

Né à Blaye (Gironde) en 1908, Yves Desdemaines-Hugon étudie à l’École des Beaux-Arts de Bordeaux et aborde en 1926 une carrière de dessinateur.
En 1930, il adopte le pseudonyme de Gervy, et rejoint, en 1936, la Maison de la Bonne Presse (ancêtre de Bayard-Presse). Il y publie d’abord les aventures de Paulo dans l’hebdomadaire Bayard
En 1938, dans Le Pèlerin, Il lance Pat’Apouf détective, qu’il fera vivre durant 35 ans jusqu’en 1973. La série sera poursuivie jusqu’en 1990 par d’autres dessinateurs.
Gervy, décédé à Périgueux en 1998, a créé avec Pat’Apouf une œuvre unique, destinée à des jeunes lecteurs, mais étonnamment adulte dans le ton, en particulier dans les épisodes des années 1946-1956. Publié pendant plus d’un demi-siècle, lu chaque semaine par des millions de personnes, Pat’Apouf est devenu un classique de la bande dessinée française.
Les éditeurs remercient les artisans de cette « résurrection » : la famille Philipront, ayant droit de Gervy, pour sa bienveillance, Benoit Marchon et l’équipe du Pèlerin, Dominique Petitfaux qui assure la direction de cette réédition, Jean-Louis Normand et Roland Deleplace pour leur collaboration.
Cet album contient deux aventures publiées dans Le Pélerin : Pat’Apouf et le sang mystérieux (pp. 5-28) qui est parue du 4 mars 1962 au 12 août 1962 et Pat’Apouf naufragé du Pacifique (pp. 29-56) qui est parue du 19 août 1962 au 24 février 1963.
par Dominique Petitfaux
Cet album de 52 planches réunit l’épisode numéroté « J » dans Le Pèlerin, que l’on pourrait éventuellement appeler Pat’Apouf et le sang mystérieux (24 planches), et l’épisode « K », que j’ai intitulé Pat’Apouf naufragé du Pacifique (28 planches).
Même si le premier épisode est bien mené, c’est le second qui mérite de donner son titre à l’album, car il est décisif : cette aventure maritime clôt le cycle des aventures en Boldovie, constitué de neuf épisodes, publiés du 9 février 1958 (début de l’histoire « C », Pat’Apouf en fusée) au 24 février 1963 (fin de l’histoire « K »). Cinq ans, donc, soit une génération de jeunes lecteurs.
Alors que les auteurs de bande dessinée, une fois qu’ils ont inventé un pays, y envoient leurs personnages de temps à autre, Gervy ne mentionnera plus jamais la Boldovie et ses deux voisins, et ne créera plus dans Pat’Apouf d’États imaginaires (si ce n’est l’île de Camacaho dans l’épisode « S ») : la Boldovie, la Rasmanie et le Tampico (trois petits pays d’Amérique centrale ?) n’auront été qu’une très longue parenthèse dans la série. Autre singularité de cette période, des planches parfois sans Pat’Apouf et Jacky : il y en a même deux de suite (la 26 et la 27) dans l’épisode « K » (délaisser ainsi les personnages principaux reste une hardiesse narrative peu courante).
Le détective était arrivé en Boldovie dans un avion qu’un fin connaisseur à la fois de
Pat’Apouf et de l’histoire des aéronefs, Christian Leduc, m’a signalé être un De Havilland Comet C2, un appareil uniquement utilisé par la compagnie britannique BOAC. Autre précision aéronautique apportée par ce lecteur attentif et amical : l’hélicoptère de Pat’Apouf et l’affaire Hourtin n’est pas, contrairement à ce que dit le détective (planche 16), un Kellett XR-8, mais un Bell XH-40, Gervy ayant confondu les deux appareils, dont il avait probablement vu la présentation dans le n° 343 d’avril 1946 de Science et Vie.
Pour quitter la Boldovie, dont ils semblent lassés - ce qui était probablement le cas de Gervy -, Pat’Apouf et Jacky n’utilisent pas l’avion, mais un voilier. Leur idée d’origine, vite abandonnée, était de rééditer l’expérience de Thor Heyerdahl en 1947 : désireux de prouver que les populations océaniennes pouvaient être originaires d’Amérique, l’anthropologue norvégien s’était laissé dériver sur un radeau depuis le Pérou, arrivant trois mois et demi plus tard aux îles Tuamotu, à 8 000 km de là. Le livre qu’il en avait tiré, L’Expédition du Kon-Tiki , était connu de Gervy, que passionnaient les récits de navigation. Dans Pat’Apouf prend des vacances le détective mentionnait Alain Gerbault, et ici le nom du voilier, « Pourquoi-Non ? », est un clin d’œil, évident à l’époque, au « Pourquoi-Pas ? » du commandant Charcot, explorateur de l’Antarctique. Pat’Apouf fait également
allusion (« J’ai entendu dire… », planche 20 K), au récit d’Alain Bombard Naufragé volontaire (1953).
Cette fascination de Gervy pour les bateaux et les mers lointaines lui venait de son oncle, le capitaine Edward Desdemaines-Hugon, qui avait survécu à l’océan Pacifique (voir la préface à Pat’Apouf prend des vacances), mais pour qui la Seconde Guerre mondiale fut un naufrage : après un séjour au Canada (où il est interviewé dans le quotidien The Winnipeg Tribune du 21 octobre 1940), il sombre dans la collaboration. Pour avoir livré à la Gestapo le responsable d’un réseau clandestin, Albert Chabanon, fusillé lors des « massacres de Signes », dans le Var, il sera abattu par un résistant, Max Loubat, le 5 août 1944 à Marseille.
Au terme de leur errance, Pat’Apouf et Jacky abordent un rivage inconnu où vivent
deux soldats japonais, manifestement très heureux ensemble, et qui ignorent que la guerre est terminée. Cette séquence était inspirée par une actualité récente (en mai 1960 deux militaires japonais avaient été découverts sur l’île de Guam). Les soldats refusent le retour à la « civilisation », ce qui n’est pas surprenant : Gervy enviait ce mode de vie, proche de la nature, et Pat’Apouf lui-même voit, en cet îlot perdu et hors du temps, « le paradis terrestre » (planche 22 K). Comme beaucoup d’artistes (Paul Gauguin, Robert Louis Stevenson, Jacques Brel, Hugo Pratt…), Gervy était sensible au « mythe des mers du Sud ». Il n’avait pas de « rêve américain » mais un « rêve océanien ». Son épouse m’avait d’ailleurs confié : « Sans moi, il serait parti vivre sur une petite île, dans le Pacifique, et il n’y aurait jamais eu Pat’Apouf ».
P.-S. : la bibliographie de Gervy en Belgique et en Suisse sera publiée en annexe du prochain album.