9782215133346 attention enfant fragile

Page 1

Gwenaële Barussaud

Nurse certifiée Attentio n, enfant fragile !

F le ur u s


Illustration de couverture et cabochons : Pauline Duhamel Direction : Guillaume Arnaud Direction éditoriale : Sarah Malherbe Édition : Claire Renaud Direction artistique : Élisabeth Hebert Graphisme : Bleuenn Auffret Direction de fabrication : Thierry Dubus Fabrication : Axelle Hosten Composition et mise en pages : Text’Oh ! © Fleurus, 2017 Site : www.fleuruseditions.com ISBN : 978-2-2151-3334-6 Code MDS : 652 599 Tous droits réservés pour tous pays. « Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. »

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 4

03/01/17 15:54

pagetit


Gwenaële Barussaud Gwenaële Barussaud

Nurse certifiée Nurse certifiée s De si c harm ants bambin ins

D

Attenetisoi charmants bamfrbagile ! n, enfant

F le ur u s F le ur u s pagetitreroman_Dashwood.indd 3 1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 5

22/12/2016 11:27 03/01/17 15:54


Chapitre un

C ’était une merveilleuse journée d’automne. Le soleil

de septembre embrasait les feuillages roussis des pommiers qui longeaient la route. Un vol de mésanges striait le ciel. Daisy Dashwood, la célèbre nurse anglaise, avec sa robe verte, son chapeau bleu et sa chevelure flamboyante s’intégrait parfaitement dans ce paysage champêtre aux couleurs automnales. On aurait dit un morceau de tableau qui se serait détaché et avancerait seul sur la 7

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 7

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

route, d’un pas décidé. D’un pas décidé ? Hum, hum… Les lecteurs attentifs qui connaissent bien Daisy Dashwood pourront être étonnés de ce pas « décidé ». En effet, depuis son arrivée en France, la nurse anglaise avait connu bien des déconvenues, qui auraient dû sérieusement entamer son assurance. Tout d’abord, elle avait découvert que son excellente formation dans la prestigieuse Perfect Children’s Academy n’était pas si excellente que ça : quoiqu’elle ait suivi tous les cours nécessaires pour gérer les crises, désamorcer les caprices et remettre délicatement dans le droit chemin les enfants récalcitrants, elle avait eu le plus grand mal à appliquer ces solutions aux enfants Grandville. Ensuite, Miss Dashwood avait compris que le célèbre Guide de l’éducation parfaite à l’usage des nurses qui veulent se faire obéir et aimer des enfants tout en satisfaisant leurs parents n’était pas un manuel infaillible. Longtemps elle avait vu en ce livre un grimoire qui lui permettrait d’éduquer les enfants grâce à des formules magiques et des incantations mystérieuses. Or, il s’était révélé à l’usage totalement inefficace. 8

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 8

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

Enfin, ultime stupéfaction qui aurait dû bouleverser la nurse la plus aguerrie, elle avait découvert que Margaret Stenford, la très célèbre directrice de la Perfect Children’s Academy, la grande prêtresse de l’éducation des enfants rebelles, l’ultime recours des parents démunis, la conseillère pédagogique de la famille royale d’Angleterre ellemême, bref, l’incontestable et incontesté modèle des nurses débutantes avait été une enfant capricieuse, colérique, désobéissante, en un mot : insupportable ! Toutes ces révélations successives avaient de quoi déstabiliser notre nurse anglaise. Mais c’était sans compter sur le célèbre flegme britannique, qui consiste à considérer toute contrariété avec beaucoup de détachement et de calme. D’ailleurs, malgré toutes ces secousses, Daisy Dashwood avait de bonnes raisons de voir l’avenir avec confiance. D’une part, elle avait parfaitement réussi sa mission chez les Grandville : Godefroy et Charlotte, qui lui avaient donné bien du fil à retordre les premiers mois, avaient trouvé le chemin de la sagesse et de l’obéissance et, même s’ils faisaient de temps en temps quelques pas 9

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 9

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

de côté, ils progressaient chaque jour. Bien sûr, il leur arrivait encore de salir leurs costumes en grimpant aux arbres, de se tirer les cheveux sous l’emprise de quelque colère incontrôlable et de jeter le plateau d’une partie de dames par la fenêtre en criant : « Tricheuse ! Tricheur toimême ! » Mais Godefroy était moins arrogant et mademoiselle Charlotte avait cessé les caprices en pleine rue pour une babiole aperçue dans une vitrine. D’ailleurs, ces progrès fulgurants n’avaient pas échappé au voisinage des Grandville, et c’est ainsi que Miss Dashwood avait été sollicitée par la duchesse de Rochebelle elle-même pour s’occuper de sa nièce Marie-Printemps. Voilà pourquoi, en cette matinée de septembre, Daisy avançait d’un pas décidé vers le manoir de Rochebelle. Après une heure de marche, elle arriva devant l’immense grille du château. Pourtant, Daisy préféra attendre un peu avant de tirer la cloche pour demander au gardien de lui ouvrir. Il était midi, elle avait faim, et la cuisinière des Grandville, l’excellente Honorine Bontant, lui avait préparé un délicieux casse-croûte. Elle s’assit sur une 10

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 10

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

souche qui se trouvait devant la grille et ouvrit son panier. À peine eut-elle soulevé le rabat d’osier qu’un fumet vint chatouiller ses narines. – Hum… soupira Miss Dashwood, un sandwich au camembert ! Puis, explorant le fond du panier, elle sortit deux terrines – l’une de sanglier, l’autre de lapin –, une miche de pain blond, une motte de beurre jaune, une tarte aux pommes à la crème et une bouteille de cidre. – Miam, miam ! fit la gouvernante en anglais (mais la prononciation est la même qu’en français). Je vais me régaler ! Chère, chère madame Bontant ! Et, à la vue de cette collation champêtre, son cœur déborda de reconnaissance pour la cuisinière qui l’avait initiée à la gastronomie normande (même si cela avait eu quelques répercussions fâcheuses sur son tour de taille). On s’étonnera sans doute de voir une nurse typiquement anglaise s’éprendre de ces gourmandises so frenchy ! Dans l’opinion commune, la nurse anglaise parfaite se doit de carburer au thé et au pudding. Mais on avouera que 11

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 11

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

c’était là une qualité de Miss Dashwood de savoir s’ouvrir et s’adapter aux mœurs locales. Aussi, après six mois passés dans le bocage normand, notre nurse avait-elle troqué la gelée aux groseilles contre la crème fraîche onctueuse, le rosbif à la marmelade contre le chevreuil aux cèpes et le bacon frit contre le pâté de sanglier. Quoiqu’elle n’ait pas encore pu s’habituer à l’odeur du livarot, elle progressait lentement sur la route de l’appréciation des fromages et avait déjà adopté le camembert et le pont-l’évêque (ce qui est un exploit pour un palais britannique). Cette légère collation n’était pas encore terminée lorsque Daisy entendit soudain des aboiements. Elle se leva d’un bond. – Tais-toi Odin ! cria une voix au loin. Mais Odin n’avait vraisemblablement pas l’intention de se taire. Il jappait derrière la grille, en fixant Miss Dashwood de ses prunelles sombres.

12

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 12

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

– Ce n’est pas un chien… murmura Miss Dashwood, c’est une vache qui aboie ! Et elle n’avait pas tout à fait tort. Par sa taille, Odin était plus proche du bovin que de l’espèce canine. Cependant, la nurse anglaise gardait sa contenance, soucieuse de donner au gardien du domaine une bonne première impression. Mais où était-il donc ? Enfin, elle le vit. C’était un homme de haute taille, aux épaules très larges, à la barbe blonde broussailleuse, à la tête énorme. Sa face rougie était percée de deux yeux clairs comme des lacs écossais. Miss Dashwood eut un mouvement de recul, on eût dit quelque Viking descendu de son drakkar, un de ces hommes qui – elle en était certaine, elle l’avait lu dans une encyclopédie – boivent dans le crâne de leurs ennemis. Miss Dashwood en déduisit qu’il valait mieux s’en faire un allié. Elle arbora son plus beau sourire et lança gaiement : – Bonjour, je suis Miss Daisy Dashwood, la gouvernante de monsieur Godefroy et mademoiselle Charlotte de Grandville ! 13

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 13

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

L’homme la dévisagea d’un air sceptique en lissant sa barbe. À ses côtés, le chien continuait à rugir. Cependant, il semblait avoir rétréci depuis le premier moment où elle l’avait vu. À côté de son maître, dont il ne dépassait pas la hauteur des genoux, on eût dit qu’il était presque de taille normale. – Paix Odin ! aboya le Viking. – C’est cela, répondit Miss Dashwood en opinant du chef, je viens en paix moi aussi (ce n’était sûrement pas ce qu’il fallait dire mais elle avait lu – toujours dans la même encyclopédie – qu’il convient d’annoncer ses intentions pacifiques de prime abord lorsque l’on rencontre des peuplades indigènes). J’ai été mandée par le duc et la duchesse de Rochebelle pour m’occuper de leur nièce Marie-Printemps. Là, Daisy observa la réaction du géant. Le prénom d’un enfant, prononcé devant un employé de la famille, suscite chez ce dernier une réaction qui vous en apprend beaucoup sur l’enfant en question (Daisy avait déjà ­expérimenté la chose sur le jardinier des Grandville). Or 14

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 14

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

Daisy ne savait rien de la jeune Marie-Printemps. Comment était cette enfant ? Quel était son caractère, sa personnalité, ses goûts ? Pourquoi donc avait-elle besoin d’une nurse ? Mystère ! La duchesse de Rochebelle avait simplement déclaré que l’intervention de la nurse anglaise était impérieuse, nécessaire. Très vite cependant, Daisy comprit qu’elle n’apprendrait rien du gardien sur l’objet de sa mission. Le Viking demeurait de marbre. Pas un froncement de sourcils, pas un sourire attendri, pas une grimace à la commissure des lèvres, pas d’épaule qui se hausse ou de poing qui se serre à la simple évocation de cette « Marie-Printemps ». – Marie-Printemps, répéta-t-elle de sa petite voix fluette, vous savez ? Mais sans répondre, le gardien tourna la lourde clef dans la serrure de la grille et ouvrit celle-ci en disant : – C’est bon, vous pouvez entrer… Lorsque Daisy pénétra dans le parc, le chien se remit à aboyer et à sauter comme un fou. À le voir agiter son 15

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 15

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

museau au niveau de sa taille, Daisy était formelle : non, non, il n’avait pas rapetissé. – Paix Odin, paix ! répéta le Viking de sa voix gutturale. – Votre chien est de belle taille, déclara Daisy pour être aimable. Il est bien… énergique aussi, ajouta-t-elle en essayant de se dégager des pattes que la bête avait posées sur sa robe. – C’est qu’il aime le sanglier ! répondit le Viking. – Je vous demande pardon ? demanda Miss Dashwood, un peu vexée d’être confondue avec un mammifère forestier omnivore. – Le sanglier, reprit le concierge. Il en est fou. S’il s’agite comme ça, c’est qu’il a repéré une odeur de sanglier. Une odeur de sanglier ? Aussitôt, Miss Dashwood rougit en songeant à la terrine de sanglier de madame Bontant et porta la main à sa bouche. Était-ce de là que venait l’odeur ? Ciel ! Quelle mauvaise première impression elle allait donner ! Une nurse anglaise n’est pas censée exhaler des relents de sanglier à chaque fois qu’elle ouvre la bouche ! Mais comme le chien continuait à 16

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 16

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

renifler sa robe avec beaucoup d’entrain, le Viking secoua la tête. – Porteriez pas des jupons en peau de sanglier par hasard ? demanda-t-il. Cette fois, Miss Dashwood devint écarlate. « Oh ­shocking  ! » murmura-t-elle pour elle-même. Décidément ce concierge était un rustre. – Non monsieur, c’est de la soie ! répondit-elle piquée dans son amour propre. Je ne suis tout de même pas une femme préhistorique pour me vêtir de peaux de bêtes. – Bah, c’que j’en dis c’est pour vous ! Il vous lâchera pas tant qu’il sentira c’t’odeur. C’est comme ça les bêtes, ça fonctionne au flair vous savez ! expliqua le concierge en haussant les épaules. Allons Odin, couché ! À ces mots, le molosse s’étala d’un coup aux pieds du gardien, qui le félicita d’une tape sur l’échine. Daisy, elle, ne disait plus rien. Bien sûr elle ne portait pas de robe en peau de sanglier, pas plus que de jupons ou de sous­ vêtements. Mais elle venait de réaliser que, chez les Grandville, elle avait partagé sa chambre avec un 17

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 17

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

marcassin nouveau-né recueilli par monsieur Godefroy. Sans doute l’animal – qu’elle avait nourri au biberon, bercé, promené – avait-il laissé sur ses toilettes une odeur tenace que même les lessives n’avaient point dissipée… D’où l’intérêt immédiat du chien. Daisy Dashwood soupira. Sa mission commençait mal. Mais elle refusait de se laisser abattre. Elle était venue pour s’occuper de Marie-Printemps, pas pour flatter l’odorat d’un chien. Cependant, tandis qu’ils s’avançaient sur l’allée qui menait au château, ils croisèrent plusieurs hommes élégamment vêtus, portant monocle, redingote et chapeau haut de forme. Chaque fois le concierge-viking se découvrait en disant : – Au revoir docteur ! À demain docteur ! Qu’est-ce que tous ces docteurs venaient donc faire là ? Miss Dashwood était bien intriguée. Est-ce que la duchesse de Rochebelle était souffrante ? Ou monsieur le duc ? Elle n’avait aperçu qu’une fois ce couple très respecté dans la région normande, au cours d’une récep18

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 18

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

tion au château de Grandville. La duchesse de Rochebelle, femme très élégante, lui avait semblé empreinte de bon sens et de douceur. Quant au duc de Rochebelle, il était très célèbre. Sa fonction de député lui attirait un succès considérable et l’on traitait avec un respect parfois un peu excessif cet homme qui avait, disait-on, l’oreille de l’empereur. – Est-ce que madame la duchesse est souffrante ? demanda Daisy en hâtant le pas (pour un pas du Viking, elle devait en accomplir trois si elle ne voulait point se laisser distancer) – Madame ? Non ma foi ! Elle se porte comme un charme ! – Serait-ce monsieur le duc alors ? Le Viking secoua la tête : – Monsieur pas plus que Madame, répondit-il fermement. Alors Daisy se concentra sur ses pas sans plus oser poser de question. Après tout, elle saurait bien vite ce qu’il en était, dès qu’elle aurait rencontré la cuisinière des lieux. 19

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 19

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

L’expérience, en effet, avait prouvé la véracité d’un précepte énoncé dans le Guide de l’éducation parfaite à l’usage des nurses qui veulent se faire obéir et aimer des enfants tout en satisfaisant leurs parents : pour en savoir plus sur les maîtres, rien ne vaut un dialogue constructif avec les domestiques (et en particulier la cuisinière, jamais avare de révélations sur ceux qu’elle nourrit). Daisy se promit de rencontrer au plus tôt celle du château de Rochebelle afin de tirer au clair l’énigme de ce défilé de docteurs. Enfin, on arriva sur le perron. La porte était grande ouverte. Daisy, qui aurait aimé se débarrasser au plus vite des reniflements désobligeants du chien amateur de sanglier, congédia d’un petit geste le Viking : – Eh bien je vous remercie, je vais me débrouiller à présent. – Z’êtes sûre ? demanda le concierge. – Tout à fait sûre, répondit Daisy. Madame doit m’attendre au salon, je suppose. 20

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 20

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

– P’têt ben qu’oui, p’têt ben que non. – Comment cela ? demanda Daisy, circonspecte. – Elle peut être au grand salon, comme au petit salon. – Dans ce cas, j’irai visiter les deux pièces… – Ou dans son boudoir. Ou dans la bibliothèque… À moins qu’elle soit dans le salon d’hiver, suggéra le Viking. – Merci pour cette extrême précision, répondit Daisy. – Y’a pas de quoi, répondit-il. Je peux attendre Madame avec vous si vous le souhaitez… Daisy secoua la tête. Elle n’avait aucune envie de se présenter à la duchesse de Rochebelle encadrée par le concierge et son molosse renifleur, cela serait du plus mauvais effet. – Oh c’est très aimable à vous mais parfaitement inutile, assura-t-elle. D’ailleurs voici une servante qui va me conduire à la duchesse, n’est-ce pas mademoiselle ? demanda-t-elle en avisant une jeune domestique qui portait un verre d’eau sur un luxueux plateau d’argent. Le concierge haussa les épaules.

21

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 21

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

– Bah ! Comme vous voudrez ! s’exclama-t-il. Allez viens Odin, nous avons à faire. Mais comme le chien ne semblait pas vouloir s’éloigner de Miss Dashwood et gardait obstinément son museau en éveil orienté vers ses jupes, le Viking l’attrapa par le collier et l’entraîna à sa suite en promettant : – Ne t’inquiète pas mon chien, on trouvera un autre sanglier… Daisy avait très envie de répliquer qu’elle n’était pas un sanglier et que, si l’odorat du chien était défaillant, la vue de son maître n’était guère meilleure. Mais elle jugea qu’il valait mieux chasser ces pensées de son esprit et se concentrer sur la mission qui l’attendait. Après tout, elle était là pour Marie-Printemps. Elle se répétait ce prénom avec obstination. Il fleurait bon le lilas et le jasmin, la rosée sur la nature renaissante, les rayons de soleil sur la campagne et les pommiers en fleur. C’était le prénom d’une enfant charmante qu’elle imaginait les joues roses, une couronne de marguerites sur la tête, un arrosoir à la main. En tout cas, certainement pas le prénom d’une 22

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 22

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

petite fille qui viendrait renifler vos jupes. C’était déjà ça ! Alors, ragaillardie par cette pensée, Daisy regarda le gardien et son chien s’éloigner et, de satisfaction, elle esquissa un bond que l’on ne pouvait pas sérieusement appeler « entrechat » mais qui était gracieux tout de même.

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 23

03/01/17 15:54


Chapitre deux

J e viens voir madame la duchesse, expliqua Daisy

à la domestique tandis qu’elles empruntaient un long corridor. – Certainement mademoiselle, répondit la domestique en reniflant. Qui dois-je annoncer ? – Je suis Miss Dashwood, de la Perfect Children’s Academy. Je suis envoyée par le comte et la comtesse de

24

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 24

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

Grandville pour m’occuper de mademoiselle Marie­ Printemps. – Ah ! soupira la bonne. La pauvre petite demoiselle ! La domestique tira de sa poche un mouchoir et se moucha bruyamment. Elle avait les yeux rouges et un air affligé. Cette entrée en matière acheva de déconcerter Daisy Dashwood. Elle craignit soudain qu’un malheur fût arrivé à la jeune Marie-Printemps. – Je vais prévenir Madame, asseyez-vous donc dans le jardin d’hiver, conseilla la domestique. Daisy ne demandait pas mieux. Le jardin d’hiver était une superbe pièce ouverte sur le parc, coiffée d’un dôme de verre. Une vigne y poussait, qui offrait aux yeux des invités de superbes grappes gorgées de soleil. Quelques palmiers s’y abritaient des rigueurs de l’hiver normand. Une volière, occupée d’oiseaux exotiques aux plumages colorés, animait le lieu. Soudain, la duchesse entra :

25

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 25

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

– Ah ma chère ! Ma chère Miss Dashwood ! Quelle joie de vous voir… et quel soulagement ! Mon Dieu, quel SOU-LA-GE-MENT ! répéta-t-elle en détachant chaque syllabe. C’est bien simple, je ne sais plus quoi faire de cette enfant ! Je parle de ma nièce naturellement. Mais asseyez-vous, nous allons prendre un thé… Thérèse ? Thérèse ? cria-t-elle en agitant une petite clochette. Mon Dieu que cette servante est longue ! Vous prenez du thé naturellement Miss Dashwood ? Mais oui, vous autres les Anglais êtes tellement raffinés ! Thérèse, demanda la duchesse en voyant s’approcher la bonne aux yeux rouges, apportez donc le thé. Et du cake. Miss Dashwood, vous prendrez bien une tranche de cake ? Mais oui, où ai-je donc la tête ? C’est tellement meilleur que nos tartes normandes si lourdes, si bourratives, avec toute cette crème fraîche hein ? Moi j’aime le cake ! – Euh… moi j’aime bien les tartes normandes aussi… suggéra Miss Dashwood qui n’osait avouer qu’en termes de cuisine elle se sentait plus normande qu’anglaise

26

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 26

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

depuis qu’elle avait été initiée par madame Bontant aux spécialités locales. De toute façon, sa réponse se perdit dans le brouhaha du salon d’hiver, où les perruches en cage semblaient vouloir concurrencer la duchesse par leur babil incessant (à moins que ce ne fût l’inverse). Tandis que la domestique servait le thé, la duchesse de Rochebelle reprit : – Ma chère Miss Dashwood, vous ne pouvez pas savoir comme je suis soulagée que vous soyez arrivée, oui SOU-LA-GÉE, répéta-t-elle en appuyant sur ce mot. Lorsque je vous ai vue – à la fameuse réception donnée par les Grandville, vous vous souvenez ? –, lorsque je vous ai vue donc, vous et les enfants – Godefroy et Charlotte, ils sont charmants n’est-ce pas mais pour tout vous dire Miss Dashwood, je les ai longtemps trouvés insuppor­tables –, je me suis dit : « Voilà la gouvernante qu’il nous faut pour la petite Marie-Printemps… Si elle est venue à bout de ces garnements, rien ne pourra lui résister », ajouta-t-elle les yeux brillants. Je l’ai immédiatement dit au duc : « Il faut que cette nurse anglaise 27

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 27

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

vienne chez nous, elle serait parfaite pour Marie­ Printemps », n’est-ce pas Georges très cher que je vous ai dit cette phrase, exactement ? Miss Dashwood sursauta. Georges très cher ? Le duc était donc là ? Mais où ? Soudain elle vit un long visage portant monocle s’extraire de derrière une drôle de plante à piquants et elle reconnut le duc de Rochebelle : – Exactement ma chère, c’est la phrase que vous avez prononcée, déclara le duc d’un ton sentencieux. – N’est-ce pas ? Oh j’ai le flair pour ce genre de choses, je devine tout de suite ! s’exclama la duchesse de Rochebelle tandis que son mari disparaissait à nouveau derrière les plantes exotiques. Comme Daisy Dashwood restait médusée par cette apparition, la duchesse de Rochebelle se mit à rire de sa surprise : – Vous êtes surprise de voir le duc jouer au jardinier ? Oh c’est sa folie à lui ! N’est-ce pas, nous avons tous de ces toquades, qui pour les animaux, qui pour les plantes, qui pour les arts… Le duc, lui, se passionne pour les 28

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 28

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

plantes exotiques, il collectionne les cactus et les succulentes, qu’il fait venir du monde entier… Une folie, comme cet Echinacactus grunonzil, rapporté d’Uruguay le mois dernier, dit la duchesse en désignant une sorte de grosse boule d’épines placée comme un trophée sur une prétentieuse colonne de marbre. – Echinocactus grusonil ! rectifia la voix du duc au fond de la serre. Echinocactus grusonil, Chantal ! Soyez précise, que diable ! La duchesse de Rochebelle leva les yeux au ciel. – Les plantes détestent qu’on écorche leur nom… poursuivit la voix du duc de derrière les cactus. N’est-ce pas mes chères que vous aimez qu’on vous nomme avec précision ? Oui, avec pré-ci-sion. Miss Dashwood opina du chef d’un air dubitatif. Elle s’était habituée aux excentricités de son ancien maître, herpétologue – ainsi qu’on appelle les collectionneurs de serpents – mais ne se serait pas doutée que le célèbre député Rochebelle, homme éminemment respecté de toute la Normandie, se cachât au fond d’une verrière 29

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 29

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

pour prodiguer des paroles d’amour à des cactus. Elle commençait à se demander si tous les Français recelaient ainsi de drôles de passions, lorsque la duchesse déclara : – Et puis c’est tellement chic d’avoir une nurse anglaise chez soi ! C’est la dernière mode à Paris vous savez ? Daisy hocha la tête. Elle savait que la duchesse disait vrai. Depuis que l’empereur avait engagé, sur les conseils de son amie la reine Victoria, une certaine Miss Shaw pour éduquer son fils, tout le monde voulait une nurse anglaise chez soi. Pas une Écossaise, pas une Irlandaise, non : une Anglaise, une vraie ! Avec un accent, des principes, des idées, et surtout le fameux flegme britannique. Si en plus elle avait un teint diaphane made in England et des taches de rousseur, c’était encore mieux… Or Miss Dashwood correspondait parfaitement à ces critères : née dans le Devonshire, formée à la Perfect Children’s Academy, disciple de la célébrissime Margaret Stenford, Miss Dashwood réunissait toutes les qualités de la nurse anglaise. Elle était calme et posée, sévère mais juste,

30

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 30

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

inventive et futée, elle avait les cheveux roux et la taille fine, elle buvait son thé à 5 heures, le petit doigt en l’air… – Et maintenant, allons voir ma nièce ! lança la duchesse en se levant énergiquement. C’est pour cela que je vous ai fait venir, n’est-ce pas ? – Certainement madame… dit Miss Dashwood. Quelques mois auparavant, nul doute que Miss Dashwood aurait cherché à en savoir plus sur celle qui allait devenir sa protégée. Elle aurait interrogé la duchesse, lui aurait demandé mille détails sur la naissance de l’enfant, ses premiers mois, sa première dent, ses premiers pas, son caractère, ses habitudes, ses défauts, ses qualités, ses aspirations, etc. Elle aurait ensuite consigné dans son carnet, ainsi que le préconisait Mrs Stenford, tous ces renseignements précieux, les aurait appris par cœur, aurait établi le portrait « type » de l’enfant, se serait reportée dans le guide à la page correspondant à ce dit portrait (le capricieux/la coquette/la colérique/le pleurnichard…), en aurait déduit la ligne de conduite à tenir (comment agir avec un capricieux/une coquette, etc.). 31

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 31

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

Mais voilà, c’était AVANT. Avant que Miss Dashwood découvre qu’un enfant n’était pas une succession de renseignements mais un être vivant en permanente évolution. Avant qu’elle se rende compte qu’un enfant ne tenait JAMAIS dans les cases du guide de Mrs Stenford. Avant qu’elle comprenne que rien ne valait une observation « sur le terrain » pour évaluer le degré de difficulté auquel elle serait confrontée. Sa première mission, auprès des enfants Grandville, n’avait pas été inutile : elle avait prouvé que rien ne valait l’expérience et que toute théorie, même celle élaborée par la grande Mrs Stenford, directrice de la Perfect Children’s Academy, s’effondrait face à la toujours surprenante réalité de la vie avec des enfants. Cette révélation, pensait Daisy, allait lui épargner bien des déconvenues. Cependant qu’elle guidait Daisy à travers les innombrables corridors du château, la duchesse de Rochebelle poursuivait son intarissable discours. On en venait maintenant à l’arbre généalogique de la famille Rochebelle. La duchesse évoquait les prestigieux ascendants de la petite 32

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 32

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

Marie-Printemps en insistant sur les glorieuses alliances qui avaient présidé à sa destinée. – Ma jeune sœur, qui est née Béatrice de Sombrebois, a épousé le vicomte Ballencourt du Tilleul, qui est luimême apparenté aux Taillefranc de Brancouville, vous voyez ? Miss Dashwood ne voyait pas du tout mais hocha la tête. – De cette glorieuse alliance est née il y a dix ans ma nièce, Marie-Printemps. Hélas, la pauvre enfant a une santé fragile, comme vous pourrez en juger vous-même. Elle est très languissante, ne se distrait de rien et passe ses journées le nez dans un livre que lui a offert sa mère. Ma sœur la vicomtesse Ballencourt du Tilleul – vous ai-je dit qu’elle était apparentée par alliance aux Taillefranc de Branconville ? – se désespère de la voir si pâle, si triste… Sur les conseils de son médecin, elle a décidé de l’envoyer à la campagne en pensant que l’air pur de notre Normandie lui serait bénéfique. Mais j’en doute… Depuis qu’elle est ici, Marie-Printemps n’a guère quitté 33

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 33

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

la chambre. Elle se complaît dans cet état languissant, ne trouve goût à rien, mange comme un moineau… Oh comprenez-moi bien, je n’ai pas eu d’enfants moi-même, je serais donc bien en peine de dire ce qu’il en est. Mais enfin tout de même, dans mon souvenir, les enfants ça bouge, ça court, ça joue, non ? En tout cas, à la génération précédente, c’est ce que nous faisions… À moins que les enfants de cette époque soient d’une autre nature ? Il y a eu tant de changements, tant de révolutions depuis le début du siècle que ça ne m’étonnerait guère ! Miss Dashwood n’eut pas le temps de répondre. Mais elle songeait que la duchesse n’avait pas tort. Depuis quelques années, l’éducation des enfants avait été totalement ré-vo-lu-tion-née. Comment ? Pourquoi ? C’est ce que nous verrons à la fin de ce chapitre dans une petite histoire de l’éducation des enfants (que l’on n’est pas obligé de lire pour comprendre l’histoire de Miss Dashwood mais qui pourra s’avérer très instructive et même, assez amusante).

34

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 34

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

– Ou peut-être est-ce le propre des petits Parisiens ? continua la duchesse de Rochebelle. Ce n’est pas une vie de passer son enfance au lit avec un livre, qu’en ditesvous Miss Dashwood, hein ? (À chacune de ces questions, Miss Dashwood avait ouvert la bouche pour répondre mais n’avait pas eu le temps d’émettre le moindre son.) Hélas, afin de rassurer ma sœur, reprit la duchesse de Rochebelle, j’ai eu le malheur de lui écrire que sa fille recouvrait la santé. Bien mal m’en a pris, Béatrice m’a immédiatement répondu que, dans ce cas, elle ne voulait pas altérer les progrès accomplis en rappelant sa fille à Paris ! Nous prolongeons donc son séjour ici de trois mois ! C’est pourquoi j’ai décidé de prendre le taureau par les cornes… Miss Dashwood eut un mouvement de recul. Le taureau par les cornes ? Elle se représenta fugitivement la scène en imaginant la duchesse de Rochebelle chevauchant un bovidé, les mains agrippées à ses cornes. En quoi une course de taureau pouvait-elle bien aider

35

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 35

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

Marie-Printemps ? Décidément, la langue française avait encore ses mystères pour la jeune nurse anglaise. – Je suis sûre que vous êtes la personne idéale, Miss Dashwood, la fée venue en notre verte Normandie pour rendre le sourire à notre petite Marie-Printemps ! Vous êtes si gaie, si pleine de cette joie de vivre qu’il manque à ma nièce, je suis certaine que vous allez faire des miracles ! Des miracles ? Une fée ? Daisy Dashwood toussa un peu. Elle commençait à craindre que cette mission soit décidément très difficile et, tandis qu’elle évoluait sous les voûtes de pierre, elle sentait sa confiance faiblir. « Allons, allons, se sermonna-t-elle, il n’est de situations qu’une nurse de la Perfect Children’s Academy ne peut affronter » (c’était une des nombreuses maximes inscrites au fronton de l’école des nurses anglaises avec « Dieu sauve les nurses anglaises » et « Un enfant terrible est un enfant qui a terriblement besoin d’une nurse anglaise »). Aussi, elle s’enhardit un peu et osa interrompre la duchesse de Rochebelle : 36

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 36

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

– Madame ? Madame ? Mais l’autre continuait à parler sans se rendre compte de rien, elle énumérait à présent les maladies infantiles dont avait souffert Marie-Printemps. Daisy cria : – MADAME ? La duchesse sursauta : – Oui, Miss Dashwood ? Le silence soudain envahit le couloir du château. – Je me demandais… commença Daisy, un peu surprise soudain d’avoir eu le pouvoir de faire taire l’intarissable duchesse. Sait-on exactement de quoi souffre cette enfant ? Je veux dire… un médecin a-t-il établi un diagnostic ? –  Excellente question Miss Dashwood  ! EX-CELLENTE QUES-TION ! Je vois que votre formation vous invite à vous renseigner auprès des spécialistes avant de vous faire votre propre idée… Très bien, ça, très très bien… Le médecin de ma sœur, le célèbre docteur Larivoisier, a affirmé qu’il s’agissait là d’un cas typique de chlorose… Chlorosius simplus ou quelque chose comme ça… 37

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 37

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

– La chlorose ? Qu’est-ce donc ? demanda Daisy ­intriguée. – C’est une maladie à la mode à Paris. Elle se caractérise par un teint très pâle, une langueur, un ennui général pour tout… – Vraiment ? Je n’ai jamais entendu parler de cette chlorose… remarqua Daisy (elle-même était pourtant très pâle d’origine mais l’air normand – et peut-être aussi l’excellente cuisine de madame Bontant – lui avait donné de belles couleurs). – Beaucoup de femmes en sont atteintes à Paris, expliqua la duchesse de Rochebelle. Dieu merci, il semble que l’air de nos campagnes nous en préserve ! C’est pourquoi ma sœur avait pensé en l’envoyant chez moi que peut-être la petite recouvrerait la santé… Hélas, il n’en est rien. Je la trouve toujours très pâle, vous en jugerez vous-même. – Avez-vous consulté des médecins des environs ? demanda Miss Dashwood, qui menait son interrogatoire comme un commissaire de police. 38

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 38

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

– Eh bien, pour tout vous dire, j’ai fait venir plus de dix médecins depuis que ma nièce est installée à Rochebelle. Ils n’ont rien trouvé. Il faut dire que les médecins de notre région ne sont guère habitués aux maladies des villes ! Ils soignent le croup, la variole, la rage, la coqueluche, les piqûres, les brûlures, les coupures, mais ne connaissent rien à ces états de langueur qu’on contracte à Paris. Certains ont préconisé le repos, d’autres l’obscurité, un autre encore de l’eau sucrée à boire toutes les deux heures… quant à l’espoir d’une guérison, ils sont restés très vagues… – Hum, hum… fit Miss Dashwood d’un air pensif en caressant une barbe imaginaire. C’était donc ça le défilé des docteurs qu’elle avait croisés en arrivant à Rochebelle ! Elle n’était pas médecin. Elle n’était pas infirmière. Mais on dispensait à la Perfect Children’s Academy la formation nécessaire pour favoriser la santé des enfants, prévenir et soigner les infections les plus courantes. Jamais elle n’avait entendu parler de cette « chlorose ». Elle songea qu’elle jugerait la situation

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 39

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

directement sur place. D’ailleurs, ça tombait bien, on arrivait devant la porte de la chambre de Marie-Printemps. PETITE HISTOIRE DE L’ÉDUCATION DES ENFANTS AU SIÈCLE DE DAISY DASHWOOD Autrefois, l’éducation d’un enfant était une chose simple. D’abord il naissait : c’était une sorte de gros haricot remuant emmailloté dans des langes (pour qu’il cesse de remuer, justement). On l’envoyait chez une nourrice où il grandissait parmi les vaches et les moutons. Quand il avait expérimenté toutes les bêtises que l’on pouvait faire à la campagne, on le ramenait à la ville. Il avait alors 14 ou 15 ans, on lui donnait des cours de latin, d’histoire, de piano, on lui faisait tailler des costumes sur le modèle de ceux de son père (ou des robes comme celles de sa mère). On lui trouvait un travail (ou pas), une épouse (un époux) et hop ! il 40

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 40

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

était un adulte ! Il avait lui-même des enfants et tout recommençait. Et puis un jour, quelqu’un de très perspicace (mais qui préféra rester anonyme) découvrit que l’enfant n’était ni un gros haricot, ni un agneau, ni un porcelet, mais un être humain juste un peu plus petit que les autres, un mini-homme doté d’intelligence et de volonté, avec ses besoins, ses envies, ses joies et ses peines. Surprise ! Étonnement ! Ébahissement ! Où cette découverte n’allait-elle pas entraîner l’humanité ? Voilà que l’on se mit à lui tailler des costumes sur mesure, à lui fabriquer des jouets, à écrire pour lui des livres, à le distraire, à l’instruire. Fi des nourrices de campagne ! Puisque l’enfant était un être humain, il allait désormais grandir sous le même toit que ses parents. Oui madame ! On allait le protéger, ce bambin, on allait le chérir, l’élever, former sa personnalité, bref : l’é-du-quer. Mais très vite, on s’aperçut des difficultés de cette entreprise. L’enfant était peut-être un être humain 41

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 41

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

doté d’une intelligence et d’une sensibilité propres, mais il avait aussi reçu à la naissance une voix pour crier (et qui fonctionnait même la nuit), des poings pour taper, des jambes pour s’enfuir à l’autre bout de l’appartement à l’heure de prendre le bain ou pour se percher au sommet des arbres à l’heure de quitter le parc. Malheur ! Les parents, pleins de bonne volonté, n’avaient point envisagé tant de difficultés ! Ils étaient considérablement ébranlés par ces créatures étranges pas plus hautes que leurs genoux et qui criaient, couraient, bondissaient sur les banquettes Louis XV, pouvaient passer du rire aux larmes (et inversement), tapaient du pied et la minute suivante se lovaient dans vos bras, dormaient le jour et vous réveillaient la nuit. Il faut reconnaître que rien ne les avait préparés à une telle révolution. Certains pères de famille, des militaires qui commandaient des régiments entiers d’hommes en uniforme, pourtant rompus à l’autorité, déclarèrent forfait. On murmure même que, 42

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 42

03/01/17 15:54


Miss Dashwood, nurse certifiée

dans le silence nocturne de leur chambre, des parents, à bout, se mettaient à maudire celui qui avait le premier décrété que l’enfant était une personne… Les parents commençaient à désespérer lorsque, soudain, sur la scène de leurs déboires, surgit une créature, tout droit tombée du ciel, un être providentiel, qui allait enfin apporter la paix dans leur foyer, c’était… la nurse anglaise ! Avec sa douceur et sa fermeté, son humour et sa persévérance, avec son célèbre flegme, la nurse anglaise allait ramener l’ordre et la paix dans les foyers français. Les parents, soulagés, lui vouèrent une reconnaissance éternelle. Plusieurs devinrent si célèbres qu’elles furent décorées par l’empereur. Il paraît même qu’on en fit des héroïnes de roman ! Mais c’est une autre histoire…

1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 43

03/01/17 15:54


1611_133_Miss-Dashwood_T2.indd 239

03/01/17 15:54


Gwenaële Barussaud

Nurse certifiée Daisy Dashwood, nurse anglaise formée à la très réputée Perfect Children’s Academy, croyait avoir tout vu avec Godefroy et Charlotte de Grandville. Mais lorsqu’elle est appelée auprès de la jeune Marie-Printemps, la voilà confrontée à une situation inédite : l’enfant vit recluse dans sa chambre et se croit constamment malade. Adieu jeux de plein air, jardinage et autres excursions champêtres ! Désormais, pour Daisy Dashwood, ce sera bouillon, cataplasmes et chasse aux microbes ! Heureusement, l’espiègle Léon vient mettre un peu d’animation au château. Mais d’animation à révolution, il n’y a qu’un pas... Et si c’était ça le remède miracle pour Marie-Printemps ? Dans la même collection 14,90 € France TTC www.fleuruseditions.com


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.