DÉBUTANT CONFIRMÉ EXPERT
AQUARELLE de l’eau à l’œuvre
SOMMAIRE Avant-propos 6
Genèse d’une aquarelle
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Le choix du sujet 10 Dessiner, pour mieux cerner son environnement 12 La palette 14 S’installer 16 Commencer… 18 Continuer : poser les grandes lignes, déposer un lavis… 20 Poursuivre en apportant les informations qui satisferont le regard 22 Quand et comment finir son travail ? 24 Quelques usages de l’eau 26 Quatre étapes 28 Brumes 30 Quelques idées fausses 32 Glossaire personnel 36
Autour de ma maison…
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La maison au pied du bois 40 Le ciel d’Arcachon 44 Obsolescence : les ampoules 48 Maisons des vallées pyrénéennes 52 Village de montagne occitane 58 Vieilles pierres de pâtures 64 Sommets au printemps 70 Une ferme et ses labours 74 Grange dans la montagne 80 Village pyrénéen 86 La grange 92 Poires 98 La chaîne 104 À Bordeaux 110 Belle-Île-en-Mer 116 Le vieux pont 122
AQUARELLE de l’eau à l’œuvre
AVANT-PROPOS
Peindre à l’aquarelle peut être un loisir, une occupation, ou alors une activité cérébrale, un moyen de communication, une aventure artistique. Chacun trouvera entre ces deux pôles son niveau de pratique, chacun dira ce que sera pour lui cette activité. Si toutes les techniques picturales ont leur complexité et font appel à l’esprit, à la recherche, certaines sont plus clémentes que d’autres pour l’artiste débutant, elles pardonnent les tâtonnements, supportent les errements... Ça n’est pas le cas de l’aquarelle.
Lumineuse transparence L’aquarelle est une technique picturale transparente. Cela veut dire concrètement qu’un trait de crayon se voit toujours sous une couche d’aquarelle ou qu’une couleur sera modifiée par la superposition d’une autre. Parce qu’elle est transparente, elle laisse aussi voir la blancheur du papier sous sa couche, voilà ce qui lui confère cette exceptionnelle luminosité. L’eau transporte les grains de pigment, les déplace sur le papier. L’aquarelliste peut créer sur la surface du papier une mer déchaînée ou étale, un torrent furieux, ou encore une simple rosée… les effets sur son travail seront à chaque fois bien différents. Sur une mer déchaînée, les pigments seront emportés dans le tumulte, éparpillés dans des maelströms. Sur une mer étale au contraire, les grains colorés s’organiseront de manière très régulière. Sur une rosée, les grains ne pourront pas se disperser et ils produiront un effet dense, un peu boueux. Les effets dont nous venons de parler seront tous constitutifs de notre aquarelle, ils seront utilisés à tour de rôle pour créer une « œuvre » riche de toutes les variations engendrées par la surface aqueuse. Plus la surface de notre papier est humide, moins ce qui s’y dépose peut faire émerger des formes. Plus la surface de notre papier est sèche, plus nous pouvons les préciser.
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Au loin, la sédimentation des grains bleus imite le travail des arbres des premiers plans.
Avant-propos
Réinventer la beauté de cet art si délicat Pour porter au sommet cet art, il faut bien du talent (une chose si difficile à définir), une prédisposition sans doute, et les heures laborieuses sans lesquelles le talent aura du mal à émerger. Le xixe siècle anglais nous a donné dans cette technique une foule de prodigieux artistes : Thomas Girtin, Richard Parkes Bonington (respectivement disparus à 26 et 27 ans), John Sell Cotman et Joseph Mallord William Turner, sont tous à peu près contemporains et leur génie est leur bien propre, intransmissible et mystérieux. J. M. W. Turner grattait ses aquarelles, les lavait, les gouachait, il les peignait en atelier plutôt que sur le motif, et n’aurait pas dédaigné un appareil photo numérique pour emporter chez lui des clichés de ses sujets, R. P. Bonington était un prodigieux topographe et dessinateur, J. S. Cotman superposait de nombreux et méthodiques aplats de couleur pour parvenir au relief de son œuvre. Un pas à pas de l’un d’entre eux, reproduit avec des moyens techniques d’aujourd’hui, serait un immense bonheur pour tous les aquarellistes ! Nous y verrions, stupéfaits le génie à l’œuvre, et rien cependant ne nous dispenserait de prendre à notre tour le pinceau et d’œuvrer jusqu’au point ou notre humble ambition, et notre acharné labeur pourraient nous conduire. Les composants techniques évoluent, les représentations ne peuvent ignorer l’histoire de l’art, l’aquarelle se développe dans tous les continents, il n’y a donc pas de dogme à poser ou à opposer à ceux qui veulent la pratiquer. Il n’y a pas une façon de faire de l’aquarelle, il y a des aquarellistes qui réinventent en permanence sa beauté. Tout juste peut-on évoquer ses propres voies en espérant que perdure le goût de cet art si délicat. Le ciel est gris, la couleur de la cime des arbres que la brume disperse dans le ciel sera donc un gris coloré.
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GENÈSE D’UNE AQUARELLE
Au début, il n’y a que de l’eau… de l’eau qui emporte des pigments de plusieurs tons, les associe les uns aux autres, les fait se rencontrer, s’échanger, se nuancer les uns des autres… se mêler, se repousser. Ce grand chaos est le lieu où l’œuvre adviendra. La beauté est déjà là, dans ce chavirement, ce bousculement. Nous pouvons créer les conditions de ce charivari, l’eau se chargera du reste. L’eau, la gravité, les grains colorés feront ce que notre main ne sait pas faire. Dans ce commencement, la « forme » n’est pas convoquée. Il existe une intention future de la forme, mais ce n’est qu’une ébauche vague, abstraite, pourtant éminemment plastique, de ce qui est à venir. Mieux vaut ne pas tenir compte du sujet, ne pas y être trop fébrilement attaché. Il aura tout loisir d’apparaître plus tard ; ne décidez pas trop vite, il est toujours trop tôt. Laissez sa chance à l’eau, vous ne le regretterez jamais, elle saura vous le rendre.
AQUARELLE de l’eau à l’œuvre
LE CHOIX DU SUJET
L’histoire de l’art a permis au cours des temps l’accession à la représentabilité de nombreux sujets qui en étaient exclus. Les paysans, le monde rural de Jean-François Millet en est un exemple des plus connus. Il reste aujourd’hui peu de territoires à défricher, tout ou presque est licite et la disparition régulièrement annoncée puis systématiquement ajournée de la peinture semble épuiser cette question. Pour nombre d’aquarellistes, les vues urbaines diurnes et nocturnes, les friches industrielles, ou les portraits ethniques semblent être des passages obligés. Cette pratique dans notre art du « me to » cher aux publicitaires est certainement due à la médiatisation plus importante de notre médium. Le nombre important de salons dédiés à l’aquarelle a également son rôle dans ces mimétismes. Un confrère me disait que la petite ville que j’habite offrait peu de sujets à peindre ! Quelques années plus tôt, mon jugement n’aurait guère différé du sien, attaché que j’étais à une vision patrimoniale du sujet. Les lieux qui
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Le sujet de cette aquarelle est à l’extérieur de l’image, dans ce que voit le marin et que nous ne voyons pas, au-delà de l’évanescence des bois lointains. Où s’en va donc cette barge sur le Rhône hivernal ?
Genèse d’une aquarelle
m’entourent m’offrent aujourd’hui un ensemble de combinaisons formelles inépuisable. Je suis constitué de ce pays où j’ai pour la première fois respiré, où mes yeux se sont posés, puis mes pas… Un paysage qui n’est pas borné par un chaînon montagneux me paraît incomplet, amputé. À se dévoiler si vite, presque impudiquement, il perd de ses charmes. Il nous faut quant à nous escalader un mont pour aller voir ce qu’il cache et c’est un autre mont qui apparaît. C’est dans ce cadre que mon regard s’est formé, qu’il a comparé, jaugé. La nécessité de représenter ces lieux, d’en garder la trace, provient d’un goût pour le dessin que l’enfance a révélé et qui ne m’a pas quitté. Mes dessins sont des selfies dont mon image est absente. J’y étais et je veux en partager l’émotion avec vous. La vue de ce dessin, plus tard, me permet d’en reconstituer le contexte et toutes les sensations qu’il générait. Les odeurs, les sons, la lumière me reviennent en mémoire, je vois aussi qui m’accompagnait.
La tenue vestimentaire de cette jeune fille est représentative des années 2010-2015. Pantalon slim, veste duvet matelassée, voilà un sujet contemporain, pour une peinture qui l’est aussi.
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AQUARELLE de l’eau à l’œuvre
LA PALETTE
De haut en bas et de gauche à droite : vert de phtalocyanine vert émeraude rouge oxyde transparent brun oxyde transparent or de quinacridone jaune auréoline bleu outremer rose de quinacridone bleu phtalo vert bleu de manganèse bleu d’indanthrène bleu phtalo rouge
J’utilise des couleurs en tubes, dont la texture est souple et les tons intenses. Nul besoin d’user ses pinceaux à frotter les godets. De nombreuses marques de qualité proposent leurs produits, soyez curieux, sans toutefois vous disperser. Les fabricants s’ingénient à préparer des catalogues très copieux pour mieux nous tenter. Il est toujours de bon conseil de travailler avec peu de couleurs sous peine de rechercher toujours celle qui nous fait défaut. Je travaille avec une douzaine d’entre elles et je peux me satisfaire de sept ou huit indispensables. Les couleurs que j’ai retenues, qui me sont familières, procurent des mélanges stables. Elles sont pour la plupart transparentes et je dispose de couleurs
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primaires assez convaincantes : bleu phtalo, jaune auréoline et rose de quinacridone. Toute connaissance acquise par l’homme est un bienfait. En avoir en chimie nous rendrait de grands services en peinture mais avant la chimie, bien avant, il y a une intention d’artiste, une conviction posée par un dessin, lui-même servi par un chromatisme échelonné par des valeurs sur une composition particulière, et après peut-être il y a la chimie. Les savoirs que nous n’avons pas ne nous laissent pas en paix et l’on s’évertue à nous les faire ressentir comme des manques. Je crois cependant qu’un esprit bien fait sait juger, comparer, pour la couleur comme pour le dessin. Faites-vous confiance, tentez, osez, oubliez ce que
vous ignorez et recherchez ce que vous savez. Apprendre à fabriquer un ton ne requiert ni beaucoup de temps ni de grandes qualités, il suffit juste d’avoir quelques bases solides. N’oubliez pas que plus que la couleur juste, ce qui compte c’est l’assemblage vraisemblable de tons. Si vous êtes débutant et que cette question vous préoccupe, je vous suggère de partir du postulat qu’une chose ne peut être que bleue, jaune ou rouge et rien d’autre. Interrogez-vous à haute voix, verbalisez votre expérience : est-ce rouge, bleu ou jaune ? Quand vous aurez répondu à cette première question, vous saurez répondre à celles qui ne manqueront pas de se poser par la suite.
Genèse d’une aquarelle
Le matériel J’utilise cycliquement plusieurs types de papier. Ma technique de superposition de lavis s’accorde mieux aux papiers de coton. Quand il m’arrive de douter de l’intérêt de ma pratique, je m’offre, en changeant de support, l’illusion confortable d’une mise en danger salvatrice. Tout cela est bien entendu très encadré, j’utilise cinq à six papiers différents selon l’humeur et le sujet à traiter : – Arches® Aquarelle, grain fin – The Langton®, grain fin (Daler/Rowney) – Saunders Waterford®, grain fin et satiné (St Cuthberts Mill) – Britannia® Hahnemühle, grain fin – Cartiera Magnani® Pescia, grain fin
Faut-il organiser sa palette avec science ? Peut-être devriez-vous rapprocher des tons dont le voisinage n’est pas nuisible, ou bien des tons que vous associez fréquemment dans vos mélanges. Il est sain de s’interroger sur ces questions et j’avoue que je ne le fais pas. J’ai toujours sur ma table de travail deux ou trois palettes dans lesquelles je dispose mes couleurs et il me reste assez de place pour préparer mes tons. Si la place vient à manquer,
je fabrique directement mes jus sur ma table de verre. Lorsque je prépare des couleurs, j’en produit plus que nécessaire de crainte d’en manquer. Ce qui a été fabriqué n’est pas perdu : avezvous trop de vert, plus tard, quand vous aurez besoin de gris, vous ajouterez le rouge de votre choix. Pour fabriquer vos couleurs, ajustez les proportions de chaque couleur primaire :
Trois types de pinceaux me suffisent : – Un gros « mouilleur » en fibres acryliques, excellent pour les grands fonds. – Des pinceaux de diamètre moyen, en martre ou petit-gris, charnus et pointus. – Des pinceaux fins de martre longs, qui aiment dessiner, vifs, incisifs et solides.
Vert auréoline + vert émeraude = vert assez cru Or de quinacridone + vert émeraude = vert végétal Or de quinacridone + vert émeraude + rose de quinacridone = vert rompu Or de quinacridone + vert émeraude + brun oxyde transparent = vert d’ombre Bleu phtalo + rose de quinacridone + jaune auréoline = gris Brun oxyde transparent + bleu outremer = brun violacé Auréoline + rose de quinacridone = tons de chair
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Genèse d’une aquarelle
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AQUARELLE de l’eau à l’œuvre
Il ne faut pas dessiner Les uns dessinent, les autres pas. Le graphite qui a été mouillé se fixe sur le papier. Si vous essayez de gommer votre tracé après la mise en couleur, vous n’y parviendrez que très partiellement et en risquant d’altérer votre papier et votre travail. La vue de votre dessin sous la couleur vous paraît-elle si désagréable ? Le crayon, loin d’être une gêne, structure votre travail, il permet à votre couleur de n’être pas la seule à porter la forme de votre création. Lorsque votre aquarelle est assez ouvragée, le tracé se fond dans les lavis successifs, jusqu’à faire corps avec eux et disparaître. Éliminez cependant toute trace de crayon autour des réserves, elles s’en trouveraient alourdies, et leur éclat perdrait beaucoup de son intensité. (Voir aussi p. 12.) Le vert c’est le plus difficile Parce que dans le paysage, le vert tient une place prépondérante, et qu’il concerne des éléments difficiles à traiter, tels que les arbres ou les prairies, on a substitué la couleur aux objets qu’elle représente. Si les forêts étaient de couleur rouge, j’imagine que l’on dirait que le rouge est ce qu’il y a de plus difficile. Si j’éprouve plus de difficultés à traiter un bois automnal qu’un bois printanier, c’est que j’ai plus d’expérience dans l’accord des verts que dans celui des jaunes.
Page ci-contre : tous les sujets n’impliquent pas un dessin très long et complexe. Il faut ici tout de même ébaucher la cime des arbres et dessiner avec soin la lumière sur l’eau.
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AUTOUR DE MA MAISON...
Je vis au milieu de mes sujets et leur fréquentation assidue les a imposés à moi. Nos paysages abondent de lieux « effrayants » et sombres, ils offrent aussi de larges et profondes vues de collines, de prairies et de bois où domine la quiétude. J’ai l’ambition déraisonnable de restituer par mes aquarelles un peu de cette sérénité ressentie, et de la partager avec un public. Aux carnets de voyage exotiques qui expriment si bien l’urgence dans laquelle ils ont été réalisés, qui disent si bien que l’on n’a pas eu le temps d’en dire plus ou de le dire mieux, je préfère le carnet de voyage immobile autour de ma maison.
« Il n’y a pas une façon de faire de l’aquarelle. Il y a des aquarellistes qui réinventent en permanence sa beauté. Tout juste peut-on évoquer ses propres voies en espérant que perdure le goût de cet art si délicat. » Tel est le projet de cet ouvrage : expliquer une façon singulière de procéder. Celle de Philippe Lhez, peintre épris des paysages qui l’entourent depuis l’enfance, qui traduit avec justesse leur luminosité changeante, les brumes subtiles qui nimbent les montagnes, la riche profondeur de l’ombre au creux des vallons et des rivières, la densité des feuillages… Seize aquarelles vous sont ici expliquées étape par étape, du dessin jusqu’à la touche de pinceau finale. Le dessin est l’ossature sur laquelle se poseront librement les voiles de couleur. Vous apprendrez à guider l’eau et à vous laisser guider par elle ; à chaque étape humide convient un type d’intervention qui vous sera minutieusement expliqué. Les aquarelles qui résultent de ce procédé sont d’une grande précision sans raideur ni sécheresse car l’eau en est le fil directeur. L’eau sera votre point de départ et votre point d’arrivée. Laissez-vous guider…
24,95 € MDS : 592813
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