Mgr Joseph Doré
MONDE CATHÉDRALES
« Les cathédrales sont là. Elles sont belles. Elles sont de plus en plus visitées… Mais c’est un fait qu’elles sont aussi, et dans le même temps, de moins en moins comprises. » Les cathédrales sont situées au cœur de nos villes, et pourtant nous n’avons pas toujours l’intelligence de ces édifices uniques entre tous. Monseigneur Joseph Doré nous propose de (re)découvrir leur place historique, culturelle, sociale et ecclésiale. Au fil des pages, le lecteur trouvera une invitation à s’approprier ces lieux hors du commun qui n’ont pas fini de l’enchanter… et où il pourra expérimenter lui aussi la grâce des cathédrales. Monseigneur Doré est archevêque émérite du diocèse de Strasbourg. Il est directeur de la prestigieuse collection « Jésus et Jésus-Christ », aux éditions Mame-Desclée, Paris. Il a fondé et dirige la collection « La grâce d’une cathédrale », aux éditions La Nuée Bleue, Strasbourg. Photographies de couverture : La cathédrale de Strasbourg de nuit © shutterstock/afotoshop, portrait de Monseigneur Doré © Aude Boissaye, studio Cui Cui.
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UN ÉVÊQUE RACONTE LES CATHÉDRALES
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Du même auteur (sélection) Jésus Christ, coll. « Foi vivante », Éditions du Cerf, Paris, 1992. La grâce de croire. Tome 1. La révélation, coll. « Interventions théologiques », Éditions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine, 2003. La grâce de croire. Tome 2. La foi, coll. « Interventions théologiques », Éditions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine, 2003. La grâce de croire. Tome 3. La théologie, coll. « Interventions théologiques », Éditions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine, 2004. La grâce de vivre, Bayard, Montrouge, 2005. La grâce de vivre en chrétien, coll. « Spiritualité », Mame, Paris, 2006. À cause de Jésus !, coll. « Religion et sagesse », Plon, Paris, 2011. Jésus le Christ et les christologies, coll. « Jésus et Jésus Christ », Mame-Desclée, Paris, 2011. Peut-on vraiment rester catholique ?, coll. « Études et essais », Bayard, Montrouge, 2012. Être catholique aujourd’hui, coll. « Études et essai », Bayard, Montrouge, 2014. Pourquoi j’aime tant l’Alsace, coll. « Figures d’Alsace », La Nuée Bleue, Strasbourg, 2014.
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Direction : Guillaume Arnaud Direction éditoriale : Sarah Malherbe, David Gabillet Édition : Camille Icole Direction artistique : Élisabeth Hebert Compositeur : Text’oh ! Fabrication : Thierry Dubus, Anne Floutier © Mame, Paris, 2014 www.mameeditions.com ISBN : 978-2-7289-2056-3 MDS : 531 462 Tous droits réservés pour tous pays.
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Sommaire
Présentation générale....................................................................... 9 Première partie : Une cathédrale parmi tant d’autres : Notre‑Dame de Strasbourg...................................................... I. Le rapport d’un évêque à la cathédrale du diocèse auquel il a été envoyé.................................................................. II. L’histoire d’une construction étalée sur un millénaire............. III. L’aménagement interne du bâtiment et son utilisation effective à travers les siècles............................... IV. Les travaux de l’époque tout à fait contemporaine................
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Deuxième partie : L’univers des cathédrales.......................... Chapitre I : Les cathédrales dans la société civile et politique....... I. Les cathédrales dans leur environnement sociétal.................... II. Les cathédrales entre l’Église et l’État..................................... III. Pour une pastorale de cathédrale...........................................
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Chapitre II : Le beau, les cathédrales et la foi chrétienne. ............. 83 I. Le domaine du beau................................................................ 84 II. L’intérêt des cathédrales.......................................................... 92 III. Propositions pour la vie de l’Église........................................ 104 7
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Chapitre III : La cathédrale, église de l’évêque et église-mère du diocèse............................................................................................ 109 I. Le point de vue de l’histoire..................................................... 111 II. L’approche par l’architecture................................................... 124 III. L’apport majeur de la liturgie................................................ 134 Troisième partie : Une collection consacrée aux cathédrales............................................................................. 139 I. Une publication sur la cathédrale de Strasbourg...................... 143 II. D’un livre à une série d’ouvrages............................................ 150 III. Le déploiement d’une collection........................................... 157 Épilogue............................................................................................... 163 Sources et bibliographie................................................................... 169
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Présentation générale
Des édifices uniques, trop largement méconnus Les cathédrales sont là. Elles sont belles. Elles sont de plus en plus visitées… Mais c’est un fait qu’elles sont aussi, et dans le même temps, de moins en moins comprises. Or il se trouve que nous, qui continuons de les faire vivre pour la raison même pour laquelle elles ont été construites, nous les connaissons bien – ou, du moins, nous avons la possibilité d’accéder directement à toutes les richesses qu’elles recèlent. Comment n’éprouverions-nous pas dès lors le fort désir d’ouvrir le trésor qu’elles constituent à quiconque peut s’y déclarer intéressé ? Je ne le cacherai pas en tout cas : la publication du présent ouvrage n’est issue de rien d’autre que d’un tel désir. Ces derniers temps, les publications – les quotidiens comme La Croix ou les hebdomadaires comme Pèlerin certes, mais aussi les hors-séries de périodiques divers et de nombreux ouvrages monographiques chez plusieurs éditeurs (y compris des éditeurs non religieux bien sûr) – se sont multipliées sur ce que, selon les cas, on désigne comme « les mystères », « les énigmes », « les merveilles » ou, tout simplement, « l’univers » des cathédrales. Appelé à prendre place sur un étal déjà abondamment fourni, le présent ouvrage fera amplement écho à ce que j’ai cru pouvoir personnellement 9
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appeler « la grâce » des cathédrales. Une telle désignation suffit à spécifier toute une approche et, bien entendu, il conviendra de s’en expliquer le moment venu. Cela veut dire, entre autres, que sera pleinement explicitée la compréhension que peuvent donner de ces monuments tout à fait uniques la confession de la foi qui les a construits, la célébration liturgique qui continue de les faire vivre, et l’exercice de la responsabilité proprement épiscopale à laquelle ils sont confiés.
À l’intention de tous, croyants et pratiquants ou non Qu’on se rassure cependant : l’intention ne sera pour autant, dans ce livre, de « propagander » personne, comme aurait dit Péguy. Le seul objectif est d’offrir au plus grand nombre les moyens de partager un trésor dont nous estimons, nous croyants qui le fréquentons habituellement, que la clé ne nous a été remise qu’au bénéfice de tous. C’est certes un évêque qui s’exprimera en ces pages, faisant état de ce que l’exercice de sa mission propre lui a fait découvrir du « mystère » des cathédrales. Il s’est cependant bel et bien donné pour tâche de parler aussi à l’intention de ceux qui, ne partageant pas la foi chrétienne, portent réellement attention et intérêt aux cathédrales, et sont donc désireux de se familiariser avec ces prodigieux témoins, toujours d’actualité, des siècles passés. Le fait que la partie principale de ce livre – la deuxième – puisse annoncer qu’elle portera, tout simplement, sur « l’univers » des cathédrales pourra déjà suffire à lever toute éventuelle crainte de cléricalisme ou de prosélytisme ! En fait, la parole reviendra principalement alors à l’observation attentive et à l’approche historique, à l’examen des conditions socio-économiques et au contexte politique, à l’analyse des comportements individuels et des mentalités collectives. Bref, l’objectif essentiel sera là d’introduire à ce qui constitue bel et bien « le monde » des cathédrales en honorant d’abord résolument l’acception proprement séculière et profane du terme « monde » ! Déclarons-le clairement : là est la raison précise pour laquelle on consacrera 10
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Présentation générale
à une telle approche non seulement la partie centrale de l’ouvrage mais plus de la moitié de sa substance même. Qu’ils se rassurent cependant à leur tour, les croyants et pratiquants ne seront pas ici oubliés : ils trouveront en ces pages de quoi approfondir et affiner la compréhension qu’ils ont déjà de ces merveilles qui ne finiront pas de si tôt de les enchanter…
Un ouvrage en trois parties articulées Il serait toutefois insuffisant d’en rester à des considérations d’ensemble sur les cathédrales en général. Corrélativement, il était exclu d’entrer dans une multitude de détails en cherchant à accumuler les précisions sur un grand nombre d’édifices… sans pouvoir bien évidemment jamais s’approcher d’une exhaustivité de toute manière a priori exclue. De là est venue l’idée d’introduire à l’exploration de l’univers des cathédrales en présentant d’abord l’une d’entre elles – aussi significative que possible, bien entendu ! Le choix fut en l’occurrence facile à faire. Ayant été dix ans (1997-2007) archevêque de Strasbourg, le concepteur et auteur – que je suis – du présent ouvrage a pu développer une vraie connaissance de la merveille qu’est, dans cette ville, la cathédrale Notre-Dame. Me proposant d’entraîner le lecteur dans la découverte de ces merveilleux édifices, il m’a vite semblé que je ne pouvais pas inaugurer leur présentation mieux qu’en commençant par une suggestive évocation de celui d’entre eux qui m’a, de fait, ouvert à moi-même l’accès à leur grâce à tous. Si donc la première partie du présent livre sera consacrée à cette cathédrale bien particulière qu’est Notre-Dame de Strasbourg, et si la deuxième exprimera des considérations générales valables (à chaque fois de manière unique bien sûr) pour tous les édifices de ce genre bien caractérisé, la troisième et dernière partie se donnera, elle, pour objet de présenter un instrument susceptible d’accompagner qui le voudra bien dans sa découverte de leur ensemble. On me permettra de préciser que j’ai de bonnes raisons, à la 11
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fois, d’être attaché à cet instrument et de le bien connaître, puisqu’il s’agit de la collection que j’ai lancée aux éditions La Nuée Bleue de Strasbourg, et qui est actuellement en train de mettre au point son dixième numéro : La grâce d’une cathédrale. Présenter brièvement, pour finir, l’origine et le « concept », l’esprit et les caractéristiques, le lancement et le déploiement de cette grande série éditoriale spécialisée sera aussi, m’a-t-il semblé, un bon moyen d’introduire le lecteur et à l’univers et à la grâce de nos cathédrales. Ö
Tel sera donc le plan d’ensemble de cet ouvrage : I. Une cathédrale unique entre tant d’autres : Notre-Dame de Strasbourg II. L’univers des cathédrales III. Une collection consacrée aux cathédrales + Joseph Doré Archevêque émérite de Strasbourg Doyen honoraire du Theologicum de l’Institut catholique de Paris
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Première partie Une cathédrale parmi tant d’autres : Notre‑Dame de Strasbourg
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Une cathédrale parmi tant d’autres : Notre‑Dame de Strasbourg Notre-Dame de Strasbourg n’est assurément que l’une des cathédrales de cet Occident européen qui en compte tant d’autres, et si belles. On pourra néanmoins convenir sans trop de peine que, d’une part, son matériau de construction et sa silhouette si caractéristiques, et d’autre part sa position géographique à la fois de frontière et de carrefour ainsi que ses richesses de tous ordres, lui confèrent une attractivité globale et un rayonnement effectif particulièrement susceptibles de sensibiliser à l’univers si spécifique des prestigieux édifices auxquels est voué ce livre. Pour présenter cet insigne monument dans l’esprit qui a été précisé, le mieux sera encore de procéder au plus simple. Je commencerai tout bonnement par faire état de la manière dont, en ce qui me concerne, j’ai d’abord « vu » et, ensuite, progressivement « vécu » le monument lui-même (I.). Suivront un rapide survol de l’histoire de sa construction (II.) puis une réflexion sur ce qu’ont pu être à la fois son utilisation et, disons, son interprétation à travers les siècles (III.). Je terminerai sur les travaux – très spécialement le réaménagement du chœur – réalisés à l’époque tout à fait contemporaine, et sur leur portée à la fois socio-culturelle et théologicocultuelle (IV.). Ö
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Pratiquée à propos de l’une d’entre elles, cette première approche de « l’univers » si fascinant des cathédrales comportera dès lors ces quatre brèves étapes : I. Le rapport d’un évêque à la cathédrale du diocèse auquel il a été envoyé II. L’histoire d’une construction étalée sur un millénaire III. L’aménagement interne du bâtiment et son utilisation à travers les siècles IV. Les travaux de l’époque tout à fait contemporaine et leur portée
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I. LE RAPPORT D’UN ÉVÊQUE À LA CATHÉDRALE DU DIOCÈSE AUQUEL IL A ÉTÉ ENVOYÉ De même que, lorsque je fus doyen de théologie et de sciences religieuses à l’Institut catholique de Paris (de 1988 à 1994), je me gardai toujours de parler de « ma » faculté, de même et plus encore si possible, je pris bien sûr soin, après que j’eus été nommé archevêque de Strasbourg en 1997, de ne jamais faire état de « ma » cathédrale ! Reste cependant que je ne peux aucunement faire abstraction de l’étroit rapport que je devais, à partir de ma nomination du moins, contracter avec elle, et ne pouvais bien sûr qu’entretenir et cultiver par la suite. C’est donc par l’évocation de cette relation bien typée que j’inaugurerai la présentation du prestigieux édifice que, le 23 novembre 1997, jour de mon ordination épiscopale sur place, je me suis vu confier. Je dirai successivement comment j’ai « vu » la cathédrale de Strasbourg lors de mon premier contact avec elle, et comment je l’ai « vécue » par la suite.
1. Comment j’ai vu Notre-Dame de Strasbourg Ainsi qu’à tout visiteur de la ville où je venais d’être envoyé comme évêque, la cathédrale de Strasbourg m’est d’abord apparue comme le symbole fort d’un être-ensemble très significatif. Si j’ai en effet été personnellement toujours très marqué par l’image de rassemblement que présente toute cathédrale, cela m’a tout de suite frappé pour celle de Strasbourg. D’où que l’on vienne vers la ville, tout ne se passe-t-il pas en effet comme si c’était toujours vers « la » cathédrale que l’on s’acheminait ? Il y a même des angles d’approche et d’arrivée où, de très loin, on ne voit qu’elle – comme si, en somme, la ville n’existait pas encore ou bien comme si, en quelque sorte, elle suffisait à la représenter. Et puis progressivement, au fur et à mesure que l’on se rapproche, elle apparaît être-là non seulement dans 17
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la ville mais avec la ville et avec tous ses habitants, les rassemblant, les faisant en quelque sorte exister-ensemble par sa présence même. Et si elle s’élève au-dessus de l’agglomération urbaine qui apparaît l’entourer, on a bien l’impression que c’est afin de signifier que, pour tous ceux qui habitent là, pour tous ceux qui vivent là, se réalise par elle quelque chose comme une présence, une grâce, une bénédiction. Et, bien qu’on en reste certes ici assez souvent au non-dit, je suis sûr que c’est cela qui est d’emblée éprouvé par beaucoup de gens au départ étrangers, quand ils viennent vers Strasbourg ‒ c’est-à-dire de fait d’abord vers sa cathédrale ! Ensuite, quand on est arrivé en ville, dans quelque quartier que ce soit et même les plus périphériques, soit qu’on y réside de manière habituelle, soit qu’on vienne d’y arriver de l’extérieur, on la pressent même sans la voir. On a le sentiment qu’elle est là. Elle est le symbole même de l’« être-ensemble en cette ville ». Et quand on s’en est enfin approché, on se réjouit de lever les yeux vers elle pour la raison précise que cette présence parmi nous, avec nous, au milieu de nous, au-dessus de nous, a quelque chose de puissamment rassembleur. Rassembleur dans le sentiment du beau, dans l’émotion devant l’indicible, dans le pressentiment d’un essentiel qui est « invisible pour les yeux » mais vers lequel pourtant oriente le regard, et qui ouvre l’accès à l’expérience esthétique que l’on ne tarde pas à éprouver. Quand enfin on est entré dans l’édifice, il est bien clair qu’on n’est pas seul et qu’on vit même réellement un être-ensemble plus fort encore. Tout ce peuple de statues foisonnantes, de figures présentées par les vitraux, par les sculptures – et par les tapisseries elles-mêmes quand elles sont exposées… Et puis tous ces gens qu’on croise et qu’on rencontre au long de la visite : tous ces touristes, visiteurs ou pèlerins, toutes ces catégories d’hommes et de femmes, de personnes de tous âges venues de presque toutes les parties du monde, au point que, nous dit-on, le total en atteint chaque année trois ou quatre millions ! Deuxième aspect : la cathédrale m’est apparue comme le témoin exceptionnel d’une prodigieuse histoire. Y sont présents les commencements, les 18
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fondements de la première implantation de la religion et de la civilisation chrétiennes dans la région d’entre Vosges et Rhin puisque, là comme dans tant d’autres cathédrales, les recherches archéologiques effectuées ont mis au jour de très anciens enracinements. Là sont les traces et les signes d’une foi et d’une culture qui ont rayonné sur tout l’espace rhénan, axe majeur de l’Europe dans le passé, dans le présent, et, nous l’espérons bien, dans l’avenir. Là apparaissent les marques des grandes époques, des étapes constitutives de l’histoire régionale et même nationale : le Haut et le Bas Moyen Âge ; les temps de la Renaissance, de l’humanisme et de la Réforme ; le système royal et le régime impérial ; les appartenances françaises et les apparentements germaniques. Une troisième chose encore m’a d’emblée frappé quand je découvris ce qui était en train de devenir, pour moi aussi, « notre cathédrale » : l’invitation à s’ouvrir à quelque chose comme un mystère. Cette cathédrale n’est pas seulement belle ; elle est multiplement belle, toute belle. Architecturalement et sculpturalement, par ses tapisseries et par ses vitraux, par ses lignes et ses couleurs, par sa lumière et son matériau même. Elle n’est que belle, « la » cathédrale : par les nuances de sa pierre et le tracé de ses voûtes, par la finesse de sa façade et l’élan de sa flèche. Et sa beauté est accessible à quiconque lève les yeux vers elle et la contemple un instant. Elle est posée là parmi nous comme un mystère. Qu’est-ce donc qui fait, alors, que nous nous sentons si proches, par elle et au-delà d’elle ? D’autant que, à travers sa beauté toujours rayonnante comme à travers ce que j’ai suggéré de l’histoire à laquelle elle nous renvoie, elle apparaît vite comme le signe même de l’ensemble de l’Alsace. Elle est l’église-mère, au centre de tout le diocèse dont elle est le cœur. Lieu de la célébration des grands événements religieux et même civiques de toute la région d’Alsace, elle n’est, comme toute église, maison de Dieu qu’en étant en même temps maison des hommes. Au milieu d’eux, elle se présente en quelque sorte comme le témoin du Dieu en l’honneur duquel elle fut construite et
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demeure. D’un Dieu qui vient et nous invite à le rencontrer, qui est même tout disposé à nous accueillir et à nous recevoir. Voilà comment, comme beaucoup d’autres d’ailleurs bien entendu, j’ai pu et peux encore voir moi-même la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg. Tout cela, aussi important que ce soit, ne suffit pourtant pas, à bien loin près, à exprimer comment, cette même cathédrale, il m’a été donné de la vivre.
2. Comment j’ai vécu Notre-Dame de Strasbourg J’ai bien sûr d’abord vécu cette cathédrale comme l’église de référence de mon épiscopè, c’est-à-dire de ma charge d’évêque. Je ne peux pas faire abstraction du fait que c’est dans cet édifice que, exactement le 23 novembre 1997 je l’ai déjà dit, j’ai été ordonné pour devenir l’évêque du diocèse dont elle est l’église-mère. Bien des années auparavant, je m’étais déjà prosterné de tout mon long (c’était à Nantes, mon diocèse d’origine) pour mon ordination de diacre puis pour mon ordination de prêtre, et je pensais bien que les choses s’arrêteraient là, car je ne faisais pas du tout l’hypothèse de devenir évêque. Or, pour des raisons qu’il n’importe pas ici de développer, il se trouve néanmoins que j’ai accepté d’être appelé à l’épiscopat, et que j’ai donc été ordonné aussi selon le troisième degré du sacrement de l’ordre. Cela m’a valu, bien sûr, de vivre une troisième fois la grande prostration de la liturgie de l’ordination. Ce fut précisément dans la cathédrale de Strasbourg. Comment cela ne serait-il pas resté gravé en moi ? On a alors invoqué sur moi les saints Apôtres, les martyrs et les docteurs de la foi, en même temps que saint Amand, saint Arbogast, sainte Odile, saint Léon IX et quelques autres encore des saints et saintes de l’Alsace. Je n’étonnerai pas beaucoup, je pense, si je confie que le moment très intense de mon existence de chrétien et de prêtre que j’ai vécu là continue de me lier de façon indélébile à l’édifice où il m’a de fait été donné de le vivre.
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Un autre lien personnel à cet édifice unique pour moi n’est pas encore scellé, grâce à Dieu. Dans son ordre pourtant, il n’en est pas moins très fort. Plusieurs années après cette ordination épiscopale que je viens d’évoquer, j’ai réalisé que, de même que j’ai été ordonné évêque dans cette cathédrale, de même j’y serai très vraisemblablement inhumé, et à cet égard, je dois bien reconnaître que ni la renonciation prématurée à ma charge dont j’aurai à reparler, ni mon départ de Strasbourg, n’ont fondamentalement changé la donne. Faut-il le préciser ? Il y a là une question que je ne m’étais guère posée. Je sais pourtant que mes parents s’en étaient, quant à eux, préoccupés puisque, préparant leur propre caveau, ils ont in tempore voulu y prévoir près d’eux une place pour moi-même. Mais c’est un fait que je ne m’étais jamais arrêté à considérer ces choses… jusqu’au jour précisément où, ayant à présider les obsèques de mon préprédécesseur Mgr Elchinger, j’ai réalisé qu’il m’arriverait bien sûr aussi à moi-même, un jour, la même chose qu’à lui. J’ai réalisé en même temps que j’avais donc toutes les chances de trouver ma dernière demeure à ses côtés : dans la crypte de la cathédrale de Strasbourg. Comment n’en serais-je pas, là encore, resté profondément marqué ? Un autre de mes liens personnels à cette cathédrale tient, bien sûr, au fait qu’y est placé ce qui a été pendant quasiment dix ans ce qu’il me faut appeler, quand même, « ma » cathèdre. La première fois que, venant tout juste d’apprendre que je serais évêque du lieu, j’ai pu visiter l’édifice, j’y ai passé un long moment de silence et de méditation, pensant évidemment à tout ce qui m’attendait dans les mois et les années qui allaient venir. Or je suis tout à coup devenu très interrogatif : j’ai réalisé qu’il n’y avait pas de cathèdre ! J’ai été sur-le-champ tenté de me dire à moi-même : mais que vais-je donc venir faire ici, alors ? Je ferai certes grâce du détail, mais c’est un fait que dans la cathédrale à laquelle j’étais envoyé, il n’y avait à l’époque pas de cathèdre à demeure. Transportable à volonté, le siège épiscopal, très beau fauteuil du xviiie siècle, n’était en place que pour les célébrations auxquelles
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l’évêque était effectivement présent – et encore le plaçait-on alors à l’endroit même d’où pouvait s’exercer toute autre présidence liturgique. Il importait d’autant plus de remédier à la situation que j’ai bien sûr par la suite régulièrement conduit moi-même à la cathédrale les grandes célébrations de l’année liturgique. Ce fut d’ailleurs pour moi un bonheur toujours renouvelé de revenir en ce haut lieu pour y présider les ordinations et la messe chrismale, les trois messes programmées le jour de Noël et le jour de Pâques, pour y prononcer des conférences d’Avent ou de Carême, pour y introduire des concerts ou d’autres manifestations, pour y accueillir et accompagner des visiteurs officiels ou non, et pour y présider un grand nombre de festivités – j’aurai l’occasion d’y revenir. Or à chaque fois, ce fut la même joie d’être là pour une assemblée célébrante, confessante et chantante, afin d’accueillir avec elle la Parole de Dieu et de partager pour elle le Pain de Dieu. À chaque fois, ce fut aussi le même sentiment de présider à la communion de toute l’Église diocésaine – ce qui, je le relève en passant, m’a précisément porté à utiliser volontiers, à côté de la désignation traditionnelle d’évêque/archevêque de Strasbourg, celle d’évêque/archevêque d’Alsace. Mais, pour n’être pas trop incomplet, je dois encore faire état d’un dernier élément quant à la manière dont j’ai vécu concrètement mon rapport à la cathédrale : je l’ai pratiquée et donc, de fait, ressentie comme l’épicentre d’un large réseau de relations et de collaborations avec d’importantes institutions. La première fut évidemment l’État lui-même, qui en est le propriétaire mais joue son rôle d’abord par son représentant local, le préfet et ses différents collaborateurs, à commencer par ceux de la Direction régionale des affaires culturelles. Avec ces partenaires habilités, j’ai eu des rencontres régulières ; nos rapports respectifs à l’édifice et à sa gestion ont été clairs ; notre collaboration a toujours été sans ombre. J’y reviendrai aussi. Un autre partenaire – spécifique, lui, à la situation de Strasbourg – fut ce qu’on appelle l’Œuvre Notre-Dame. Héritière de l’ancienne fabrique de la cathédrale, cette institution est depuis 1290 entièrement sous l’autorité de 22
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la Ville, et régie par un décret du 3 frimaire an XII. Comme l’État, elle a son type d’intervention particulier sur le monument ; avant tout, elle se répartit avec lui les tâches de son entretien. Il y eut un troisième partenaire : une assez florissante Société des amis de la cathédrale. Réunissant plus de 800 membres, elle publie un bulletin d’une grande qualité scientifique, et il me fut donné de fêter solennellement son centenaire. Sur le mode associatif cette fois, elle représente de fait un élément important concernant la connaissance de la cathédrale et tout particulièrement la communication à son sujet : sensibilisation de l’opinion publique autour d’elle, études historiques et proprement scientifiques, contributions ponctuelles à son entretien. Ö
On l’a bien compris, il m’a été donné de vivre une relation d’une grande richesse avec la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg. On me permettra de confier ici que de pouvoir réaliser sur elle un ouvrage qui devait par la suite inaugurer la collection « La grâce d’une cathédrale » a été pour moi une heureuse manière de solder une part au moins de l’immense dette que j’ai contractée à son égard en la servant pendant quasiment dix ans comme son évêque.
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« Les cathédrales sont là. Elles sont belles. Elles sont de plus en plus visitées… Mais c’est un fait qu’elles sont aussi, et dans le même temps, de moins en moins comprises. » Les cathédrales sont situées au cœur de nos villes, et pourtant nous n’avons pas toujours l’intelligence de ces édifices uniques entre tous. Monseigneur Joseph Doré nous propose de (re)découvrir leur place historique, culturelle, sociale et ecclésiale. Au fil des pages, le lecteur trouvera une invitation à s’approprier ces lieux hors du commun qui n’ont pas fini de l’enchanter… et où il pourra expérimenter lui aussi la grâce des cathédrales. Monseigneur Doré est archevêque émérite du diocèse de Strasbourg. Il est directeur de la prestigieuse collection « Jésus et Jésus-Christ », aux éditions Mame-Desclée, Paris. Il a fondé et dirige la collection « La grâce d’une cathédrale », aux éditions La Nuée Bleue, Strasbourg. Photographies de couverture : La cathédrale de Strasbourg de nuit © shutterstock/afotoshop, portrait de Monseigneur Doré © Aude Boissaye, studio Cui Cui.
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