Elfes et autres exprits de la nature

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Elfes & autres esprits de la nature

Elfes & autres esprits de la nature

À Nounette, grand-mamanmalice, dont le regard sans vue voyait au-delà des frontières, et qui avait le cœur si grand qu’il pouvait contenir ce monde et tous les autres avec !

Et merci à Sara, la meilleure compagne dont je pouvais rêver, en ces chemins de création. Elle est là et me rattrape du bout de l’aile quand je m’éloigne, et s’en va parfois, m’entraînant à sa suite, en ses châteaux des merveilles, ses coquilles d’escargots et ses plumes de tourterelles.

Elfes & autres esprits de la nature

Avant-lire

Les elfes sont incroyablement complexes et fuyants, et à l’heure de commencer un ouvrage sur ce peuple des limbes et des au-delàs, il est certainement utile et honnête de vous expliquer comment nous avons voulu traiter ce sujet.

Ils sont présents partout, dans toutes les mythologies, dans tous les folklores, sous bien des appellations : gnomes, trolls, lutins, farfadets… Ils n’obéissent à aucune loi humaine et peuvent être minuscules ou gigantesques, redoutables ou parfaitement inoffensifs.

De plus, les elfes habitent et régissent des territoires totalement étrangers les uns des autres.

Alors comment les obliger à entrer sagement en des lignes réductrices ? Les épingler, les nommer et les décrire comme autant de papillons colorés, crucifiés misérablement entre les pages ?

Bien sûr, avant nous il y a eu Tolkien le magicien, Pierre Dubois l’elficologue génial, le docte Édouard Brasey ou l’étrange Monsieur Lecouteux, qui tous approchèrent à leur manière les confins des mondes elfiques.

Le respect et la magie nous semblaient essentiels, tout en y ajoutant un soupçon de rêverie et une pincée de poésie.

Les pays féériques sont d’approche exigeante, il nous a fallu quelques plumes d’échassiers bizarres, des nuits de pleine lune au sommeil absent, la reconnaissance suggestive de troncs tordus, de tanières enfouies sous les feuilles, de l’ombre apaisante de dolmens alanguis, pour que l’idée surgisse, que la voie se dessine.

Les territoires enchantés, ceux des contes et des enfances songeuses, n’étaient-ils pas la porte entrebâillée sur ces mondes flous et oniriques ? Ce sont des endroits plus vastes que les prisons de nos âmes si concrètes.

Une lisière aux feuilles mortes dominée par la branche de foyard permettant toutes les ascensions, la grosse racine vermoulue du jardin de grand-maman où, la nuit venue, des scintillements de lucioles crevaient les nuits d’insomnie, même le grenier grinçant aux livres jaunis était repaire d’êtres différents et recelait les parfums suaves de châteaux des nuages, de voyages intrépides à dos de tortue vers les contrées imaginaires. Mais pourquoi donc imaginaires ?

Ne contenaient-elles pas, au contraire, certaines lucidités essentielles, un art de vie libérateur ?

N’oublions jamais que les racines de nos songeries sont bien plus riches et profondes que notre esprit cartésien et conceptuel.

À mon âge incertain, je ne puis que remercier ma grand-mère et tous les replis magiques de son antique maison qui m’ont permis de sentir que les frontières n’existent que dans les dogmes que nous érigeons pour nous protéger et que, derrière la haie d’aubépine, au milieu des fougères, se trame tout un lacis d’histoires aussi vraies que celles racontées dans les livres.

e vent

Je suis le vent.

Me voici de retour en des pages de brises nocturnes, de souffles norrois, de bise acérée.

Le pays des elfes se cache bien au-delà de la haie d’églantiers, aux portes de donjons oubliés envahis d’orties et de salsepareilles, mais il est aussi tout proche, à qui sait entendre et voir.

Le Haut Peuple vit en des territoires crépusculaires, se cachant des lumières trop vives, se berçant des anciens récits épiques, tout en respirant jusqu’à l’ivresse les parfums de fleurs d’oubli, de thé de lune ou de liqueur d’armoise.

Les elfes semblent toujours quelque peu en partance, prêts à quitter un monde aux tristes outrages, au respect oublié, aux frontières rigides.

Je les connais, je sais leur élégance et les entoure volontiers de mes voiles nonchalants, de mes écharpes évanescentes, ils sont un peu de ma chair diaphane, légère, nous sommes semblables en nos extravagances de cache-cache.

Je vais retracer leur histoire pour vous, afin d’entrebâiller quelques portes oubliées, d’explorer des douves depuis longtemps asséchées, d’ouvrir les placards du grenier où la poussière joue aux rais de lumière, et tourner les pages de manuscrits enfaytés, où l’écriture s’enfuit des marges pour galoper vers les collines et les landes d’anciennes mémoires.

Afin de les conter, il me faut les matérialiser, effleurer leurs peaux de pâles frissons et vous retranscrire leurs chants de nostalgie et de dédain.

Ils ne sont pas faciles à approcher, impossible de les apprivoiser comme on peut le faire avec les fées, les lutins ou les sorcières. Les elfes sont d’un autre bois, de celui dont on fait les baguettes d’invisibilité, d’un bois à moitié adiante*, à moitié fumerolles. Ils laissent au sol des tourbières quelques traces, telles celles des oiseaux des rives, ou quelques menues notes cristallines, égarées aux orées de nos temps incertains. Ils sont fugaces, mais le vent sait des comptines que tous ignorent, et je peux leur souffler des paroles immortelles, d’un temps où les dieux se mêlaient aux hommes, où les rivières savaient se transformer en ondines, les marécages en feux follets et les grands bois en guerriers de fougue et de courroux. Ils s’arrêtent alors et me sourient, me laissant en cadeau quelques grains de pollen enchanté.

Ces êtres de brumes et de fougères ont parfois des humeurs tempétueuses, des envies d’horizons autres, de voiles claires, ils sont voyageurs des saisons et des époques, tout en s’attachant, de leurs radicelles elfiques, à des territoires distincts. Pour vous les décrire, je me référerai à ces paysages, à ces terres, à ces parfums subtilement différents et pourtant porteurs de vérités uniques.

Il me fallait aussi une interprète, un lien entre eux et vous, un être des entre-deux, impalpable comme ces peuples des brouillards, mais fine connaissante des plantes et des secrets de cette terre de contes et de glèbe. Elle a bien voulu me recevoir en ses murs de joncs et de saules, et me conter, de sa voix douce d’elfe ancienne comme les pierres, des histoires du temps où tous marchaient de concert.

Les plantes elfiques sont celles des antans, des âges où la plante était vénérée, crainte et respectée. Elle était alors l’amie et la guérisseuse de l’homme, sa plus proche confidente comme sa plus cruelle ennemie.

J’ai rencontré cette Dame elfe, en ces temps d’avant, une tordue, ridée et chenue qui m’accueillait parfois, à l’automne, dans sa cabane, afin que je l’aide à sécher toutes les savoureuses récoltes qu’elle engrangeait aux beaux jours : sauge, thym, menthe ou champignons…

Elle se nommait Rosée Faucheherbe, elle habitait le bois du Grand Veneur, à l’ouest du monde.

Sa cabane des lisières ressemblait à un gros édredon de mousse, égaré au dos d’une taupinière géante. Quelques guenilles, une guimpe défraîchie, un tablier aux vastes poches et des chausses de coton séchaient entre deux branches de chêne, une cheminée de pierres anciennes vacillait en mes humeurs, un banc branlant, une table d’ormeau… et voilà, telle était la demeure de Rosée Faucheherbe.

Elle y menait grand train, affairée comme une belette, vive comme une grive, c’était une de ces Dames elfes au grand pouvoir, celui de connaître et récolter les sucs et les sèves, les tiges et les corolles… Chaque brin d’herbe lui racontait son histoire de terre et de ciel, de rosée et d’étoile.

Elle savait la plante coquine, le fruit aux ténébreux sortilèges, les ramures touffues de sortilèges, les racines aux dessins guérisseurs.

Les elfes ont ce don, celui de savoir extraire ce qu’il y a de plus magique dans une plante : son âme.

Et parmi les elfes, Rosée était la plus sachante. Son pouvoir lui venait, m’avait-elle conté, de certains territoires, au-delà d’Elfirie, en des mondes où les fleurs cheminent, où les arbres conversent avec les étoiles.

Elle y était allée, poussée un beau jour avec toute une petite troupe de plumets de dent-delion et y avait germé le temps de moult saisons, le temps surtout d’apprendre tout ce qui n’entre pas dans un grimoire.

Sa science était vaste comme l’étang de Claire-Voie et aussi transparente qu’une aile de libellule, Rosée Faucheherbe s’en servait pour soulager les vivants et ressusciter les morts, parfois, ceux qui vraiment méritaient de gambader encore en ce monde-ci.

Ainsi, elle m’a raconté les hauts fûts, incroyablement sages, parfois aussi un peu espiègles et roublards, sachant le guet-apens de racines et le fruit pourrissant se répandant en jus nauséabonds sur les tignasses de passage…

Rosée Faucheherbe m’a dit aussi le buisson et la fleur, plus petits mais ô combien utiles et propices aux brouets elfiques, aux baguettes de pouvoir, aux eaux de charme.

Leur histoire

u Nord du Nord

Les peuples elfiques sont nés bien avant le temps des hommes, en de lointains frimas, en de perpétuelles métamorphoses. Ce sont ces territoires qui leur auront donné, sans doute, le goût du non-créé, de l’état vaporeux qui les personnifie.

Autrefois, les taïgas* étaient traversées par le sang des dieux et les racines fourmillantes de vie du grand arbre Yggdrasil*. Celui-ci régnait sur tous les mondes connus et inconnus, protégeant de son ombre bienveillante les innombrables formes de création. C’est en ses écorces, ses limbes, ses frémissements végétaux, sa chair de bois et de sève que les elfes virent le jour. Ils se partageaient alors les ombres et les lumières d’Yggdrasil : les elfes lumineux, ou Ljósálfar, vivaient à Alfheim, dans les branches de l’Arbre, et les elfes sombres, les Svartalfar, à Svartalfheim, entre ses racines sans fin.

Les elfes blancs, Sylphes, Huldres, Nymphes, Faunes… sont les ancêtres tourbillonnants, volatils et merveilleux des peuples elfiques. Ils prirent possession des airs, des eaux fluides, des terres sauvages, des îles sans retour. Ils sont les dépositaires de magies légères, claires et bienveillantes. Svartalfheim, le monde souterrain, celui des grottes, des cairns*, des tertres, du feu couvant, du bruit des forges et des entrailles de la Terre donna lui naissance aux elfes noirs, aux Gobelins et Kobolds, à toute une troupe puissante d’êtres besogneux, mystérieux, maîtres en sciences occultes, en potions devineresses, souvent mêlés, confondus avec les peuples nains.

Ils restèrent cachés, empruntant les sombres couloirs du temps et sculptant, pour les

hommes et les dieux, de terribles lames, des armures sans égal et des désenchantements multiples.

Les elfes blancs et les elfes noirs se croisèrent pourtant, mélangeant leurs sangs de lumière et d’ombre. Ils engendrèrent ainsi ceux des entre-deux ; les feux follets des vases, les coquins aériens, les troubles des feuillées.

Les elfes sont donc multiples, leurs formes et leurs caractères changeants comme les nues ou terrifiants d’arrogance dédaigneuse, insaisissables, inclassables.

Le nom d’elfe est venu se fondre en une multitude d’esprits bienveillants ou peu amènes.

En Norvège par exemple, les elfes craignent la lumière du jour et se cachent en des lieux ensauvagés, aux frontières des territoires humains, ce sont des êtres à l’humeur maussade, à la peau d’écorce et d’humus, âmes divines et brutes tout à la fois.

En Islande, la terre qui les vit naître, le Huldufolk, ou peuple caché, se tient au centre de la nature, en ses recoins les plus intimes. Il est respecté, et des offrandes sont régulièrement déposées là où l’on pense que sont ses demeures.

Aux îles Féroé, les elfes sont de haute taille, ont de longs cheveux noirs, des vestures grises. Ailleurs, ils seront légers tel l’akène*, filiformes, ou larges et bourrus comme des récifs océaniques.

Ils sont comme le vent ; instables, polymorphes, versatiles et tellement indispensables !

Nous n’allons donc pas les emprisonner en ces lignes, mais seulement essayer de les approcher en leurs instables vérités, sans en faire de pâles reflets de nos humanités ou des fées trop sages, virevoltant dans un imaginaire placide.

ARBRE

Il sentait, à son feuillage vibrant, que le temps allait changer, les nuages approchaient en grandes cohortes de mesnies* sauvages. Qu’importe, il tenait le monde et le monde le retenait. Son corps, grand à se fondre aux nues, était d’un bois premier, imputrescible, insensible aux morsures insectaires, aux grêles soudaines, aux rages ventesques. Il tenait le monde et le monde le retenait.

Depuis combien de temps siégeait-il là, pont entre deux roches immenses, tendu au-dessus d’une eau torrentielle et écumeuse ?

Depuis toujours ou depuis fort longtemps. Depuis que les dieux avaient décidé de faire de ce monde un grand jeu de hasard où les forces de chacun gageaient les forces des autres.

Lui, l’Arbre, restait immuable, tendu vers le ciel et retenant la terre.

Ses feuilles, petites et dorées, luisaient au soleil de chaque saison, frissonnantes, vivantes des signes calligraphiés au creux de leur limbe par quelques encres poétesses.

Ses racines plongeaient si profondément dans le sol qu’elles auraient pu fendre la terre en deux, mais c’était un arbre des dieux, et Dieu lui-même, il vaquait, sage, paisible et modeste. Il tenait le monde et le monde le retenait.

Un serpent rongeait ses racines, lentement mais à coup sûr, plantant ses crochets venimeux dans le bois éternel, tout au long des jours, tout au long des nuits. L’Arbre savait cette patiente dévoration, il la supportait, sentant que l’ordre essentiel des choses la voulait.

Tout en haut, au-dessus de sa tête ennuagée, volait un aigle. Il avait sa demeure sur la branche la plus élancée de l’arbre et regardait le monde s’abîmer, tout en bas dans les brumes de velours et la rosée en perles d’arc-en-ciel.

L’aigle et le serpent se haïssaient, l’Arbre le savait et le regrettait, mais qu’y pouvait-il, mis à part chanter dans le soir, et remplir tout son être de bonheur quand il voyait danser les éphémères dans la lumière du crépuscule.

L’écureuil bondit soudain et ce fut un éclair de bronze dans la nuit descendante. Il rapinait à droite et à gauche, transportant son butin des aisselles des branches aux interstices de l’écorce vieille. Comme ce monde, il jouait à la guerre, sans cesse, attisant le courroux du grand serpent en lui parlant de l’aigle et pareillement, le faquin enflammait la rage de l’aigle en évoquant les paroles persifleuses du serpent. Il transportait du bas vers le haut et du haut vers le bas toutes sortes de malédictions dont il était pour moitié l’inventeur.

L’Arbre aimait bien ce petit émissaire rouquin, il lui pardonnait ses multiples interprétations et fausses vérités, car il était distrait par sa grâce volubile.

L’Arbre avait senti depuis quelques lunes que d’autres êtres naissaient, grandissaient aux pieds de ses racines sans fin.

Ils étaient hauts et graciles comme les herbes des plaines, légers et volatils comme ses feuilles. Ils chantaient et dansaient avec les lucioles à la fin du jour. Les dieux avaient inventé ce peuple virevoltant pour leur plaisir, pour se délasser à les observer et jouer de leurs ressemblances avec eux-mêmes. L’Arbre les nomma elfes.

Les elfes, un jour, se battirent entre eux. Peut-être pour plaire aux dieux belliqueux et véhéments, ou peut-être pour aucune raison réelle et compréhensible. Leurs combats furent épiques, l’Arbre en souffrit beaucoup, il reçut quantité de flèches magiques qui se fichèrent en son bois, certaines de ses branches furent carbonisées, ses racines tranchées, mais son âme fut particulièrement bouleversée, ces batailles sans noms le ravagèrent et le rendirent triste et nostalgique du temps d’avant.

Même le vol des éphémères dans le soleil finissant n’adoucissait que peu son chagrin.

Il prit alors la décision la plus difficile de sa vie sans fin et sans commencement, celle de chasser les peuples elfiques hors de son monde.

L’Arbre convoqua, près de la source qu’il enjambait, tous les dieux qui riaient de voir les elfes se déchirer, les déplaçant sur leurs échiquiers divins en osts* noires, en osts blanches.

L’Arbre parla longtemps ; de la beauté du soir, de la force de l’orage et de la création en équilibre permanent, il raconta aux dieux ce qu’ils ne semblaient plus voir : la douceur du battement de l’aile de la tourterelle, la puissance du lierre grimpant sans cesse vers la lumière, et il dit les guerres elfiques, l’altération du sens de la vie.

Les dieux se regardèrent, un peu honteux devant la sagesse arbresque, bien plus grande que la leur. Ils décidèrent alors de réunir les elfes et de leur laisser, non pas le choix des armes, mais celui du territoire.

Certains, les plus légers, les doux, auraient pour contrée les branches de l’Arbre tels de grands chemins aux horizons infinis, ses feuilles comme autant de nuages sylvestres, les mille et une forêts de son écorce, les pics élevés de ses bourgeons, les pays de ses rameaux, les châteaux de ses nœuds.

L’air vibrant qui entourait ce corps sans limites serait à eux, à condition toutefois que les éphémères blondissant le soir soient respectés, tout comme chaque vie participant à l’harmonie de l’ensemble.

Les autres elfes, les sombres, les farouches, recevraient les grottes sauvages, sinuant aux longs des racines de l’Arbre, ils côtoieraient le grand serpent et sa puissance extrême, seraient les maîtres de l’or et de l’argent, du plomb et du mercure, forgeraient des armes à nulles autres pareilles.

Ils deviendraient rois en leurs terres de dessous. À eux de garder les sources souterraines, les gisements opalescents, les feux sous-jacents.

Les peuples elfiques se scindèrent ainsi en deux parts et chacune prit, soit le chemin des airs et des feuillages, soit le chemin des grottes et des sources mystérieuses.

Dès lors, les guerres cessèrent autour du grand Arbre, tous avaient pris leurs places. Les elfes clairs volaient dans la lumière du crépuscule avec les éphémères, butinant la rosée et les sucs des fleurs. Les elfes sombres, au caractère de roc et de fer, devinrent petits et larges, creusèrent des galeries sous les racines du grand Arbre et se mirent à forger, maîtrisant le feu grondant et le souffle profond de la terre.

L’Arbre put enfin rêver et laisser la douceur du crépuscule habiller son tronc d’or et de rouge.

u Moyen Âge

La période était belle, riche des saveurs des contes et des veillées, les sociétés agraires aimaient ce Petit Peuple des haies et des feuillées, il faisait partie du quotidien, partageant les tâches domestiques, les lessives printanières, les moissons, les semailles…

Les elfes, ou quel que soit le nom que l’on donnait à ces petits génies protecteurs, défendaient les seuils, les bêtes et la nature sauvage, ils étaient craints autant que respectés.

Les grandes pierres levées, les ráths* des collines, les ponts et les gués leur servaient de tanières, on y entrait et on y restait jusqu’à la fin des temps.

Leur monde et celui des hommes jouxtaient l’un l’autre, de l’endroit à l’envers du miroir, mais se liaient parfois, lors des fêtes païennes, en grandes orgies profanes, où le naturel et le surnaturel se mêlaient aux orages, aux feux, aux musiques, aux paroles sacrées.

Certaines contrées, interdites aux hommes, leur étaient dédiées : les ruines mystérieuses, les puits, les lisières farouches, les carrefours, les marais, étaient autant de « pays des elfes » où le pas ne conduisait pas sans risque de mortelles représailles. On gâtait ce Petit Peuple invisible en rituels sauvageons, en dons multiples, en offrandes de feuilles de sauge, de rubans colorés, de brins de romarin, de fleurs ou d’une simple bille aux reflets d’outre-mer. Un arbre creux, une souche au visage torturé, un torrent bouillonnant étaient autant de lieux révérés, de présences surnaturelles où le Petit Peuple dansait et riait.

Ils n’étaient pas trop décrits, ces êtres des entre-deux, comme si, mystérieusement, de trop les voir et de trop les savoir leur aurait enlevé une part de magie, la meilleure.

Les elfes « étaient », tout simplement. Appartenaient-ils au monde des anges déchus, des nains, ou des génies échappés de quelque lampe ensorcelée ? Les hommes de l’époque n’en avaient fi, pour eux, seul comptait l’émerveillement de se tenir sur une terre habitée de partout, même dans ses recoins les plus invisibles.

Les portes du pays des Elfes s’ouvrent, là-bas, au fond du jardin abandonné, derrière la haie d’aubépine…

Sylphes, Lutins, Trolls ou Farfadets tissent la trame du légendaire de fines corolles, de pollen doré, de sombres nostalgies.

Ils sont évanescents, d’ombre et de lumière, craintifs et toujours en mouvement, laissant derrière eux d’infimes fleurs, des empreintes d’oiseaux et des pierres enchantées…

Nés en des terres d’outre-monde ou juste derrière le vieux poêle qui ronfle et crachote, les Elfes sont d’ici et d’ailleurs. Ils nous parlent le langage des enfants rêveurs, des grenouilles coassant sur l’étang de nos songeries, donnant ainsi à nos vies ce petit supplément de bonheur que l’on appelle magie.

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