LA VIE DES
FRANÇAIS racontée par
de 1928 à nos jours
OFFERT !
SOMMAIRE Préface de Nicolas le Jardinier ...................... 4
1928-1958 :
1958-1978 :
UN JOURNAL POUR
RÉINVENTER LA CAMPAGNE
LES FAMILLES PAYSANNES ................................................................................................ 6
AU TEMPS DES
LE PAYSAN DANS LES ANNÉES FOLLES .................................................................... 11 La radio ........................................................................ 12 La page de la femme ........................................... 13 L’automobile .............................................................. 15 Se divertir à la ferme .......................................... 17 Le monde en images ........................................... 19
L’AGRICULTURE PARTOUT ET NULLE PART ........................................... 21 Travailler la terre .................................................. 22 Le progrès à petits pas...................................... 24 Ennemis des cultures, ennemis des jardins ....................................... 25 L’économie agricole ............................................. 27 Chasse, pêche et tradition ! ........................... 29 Aidons-nous les uns les autres ................... 31 Un jardin nourricier ........................................... 33
LE TEMPS DES ANNÉES TRENTE À L’OCCUPATION ............. 35 La crise des années trente .............................. 36 Les tensions villes / campagnes.................. 38 Riches et pauvres .................................................. 40 Parler de la guerre ............................................... 42 Rustica et rutabaga : s'adapter................... 44 Produire encore et encore............................... 46
TOUT CHANGE, RIEN NE CHANGE : S’ADAPTER SANS SE TRAHIR....................................... 49 Un journal stable ................................................... 50 De la fermière à la lectrice ............................. 51 Divertir et cultiver ............................................... 52 « Voici encore un petit tracteur » ............... 54 La poussée du progrès ...................................... 56 Le jardin, encore et toujours ........................ 58
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TRENTE GLORIEUSES ............................................................................................. 60 S’ADAPTER À LA RÉVOLUTION DE L’AGRICULTURE ................................ 63 À la recherche d’une ligne éditoriale ..... 64 Un petit parfum de tradition ........................ 66 L’agriculture fait de la résistance ............. 68 Culture et loisirs .................................................... 69 Du jardin nourricier au jardin d’agrément..................................... 71
RÉINVENTER LES JARDINS ...... 73 Fleurir la France ................................................... 74 La France pavillonnaire ................................... 76 La vie à la campagne .......................................... 79 Le jardinier du dimanche ............................... 81 Équiper et décorer la maison ....................... 83 De l’animal de ferme à l’animal domestique ................................... 85
RUSTICA REFLET DE LA NOUVELLE SOCIÉTÉ ......... 87 Le temps des idoles .............................................. 88 Le couple en son jardin .................................... 90 Consommer encore et encore ....................... 92 Les vacances.............................................................. 94 Renouer avec les lecteurs ............................... 97
LES ANNÉES 70 AU TEMPS DE NICOLAS LE JARDINIER....... 99 Nicolas : de l’ombre à la lumière ............ 100 De l’agriculture à la nature : premières alertes ........................................... 102 Le retour à la terre............................................ 104 Le retour des paysans au jardin et dans les assiettes ..................................... 106 Un journal toujours plus proche de ses lecteurs.................................................. 108 Vers un jardin au naturel ?........................ 110
1978-2018 : AU BONHEUR DES CAMPAGNES .......................................................................................... 112 LE RETOUR DES CAMPAGNES.................................... 115 Les nouveaux habits de la ruralité ....... 116 Le patrimoine en son jardin ...................... 117 L’agriculture en démonstration : le salon médiatique ...................................... 119 Gastronomie, bons vins et produits de terroir.............................................................. 121
JARDIN, SANTÉ ET BIEN-ÊTRE ............................................. 123 Jardin biodynamique ...................................... 124 Jardin biologique ............................................... 125 La santé et le bien-être ................................... 126 Manger sain, manger jardin ..................... 128
Les éditions Rustica remercient chaleureusement les collaborateurs, amis et lecteurs ayant contribué à cet ouvrage et à Rustica au fil des années. Un remerciement tout particulier à Nicolas le Jardinier qui, né la même année que Rustica, nous a fait l’honneur d’en célébrer l’anniversaire en préfaçant notre ouvrage.
UNE IDENTITÉ ÉDITORIALE BIEN ENRACINÉE .................................. 129 Le retour des « vedettes »............................... 130 Le jardin pédagogique… .............................. 133 … et toujours incarné ..................................... 134 Le jardin, mais pas seulement ................. 136 Toujours garder le lien avec le public ................................................................ 138 Rustica fait des histoires.............................. 141
UNE ÉCOLOGIE DU QUOTIDIEN : « DANS LA VIE COMME AU JARDIN » ................................................... 143 Dénoncer les nouveaux périls .................. 144 Sauvegarder la diversité ............................... 146 Face au dérèglement climatique............. 148 Réapprendre l’économie domestique ......................................................... 150 90 ans de couvertures .................................... 152 Au bout du voyage… ....................................... 156
NOTE DES ÉDITRICES Tout au long de l’ouvrage, les articles cités ou les documents iconographiques issus des archives de Rustica sont référencés selon la nomenclature suivante : 1928-01 ➚
Année de parution
➚
Numéro
3
LE 90E ANNIVERSAIRE DE RUSTICA Préface de Nicolas le Jardinier (de son vrai nom, Raymond Mondet)
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n 1878, une famille catholique bretonne, les de Penanster, créa Le Petit Écho de la mode. Le succès de l’hebdomadaire fut vite énorme. Un journal masculin s’imposait : Rustica vit donc le jour en 1928. Sa première rédactrice en chef, issue de la grande presse, fut Eugénie Dussaud. Son premier collaborateur était Lucien Sabourin, assistant du directeur de l’École du Breuil, école de jardinage de la Ville de Paris.
Quand Madame Dussaud approcha l’âge de la retraite, Lucien Sabourin me fit engager pour lui succéder. Après avoir été professeur technique d’horticulture adjoint de la Chambre de commerce à Andrésy dans les Yvelines, j’étais jardinier chef d’un grand château destiné à devenir école d’horticulture. D’un caractère pourtant affirmé, Madame Dussaud m’accueillit avec faveur : « Sans enfant, vous êtes mon fils, puisque né la même année que Rustica. — Mais oui, Madame. » C’était une évidence. À 26 ans, j’étais rédacteur en chef, le second. Parmi les gens qui m’ont succédé, Bruno Vaesken est demeuré mon ami. Titulaire du Certificat d’études primaires et du Brevet supérieur, il me fallait suivre les cours du CNAM le soir. Mon professeur me dit : « Mondet, vous avez dix-huit certificats des Arts et métiers, vous allez passer devant une commission pour devenir ingénieur. — Mais Monsieur, jardinier à quatre branches*, on se moquerait de moi si je devenais ingénieur. » Deuxième rédacteur en chef de Rustica, je mourrai jardinier.
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Nicolas le Jardinier dans son potager, à Romainville, en 2007.
À mon cinquantième anniversaire, Le Petit Écho de la mode vendu aux Belges, Rustica fut offert à Georges Dargaud. Il voulait transformer l’hebdomadaire pour accueillir davantage de publicité. Ce n’était pas mon objectif et je devins Directeur de la Maison rustique [ancien nom des éditions Rustica, note de l’éditeur], tout en commençant à me consacrer à des émissions de télévision, sous le nom de « Nicolas le Jardinier », que m’avaient attribué les propriétaires des châteaux où j’avais exercé à la fin de mes études en 1948 à l’École du Breuil. En 1959, le Commissaire général du tourisme, Lucien Bertrand, imaginait la France fleurie. Il chargea France de Saint Marc d’animer la « campagne nationale du fleurissement », à laquelle se rallia Rustica. Martine Lesage succéda à France de Saint Marc en 1988, pour assurer son plus grand succès. Administrateur puis Trésorier du fleurissement, je partis alors, pour une saison, favoriser le fleurissement de la Hongrie. Se succédèrent ensuite les faveurs et la reconnaissance des autorités officielles. Devenu Chevalier, Officier, Commandeur du Mérite agricole comme de l’Ordre national du mérite, j’entretenais jardins et châteaux. Antenne 2, puis TFI… Les équipes de télévision venaient à Romainville, dans les jardins de la maison de mon père et au château de Romainville (dont il était maréchal-ferrant). La « Maison de TF1 » (1982-1988) me permit de devenir l’ami d’Évelyne Dhéliat, notre incomparable « madame météo » ! Il me fallut deux accidents cardiaques importants pour devoir cesser de travailler… et pouvoir célébrer les quatre-vingt-dix ans de Rustica. Nicolas le Jardinier À Romainville, le 9 septembre 2016
* Fleurs, fruits, légumes, parcs et jardins
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COLl
ECTOR RUSTICA
1928 - 1958
Un journal pour
les familles paysannes
E
n 1928, lors de la création de Rustica par les éditions de Montsouris appartenant à la famille Penanster, la France paysanne est à son apogée. Malgré les progrès de l’industrialisation, elle demeure la principale activité économique du pays, assurant le tiers de la richesse nationale et employant près de 8 millions de personnes, soit 37 % environ de la population active. À l’échelle de la nation, la population rurale, c’està-dire habitant dans les communes de moins de 2 000 habitants, est encore – certes pour peu de temps – majoritaire, puisque le basculement ne sera effectif que lors du recensement de 1931. Cette paysannerie nombreuse, où la petite exploitation familiale occupe une place prépondérante, n’est pas nécessairement gage d’efficacité économique. Affaiblie par les pertes humaines et matérielles de la Première Guerre mondiale, l’agriculture peine à nourrir le pays : il faut attendre 1925 pour que les productions retrouvent le niveau de 1914, et la faible productivité des exploitations rend toujours indispensables des importations ponctuelles. Une grande partie des paysans n’ont pas les moyens d’investir et de moderniser leurs exploitations,
1930-11
1928-18
les faibles surplus dégagés étant consacrés à agrandir les exploitations, dans un marché de la terre encore très concurrentiel. Si les agriculteurs sont encore les maîtres incontestés des campagnes, leur présence massive s’accompagne de la diversité maintenue d’un monde rural où cohabitent artisans, salariés de l’industrie rurale, mais aussi petits fonctionnaires, commerçants et professions libérales, notaires, pharmaciens ou médecins. Ils font des villages et des bourgs ruraux des ruches bourdonnantes dont l’intégration dans l’espace national est favorisée par l’essor des chemins de fer locaux, qui atteignent leur apogée, facilitant la circulation des hommes et des marchandises. Pas étonnant dès lors que l’on s’intéresse de plus en plus à la paysannerie, objet de toutes les attentions de la part des autorités et des for-
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Ci-dessus : affiche du Syndicat central des agriculteurs de France, aussi appelé Syndicat de la rue d’Athènes, dirigé par la grande aristocratie foncière.
mations politiques. Elle constitue à la fois une masse électorale de premier plan, dont le ralliement a assuré, dans les années 1870, l’enracinement de la République, mais aussi un modèle social associant petite propriété individuelle, travail indépendant et familial, dans un monde marqué par les progrès du capitalisme, de l’urbanisation, et face à la menace du collectivisme ouvrier. Enfin, depuis la saignée de 1914-1918, elle est un symbole de la défense héroïque du territoire national. C’est dans cette perspective qu’il faut replacer les nombreuses initiatives pour prendre en charge et participer au développement des campagnes. On observe la multi-
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plication des syndicats, plus ou moins liés à des partis politiques, l’émergence de nouvelles structures administratives, comme les chambres d’agriculture départementales lancées en 1927, ainsi que de véritables partis politiques, comme le Parti agraire et paysan français, fondé la même année par le journaliste agricole Fleurant Agricola. Dans le champ professionnel, les catholiques, au-delà de leur poids au sein de la puissante fédération des syndicats agricoles de la rue d’Athènes, se dotent d’organismes spécialisés : la Jeunesse ouvrière catholique en 1927, suivie par la Jeunesse agricole catholique en 1929. Cet encadrement est d’autant plus indispensable que la Première Guerre mondiale a accéléré le processus d’intégration des paysans à la nation : la longue expérience des tranchées, la fréquentation des autres catégories sociales, les permissions à l’arrière et dans les villes ont pour partie transformé leur état d’esprit, et ils veulent désormais faire entendre leurs revendications, mais aussi participer pleine-
ment à la vie politique, économique et culturelle. Cette assimilation est d’autant plus rapide qu’elle bénéficie de nouveaux relais : la presse, bien entendu, qui connaît depuis la seconde moitié du XIXe siècle un essor considérable, mais aussi la radio et le cinéma, qui se répandent dans tout le pays. C’est au cœur d’un tel dispositif qu’il importe de replacer la création de Rustica, premier hebdomadaire dédié au jardin, à la croisée de l’économique, du culturel et du politique. De l’économique puisqu’il s’agit d’accompagner et d’encourager la modernisation des campagnes en apportant faits et connaissances aux familles paysannes pour leur permettre de mieux tirer profit de leurs terres et de ne pas rester à l’écart du progrès : techniques culturales, engrais, sélection des espèces, mécanisation, évolution de la législation agricole doivent pénétrer dans les foyers. Cette fonction productrice du paysan nourricier demeure prépondérante dans l’entre-deux-guerres et jusqu’à la fin des années 1950, lorsque la France entre dans une période de modernisation accélérée.
À la croisée du social et du culturel, car l’autre objectif de Rustica est le divertissement et la détente. Dans une optique résolument familiale, le journal propose aux lecteurs des jeux, des images, des informations dépaysantes et légères, susceptibles d’intéresser l’ensemble des membres du foyer. Cette presse familiale de divertissement s’inscrit dans un savoir-faire développé par une partie des élites catholiques, à l’instar de la famille de Penanster, fondatrice du Petit Écho de la mode, et qui développe dans l’entredeux-guerres un groupe de presse et d’édition très dynamique.
Ci-dessus : démonstration de matériel agricole. La petite fille sur la gauche laisse deviner que l’on se trouve dans une exploitation prospère.
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À la croisée de la politique et de l’idéologie enfin, car si la ligne éditoriale entend écarter toute prise de position partisane et vise à élargir au maximum son lectorat en affichant sa neutralité, celle-ci n’est pas totale. En effet, défendre et célébrer le travail de la terre et la famille rurale, proposer aux paysans des loisirs sains, sont aussi pensés comme des moyens
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efficaces de protection des « valeurs paysannes », perçues comme menacées par le développement des villes et de la culture urbaine et ouvrière. Un tel positionnement, loin d’être exceptionnel, traduit les inquiétudes d’une grande partie des élites françaises confrontées à la transformation de la société, et il perdure jusqu’au début des années 1950.
Le
paysan dans les
ANNÉES FOLLES Après des années de souffrances et de guerre, l’Europe bascule dans l’ivresse de la détente et du divertissement, servie par l’accès croissant à une consommation de masse permise par la standardisation de la production. Certes, la mode des garçonnes et l’enthousiasme pour le jazz ou le cinéma sont d’abord des phénomènes urbains. Mais, comme en témoigne Rustica, les campagnes ne sont pas en reste. De nouveaux supports techniques favorisent la circulation des images et des sons et viennent bousculer « l’ordre éternel des champs ». Le sport, le music-hall et la chanson créent, à côté des chefs d’État et des têtes couronnées, de nouvelles icônes dont on suit déjà les aventures avec passion. Le rôle de Rustica est d’autant plus important qu’il se positionne à l’intersection de ces deux mondes, celui des villes qu’habitent une partie de l’année les élites rurales, et celui des campagnes où les exploitants, attachés à la terre, n’en sont pas moins avides des échos – bruyants – d’un monde qui change.
LA PAGE DE LA FEMME Les femmes constituent une des principales cibles de la presse de masse qui se développe à partir des années 1870, dopée par la loi libérale de 1881 et la généralisation de la scolarisation.
INVENTER UNE PRESSE NOUVELLE… C’est en pionnier que Charles Huon de Penanster, issu d’une famille de la vieille aristocratie bretonne, crée en 1880 le Petit Écho de la mode, qui s’impose rapidement comme la figure de proue de la presse féminine, avec 500 000 exemplaires hebdomadaires en 1914. À cette époque, les jour1930-15 naux destinés aux femmes se multiplient, tandis que, dans le même temps, les titres spécialisés leur font une place de plus en plus importante. C’est le cas de Rustica, autre fleuron du groupe de la famille de Penanster, fondé alors qu’une nouvelle génération arrive aux manettes. Même si les paysannes ne sont pas la cible principale du nouveau magazine, à une période où elles travaillent dur à la ferme mais n’ont toujours pas de statut professionnel, la dimension familiale rend vite leur présence indispensable et surtout plus visible dans l’organisation du journal, avec la création d’une rubrique spécifique, « la femme à la campagne », en janvier 1931.
Ci-dessus : couverture du Petit Écho de la mode (numéro de janvier 1924), grand frère de Rustica et un des plus puissants vecteurs de diffusion des nouvelles pratiques vestimentaires et culturelles.
… POUR UN NOUVEAU PUBLIC La femme de la terre est d’abord une cible commerciale : la mode, la cuisine, l’habillement, la toilette ou le soin apporté à la décoration de la maison sont autant de rubriques qui émaillent le journal. Une large partie de la publicité lui est destinée, depuis l’indétrônable Jouvence de l’abbé Soury jusqu’aux différentes manières de traiter les petits soucis du quotidien. Mais la dimension commerciale est aussi professionnelle, puisque la fermière règne sur l’économie domestique et la production du jardin et de la basse-cour. Aussi est-elle destinataire des bonnes pratiques d’élevage, des soins accordés au jardin, et des nouveaux outils qui les accompagnent.
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À gauche : carnet publicitaire faisant la promotion de « Thoradia, produit scientifique de beauté », une crème à base de thorium et de radium. Ci-dessus : triptyque de photos de famille dans les années 1930.
FEMME OU FERMIÈRE ? Au-delà d’une question de marketing, la promotion et la défense de la fermière sont au cœur des débats sur la représentation de la femme et sa place dans la société. Le mouvement d’exode rural qui s’accélère durant cette période inquiète les élites qui redoutent la menace ouvrière et urbaine et lui opposent les vertus de la famille rurale. Face à ce grand danger, la femme apparaît à la fois comme le péril et le recours : le péril car sa « nature » et sa « fragilité » l’exposent la première à la tentation de la « vie facile » des villes, représentée, ce n’est pas le moindre des paradoxes, par les nouveautés, la mode et les soirées ; le recours car elle est aussi
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celle qui, dirigeant le foyer et élevant les enfants, peut sauvegarder les campagnes et attacher les hommes à la terre. Si ces propos ne se manifestent pas aussi abruptement dans les colonnes de Rustica, ils n’en sous-tendent pas moins beaucoup d’articles ou de caricatures.
L’AUTOMOBILE Icône des transformations des années folles, l’automobile entre avec fracas dans les campagnes de l’entre-deux-guerres. Il s’agit encore d’un objet très coûteux, inaccessible à la grande masse des cultivateurs, mais dont la présence sur les routes est vite jugée un peu trop encombrante… Pourtant, elle s’impose rapidement dans les pages de Rustica, d’abord simple objet de curiosité, avant de prendre ses aises dans une petite rubrique « Automobile » qui fait son apparition au milieu des années 1930, consistant principalement en conseils pour l’entretien des véhicules dont la possession est désormais moins rare dans les villages. Ci-dessus : publicité Renault de 1927
UNE ICÔNE PÉTARADANTE Si l’automobile est bien présente dans les pages du journal, c’est parce qu’elle incarne à sa façon le clivage entre les villes et les campagnes. L’irruption bruyante et odorante des premières voitures sur les chemins ruraux est l’objet d’incompréhension et d’amusement. Les maladresses ou l’insouciance des chauffeurs ou des chauffards, écrasant les poules ou effrayant les troupeaux, fait causer dans
pour la 15 CV 6 cylindres. La publicité de cette voiture « moyenne gamme » met en avant le losange qui s’impose à partir de cette date comme le logo de la firme.
les chaumières. Du côté des citadins, on n’hésite pas non plus à se moquer des paysans parvenus, enrichis par la guerre, qui s’affichent au volant de somptueuses limousines. Enfin, le développement de l’automobile multiplie les occasions d’échanges et la confrontation des deux univers, à une époque où se mettent en place les premiers itinéraires touristiques. Les mésaventures des automobilistes en goguette sont l’un des poncifs des caricatures et des petites saynètes illustrées qui ponctuent le journal, mettant le plus souvent en boîte des citadins maladroits et hautains, face à des paysans toujours facétieux, parfois un brin jaloux.
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HISTOIRE D’AUTO « Sur mon tombereau, au pas rassurant de mes bœufs, je revenais de Chevret. Elles klaxonnaient, reklaxonnaient, les autos, en doublant avec orgueil mon attelage : pas un frisson sur la peau de mes Salers blasés ! Mon regard n’en était que plus retenu par les écarts d’un jeune veau, à 100 mètres en avant, sur la route. Sidore, qui ramenait son troupeau, avait du mal à contenir, sur la banquette, le petit animal apeuré. Une torpédo, fusant, sur le macadam, à allure folle a jeté, à hauteur du petit veau, un coup brusque de sirène : la pauvre bête a fait un
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bond, celui qui était au volant a voulu éviter le choc : l’animal a été jeté néanmoins à terre et la machine est allée, sur sa gauche, s’enliser dans un champ. […] Grâce à Dieu ! pas même une égratignure pour les personnes : la machine avait vu sa fierté réduite, en quelques secondes, par la tranquille majesté du sillon. » (1935-49) Ci-dessus : sur cette carte postale publicitaire pour la revue Tout pour l’auto, le « chauffeur », botté et casqué, enjambant les Champs-Élysées, fait figure de héros des temps modernes.
SE DIVERTIR À LA FERME Hebdomadaire destiné à toute la famille, Rustica propose aussi jeux et divertissements : mots croisés, devinettes, anagrammes, anecdotes amusantes contribuent à fidéliser les lecteurs. Chaque semaine, une page entière est consacrée à des dessins humoristiques et satyriques, raillant les travers des différentes catégories sociales : hommes politiques, magistrats, bourgeois repus, citadins endimanchés, paysans cossus, chemineaux, bonnes et ménagères forment un tableau vivant de la société de l’entre-deuxguerres. Les scènes de la vie rurales sont évidemment nombreuses : ainsi, ce conseil municipal villageois imaginant toutes les solutions pour surveiller les citadins de sortie dans les bois et dans les prés.
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SCÈNES DE LA VIE RURALE Dans cette même veine, une large place est faite à la culture littéraire, sous la forme de courtes nouvelles ou de romans découpés en feuilleton. C’est surtout le premier type qui domine dans les premières années de Rustica, car il permet de traiter de très nombreux sujets, une fois encore davantage sur le ton de l’humour et de la mise en boîte, autour de quelques personnages clés de l’univers
social et villageois, souvent en parallèle, direct ou indirect, avec des caricatures ou de petites histoires en images : scènes de régiment, dans une France rurale où le service militaire demeure un rite de passage fondamental, chasseurs vantards ou maladroits, propriétaires incompétents ou agriculteurs roublards jouant de la bêtise de leurs interlocuteurs… La palette est infinie.
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ROMANS FEUILLETONS
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Les feuilletons – la parution d’un ouvrage en plusieurs épisodes – sont un des produits emblématiques de la presse depuis le XIXe siècle, au point de rencontre entre de nouvelles pratiques de diffusion de la lecture, et la volonté de cultiver les masses rurales par la « bonne littérature », impératif toujours présent dans la presse catholique dont est originaire Rustica. Mais il faut aussi, si l’on veut plaire au public, notamment féminin, faire vibrer les passions – honnêtes –, ouvrir des horizons nouveaux, bref, offrir pour quelques heures la possibilité de s’échapper du quotidien, comme avec la publication du roman Ce qui fait le bonheur de Paule Régnier entre 1932 et 1933. Les récits d’aventures sont également très prisés.
LE MONDE EN IMAGES Quoi de mieux pour découvrir le monde que la photographie ? Celle-ci occupe dès le départ une place de choix au sein de Rustica, fenêtre ouverte sur l’extérieur. 1931-31
Ci-dessus : publicité pour Scoutbox, appareil photo avec pellicule Lumichrome. Le remplacement des plaques de verre par de la pellicule permet de réduire la taille des appareils et les temps de pose.
L’ŒIL DU PHOTOGRAPHE Un des grands facteurs de renouvellement et d’essor de la presse à la Belle Époque a été la possibilité offerte par les progrès techniques d’imprimer en grand nombre des reproductions photographiques. Au début du XXe siècle, plusieurs périodiques se sont spécialisés sur ce terrain, comme L’Illustration ou Le Miroir. En dépit de coûts plus élevés, les autres journaux suivent le mouvement et offrent à leurs lecteurs de telles nouveautés, au moins jusqu’à la guerre. L’attractivité de ce nouveau médium est démontrée dès la couverture puisque celle-ci, dessinée à l’origine, est de plus en plus souvent complétée par un cliché.
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LA CRISE DES ANNÉES TRENTE Attaché à suivre au plus près l’actualité pour servir le cultivateur isolé dans sa ferme et absorbé par le labeur quotidien, Rustica n’en oublie pas d’affirmer sa propre politique éditoriale, dans les commentaires émis chaque semaine à travers le « Billet d’un paysan » de Jean-Louis. Si ces chroniques entendent se placer, à l’image de leur intitulé, sous les auspices du « bon sens paysan », elles ne s’inscrivent pas moins dans la lignée de la presse syndicale conservatrice.
Ci-contre : illustration tirée de l’Almanach Hachette de 1932 qui montre comment la fuite en avant des dépenses publiques constitue, depuis les désordres monétaires de la Première Guerre mondiale, un des poncifs de l’affrontement politique.
DE LA CRISE ÉCONOMIQUE… Ces prises de position sont accentuées à partir de 1930 par l’irruption de la crise économique et agricole qui s’étend progressivement à toute l’Europe et assez tardivement à la France. Cette spécificité est dans un premier temps plébiscitée par les défenseurs de la France agricole que sa dimension paysanne préserve selon eux de la crise. En 1932, JeanLouis oppose la situation d’une Angleterre industrielle et au bord du gouffre à celle de l’Italie, à laquelle le gouvernement de Mussolini aurait redonné
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confiance et prospérité en menant une vigoureuse politique en faveur de l’agriculture. Las, « l’îlot de prospérité » n’en est pas un et, à partir de 1932, le prix du blé, après celui du vin, commence à fléchir fortement, passant de 170 francs en 1930 à 50 francs en 1935. Cette situation entraîne une forte mobilisation des agriculteurs, encouragés par des organisations syndicales conservatrices contentes de pouvoir s’opposer à la République et surtout à la gauche, qui a récupéré le pouvoir en 1932.
90 ANS DE COUVERTURES
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1929
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Nous connaissons tous quelqu’un qui est abonné à Rustica. Créé en 1928, l’hebdomadaire accompagne depuis 90 ans la vie des Français dans tous ses aspects : jardinage, évidemment, mais aussi cuisine, entretien de la maison, soins aux animaux... Titre de presse à l’exceptionnelle longévité, « l’hebdo » a traversé avec succès des décennies d’histoire : exode rural, début du jardinage de loisir, évolution de la famille, apparition des problématiques écologiques… Rustica s’est fait l’écho des grands changements de son époque. À travers plus de 350 documents iconographiques extraits de Rustica, selectionnés et mis en perspective par Édouard Lynch, professeur d’histoire contemporaine et spécialiste d’histoire rurale, laissez-vous guider sur les traces d’un hebdomadaire qui demeure, grâce à ses déclinaisons (site internet, vidéos...), le fidèle compagnon de la vie quotidienne de plus de 4 millions de français.
Préface de Nicolas le Jardinier
29,95 €
MDS : 46402
www.rustica.fr