Anne-Florence Salvetti-Lionne
Illustrations de Mylène Dagnet
Explorer le lien mère-fille et la portée de l’héritage maternel
Explorer le lien mère-fille et la portée de l’héritage maternel
Les
La mère n’est pas un modèle universel, c’est une figure dont les codes et les valeurs évoluent d’une personne à une autre. Mais le lien entre mère et fille diffère lui aussi au fil des décennies. Les mères n’avaient pas les mêmes attentes envers leur fille en 1950 qu’aujourd’hui et, à l’inverse, le rôle des mères attendu par leur fille diffère également. Les évolutions sociétales ont directement impacté ce lien mère-fille, mais de quelles manières l’ont-elles modifié ?
Dans l’Antiquité grecque et romaine, mais aussi dans la civilisation cananéenne, les femmes se retrouvent dans des gynécées. Elles y vivent des moments forts, féminins et sororaux, tels que les menstruations et les accouchements ; mères et filles y passent donc du temps ensemble. Les gynécées sont à la fois des lieux de réunion, d’échange et de non-mixité, mais représentent aussi une manière d’éloigner les femmes de l’espace public, où elles ne peuvent pas évoluer.
La place d’une enfant a-t-elle toujours été près de la femme qui l’a mise au monde ? Nous l’avons vu, à la cour de France, les mères sont le plus souvent séparées de leurs progénitures, élevées par des nourrices. C’est aussi le cas, au xixe siècle, de beaucoup d’enfants parisiens et lyonnais, dont les mères – quelle que soit leur classe sociale – travaillent et ne peuvent pas emmener un nourrisson1.
En Europe, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le rôle traditionnel attendu des femmes a un impact direct sur la dynamique mère-fille. Premier modèle de sa fille, la mère a pour rôle d’élever une future épouse et mère, digne, discrète et efficace. C’est une telle responsabilité que cela laisse parfois peu de place à une relation tendre et plus insouciante. Lorsqu’une mère met au monde une fille, elle projette déjà la vie adulte de son enfant, pour se sauver de l’affront de ne pas être née garçon : femme au foyer, puis mère au foyer quand elle fonde une famille, au plus vite après son mariage. Elle ne doit pas travailler, afin de pouvoir se consacrer pleinement à son époux, sa maison et ses enfants.
Les petites filles sont donc mises, dès le plus jeune âge, à contribution pour les tâches ménagères : elles doivent développer des compétences multiples qui feront d’elles de parfaites ménagères. Les filles n’ont pas
1 Mes seins, mon choix !, Anne-Florence Salvetti-Lionne, Eyrolles, 2022
d’autres choix que d’appréhender vite et bien ce qui est attendu d’elles. Bien sûr, cela ne représente pas toutes les mères, ni toutes les filles, du début du xxe siècle. Certaines mères, féministes convaincues – sans toutefois toujours y apposer cette étiquette –, ont à cœur de rompre le schéma traditionnel et de pousser leurs filles dans une autre direction : celle de l’autonomie financière et intellectuelle, de l’émancipation par les études et le travail, allant même parfois jusqu’à la liberté matrimoniale.
De nombreuses femmes n’ont, de toute façon, pas le choix et doivent avoir un emploi. Ce n’est pas un fait récent ; les femmes sont déjà présentes dans le monde professionnel. Fermières, ouvrières, institutrices, domestiques, artisanes ou commerçantes, elles doivent jongler entre leur métier au maigre revenu – un simple complément à celui de leur époux – et la tenue du foyer ainsi que l’éducation des enfants.
La Première Guerre mondiale intensifie le rôle des femmes dans le monde du travail, mais ce phénomène est suivi par « un renforcement des rôles traditionnels d’épouse et de mère1 », selon l’historienne Françoise Battagliola. Une fois la guerre finie, et les hommes revenus au travail, les femmes sont renvoyées à leurs tâches domestiques. En effet, la mère de famille bien sous tous rapports, la gardienne du foyer, la fée du logis, c’est cette image de la femme qui est largement véhiculée dans la première moitié du xxe siècle et brandie comme modèle absolu pour les jeunes filles. La couverture du magazine Foyers de France de février 1943 en est un exemple parfait : une mère, dans sa cuisine, est entourée de ses trois enfants2. Un sourire bienveillant plaqué sur son visage, la femme à la coiffure impeccable, la taille ceinte d’un tablier, fait goûter son plat fraîchement préparé – avec amour, on le suppose – à son fils. Les filles, elles, sont mises à contribution. La plus grande porte un panier de pommes de terre, tandis que la plus jeune épluche l’un de ces tubercules. Et elles le font, bien sûr, avec des mines réjouies, heureuses d’être déjà de parfaites « petites mamans » !
Un article paru en novembre 1943 dans Foyers de France enjoint les jeunes filles à apprendre à faire la cuisine pour s’accomplir et à se préparer au
1 . « La Grande Guerre : un tournant ? », Françoise Battagliola, Histoire du travail des femmes, La Découverte, 2008
2 . Couverture de Foyer de France du 15 février 1943, dans « L’Évolution de l’image des femmes » [site des Archives départementales du Puy-de-Dôme]
Les mères, les mamans, les figures maternelles, les grandsmères, les femmes de notre lignée… Qu’elles soient présentes et aimantes, ou absentes et distantes, le lien que nous entretenons avec elles structure nos vies.
Dans l’histoire, l’art et la pop-culture, le lien mère-fille, en particulier, est sans cesse représenté. Les filles ont un rapport singulier à leur mère, tantôt empreint d’adoration, parfois mêlé de jalousie ; souvent équilibré, avec une pointe d’ambivalence.
À travers des études de duos mère-fille iconiques, des interviews de sociologues, psychologues et spécialistes de ce lien si particulier, et de nombreux témoignages… Anne-Florence Salvetti-Lionne propose une exploration du lien mère-fille dans toute sa complexité, sa beauté et sa richesse.
Journaliste et autrice basée en région parisienne, et mère de deux filles, Anne-Florence Salvetti-Lionne a un intérêt tout particulier pour les thèmes de la maternité et du féminisme.
Elle est l’autrice de Tout plaquer pour partir au bout du monde (2020), Mes seins, mon choix ! et Mon corps, ma planète (2022).
Elle relate son quotidien sur son blog alouestriendenouveau.fr et sur son compte Instagram @flogeneuf.
L’univers de Mylène Dagnet est imprégné de couleurs vives et d’une atmosphère optimiste dans laquelle elle intègre des personnages audacieux et hauts en couleur. Elle a notamment illustré des magazines, participé à des expositions collectives et réalisé des affiches.