroles, ferma aussitôt les yeux et mourut. Le roi resta longtemps inconsolable, et ne songeait nullement à se remarier, mais ses conseillers, au bout d’un certain temps, le pressèrent ; il fallait une reine au royaume ! Le roi se laissa donc convaincre et des messagers furent envoyés aux quatre coins de ses terres pour trouver une femme belle comme le jour et à la chevelure d’or. Mais ce fut en vain et les messagers rentrèrent sans reine.


Peau d’âne

Les années passèrent, et nul ne songeait plus à marier le roi, quand celui-ci regarda un jour sa fille, qui avait grandi et approchait de ses dix-sept ans. Avec sa chevelure d’or et sa beauté sans égale, elle ressemblait trait pour trait à sa mère et le roi tomba aussitôt amoureux d’elle. « Je vais épouser ma fille, déclara-t-il à ses conseillers, car elle seule peut ressembler à la défunte reine ! Ainsi je ne la trahis pas. – Mais la chose est impossible ! s’écrièrent les conseillers . On n’épouse point ses enfants, et il ne pourrait venir que du malheur d’une telle alliance ! » Le roi était pourtant décidé et sa fille fut épouvantée quand elle apprit la décision de son père. Elle alla chercher conseil auprès de sa marraine, une fée qui connaissait déjà le projet insensé du roi. « Ma douce, je sais ce qui vous amène et dans quelle peine vous êtes, lui dit la bonne fée, et je puis vous aider si vous m’écoutez. Demandez à votre père, avant de l’épouser, une robe couleur du temps. Comme une telle robe est impossible à confectionner, vous ne serez plus inquiétée ! » La jeune fille alla faire part de ce caprice à son père, mais celui-ci fit venir les plus habiles couturiers du royaume et le lendemain la robe était prête, belle et irréelle comme le temps. « Qu’à cela ne tienne ! s’exclama la marraine en voyant la robe que lui avait présentée sa filleule. Vous demanderez à votre père une robe couleur de lune ! Jamais il ne vous la donnera ! » Mais il ne fallut pas plus d’une nuit aux couturiers du roi pour présenter à ses yeux une robe scintillante d’argent et qui miroitait comme les rayons de la lune. « Voyez ce joyau, soupira la jeune fille devant sa marraine. – Eh bien, demandez plus encore ! Exigez de votre père une robe couleur de soleil ! » Ainsi fut fait, et le lendemain, la fille du roi put admirer la robe la plus resplendissante qui soit et qui, tissée d’or et de diamants, brillait de mille feux.

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Peau d’âne

La marraine, ennuyée, réfléchit un moment, puis eut soudain une idée. « Vous allez demander à votre père la peau de son âne ! Celui-là même qui assure sa prospérité et le rend si riche ! Il ne pourra vous accorder un tel sacrifice ! Ainsi vous serez délivrée. » Mais c’était mal connaître le roi et la force de son amour, car il exécuta de bonne grâce le désir de sa fille et sacrifia son âne pour la contenter ! « Il ne reste que la fuite, soupira la fée devant sa protégée. Vous allez fuir, mon enfant, partir loin et déguisée dans une région où votre père ne pourra vous trouver. Voici une cassette : vous y rangerez vos robes, vos bijoux et votre miroir et elle vous suivra, partout où vous irez. Dès que vous voudrez la faire apparaître, vous n’aurez qu’à toucher la terre de cette baguette magique et la cassette s’ouvrira devant vous. Et maintenant, il faut vous rendre méconnaissable ! Cachez-vous dans cette peau d’âne. Ainsi, libre vous pourrez

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aller, car jamais personne n’osera penser qu’une princesse se cache sous cet affreux manteau ! Et couvrez votre visage de suie, ainsi vous serez enlaidie ! » La fille du roi s’enfuit ainsi et, tandis qu’on la cherchait dans tout le royaume, elle partit loin, bien loin, car partout où elle allait, elle était chassée. « Va-t’en, souillon ! » lui disait-on, tant sa peau d’âne la rendait laide. Une fermière qui cherchait une fille de ferme pour laver les torchons et gaver les cochons finit tout de même par l’accepter et Peau d’âne – car c’est ainsi qu’on l’appelait – resta là pour travailler. Elle ne pouvait se reposer que le dimanche. Quand elle avait refermé la porte du cabanon où elle dormait, puis soigneusement tourné la clef, elle s’asseyait devant son beau miroir et choisissait dans sa cassette, après avoir fait sa toilette, l’une de ses robes, couleur du temps, couleur de lune ou de soleil. Alors elle se contemplait pure et belle, et ce plaisir la contentait jusqu’au dimanche suivant. Vint à passer le fils d’un roi qui aimait souvent, après la chasse, venir boire et se reposer dans cette ferme. Comme il se promenait dans les allées, il s’enfonça dans un passage obscur et, s’étant arrêté devant un cabanon, il regarda



par hasard par le trou de la serrure ! C’était un jour de fête, et Peau d’âne, comme un dimanche, avait fait sa riche toilette. Elle était belle comme un soleil, ses beaux cheveux d’or détachés, et le fils du roi qui la regarda en fut bouleversé. Revenu dans son palais, il se mit à soupirer, perdit l’appétit, le sommeil, le goût de vivre et de chasser. Puis il voulut savoir quel était le nom de la beauté qu’il avait entraperçue dans l’allée la plus obscure de la ferme. « C’est Peau d’âne qui habite le plus noir cabanon, mais vous devez faire erreur, car c’est un modèle de laideur ! » Le prince pâlissait tant que sa mère la reine fut résolue à tout faire pour le contenter.


« Que désirez-vous, mon fils ? lui demanda-t-elle un jour. – Je voudrais manger un gâteau fait des mains de Peau d’âne. » On eut beau dire à la reine que Peau d’âne était une souillon, elle envoya un messager lui demander de confectionner un gâteau pour son fils. Peau d’âne s’enferma alors dans son cabanon et prépara, après avoir fait sa toilette, la plus exquise des galettes. Elle versa de la farine blanche et fine dans une terrine, puis y ajouta de l’eau, du sel, des œufs savoureux ; mais au moment de bien pétrir la pâte et de la faire cuire, elle y laissa tomber par mégarde sa bague d’or et d’émeraude. Ou peut-être était-ce voulu… Le prince, qui était affamé, mangea la galette d’un seul trait et manqua de s’étouffer. « Qu’est-ce donc ? » s’étrangla-t-il. Mais en découvrant l’anneau d’or et de pierreries, il fut ravi et le cacha sous son oreiller. Comme il soupirait toujours, les médecins déclarèrent qu’il souffrait de la maladie d’amour et que le mariage était un bon remède à son tourment. « Fort bien ! déclara le prince. Mais je me marierai avec celle qui pourra porter cet anneau. » Et il montra à sa cour l’admirable bague. Comme le prince était malade,


Peau d’âne

on céda à son caprice et toutes les jeunes filles en âge de se marier furent appelées pour tenter de passer la bague à leur doigt. Vinrent en premier les princesses, les marquises et les duchesses. Mais la bague était trop fine et aucune ne put la porter. On appela donc les comtesses, les baronnes et toutes les nobles personnes. En vain ! On appela enfin les servantes. Mais toujours rien. Un jour, il ne resta plus que Peau d’âne pour essayer encore l’anneau d’or. « Vous n’y pensez pas ! » s’exclamèrent les gens de la ferme. Mais comme le prince insistait, la jeune fille put enfin se présenter et… stupeur ! L’anneau d’or et d’émeraude brilla de mille feux à sa main. La cour resta muette de surprise et quand Peau d’âne reparut, peu après, pour être présentée au père du prince, revêtue de sa robe couleur du temps, tous s’agenouillèrent pour rendre grâce à sa beauté.

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Les noces de Peau d’âne et du prince furent aussitôt décidées et leur mariage fut célébré peu de temps après, en grand apparat et devant un parterre de princes et de rois. Le père de Peau d’âne, qui avait recouvré la raison et ne souhaitait que le bonheur de sa fille, fut invité aux noces ainsi que sa marraine la fée, et c’est heureux qu’ils fêtèrent, tous réunis, le bonheur retrouvé de Peau d’âne.


N° d’édition : 16259 Achevé d’imprimé en septembre 2016 Par Toppan Leefung, en Chine Dépôt légal : octobre 2016


Case: 128gsm gloss art paper + matt lam over 2.5m

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09/06/2016 15:06


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