Flavie Flament - Pascal Lemaître 14,50 €
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Lulu la mouette
Lulu la Mouette, la canaille des quais de Trouville, la terreur du Festival du film américain de Deauville, la mouette qui fait caca sur tout le monde, eût un jour… le coup de foudre… pour Armand le Goéland.
Flavie Flament - Pascal Lemaître
Ce jour-là, comme tous les jours de grande marée, Lulu la Mouette assiste au retour des chalutiers, perchée sur la fenêtre de la halle aux poissons de Trouville. Ce jour-là, comme tous les jours de grande marée, Lulu se moque des mouettes qui suivent bêtement les bateaux en espérant qu’un maquereau s’échappe du filet !
Lulu, elle, elle a sa planque, qu’elle ne partage avec personne. Et hop ! La voilà en plein festin dans la réserve de Robert et Denis, les frères poissonniers, se gavant en solitaire de tous les poissons fraîchement pêchés ! En bref, ce jour-là, comme tous les jours, Lulu fait « sa mauvaise ». Faire « sa mauvaise » mouette, Lulu, c’est son truc. Depuis bien longtemps…
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Petite, Lulu la Mouette s’appelait Lucette. Avant qu’elle ne naisse, ses parents avaient rêvé d’avoir une fille aussi jolie que sa maman, qui avait été, un temps, le modèle de l’artiste Savignac et dont le portrait s’affichait fièrement sur les murs de l’hôtel Flaubert.
Alors, quand la petite Lucette pointa le bout de son bec, ce fut le bonheur autour du nid sur le clocher de la mairie.
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Seulement, au grand désespoir de ses parents, Lucette afficha en grandissant de très grandes pattes rouges, et surtout une mèche rebelle qu’aucune plumeuse de la région ne parvint à dompter.
À l’école des P’tits Mouettons, Lucette subit toutes les moqueries de ses camarades… — Eh Lucette ! Viens par là ! On va te coller un bon coup de mazout pour te plaquer les plumes comme Dick Rivière ! Tu vas pouvoir monter ton groupe de rock ! — Eh Lucette ! Qu’est-ce qui se passe ? On dirait que tu t’es pris une tempête force 10 ?
La petite Lucette, lasse des quolibets incessants de ses congénères, décida donc un jour qu’on l’appellerait désormais « Lulu la Mouette », et elle devint la terreur des quais de Trouville. Et comment me demanderez-vous ? Tout simplement en faisant caca sur tous ceux qui lui posaient problème !
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Jean, le voiturier du restaurant Les Vapeurs, par exemple ! Depuis qu’il l’a empêchée de déguster une belle crevette rose tombée d’un plateau, il paye cher son coup de balai ! Chaque soir, vers 21 heures, Lulu décolle de la halle aux poissons, calcule l’axe, la vitesse du vent, reste en stationnaire au-dessus des belles voitures… et signe de son caca un magnifique L, qui veut dire Lulu !
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Tous les ans, quand les grandes stars du cinéma américain se retrouvent pour une grande fête à Deauville, Lulu s’en donne à cœur joie ! C’est sa saison préférée ! À événement exceptionnel, régime exceptionnel ! Pour un caca de qualité, un caca qui colle bien aux vêtements, Lulu se gave de crevettes et de brouailles de cabillaud. Ensuite, sous les crépitements des flashs des photographes, Lulu vise les plus beaux décolletés, les fleurs dans les chignons, les pochettes de soie dans les vestons…
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Ce jour-là, donc, alors que toutes ses congénères imbéciles suivent le chalutier jusqu’au port en poussant des cris de mouettes effarouchées, Lulu se remémore ses plus grands exploits… quand, soudain, elle aperçoit un magnifique goéland qui semble guider le bateau vers le port. Il est grand, fort et majestueux. La petite brise normande fait trembler son plumage, ses yeux dominent le paysage et sa mèche crantée, digne de chez Desfranges, ne bouge pas d’une plume. Il est plus beau que tous les acteurs américains, plus beau qu’Aldo, le chef du gang des corbeaux, celui du bosquet noir derrière le presbytère…
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C’est ainsi que Lulu la Mouette, la canaille des quais de Trouville, la terreur du Festival du film américain de Deauville, la mouette qui fait caca sur tout le monde, a un jour le coup de foudre… pour Armand le Goéland.
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Armand le Goéland, « argenté » s’il vous plaît, est un grand voyageur venu en villégiature sur la côte normande. « Les poissons y sont frais, et les mouettes jolies », lui a-t-on dit… Les mouettes ? Elles sont toutes derrière lui, criant son nom à tout va, rivalisant de clins d’œil, d’effets de poitrail et de crevettes au coin du bec. Lulu, elle, reste “bec bé”. Comme hypnotisée. 10
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Deux heures plus tard, alors qu’elle regarde le soleil rougir en se couchant dans la Touques, Lulu sent un souffle au-dessus de sa tête. D’habitude, personne n’ose s’aventurer près de sa planque. Agacée, elle jette un œil au-dessus de la corniche. Main non ! elle ne rêve pas ! Il est là, juste au-dessus d’elle, sur la girouette en forme de drakkar, bombant son poitrail blanc, bec dans le vent et regard fier pointé vers l’horizon.
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L’occasion est si belle pour Lulu de se faire remarquer ! Elle tournoie devant le soleil rougissant et passe devant Armand à plusieurs reprises. Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, place à Lulu la Mouette et à son grand numéro de voltige aérienne !
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Commencer par une montée terrible vers le ciel, ensuite piquer droit dans la mer, en ressortir avec une sardine frémissante dans le bec, l’assommer en faisant un saut carpé phénoménal, revenir sur les quais l’air désabusé et prendre son temps pour déguster son festin mine de rien. Nul doute qu’Armand sera épaté !
Essoufflée, elle se pose enfin sur le quai. Et là, malheur ! Trois fois malheur ! Armand prend son envol en direction de la colline sans même un regard pour Lulu, la cacateuse la plus célèbre de la côte normande, la reine des prouesses aériennes !
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Lulu a soudain une grosse, une très très grosse envie de pleurer. La sardine à ses pieds frétille en la suppliant de l’épargner. Lulu, dégoûtée, la rejette dans la Touques d’un coup de patte et reste là, sous la lumière d’un lampadaire. Toute mouillée. Toute ridicule. Toute seule.
Ce jour-là, perchée en haut de la halle aux poissons de Trouville, alors que la nuit est tombée, Lulu reste longtemps à contempler les vaguelettes argentées, la mèche en bataille, les pattes dans le vide, en pensant à Armand le Goéland…
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Le lendemain matin, sur le port, règne une ambiance digne des jours de marée du siècle. Pas une mouette de la région ne manque à l’appel. Elles sont venues de Honfleur, de Houlgate et même de Cherbourg ! C’est l’affolement général. Robert et Denis, de mémoire de pêcheur, n’ont jamais vu un tel rassemblement de plumes et de becs le long des quais.
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Des murmures s’élèvent et les potins vont bon train ! — Lulu est là !… — Qu’est-ce qu’elle est venue faire alors qu’elle ne vient jamais ?
— Laissez tomber, les poulettes ; c’est pas le maquereau qui l’intéresse, c’est plutôt le goéland ! lance Josette. Toutes les mouettes éclatent de rire.
Josette la coquette, c’est la pire ennemie de Lulu. Celle qui passe son temps à lustrer ses plumes et à faire briller son bec avec de la mayonnaise… Celle qui a été élue trois années de suite Miss Mouette de Trouville… Josette, elle s’la pète.
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Ça piaille, ça crie, ça s’égosille, ça braille… Soudain, toutes les têtes se tournent vers le ciel et le silence se fait : c’est Armand qui arrive ! Il survole le groupe, le cou tendu, l’œil vif, les ailes grandes ouvertes, les pattes athlétiques, les palmes tendues vers le sol comme deux avions furtifs en approche. Les mouettes s’écartent et Armand, dans un souffle à peine perceptible, se pose au milieu du groupe… et le tintamarre reprend. Ça piaille, ça crie, ça s’égosille et ça braille !
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À la vue d’Armand, le cœur de Lulu bat fort, comme un gros tambour les jours de fête. Quand le bateau quitte le quai, Armand en tête, Lulu joue des ailes pour trouver sa place dans le cortège. Le vent souffle fort, ce matin, et les mouettes ont du mal à garder le cap. En deux temps trois mouvements, Lulu a devancé les plus faibles. Devant, elle remarque Josette et elle reconnaît immédiatement les cuisses dodues de la Teurgoule et le chignon de la Bolée.
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