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H AOÛT-SEPTEMBRE 2015 – BIMESTRIEL – NUMÉRO 21
ADER SANTOS-DUMONT BLÉRIOT ROLAND GARROS FRANTZ LE BARON ROUGE GUYNEMER KESSEL LINDBERGH MERMOZ SAINT-EXUPÉRY
COLLÈGE :
BEL : 7,60 € - CAN : 14 $C - CH : 12 FS - D : 8 € - DOM : 8 € - GRE : 7,60 € - LUX : 7,60 € - MAR : 78 DH - PORT. CONT : 8 €
GÉNÉALOGIE D’UN DÉSASTRE
DANS
LE CHAOS SYRIEN
Ces merveilleux fous volants
NAISSANCE DE L’AVIATION
L’ODYSSÉE
DE L’HERMIONE
É
DITORIAL
© BLANDINE TOP.
Par Michel De Jaeghere
«
N
GUERRE DE CIVILISATION
ous ne pouvons pas perdre cette guerre, parce que c’est au fond une guerre de civilisation. » Commentant le 28 juin la décapitation d’un chef d’entreprise par un islamiste radical, dans le nord de l’Isère, Manuel Valls a déconcerté quelques-uns de ses propres partisans en utilisant un vocabulaire qui a pu, un instant, laisser croire qu’il se ralliait aux vues des néoconservateurs américains. Les civilisations ont, à gauche, mauvaise presse depuis que Samuel Huntington a prophétisé en 1996 que, succédant aux nationalismes du XIXe siècle et aux idéologies mortifères qui ont ensanglanté le XXe, elles seront au cœur des grands affrontements qui pulvériseront, demain, l’utopie d’une fin (pacifique) de l’Histoire. Pis encore : l’expression renvoyait à la « croisade » par laquelle George W. Bush avait riposté aux attentats du 11 septembre 2001 par une déclaration de guerre au terrorisme qui semblait considérer l’ensemble du monde musulman comme un bloc et le désigner comme un adversaire potentiel de l’Occident. Guerre perdue d’avance contre 1,6 milliard de croyants. Et stigmatisation qui se révélerait à haut risque dans un pays (le nôtre) remodelé par cinquante ans d’immigration, et qui compte désormais plusieurs millions de musulmans sur son sol. Le soupçon relève du mauvais procès : le reste de l’entretien ne laissait, en réalité, aucun doute sur la volonté du Premier ministre de s’inscrire en faux contre toute globalisation de l’Islam, toute exaltation de l’Occident comme un « camp » à défendre. « Il s’agit pour moi d’une guerre de civilisation, au singulier, contre la barbarie, et non pas d’une guerre entre les civilisations, au pluriel », a-t-il tenu à préciser le lendemain. Le rectificatif mérite, pour le coup, qu’on s’y arrête. Qu’est-ce que le chef du gouvernement entend au juste par barbarie ? Et que recouvre, au singulier, le mot civilisation ? Le terme de barbare remonte à la Grèce antique. Il désigne celui qui ne parle pas le grec. Qui, par là, baragouine. C’est l’étranger, c’est l’Autre, par opposition auquel se définit « une communauté de race, de langue, de religion, de droit et de culture » qui se juge supérieure. Pour le Romain, plus assimilateur par vocation, c’est le nomade adonné au tribalisme et ne connaissant d’autre loi que celle de ses passions, mais qu’il restepossibledefaireaccéderàuneplushauteviemoraleenluifaisantadopter une existence sédentaire et en le « romanisant ». Parce que, selon la belle expression d’Yves Albert Dauge, la barbarie est avant tout le théâtre d’un « drame intérieur ». Un état passager dont il est possible de sortir, pour peu qu’on s’y astreigne. « Etre romain, résume Rémi Brague, c’est avoir en amont de soi un classicisme à imiter, et en aval de soi, une barbarie à soumettre. » Le mot civilisation est d’emploi plus récent. Il ne remonte qu’au XVIIIe siècle. Il définit le processus qui permet de parvenir à un certain degré de politesse, de justice et de raffinement. Qui se traduit par la production d’œuvres d’art, la construction de bâtiments, la création d’œuvres philosophiques ou littéraires, la découverte de lois scientifiques, le progrès des techniques permettant de maîtriser la nature pour la mettre au service de l’homme. On comprend bien que Manuel Valls n’entendait de son côté que porter un jugement moral en désignant comme « barbare » la violence des procédés dont usent les terroristes qui se revendiquent de Daech :
attentats, égorgements, décapitations. Leur opposer les « valeurs » de la raison, de la paix et de la tolérance, considérées comme l’assise d’une civilisation à vocation universelle. Mais n’avons-nous pas appris, à l’école de Lévi-Strauss, à nous méfier de telles catégorisations ? A considérer comme la pierre angulaire d’un antiracisme de bon aloi l’idée que toutes les cultures se valent ? Qu’aucune échelle de valeur ne peut jamais être établie entre elles, parce qu’elle relèverait, par définition, de la culture de celui qui prétendrait mettre au point une telle hiérarchisation ? Qu’elle témoignerait de sa part d’une insupportable arrogance ? Qu’elle avait autrefois justifié, horresco referens, la colonisation ? Ne nous a-t-on pas répété, ad nauseam, que le barbare, c’est celui qui croit à la barbarie de l’Autre au lieu de l’accepter, tel qu’il est, dans sa différence ? En revenant au nom des « valeurs de la République » à une conception « romaine » d’une civilisation considérée comme un idéal universel, Manuel Valls tourne spectaculairement le dos au différentialisme qui règne depuis soixante ans en maître sur les intelligences, et qui a assuré le triomphe du relativisme contemporain. Mais il serait dommage qu’il s’arrête en chemin. Car si les Romains considéraient, de fait, l’accès à la vie civique, la substitution de la délibération rationnelle à la loi du plus fort dans la définition du bien commun comme la voie royale qui permettrait à leurs sujets de sortir de leur barbarie native pour accéder à la civilisation, ils n’avaient eu garde de limiter celle-ci à l’adoption du principe électoral dans la désignation des dirigeants, non plus que de s’en remettre à l’infaillibilité d’une Raison livrée à elle-même. Ils l’identifiaient bien plutôt à un processus d’acculturation fondé sur la diffusion de la langue latine, la construction de monuments publics (temples, amphithéâtres, portiques) qui, faisant des cités des peuples conquis des répliques de Rome, habituaient leurs élites à une vie de loisirs propice à l’assimilation et la méditation des chefs-d’œuvre de la littérature, de la poésie, de l’histoire ou de la philosophie. Parce qu’ils estimaient qu’une telle formation était seule susceptible de nourrir leurs âmes par l’exemple magnifié des héros fondateurs comme par le spectacle des défaillances et des trahisons qui leur avaient fait cortège ; d’aiguiser leur discernement par l’initiation aux conflits de devoirs et aux cas de conscience qui forment la trame de l’existence ; de les habituer à reconnaître l’ordre naturel du monde derrière le désordre des apparences, et à orienter leur vie vers la recherche du Vrai, du Beau et du Bien. Ces disciplines ont un beau nom : celui d’Humanités. Elles sont, depuis cinquante ans, considérées chez nous comme inutiles, et vouées à devenir, peu ou prou, matières à option dans un système éducatif orienté par la volonté de répondre chaque jour un peu plus aux nécessités d’une professionnalisation technicienne, aux présupposés d’un individualisme peu soucieux d’imposer des limites à la tyrannie des désirs instables, non plus que de proposer à la liberté souveraine des exemples de comportement. Elles ne visent, defait,qu’àformerdeshommesdignesdecenom.Onpeut,sanselles,gagner des guerres contre toutes sortes d’adversaires. On ne peut faire triompher la civilisation dont elles sont constitutives, puisque leur propos même est de dominer le fond de barbarie qui demeure tapi en chacun d’entre nous. 2
H CONSEIL SCIENTIFIQUE. Président : Jean Tulard, de l’Institut. Membres : Jean-Pierre Babelon, de l’Institut ; Marie-Françoise Baslez, professeur
d’histoire ancienne à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Simone Bertière, historienne, maître de conférences honoraire à l’université de Bordeaux-III et à l’ENS Sèvres ; Jean-Paul Bled, professeur émérite (histoire contemporaine) à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Jacques-Olivier Boudon, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Maurizio De Luca, ancien directeur du Laboratoire de restauration des musées du Vatican ; Eric Mension-Rigau, professeur d’histoire sociale et culturelle à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Arnold Nesselrath, professeur d’histoire de l’art à l’université Humboldt de Berlin, délégué pour les départements scientifiques et les laboratoires des musées du Vatican ; Dimitrios Pandermalis, professeur émérite d’archéologie à l’université Aristote de Thessalonique, président du musée de l’Acropole d’Athènes ; Jean-Christian Petitfils, historien, docteur d’Etat en sciences politiques ; Jean-Robert Pitte, de l’Institut, ancien président de l’université de Paris-IV Sorbonne ; Giandomenico Romanelli, professeur d’histoire de l’art à l’université Ca’ Foscari de Venise, ancien directeur du palais des Doges ; Jean Sévillia, journaliste et historien.
COLLÈGE :
GÉNÉALOGIE D’UN DÉSASTRE
© ALAIN TENDERO/DIVERGENCE.
LA RÉFORME DU COLLÈGE NE TRADUIT PAS UNE RUPTURE MAIS UNE REMARQUABLE CONTINUITÉ. ELLE EST L’ABOUTISSEMENT DU VIEUX PROJET D’EFFACEMENT DES DISCIPLINES, ENTAMÉ IL Y A PLUSIEURS DÉCENNIES.
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INCENT DE PAUL
LE MIROIR
© THE ART ARCHIVE/EGLISE SAINTE MARGUERITE PARIS/DAGLI ORTI .
ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE
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DE LA CHARITÉ
DU PAVÉ PARISIEN À L’ENTOURAGE D’ANNE D’AUTRICHE, VINCENT DE PAUL A ÉPOUSÉ TOUS LES
CONTRASTES ET LES PRÉOCCUPATIONS DU GRAND SIÈCLE. SA VIE ET SON ŒUVRE FONT L’OBJET D’UNE PASSIONNANTE BIOGRAPHIE PAR MARIE-JOËLLE GUILLAUME.
34 L
E TOUR DE FRANCE DES EXPOSITIONS PARCE QUE L’ÉTÉ EST PROPICE À LA DÉCOUVERTE,
LE FIGARO HISTOIRE A SÉLECTIONNÉ LES EXPOSITIONS QUI, AUX QUATRE COINS DE LA FRANCE, FONT REVIVRE L’HISTOIRE ET SES SECRETS. OBJETS D’ART, MOBILIER, PEINTURES, MANUSCRITS… IL Y EN A POUR TOUS ET POUR
ET AUSSI
L’ALLEMAGNE NE PAIERA PAS DEUX CORBUSIER CÔTÉ LIVRES DIEU PERSISTE ET SIGNE LE MYSTÈRE DU LINCEUL LES OURS SE SUIVENT
© MUSÉE DES BEAUX-ARTS D’ARRAS/CLAUDE THÉRIEZ.
TOUS LES GOÛTS.
À
L’A F F I C H E Par François-Xavier Bellamy
ACTUALITÉ DE L'HISTOIRE
Collège:
10 h
Généalogie d’un désastre
La réforme du collège vient couronner un projet déjà ancien : l’effacement des disciplines ordonnées autour de la division du savoir. Au risque de compromettre leur transmission.
V
ent de révolte sous la Coupole : en ce 11 juin 2015, l’Académie française, en séance plénière, s’exprime par un communiqué sur les orientations du gouvernement en matière d’éducation. Pour ceux qui connaissent l’institution, c’est en soi un événement : l’Académie française ne s’était pas prononcée sur une réforme en cours depuis plus de quarante ans… Il est donc question de la réforme du collège, mais aussi des nouveaux programmes qui, dès septembre 2016, doivent entrer en application, du primaire au lycée. Et sur ces deux aspects, le propos est sans détour : intitulé « Pour une vraie égalité des chances », le communiqué exprime une inquiétude très vive sur les dernières évolutions que ces réformes imposent au système scolaire français. Ce petit texte est – rigueur académique oblige – structuré en trois points : il pointe la confusion suscitée par l’addition de deux réformes majeures, qui a empêché les Français de bien comprendre les enjeux, les privant ainsi d’un vrai débat. Il s’inquiète ensuite de l’effacement des disciplines fondamentales, et enfin de la fragilisation irréversible de la place des humanités. La conclusion est sans appel : « L’Académie française estime nécessaire de reconsidérer les principes et les dispositions des réformes proposées. »
Mis aux voix, ce texte sans concessions est voté à l’unanimité. Pourtant, la composition de l’Académie est largement pluraliste, en particulier depuis l’élection, ces dernières années, d’un nombre important de nouveaux académiciens clairement engagés à gauche. Malgré ces sensibilités diverses, malgré sa tradition de discrétion, pas une voix n’a manqué sous la Coupole, en cette séance du 11 juin, pour soutenir cette manifestation d’inquiétude qui venait couronner plusieurs semaines de protestations émanant des plus prestigieux intellectuels français (Marc Fumaroli, Alain Finkielkraut, Pierre Nora, Jean-Pierre Le Goff, Jacques Julliard, bien d’autres…).
Les continuités de l’Education nationale
Comment en est-on arrivé là ? Aussi étonnant que cela puisse paraître, le ministère de l’Education nationale est celui pour lequel il est le plus difficile de distinguer les politiques menées par la gauche et par la droite. Il y a bien sûr des différences, notamment liées aux moyens : alors que le gouvernement de Nicolas Sarkozy choisissait de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, François Hollande a été élu sur la promesse de recruter 60 000 nouveaux enseignants. Mais au-delà des questions d’intendance, et dès lors qu’il s’agit de vision de l’éducation, de l’école et de son
© JÉRÔME CHABANNE/RESERVOIR PHOTO. © AFP PHOTO/POOL/ETIENNE LAURENT.
rôle, il est bien difficile de distinguer les projets. L’Education nationale a beau être le premier poste de dépenses au budget de l’Etat (en dehors de la charge de la dette), elle donne rarement lieu, dans le champ politique, à de véritables débats de fond. Malgré les alternances, ces orientations ont donc été marquées depuis une cinquantaine d’années par une remarquable continuité. D’où le sentiment que l’école échappe, en fait, aux politiques. Des grands principes qui inspirent la récente réforme du collège, on peut ainsi retrouver la trace dans les choix initiés dès les années 1960, et dans les travaux pédagogiques encore antérieurs qui les ont inspirés. Arrêtons-nous ici sur l’évolution la plus importante que cette réforme du collège entraînera – l’une de celles qui ont été aussi les moins discutées : il s’agit de l’introduction d’une part « interdisciplinaire » dans l’emploi du temps des élèves. A travers cette petite révolution, s’accomplit en réalité le projet mûri depuis quelques décennies de brouiller les délimitations classiques qui structuraient jusque-là les disciplines académiques. La réforme du collège et des programmes prévoit certes nombre d’autres changements : développement d’un accompagnement « personnalisé » (des heures de méthodologie en classe entière ou en groupes prises sur les heures de cours), suppression des
ÉCLATEMENT Fer de lance de la réforme du collège, Najat Vallaud-Belkacem ne fait pourtant qu’entériner l’accomplissement d’un projet entamé il y a plusieurs décennies. Au cœur des grands principes de la réforme, l’interdisciplinarité, qui, en consacrant l’éclatement des matières, doit permettre de soustraire l’enfant aux cours magistraux, réputés abstraits et décourageants, et favoriser des activités mêlant les disciplines, dans un souci de « proximité » avec les intérêts supposés des collégiens. classes bilangues, des sections européennes et des options de langues anciennes, apprentissage précoce de deux langues vivantes, enseignement du code informatique… Mais le plus important est sans doute qu’elle marque une étape majeure dans la déconstruction d’un enseignement par grandes « matières ». L’idée centrale est que les cours magistraux, un enseignant suivant l’autre, seraient ennuyeux, lassants, démotivants pour les élèves. Selon les promoteurs de la réforme, les frontières entre chaque discipline rendent le savoir abstrait, comme détaché du monde réel dans lequel toutes les dimensions s’entrecroisent – la dimension historique, spatiale, scientifique, culturelle, langagière… Pour sortir de ces frontières artificielles entre les connaissances, le nouveau collège introduira donc dès 2016 les « enseignements pratiques interdisciplinaires » (EPI) : sur la décision du conseil pédagogique, une instance composée et présidée par le chef d’établissement, on choisira de prendre des heures de cours, à hauteur de 20 % (l’équivalent d’une journée par semaine !), pour
les transformer en activités mélangeant les disciplines et répudiant la froideur des enseignements théoriques afin d’aller, par la pratique, au-devant des intérêts (forcément concrets, matériels) des collégiens. Prenons un cas proposé sur le site Internet du ministère de l’Education nationale : dans un établissement qui a choisi l’EPI « Développement durable », un professeur de physique et un professeur d’anglais, par exemple, devront céder une grande partie de leurs heures de cours pour les remplacer par une activité collective consistant à rédiger un magazine en anglais sur les machines à vapeur. Avec ces EPI, affirme Najat Vallaud-Belkacem, le collège permettra « un temps durant lequel se croisent plusieurs disciplines pour donner du sens aux savoirs ». Dans les faits, c’est surtout l’occasion de faire un pas vers l’effacement du modèle traditionnel d’enseignement. Ce modèle que l’on attaque aujourd’hui est pourtant presque millénaire… L’Université, qui apparut pour la première fois en Europe vers la fin du XIe siècle, s’était structurée rapidement autour de la séparation
11 h
© BRITISH LIBRARY BOARD/LEEMAGE. © HANNAH ASSOULINE/OPALE/LEEMAGE. © AFP PHOTO/JOEL SAGET. © FRANÇOIS BOUCHON/FIGAROPHOTO.COM.
CRI D’ALARME Ci-dessus : la géométrie, personnifiée par une femme, qui enseigne à des étudiants avec des équerres et des compas. Manuscrit, vers 1300 (Londres, The British Library). Ci-dessus, à droite, de haut en bas : Marc Fumaroli, Alain Finkielkraut, Pierre Nora. Indépendamment des clivages politiques, les plus prestigieux intellectuels français ont été les premiers à dénoncer (notamment sur FigaroVox) les dangers que la réforme fait peser sur la transmission du savoir. Page de droite : scène d’enseignement, peinture sur coupe à la manière du peintre du Splanchnopt, vers 460-450 av. J.-C. (Compiègne, musée Antoine-Vivenel). entre des savoirs distincts par leurs objets autant que par leurs méthodes. L’Université de Paris, fondée en 1150, rassemble toutes les « facultés », qui conservent en son sein leur autonomie et leurs séparations. Au XIIIe siècle, pour compléter le parcours universitaire, se forment les premiers collèges. Ils accueillent les étudiants par groupes peu nombreux, dans un cadre plus rigoureux et exigeant. Dès leur création, les collèges organisent à leur tour leur pédagogie autour de disciplines clairement
séparées et ordonnées. Ils s’inspirent pour cela de la classification des connaissances héritées de l’Antiquité, à travers le trivium et le quadrivium. Le trivium recueille les disciplines de la parole : grammaire, rhétorique, logique. Le quadrivium organise les arts du nombre, tels que la culture antique les percevait : arithmétique, musique, géométrie, astronomie. Bien sûr, les matières elles-mêmes changeront, au gré des époques et de leurs priorités. Aux collèges du Moyen Age se
substitueront ceux de la Contre-Réforme, de la Révolution et de l’Empire, puis ceux de la République. Après le traumatisme national de la défaite de 1870, on ajoutera l’histoire et la géographie aux matières scolaires fondamentales. Mais l’essentiel demeure, c’est-à-dire l’organisation même de l’enseignement autour de ces grandes divisions du savoir. C’est autour de ces « matières » bien distinctes que se structure l’emploi du temps dans les collèges, puis dans les lycées, depuis maintenant plusieurs siècles.
L’interdisciplinarité vient de loin
Cette organisation pourrait sembler aller de soi. Parce qu’elle favorise la clarté, la concentration. L’approfondissement par la spécialisation. L’excellence de chacun en fonction de ses dons.
© PHOTO JOSSE/LEEMAGE.
CES LANGUES MORTES QU’ON ASSASSINE La réforme du collège supprime l’enseignement du latin et du grec. Les options proposées pour apprendre ces langues anciennes, à raison de trois heures par semaine, vont purement et simplement disparaître. Si leur établissement l’a décidé, les collégiens pourront suivre un enseignement pratique interdisciplinaire « Langues et cultures de l’Antiquité ». Cet EPI, qui peut inclure aussi l’Egypte, la Perse, la Mésopotamie, n’a rien à voir avec un enseignement des langues anciennes : comme tous les EPI, il devra proposer une activité autour de deux matières différentes. Et de toute façon, il ne durera pas plus de huit mois sur toute la scolarité… Impossible dans un temps si court, même avec un cours habituel, d’apprendre vraiment l’une ou l’autre langue. C’est donc une véritable révolution qui s’opère, probablement irréversible. La fin d’un apprentissage qui avait formé pendant des siècles la structure même des collèges : depuis leur création, et leur développement au XVIe siècle, le latin constituait la base des enseignements qui y étaient dispensés. La contestation du latin commença avec la Révolution : l’abbé Grégoire s’élevait contre « la prévention ridicule qui exalt[e] toujours les étrangers et les anciens aux dépens des nationaux et des modernes ». Condorcet tenta de supprimer le latin de l’enseignement, au profit de l’usage exclusif du français. Mais Napoléon rétablit les langues anciennes, et le latin reprit sa place prédominante au sein des lycées que créa l’Empire. Au début du XXe siècle, les trois sections principales des collèges et lycées sont latingrec (A), latin-langues (B) et latin-sciences (C). Rien ne changera jusqu’à la Ve République. C’est en effet le changement de perspective décidé par le général De Gaulle qui rebat alors les cartes. Le lycée napoléonien devait produire une élite intellectuelle, formée par la culture humaniste aux responsabilités publiques et militaires ; pour le général – pourtant un pur produit de cet enseignement –, le système scolaire doit maintenant former les ingénieurs et les spécialistes que requiert la modernité technicienne. En 1965, les sections sont transformées : littéraire (A), économique (B), scientifique (C) et expérimentale (D). Dans l’élan des grandes écoles d’ingénieurs simultanément promues par De Gaulle, la section scientifique devient immédiatement la plus prestigieuse. « Pour devenir
vétérinaire, directeur commercial ou médecin, il a donc fallu être “matheux”, quand il fallait être latiniste vingt ans plus tôt », écrit Vincent Troger. En moins de dix ans, les mathématiques prennent donc la place du latin comme discipline d’excellence dans l’enseignement secondaire. A la rentrée 1968, le latin est supprimé en 6e : Edgar Faure, le ministre de l’époque, se félicite d’avoir accompli « une véritable démystification » et d’avoir supprimé « un frein à la démocratisation ». Car c’est désormais sous cet angle qu’on s’attaquera au latin : il constituerait, écrit Pierre Bourdieu, un « gaspillage ostentatoire d’apprentissage », un luxe de savoir apparemment inutile, mais en réalité mis au service d’une stratégie de distinction sociale. Najat VallaudBelkacem ne dit pas autre chose lorsqu’elle supprime les options de langues anciennes au motif qu’elles serviraient des « stratégies d’évitement ». Problème : c’est dans les collèges les plus défavorisés que ces options s’étaient le plus développées, par exemple dans l’académie de Créteil, où les effectifs avaient augmenté de 40 % ces dix dernières années…
13 h
ACTUALITÉ DE L'HISTOIRE
© BNF, DIST. RMN-GRAND PALAIS/IMAGE BNF.
TRANSMISSION Ci-contre : médecin enseignant à des étudiants. A ses côtés se tiennent Avicenne, Galien et Hippocrate. Miniature tirée de l’antidotaire Collectorium chirurgicum de Gui de Chauliac et Bernard de Gordon, 1461 (Paris, Bibliothèque nationale de France).
14 h
Dès le XIXe siècle, elle se voit contestée : déjà Jules Ferry envisageait de remettre en question l’importance des disciplines héritées d’un passé si lointain. Il l’expliquait dans un discours aux enseignants, en 1880 : « Aussi, messieurs, ce que nous vous demandons à tous, c’est de nous faire des hommes avant de nous faire des grammairiens ! (…) Oui, vous avez compris qu’il faut réduire dans les programmes la part des matières qui y tiennent une part excessive ; vous avez compris qu’aux anciens procédés qui consument tant de temps en vain, (…) il faut substituer un enseignement plus libre, plus vivant et plus substantiel. » Tout est dit : l’enseignement par matière, rigide, artificiel, empêche la créativité et la spontanéité de l’élève de se déployer.
« Plus de scolastique » : cette courte devise sera l’une des règles décisives de la méthode mise au point dès les années 1920 par Célestin Freinet. Concrètement, cela signifie que l’enseignement par matière doit disparaître. Il devra être remplacé par une totale liberté laissée dans le travail, qui sera désormais, non plus structuré en disciplines abstraites, mais orienté vers un but réel – comme la rédaction d’un journal d’école, ou l’exploration du milieu local… Cette pédagogie n’a plus cessé, depuis, d’influencer les visions et les pratiques éducatives ; Freinet la décrit comme une « méthode naturelle », qui doit remplacer l’artificialité des savoirs bien classés. L’intelligence, en effet, est dans la synthèse active qui permet de comprendre un objet dans sa
complexité ; il faut donc supprimer l’enseignement « ex cathedra », qui délivre des connaissancespartielles,théoriquesetdonc inutiles, pour relier les savoirs entre eux, et finalement supprimer tout apprentissage, et tout travail de la mémoire qui ne soit pas directement profitable à la vie réelle. A cette vision nouvelle, qui décrit l’enseignement par matière comme pesant, les mutations rapides introduites par les Trente Glorieuses achèveront de donner le crédit qui manque encore. « Il s’agit que l’enseignement, écrit De Gaulle dans ses Mémoires, (…) réponde aux conditions de l’époque, qui sont utilitaires, scientifiques et techniques. » Il faut donc qu’il prépare directement à la vie active, aux savoir-faire professionnels. Les disciplines traditionnelles, qui semblent ainsi dépassées par l’évolution du monde, sont dans le même temps remises en cause par l’évolution des savoirs universitaires : l’apprentissage du français est profondément transformé par le développement de la linguistique ; dans les années 1960, les mathématiques intègrent dès
TROUS DE MÉMOIRE Ils ne sont pas encore définitivement arrêtés, puisque la phase de concertation qui vient de s’achever doit donner lieu à des modifications ; mais la première version des nouveaux programmes d’histoire pour le collège a déjà fait couler beaucoup d’encre. S’ils reprennent un ordre chronologique précédemment abandonné, ils ne reviennent pas cependant à un récit continu de l’histoire. Bien au contraire : pour la première fois, les concepteurs de ces programmes ont choisi de fixer des thèmes obligatoires et des passages facultatifs. Etrange décision dans une période qui semble marquée par la nécessité de redonner à tous les Français une mémoire et des repères communs… A la fin de la classe de 3e, les élèves n’auront donc pas tous étudié les mêmes passages de l’histoire. Ce qui constitue un premier problème, pointé notamment par les enseignants : « Nous tenons à des programmes nationaux, qui ne coupent pas à la hache des pans entiers de l’Histoire », expliquait Bruno Benoit, président de l’Association des professeurs d’histoire-géographie. La critique
ne s’est pas cantonnée aux clivages partisans habituels : dix professeurs encartés à gauche écrivaient ainsi, dans Marianne, leur opposition à une « chronologie gruyère », qui laisserait passer des pans entiers de l’histoire. Et de fait, au-delà de cette première et surprenante inflexion, le choix même des thématiques obligatoires et facultatives a été l’objet d’une très large indignation. En 5e, l’histoire de l’Islam est obligatoire, celle des Empires carolingien et byzantin facultative. Entre le XVe et le XVIIIe siècle, seule est obligatoire l’étude de « l’émergence du roi absolu ». Pour les XVIIIe et XIXe siècles, l’histoire de l’Europe n’est évoquée que sous le prisme de la domination que celle-ci fait peser sur le monde – et l’étude de la période des Lumières devient facultative. Dans un long entretien au Journal du dimanche, l’historien Pierre Nora fait de ces choix singuliers le symptôme d’une crise très profonde : « C’est l’expression d’une France fatiguée d’être elle-même, d’un pays qui ne sait pas trop où il va et ne sait donc pas dire d’où il vient. »
l’école primaire les subtilités de la théorie des ensembles ; l’enseignement de l’histoire est vigoureusement réformé à la suite des travaux de l’école des Annales… Les matières habituelles sont enfin perturbées par l’inflation des nouveaux savoirs que l’on demande à l’école d’enseigner : le Code de la route, l’éducation sexuelle, le développement durable ou les valeurs de la République.
© RMN-GRAND PALAIS/RENÉ-GABRIEL OJÉDA.
La tyrannie des disciplines
Mais plus fondamental encore, c’est finalement le principe même des « disciplines » qui est contesté. Au cours des années 1960, Michel Foucault dénonce, dans plusieurs textes majeurs, la coercition imposée à la pensée par l’ordre interne au savoir que constituent ces frontières de la connaissance. Dans Les Mots et les Choses (1966), puis L’Archéologie du savoir (1969) et L’Ordre du discours (1971), il entreprend de porter le soupçon, de manière méthodique, sur le caractère disciplinaire de ces savoirs organisés : à travers eux, dit-il, c’est la société qui discipline l’individu jusque dans son rapport au monde et à lui-même. Pour pouvoir prétendreàunevérité,àuneparolelégitime, l’enfant apprend dès l’école qu’il devra se soumettre à des règles, à des méthodes, à
EX CATHEDRA Ci-dessus : La Leçon de géographie, école de Rembrandt, probablement Constantin Daniel Van Renesse (Bayonne, musée Bonnat-Helleu, musée des Beaux-Arts). Si l’organisation de l’enseignement autour de matières bien définies semblait aller de soi parce qu’elle favorisait la clarté et l’approfondissement des connaissances par la spécialisation, des novateurs ont, dès le XIXe siècle, envisagé de remettre en question l’importance des disciplines héritées d’un passé lointain. des présupposés, sous peine de se voir rejeté dans la marginalité. C’est prédisposer les esprits à la servitude. « La discipline, écrit Foucault, est un principe de contrôle de la production du discours. » Et de fait, dans l’école chrétienne comme dans l’école républicaine, a longtemps régné une connivence étroite entre les savoirs et la morale, entre l’ordre des connaissances et l’ordre qui doit gouverner la vie personnelle et collective – entre les deux sens, si étroitement liés, du mot même de « discipline ». Après la Restauration, par exemple, Guizot a installé dans les écoles deux nouvelles matières:l’orthographeetles«poidsetmesures». A travers elles, c’est un double projet qui se déployait : celui d’une unification politique de la France, jusque-là partagée en patois locauxetenmesuresrégionales;maisaussila tentative de discipliner les esprits, de les contraindre à une forme particulière de raisonnement, contenu dans ces rapports normés aux mots et aux chiffres. Foucault nous apprendàconsidérercesdisciplinesscolaires comme des facteurs de normalisation.
De nombreux intellectuels, sociologues ou spécialistes en science de l’éducation, lui emboîtent le pas. A sa suite, on relit l’histoire de l’école comme la constitution progressived’une structurededomination,semblable par son efficacité disciplinaire au modèle de la caserne ou de la prison. Les collèges, écrit ainsi le sociologue Guy Vincent, sont des « lieux d’apprentissage de formes d’exercice du pouvoir » ; à travers l’ordre des matières enseignées, s’y déploie la « soumission du maître et des écoliers à des règles impersonnelles » (L’Education prisonnière de la forme scolaire ?, 1994). Le système scolaire étant une organisation de la contrainte, on comprend que le cours magistral y soit pour l’élève une expérience rébarbative, voire oppressante – une véritable punition, qui fait encore écho au terme de « discipline ». L’organisation artificielle des savoirs scolaires est quant à elle le reflet de « l’arbitraire culturel dominant » infligé aux élèves, écrivent Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans La Reproduction ; il faut la ramener à sa « vérité objective de violence ».
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Pour délivrer les élèves de cet ordre prédéfini qui les enfermait jusque-là, les spécialistes en sciences de l’éducation ont donc tenté, réforme après réforme, de faire céder le « carcan des disciplines ». Le premier coin sera placé avec l’introduction, en 2001 des travaux personnels encadrés (TPE) en première et terminale, objets d’une épreuve au baccalauréat : il s’agit de proposer aux élèves une production personnelle mêlant obligatoirement deux disciplines imposées autour d’un même thème. La réforme du lycée, menée par la droite à partir de 2010, introduit de son côté en seconde les « enseignements d’exploration » : il s’agit déjà de remplacer des heures de cours par matière par des activités impliquant à chaque fois plusieurs disciplines. Pour leur rentrée en seconde, les élèves peuvent choisir entre « comprendre la conception d’un produit ou d’un système technique faisant appel à des principes innovants et répondant aux exigences du développement durable », « percevoir les interactions entre la littérature, l’histoire et la société », « découvrir les procédés bio-industriels liés aux biotechnologies » ou « se constituer une culture des arts du cirque ». On le voit, la répartition des cours par branches du savoir cède ainsi, peu à peu, la place à des activités censées conduire l’élève vers des objets transdisciplinaires plus conformes à ses centres d’intérêt et, par là, mieux à même de retenir son attention. Les matières avaient un nom, elles sont remplacées par des verbes. L’ordre des savoirs, affirmait en effet Foucault, enferme l’enfant dans des limitations contraignantes, l’empêchant d’être jamais « auteur » ; il faut donc dynamiter les frontières entre les disciplines, pour pousser l’élève à créer, à produire, à agir. A s’imposer en définitive comme son seul maître, face à un professeur réduit au rôle d’animateur chargé de le révéler à lui-même.
© DEAGOSTINI/LEEMAGE. © ALAIN TENDERO/DIVERGENCE.
ACTUALITÉ DE L'HISTOIRE
MAÎTRE ET DISCIPLES Les étudiants de l’université de Bologne au cours de rhétorique de Giovanni di Bonandrea (vers 1248-1321), bas-relief sculpté du tombeau de Giovanni di Bonandrea, 1333 (Bologne, Pinacoteca nazionale).
En finir avec le savoir
Tout cela se fait-il contre l’avis des enseignants ? C’est, dit-on, bien compréhensible, puisqu’ils tiraient de leur spécialité universitaire leur légitimité scolaire. L’enseignant est donc réputé par avance conservateur, crispé sur sa matière, inquiet de toute réforme. Dans un article intitulé « Disciplines, l’ère du soupçon », l’ancien président du Conseil supérieur des programmes, Alain Boissinot, met d’ailleurs en garde les enseignants contre une défense de leur matière qui pourrait les conduire à être mis en cause comme des partisans d’un « fixisme disciplinaire », attachés à une organisation « sclérosée » qui empêche l’école de s’ajuster aux évolutions de l’époque. Il révèle surtout que si les EPI ont été fixés par la réforme Vallaud-Belkacem à 20 % du temps d’enseignement, l’ambition initiale était en réalité de renverser en profondeur le principe même de l’enseignement. Le projet de départ consistait en effet à remplacer l’idée même de « programme scolaire », trop liée aux savoirs disciplinaires, par le principe d’un « curriculum » : comme il l’expliquait à un site spécialisé, « le curriculum, ce n’est pas que du contenu mais une réflexion sur les compétences, l’évaluation, les outils numériques, la formation professionnelle ». Dans cette perspective, les disciplines auraient été révoquées dans leur fonction structurante : « Historiquement on sollicitait les disciplines les unes après les autres et après on faisait une addition. Là, on va renverser le problème : on va partir d’un cadre d’ensemble, par exemple un cycle, avec des champs disciplinaires plus larges que les disciplines traditionnelles. Après, on déclinera en disciplines quand ce sera nécessaire. » Le projet a, sans doute, été jugé trop révolutionnaire : on a craint qu’il ne déchaîne les oppositions. N’en doutons pas, il a des racines trop profondes pour ne pas resurgir bientôt ; si les EPI ne le traduisent
qu’imparfaitement, il ne manquera pas de se représenter, quelle que soit la couleur des majorités politiques à venir, à l’occasion d’une prochaine réforme. Sans doute faut-il conclure cette tentative de généalogie par une réponse, en forme de question : si la rencontre entre les savoirs est le propre de toute intelligence, qui s’accomplit en tissant des liens, peut-on espérer cependant qu’elle soit immédiate ? L’expérience « interdisciplinaire », qui voit les connaissances s’éclairer l’une par l’autre, est à n’en pas douter le but ultime de toute formation « universitaire ». L’apparition même de l’universitas a reposé, dès le Moyen Age, sur le projet d’une totalisation féconde du savoir, qui donne tout son sens à l’association des facultés. Mais cette totalisation supposait d’abord que le réel soit découvert, progressivement, par des regards bien distincts portés d’abord sur lui. Comment espère-t-on qu’un élève soit par miracle capable de croiser des savoirs qu’il ne maîtrise pas ? Car paradoxalement, tel était le point de départ de cette réforme : selon le ministre de l’Education nationale lui-même, le grand défi du collège est son incapacité à transmettre aujourd’hui les fondamentaux. Les connaissances de base n’y sont plus acquises par tous les élèves. Les chiffres cités par Najat Vallaud-Belkacem dans une tribune publiée par Le Monde le 5 mai dernier, parlent d’euxmêmes:àlafindelaclassede3e,19%desélèves ne maîtrisent pas les bases en lecture, 22 % en mathématiques, 21 % en histoire et géographie… Comment peut-on attendre d’unélèvequineconnaîtrienenmathématiques et en physique qu’il puisse dessiner les plansd’uncentrecommercial?Ets’ilmaîtrise mal sa propre langue, comment pourra-t-il ensuite en faire la présentation en anglais ? On le voit, la capacité d’ouvrir les disciplines les unes sur les autres, de les « mettre en relation », suppose d’abord que soient acquises, en chacune d’entre elles, les connaissances fondamentales. Le Syndicat des inspecteurs d’académie lui-même, pourtant peu habitué à la critique, exprimait son inquiétude dans une lettre au ministre, révélée par Mediapart le 27 mai dernier : si les EPI s’inscrivent dans une « entité floue d’une interdisciplinarité thématique ouverte à toutes les
dérives », il faut craindre, écrivaient les inspecteurs, qu’ils n’excluent encore un peu plus les élèves fragiles, ceux qui n’ont pas acquislesfondamentaux.«LesEPInedoivent pasreproduireencollègecequ’aujourd’huides études universitaires démontrent, à savoir la faible plus-value des TPE en termes d’apprentissage, particulièrement pour les élèves éloignés de l’Ecole. » L’interdisciplinarité naît spontanément par la maturation des connaissances disciplinaires – ou bien elle n’est qu’un nom pompeux pour recouvrir le vide infécond auquel les élèves les plus modestes sont aujourd’hui condamnés…
La simplicité précède la complexité
Il semble en réalité que notre fascination pour cette interdisciplinarité, incantation vieille désormais de quelques décennies, ait oublié sa condition première, et la condition de l’enfant auquel l’école fait découvrir le monde.Pourlui,lasimplicitédoitprécéderla complexité,etladistinctionl’unité.Lecroisement des savoirs, qui fait disparaître les frontières et stimule la créativité, suppose que soit d’abord connue chaque discipline. Voilà ce que nous avons trop souvent oublié – peut-être parce que ce sont, concrètement, desuniversitairesquipilotentaujourd’huiles réformes du système scolaire : l’idéal de l’universel ne saurait être immédiat. Il passe toujours par la médiation de savoirs particuliers, qui ouvrent l’esprit à la richesse de chaque objet de savoir, et dont la discipline propre – n’ayons pas peur du mot – est le chemin offert à chaque élève vers l’accomplissement de ses propres facultés. 2
À LIRE Les Déshérités ou l’urgence de transmettre François-Xavier Bellamy Plon, 240 pages 17 €
© THE GRANGER COLL NY/AURIMAGES.
FOUS VOLANTS
C ’EST L’HISTOIRE D’UN RÊVE QUI SE PERD DANS LA NUIT DES TEMPS ET N’EST DEVENU RÉALITÉ QU’HIER. LOIN DE L’ÉPOUVANTER, LA CHUTE DU MALHEUREUX ICARE A STIMULÉ LE GÉNIE HUMAIN. MAIS IL A FALLU DES SIÈCLES D’EXPÉRIMENTATIONS POUR ARRACHER L’HOMME À LA TERRE.
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ES CONQUÉRANTS DE L’IMPOSSIBLE © PATRICK MALLET-HTTP://GRAPHPICTURES.FR
EN COUVERTURE
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CES MERVEILLEUX
DANS LA GRANDE ÉPOPÉE
DE L’AVIATION, CERTAINS EXPLOITS SE SONT IMPOSÉS PAR LEUR DIMENSION MYTHIQUE OU SPECTACULAIRE.
EMBARQUEMENT IMMÉDIAT POUR NEUF VOLS DE LÉGENDE.
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L’ÉTOFFE
DES HÉROS CIVILS OU MILITAIRES, © GUILLAUME BERTELOOT.
ILS ÉTAIENT PILOTES, INVENTEURS OU CONSTRUCTEURS. ENTRE SAUTS DE PUCE ET EXPLOITS HORS NORMES, LEUR GÉNIE, LEUR COURAGE ET LEUR PERSONNALITÉ LEUR ONT PERMIS D’ÉCRIRE LES PLUS BELLES PAGES DE L’HISTOIRE DU PLUS LOURD QUE L’AIR.
NAISSANCE DE L’AVIATION DER, LES AILES DU DÉSIR
ÉCLAIR DE GÉNIE
LE GRAND CIRQUE
KESSEL, LE CHEVALIER DU CIEL DES RACINES ET DES AILES TINTIN, ENTRE CIEL ET TERRE LA KERMESSE HÉROÏQUE EN PLEIN CIEL UN MUSÉE SUR LE TARMAC
© SSPL/LEEMAGE.
CLÉMENT
E T AUSSI A
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KRAK DES CHEVALIERS, VIEILLE VILLE D’ALEP, SPLENDEURS GRÉCO-ROMAINES DE PALMYRE : LA RICHESSE PATRIMONIALE EXCEPTIONNELLE DE LA SYRIE EST ACCULÉE AU NAUFRAGE PAR DAECH, LA GUERRE CIVILE ET LE TRAFIC D’ANTIQUITÉS.
© AFP PHOTO/JOSEPH EID.
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LA FRÉGATE
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ELLE AVAIT MENÉ LA FAYETTE
SUR LES CÔTES AMÉRICAINES EN 1780.
PLUS DE DEUX SIÈCLES APRÈS, LA RÉPLIQUE FIDÈLE DE L’HERMIONE A REFAIT LE VOYAGE. RETOUR SUR UNE PROUESSE TECHNIQUE ET UNE GRANDIOSE AVENTURE HISTORIQUE ET HUMAINE.
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