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H AVRIL-MAI 2015 – BIMESTRIEL – NUMÉRO 19
COMMENT IL A PERDU LA SECONDE GUERRE
BEL : 7,60 € - CAN : 4 $C - CH : 12 FS - DOM : 8 € - LUX : 7,60 € - MAR : 78 DH - PORT CONT : 8 €
MONDIALE DANS LE SECRET DU BUNKER GOEBBELS EN FAMILLE LE MENSONGE ET LA TRAGÉDIE
LE GÉNOCIDE OUBLIÉ DES ARMÉNIENS
LES TRÉSORS SACCAGÉS DE MÉSOPOTAMIE
HITLER LES DERNIERS LES DERNIERS
JOURS
RETROUVER LES THRACES
É
DITORIAL
Par Michel De Jaeghere
© BLANDINE TOP
L’ANTÉCHRIST
DES CLASSES MOYENNES
F
riedrich Reck-Malleczewen est mort à Dachau le 16 février 1945. Il n’avait jamais été là où on l’attendait. Issu d’une aristocratique lignée de junkers, il avait préféré la carrière des lettres à celle des armes où s’était illustrée sa famille : après des études de médecine, des voyages au long cours en Amérique et en Afrique, il s’était consacré au journalisme, à la critique théâtrale et à l’écriture de romans picaresques. Protestant, il s’était converti en 1933 au catholicisme parce que l’Eglise lui était alors apparue comme le dernier rempart de la civilisation européenne contre le règne des masses fanatisées. Originaire de Prusse-Orientale, il n’avait pas de mots assez durs pour les traditions politiques et les « vastes plaines désolées » de son pays natal ; il avait fait de la Bavière sa patrie d’adoption, de son prince héritier, le suzerain auquel il réservait sa fidélité. Monarchiste et tenant de la révolution conservatrice, il avait éprouvé d’emblée, à l’égard du nazisme, une répulsion irrésistible. De 1936 à son arrestation par la Gestapo, en octobre 1944, pour « sabotage de l’effort de guerre », il l’avait exprimée dans un journal secret, dont il avait enterré les feuilles manuscrites, au fur et à mesure de leur rédaction, dans le parc de son château de Chiemgau. Retrouvé à la fin de la guerre par sa femme, le texte avait été publié pour la première fois en 1947, sans rencontrer beaucoup d’écho. Il s’agissait pourtant, selon les mots d’Hannah Arendt, de « l’un des témoignages les plus importants sur l’Allemagne de Hitler ». Il bénéficie aujourd’hui d’une nouvelle traduction française, et aucun livre n’est plus approprié, peut-être, pour marquer la commémoration du soixante-dixième anniversaire de la fin de l’Allemagne hitlérienne. Sous le scalpel impitoyable de l’écrivain, c’est toute l’imposture d’un « Antéchrist des classes moyennes » et d’une entreprise de gangstérisme mal déguisée sous la défroque du nationalisme et de l’honneur militaire qui se dévoile en effet, dans sa médiocrité. Visions prophétiques, tableaux au vitriol et vanités s’enchaînent dans une langue rendue étincelante par la rage impuissante d’un patriote condamné à souhaiter la défaite de son propre pays pour échapper au spectacle de sa patrie défigurée. C’est ici le récit de ses rencontres fortuites avec Hitler, au temps où, « assis avec le visage d’un garçon de café qui aurait mal tourné », celui-ci n’était encore qu’un comploteur famélique, à la recherche d’appuis hauts placés. Là, l’expression du dégoût que lui inspire la foule des « derviches-hurleurs » acclamant le « dignitaire suprême », « la casquette profondément enfoncée sur le front, ressemblant assez à un receveur de tramway ». Toujours, le rejet hautain de ce « machiavélisme de petites gens » qui n’imaginait dès l’origine la politique de l’Allemagne que comme « une série de vols avec effraction, l’activité d’un homme d’Etat de premier plan comme une chaîne d’abus de confiance, de faux en écritures publiques et de ruptures de contrats, toutes choses qui devaient lui valoir par la suite auprès de tous les maîtres d’école, surnuméraires des contributions directes, et sténodactylos, (…) la réputation d’un Gengis Khan ». Jamais, et c’est son grand mérite, Friedrich Reck-Malleczewen n’est dupe de la militarisation postiche des dignitaires du régime, du romantisme factice de ses grandes liturgies, des discours patriotiques de son chef. Le retour à
l’ordre imposé sur fond de chants de taverne et sous le claquement des bannières par une clique de voyous et de parvenus en bottes d’écuyers ne lui apparaît que comme une singerie de la société aristocratique à laquelle aspirentsespensées;etdansl’exaltationd’unepolitiqueignorantlesfrontièresdu juste et de l’injuste, il n’entend que le cri du « macaque féroce qui a rompu sa chaîne ». Jamais non plus les victoires diplomatiques et militaires du Reich, en Tchécoslovaquie,enAutriche,enPologne,enFrance,n’ébranlentsacertitude que l’aventure est sans issue et qu’un « Moloch dégénéré » entraîne à la honte, une « génération élevée (…) selon les principes du brigandage de grand chemin»etconsidérant«lavolontéduFührercommeuneloicosmique,ettousles opposants, y compris ceux d’au-delà des frontières comme des criminels ». Le livre de Friedrich Reck-Malleczewen va pourtant au-delà de ce jeu de massacre, rendu jubilatoire, en dépit de sa hargne et de son amertume, par un exceptionnel bonheur d’écrire. La stupeur que lui inspire l’aveuglement collectif d’une nation qui avait construit autrefois des cathédrales gothiques, produit les chants choraux de Bach et les poèmes de Schiller, et se satisfait désormais d’être devenue « un peuple de pirates qui exécute ses mauvais coups sur la terre ferme, avec accompagnement de Te Deum », le conduit à une stimulante réflexion sur le péché originel de l’unité allemande, maladivement constituée autour d’une Prusse qui n’était qu’une colonie militaire, sans patriciat, sans bourgeoisie, sans lettrés, et, par-là, étrangère à la civilisation qui avait fait la gloire du vieux Saint Empire. Elle l’amène, plus encore, à une mise en cause radicale de la modernité technicienne dont le nazisme lui apparaît comme un avatar tragique et ridicule, et dans laquelle il dénonce, à l’école d’Ortega y Gasset, la racine du mépris plébéien pour la culture, l’hégémonie d’une « pensée désormais entièrement absorbée par l’idée de la prospérité ». « Lorsque le déclin du monde aura commencé », prophétise-t-il, le nouvel homme formé par la valorisation sans limite de l’accumulation et du bien-être « demandera au gouvernement ce qu’il compte faire pour que le match Allemagne-Suède fixé au dimanche suivant puisse avoir lieu ». Friedrich Reck-Malleczewen ne s’est pas contenté de comprendre les ressorts cachés du nazisme. On trouve, dans son livre, plus d’un trésor susceptible de nourrir la méditation sur son époque, et sur la nôtre. N’y manque pas même cette profession de foi surgie de sa plume en 1937, et à laquelle son destin allait donner une résonance singulière : « Oui, je crois que notre martyre, que la destination spécifique de notre petite phalange, sont le prix d’une résurrection de l’esprit et qu’à cet égard, nous n’avons rien à espérer pour le reste de notre vie physique, malmenée et mutilée, ayant tout à espérer au contraire pour le sens qu’aura l’heure de notre mort. Je ne me crois nullement au-dessus de la crainte (…), je sais qu’un jour tous les grands mots qu’on a écrits se présentent devant vous, exigeant qu’on leur fasse honneur. » Le livre de Friedrich Reck-Malleczewen devrait être étudié dans les écoles. C’est un bréviaire pour temps de solitude, un antidote au désespoir. La Haine et la Honte, 1936-1944, Vuibert, 288 pages, 19,90 €.
H CONSEIL SCIENTIFIQUE. Président : Jean Tulard, de l’Institut. Membres : Jean-Pierre Babelon, de l’Institut ; Marie-Françoise Baslez, professeur d’histoire ancienne à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Simone Bertière, historienne, maître de conférences honoraire à l’université de Bordeaux-III et à l’ENS Sèvres ; Jean-Paul Bled, professeur émérite (histoire contemporaine) à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Jacques-Olivier Boudon, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Maurizio De Luca, ancien directeur du Laboratoire de restauration des musées du Vatican ; Eric Mension-Rigau, professeur d’histoire sociale et culturelle à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Arnold Nesselrath, professeur d’histoire de l’art à l’université Humboldt de Berlin, délégué pour les départements scientifiques et les laboratoires des musées du Vatican ; Dimitrios Pandermalis, professeur émérite d’archéologie à l’université Aristote de Thessalonique, président du musée de l’Acropole d’Athènes ; Jean-Christian Petitfils, historien, docteur d’Etat en sciences politiques ; Jean-Robert Pitte, de l’Institut, ancien président de l’université de Paris-IV Sorbonne, délégué à l’information et à l’orientation auprès du Premier ministre ; Giandomenico Romanelli, professeur d’histoire de l’art à l’université Ca’ Foscari de Venise, ancien directeur du palais des Doges ; Jean Sévillia, journaliste et historien.
© CITIZENSIDE/PANARMENIAN/AFP.
ARMÉNIE, LE GÉNOCIDE OUBLIÉ
PREMIER GÉNOCIDE DU XXE SIÈCLE, IL EST AUSSI LE PLUS MÉCONNU. EN AVRIL 1915, DÉBUTAIENT LES MASSACRES DES ARMÉNIENS ET DES AUTRES CHRÉTIENS D’ANATOLIE PAR UN EMPIRE OTTOMAN SUR LE DÉCLIN. UN SIÈCLE PLUS TARD, LA PLAIE N’EST PAS REFERMÉE.
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DIONYSOS CHEZ LES CELTES
© DENIS GLIKSMAN, INRAP.
ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE
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C’EST UNE DIVINE SURPRISE COMME EN RÉSERVE PARFOIS L’ARCHÉOLOGIE. UNE SPLENDIDE TOMBE PRINCIÈRE DU VE SIÈCLE AV. J.-C. VIENT D’ÊTRE DÉCOUVERTE DANS L’AUBE. LES OBJETS EXCEPTIONNELS QU’ELLE CONTIENT ÉCLAIRENT D’UN JOUR NOUVEAU LES RELATIONS DU MONDE CELTE AVEC LA GRÈCE.
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NOBLESSE OBLIGE
AUTANT QUE SON HISTOIRE © JEAN-DANIEL SUDRES/VOYAGE GOURMAND.
PASSÉE, LA PERMANENCE
ET AUSSI
CHASSEURS D’IMAGES LETTRES CLASSIQUES CÔTÉ LIVRES
RÉGIS DEBRAY À CONTRETEMPS LES ÉPOUX DU NIL CINÉMA EXPOSITIONS TÉLÉVISION À LA TABLE DE L’HISTOIRE
DE SON POIDS SOCIAL ET CULTUREL OFFRE UN FABULEUX SUJET D’ÉTONNEMENT.
ÉRIC MENSION-RIGAU ÉCLAIRE DANS SINGULIÈRE NOBLESSE LES MULTIPLES FACETTES DE L’ARISTOCRATIE FRANÇAISE.
À
L’A F F I C H E
Par Mikaël Nichanian
génocide oublié © MEPL/RUE DES ARCHIVES. © A. AGOUDJIAN/LE CRI DU SILENCE/FLAMMARION.
ACTUALITÉ DE L'HISTOIRE
Le
Arménie
8 h
C
ent ans après les faits, le premier génocide du XXe siècle présente une double singularité : il est à la fois le seul à être demeuré impuni à ce jour et le seul qui connaisse une active campagne de communication négationniste menée par un Etat souverain, s’appuyant sur d’importantes ressources financières et diplomatiques. L’écart entre le caractère extraordinaire du processus d’extinction d’un peuple et l’absence de justice et de reconnaissance internationales devait d’ailleurs frapper les contemporains comme le juriste Raphaël Lemkin, « inventeur » de la notion et du terme de « génocide », qui, alors étudiant, avait suivi dans la presse, en 1921, le procès à Berlin de Tehlirian, l’assassin arménien
Il y a un siècle, l’Empire ottoman mettait en œuvre l’élimination du peuple arménien, aboutissement de décennies de lutte contre les chrétiens de l’empire.
du ministre de l’Intérieur turc Talaat – luimême organisateur du processus génocidaire entre 1915 et 1918. Dès 1945, l’onde de choc causée par la découverte de la Shoah jeta une lumière nouvelle sur ce génocide, perçu dès lors comme un événement précurseur de la barbarie dans laquelle allait basculer l’Europe entière. Le caractère imprescriptible des crimes contre l’humanité, formalisé en 1948 dans le cadre des Nations unies, rappelait aussi aux sociétés démocratiques et à leurs représentants qu’un devoir moral s’imposait à l’égard des victimes arméniennes. En France, le président François Mitterrand reconnut ainsi le génocide arménien dès 1984, mais il fallut attendre 2001 pour que le Parlement français vote une loi de reconnaissance, dont la portée est avant tout symbolique. Ces dernières années, une revendication a été portée par des députés qui souhaitaient disposer de moyens plus efficaces contre la propagande négationniste de l’Etat turc, relayée par les associations turques de France. En janvier 2012, le Parlement vota ainsi en faveur d’une loi destinée à lutter contre la « négation des génocides ». Elle fut aussitôt rejetée par le Conseil constitutionnel, sous le prétexte qu’elle mettrait en cause la liberté d’expression.
Alors candidat à l’élection présidentielle, François Hollande reprit le projet à son compte. Mais depuis 2012, il ne s’est pas exprimé sur son intention de tenir ou non cette promesse de campagne. Le centenaire du génocide arménien vient ainsi rappeler de manière embarrassante aux responsables politiques qu’une question humanitaire est restée en suspens depuis cent ans : celle des victimes arméniennes de 1915.
Chronique d’une mort annoncée
Le programme d’extermination des populations arméniennes de l’Empire ottoman s’ouvrit le 24 avril 1915, avec la rafle de plus de deux cents personnalités et notables arméniens d’Istanbul, très vite déportés dans la province d’Ankara et exécutés au cours de l’été. Dès 1919, le 24 avril devint, pour les Arméniens, la date de commémoration de leur effacement planifié par le LE CRI SILENCIEUX A gauche : Talaat Pacha, ministre de l’Intérieur turc et ordonnateur du génocide arménien. A droite : Le Fantôme d’Arménie, photo tirée du Cri du silence, un livre de photos d’Antoine Agoudjian (Flammarion).
L’Empire ottoman de 1878 à 1918
AUTRICHE-HONGRIE ROUMANIE
Dobroudja
1878 Bulgarie 1878 Mer Noire 1878 de Novi Pazar Constantinople Durazzo 1912 Salonique 1878 Sandjak 1908
Thessalie
Tunisie Mer
1881 Méditerranée Tripoli
1881
GRÈCE
Crète
1898-12 Benghazi
ACTUALITÉ DE L'HISTOIRE
Tripolitaine 1912
Smyrne
RUSSIE
1878
EMPIRE OTTOMAN
Mossoul Alep
Front au 30 octobre 1918 (armistice de Moudros)
Syrie Dodécanèse Chypre Liban 1878 1912 Alexandrie Le Caire
Mer Caspienne
Damas Jérusalem
Canal de Suez
Egypte
1867-1914 1881
Soudan Anglo-Egyptien
PERSE
Bagdad
Bassora
Koweit 1899
Médine Mer Rouge La Mecque
Bahrein Qatar
Nedjd
Côte des Pirates Oman
Zaïdi Hadramaout Erythrée 1911 (ITALIE) Yémen Djibouti
Territoires autonomes ou souverains de fait (date d’autonomie puis de cession ou d’indépendance) Territoires perdus de 1878 à 1912 de 1912 à 1914
Aden
Mer d’Arabie
250 km
x
TÉLÉVISION
Le Procès Tehlirian. La vengeance des Arméniens 10 Le 15 mars 1921, dans les rues de Berlin, l’ancien dignitaire h turc Talaat Pacha est assassiné d’une balle dans la tête par
un jeune étudiant d’origine arménienne, Soghomon Tehlirian. Trois mois plus tard, s’ouvre un procès express qui, en deux jours, se transforme en procès de la victime et conduit à l’acquittement du meurtrier après avoir remis sur le devant de la scène internationale la question de la reconnaissance de ce massacre qui donna lieu à la naissance de la notion de « génocide ». Le retour sur ce procès atypique qui a marqué l’histoire arménienne est l’occasion d’une enquête minutieuse sur les événements tragiques vécus par le peuple arménien dans l’Empire ottoman au début du XXe siècle dont quelquesuns des rescapés auront à cœur de se venger en éliminant les responsables à travers l’opération « Némésis ». M-AB
Arte, 52 minutes, le 28 avril à 22 h 15. Disponible pendant sept jours après diffusion sur Arte +7.
Génocide arménien, le spectre de 1915
Sur France 5, on se tourne vers les héritiers : Hasan Cemal, petit-fils de Cemal Pacha, journaliste et écrivain, qui a épousé la cause arménienne ; Fethiye Çetin, avocate et militante des droits de l’homme, qui à l’âge adulte découvre des origines arméniennes que sa grand-mère avait cachées pour survivre au génocide alors qu’elle n’était qu’une enfant. Ils participent à un retour émouvant sur l’histoire du génocide arménien. M-AB France 5, 52 minutes, le 5 avril à 22 h 25.
de 1914 à 1918
gouvernement turc. En 1918, les deux tiers des Arméniens de l’empire avaient en effet été anéantis, soit 1,2 million d’individus sur une population estimée à près de 2 millions en 1914. Environ 200 000 chrétiens assyrochaldéens, membres des Eglises de langue syriaque dispersées entre le sud de l’Anatolie orientale, la Syrie et la Mésopotamie, avaient subi le même sort. Enfin, et c’est un fait peu connu, le génocide ne se cantonna pas aux provinces ottomanes d’Anatolie et de Syrie, mais fut étendu au Caucase russe et à l’Azerbaïdjan iranien dès que les armées ottomanes purent y lancer une offensive militaire, du printemps à l’automne 1918. Entre 1915 et 1918, ce furent donc trois Etats distincts – l’Empire ottoman, la Russie et l’Iran, pourtant neutre pendant la guerre –, qui furent touchés et comptèrent au total probablementplusde1,5milliondevictimes arméniennes et assyro-chaldéennes. Seule la capitulation ottomane du 30 octobre 1918 permit de sauver d’une destruction programmée près de 1,5 million d’Arméniens du Caucase. A ces victimes de la période 19151918, il faut ajouter plus de 300 000 Grecs d’Anatolie, pour l’essentiel de la région du Pont et de Smyrne, eux aussi victimes de crimes de masse, essentiellement pendant la guerre gréco-turque et au-delà (1920-1924). Loin d’un coup de folie ponctuel, cette destruction s’inscrivait dans la continuité des politiques étatiques visant, depuis plus
© BIANCHETTI/LEEMAGE. © IDÉ.
Bosnie Serbie
ITALIE
© COLLECTION OF ARMENIAN GENOCIDE.
LA CHUTE DE LA MAISON OTTOMANE Ci-dessus : un convoi de déportés. Page de gauche : le sultan Abdülhamid II (1842-1918) ; en 1908, l’Empire ottoman s’étendait sur les continents européen (Macédoine), africain (Tripolitaine) et asiatique (Anatolie et provinces arabes). En 1914, il avait quasiment disparu des deux premiers. Le programme d’effacement des chrétiens d’Anatolie est lié à ce déclin. de vingt ans, à modifier la composition démographique de l’Anatolie et notamment à la vider de toute présence chrétienne. Dès les années 1890, l’Etat et ses représentants désignèrent ainsi à la vindicte populaire les chrétiens ottomans (grecs, arméniens, mais aussi slaves de la péninsule balkanique) en les dépeignant comme des ennemis de l’intérieur et des agents de puissances étrangères hostiles. D’une certaine manière, il est possible de concevoir la haine antichrétienne et le génocide arménien qui en découla comme la conséquence d’un sentiment de persécution des élites ottomanes face aux ambitions impérialistes de ces puissances – Russie en tête – dont, à défaut de traduire une réalité objective, les expressions fameuses « d’homme malade de l’Europe » et de « tête de Turc » rendent bien compte. Lors de la prise du pouvoir en 1908 par les Jeunes-Turcs – des officiers ultranationalistes, partisans d’une synthèse turco-musulmane –, l’Empire ottoman s’étendait encore surlescontinentseuropéen(enMacédoine), africain (en Tripolitaine) et asiatique (avec l’Anatolie et les provinces arabes). En 1914, il avait presque entièrement disparu des deux premiers. Dans cet empire diminué, les chrétiens ottomans payaient le prix de la
dégradation des relations entre les mondes chrétien et musulman depuis le XVIIIe siècle, elle-même liée aux progrès technologiques rapides de l’espace européen, qui avaient condamné l’Empire ottoman à un déclin relatif. C’est ainsi qu’après des siècles de domination sur le Moyen-Orient, l’Anatolie et les Balkans, l’armée turque avait essuyé face aux Russes en 1771, 1791 et 1829 des défaites retentissantes qui révélèrent brutalement l’étendue de son retard technologique. Pour tenter de l’enrayer, des sultans adoptèrent, en 1839 et en 1856, des réformes destinées à implanter des germes de progrès. Elles supposaient d’introduire une égalité juridique entre les musulmans et les chrétiens, ceux-ci étant porteurs de la modernité économique et technique dont l’empire avait tant besoin. Mais elles eurent peu d’effets concrets sur la pratique du droit ottoman. En outre, elles n’avaient pas encore eu le temps de produire leurs effets sur la société qu’en 1878, lors de la guerre contre la Russie, l’Empire ottoman perdit de vastes territoires dans les Balkans et le Caucase : le traité de Berlin (juillet 1878) entérina l’autonomie de la Bulgarie, l’occupation de la Bosnie par l’Empire austro-hongrois et l’annexion des districts de Kars, Ardahan et Batoum, à l’est de l’Anatolie, par la Russie.
Pour le sultan Abdülhamid II, arrivé au pouvoir en 1876, cette lourde défaite était la preuve de l’échec des politiques « libérales » menées par son père et son oncle depuis trois décennies. Il revint donc à une pratique politique absolutiste, fondée sur une idéologie « panislamique » et sur la conviction que les chrétiens ottomans étaient des ennemis de l’intérieur. Cette politique eut pour conséquence d’exclure un peu plus les élites chrétiennes, slaves, grecques et arméniennes pourtant indispensables au progrès économique de l’empire. Pire : le sultan entreprit une politique démographique de purification ethnique dans les Balkans et l’Anatolie orientale pour tenter d’y réduire la proportion de chrétiens et entraver ainsi les prétentions des puissances européennes, notamment la France et la Russie, à s’imposer commeleursprotecteurspourmieuxs’ingérer dans les affaires intérieures de l’empire.
Un « choc des civilisations »
Pour contrer la menace étrangère et souder la communauté musulmane autour du trône du sultan calife, Abdülhamid II s’employa à dresser celle-ci contre les chrétiens. Une des étapes décisives de cette union sacrée fut le grand massacre
11 h
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ACTUALITÉ DE L'HISTOIRE 12 h d’Arméniens en Anatolie orientale, organisé entre 1894 et 1896 avec la participation active des régiments d’irréguliers kurdes et de la population musulmane. Ces massacres à l’arme blanche provoquèrent la mort de 200 000 Arméniens, la conversion forcée à l’islam de quelques dizaines de milliers d’autres et l’exode de plus de 100 000 d’entre eux, ce qui devait modifier en profondeur la composition démographique de la région au profit des musulmans turcs, kurdes et des réfugiés tchétchènes et circassiens. La grande nouveauté des massacres de 1894-1896 était d’abord le changement d’échelle, les massacres de chrétiens faisant jusque-là quelques milliers de victimes, comme ceux de paysans bulgares qui avaient suscité l’indignation de l’opinion publique européenne en 1876. Une autre différenceplusradicaletenaitauxcauses:les massacres de 1894-1896 avaient été provoqués par l’expression d’un souhait légitime de sécurité et d’égalité pour les provinces d’Anatolie orientale où la présence arménienne était la plus forte. Or celle-ci avait été considérée par les autorités ottomanes
comme une revendication ouverte d’indépendance, et c’est pourquoi les Arméniens avaient été « punis » aussi durement. Le résultat de cette politique délibérée de « choc des civilisations » fut la dégradation des relations entre chrétiens et musulmans ottomans. Après ces massacres à grande échelle, il leur devint très difficile d’envisager une coexistence dans un Etat commun. Les élites grecques et slaves attendaient que de nouvelles défaites militaires les rattachent aux nouveaux Etats balkaniques qui avaient émergé entre 1829 et 1878 – Grèce, Serbie et Bulgarie. Pour les Arméniens, la situation était plus complexe, car ils étaient très dispersés. Même en Anatolie orientale, ils étaient partout mêlés à des populations musulmanes hétérogènes, et la simple prudence les incitait à ne rien réclamer de plus que le respect de leurs droits les plus élémentaires. Une autre difficulté tenait à la conviction des autorités ottomanes que la Russie nourrissait des ambitions impérialistes sur l’Arménie ottomane. Les Jeunes-Turcs, qui prirent le contrôle de tous les leviers du
pouvoir ottoman en janvier 1913, partageaient cette conviction. En réalité, depuis 1880, les Russes n’étaient plus intéressés par ces territoires sans valeur stratégique ni économique : lorsque Trotski, alors commissaire du peuple aux Affaires étrangères, rendit publics en 1917 les traités secrets impliquant la Russie tsariste, il apparut que celle-ci avait négocié avec la France et la Grande-Bretagne l’annexion d’Istanbul et des Détroits en cas de victoire au terme de la Première Guerre mondiale, mais nullement celle de l’Arménie ottomane. La tragédie arménienne repose ainsi, en 1894-1896 et à nouveau en 1915, sur un vaste malentendu. Si la menace pesant sur la souveraineté ottomane et sur des territoires considérés comme ottomans fut un facteur décisif de la mise en œuvre d’un processus génocidaire, elle n’aurait pas suffi sans une menace autrement plus grave, fondée sur la crainte d’une disparition totale de l’empire sous les coups des puissances européennes. Or, après les désastreuses guerres balkaniques de 19121913 et, plus encore, après les trois grandes menaces de débâcle ottomane du début de
© RUE DES ARCHIVES/SVB.
l’année 1915 (Suez, Dardanelles, Caucase), les dirigeants jeunes-turcs se persuadèrent que le démantèlement final de l’empire était imminent. Dans ce contexte apocalyptique, la destruction des populations arméniennes d’Anatolie, qui avait commencé à être envisagée dès février 1914, devint l’instrument deladernièrechance:ellepermettaitdesauveraumoinsl’Anatoliedudésastregénéralet de la conserver aux mains des musulmans.
© POOL CRDA/GAILLARDE/GAMMA.
Au cœur des ténèbres
13 h
© COLLECTION OF ARMENIAN GENOCIDE.
Entre le printemps et l’automne 1915, 90 % des populations arméniennes d’Anatolie et deSyrieduNordfurentdèslorsdéportéesou massacrées sur place avec une barbarie dont les événements de Mouch, en Anatolie orientale, donnent une juste idée. Du 9 au 14 juillet 1915, les 140 000 Arméniens de la plaine de Mouch furent éliminés sans combat. Dans chaque localité, les hommes furent isolés et exécutés par petits groupes en dehors des villages, tandis que les femmes et les enfants étaient entassés dans des granges aspergées de pétrole et brûlés vifs. Le 12 juillet, l’assaut fut lancé sur les quartiers arméniens de la ville. Comme dans la plaine, les hommes furent exécutés par balle et les femmes et les enfants brûlés vifs, sans doute pour épargner les cartouches et la fatigue de les tuer un à un. A Mouch comme à Van, les massacres frappèrent la majorité de la populationarménienne,tandisqueladéportation n’en toucha qu’une minorité. La règle générale appliquée aux autres provinces orientales fut plutôt de massacrer sur place les hommes et de déporter femmes et enfants. Officiellement, les convois de déportation vers la Syrie étaient justifiés par un transfert des Arméniens loin des zones de guerre pour des raisons militaires, alors que les trois quarts des Arméniens d’Anatolie en étaient très éloignés. Un autre discours tendait à les accuser de fomenter une révolte générale. En réalité, les quelques bourgades ou quartiers arméniens qui prirent les armes tentaient d’échapper au programme d’extermination dont ils étaient déjà parfaitement informés. Les conditions de la déportation étaient en effet assez éclairantes sur les objectifs poursuivis : les convoisn’étaientpasravitaillés,aucunezone d’hébergement n’avait été prévue pour les
LE TEMPS DU MASSACRE Page de gauche : fosse commune dans un cimetière arménien. Ci-dessus, en haut : le ministre ottoman de la Guerre, Enver Pacha, et le général allemand August von Mackensen, en 1916. Alliée de l’Empire ottoman, l’Allemagne était parfaitement au courant des massacres perpétrés contre les Arméniens. En dessous : pendaisons d’Arméniens par les Turcs, en 1915. Les hommes étaient exécutés par petits groupes et les femmes et les enfants déportés. En bas : charnier de victimes du génocide.
385 000 Turcs
Trébizonde
Istanbul
1,3 million de Grecs
ACTUALITÉ DE L'HISTOIRE
GRÈCE
14 h
URSS
Mer Noire
Ankara Inönü Sakarya (1921) (1921) Smyrne Afyonkarahisar (1921) Dumlupinar (1922)
Arménie
Arménie soviétique (1922)
Kurdistan PERSE
Syrie Chypre 1923 Occupation Avancée française maximale (1919-1921) des forces grecques (1921-1922) Mer Méditerranée Palestine Libye Abdallah (Italie) Roy. de Transjordanie 1921 ÉGYPTE 1922 Roy. du Husseïn Hedjaz Dodécanèse (Italie)
Limites de l’Empire ottoman en 1914 Territoires définitivement perdus en 1918-1919 Territoire de la Turquie prévu par le traité de Sèvres (1920) Territoires regagnés par Mustafa Kemal au traité de Lausanne (1923)
déportés et leurs biens furent considérés comme « abandonnés », réquisitionnés par l’Etat et distribués aux populations musulmanes locales ou à des réfugiés, déplacés spécialement pour occuper les localités vidées de leurs populations arméniennes. Le sort réservé aux rescapés parvenus – à pied ou en wagons à bestiaux – dans des camps de concentration au nord-est de la Syrie fut atroce. A partir de février 1916, les autorités ottomanes, surprises de constater que quelque 500 000 déportés avaient survécu à la famine, aux épidémies et aux rigueurs de l’hiver, lancèrent la deuxième phaseduprocessusgénocidaire.Conduitsau cœur du désert de Syrie, à Deir ez-Zor, l’une des zones les plus arides et les plus inhospitalières de l’empire, 200 000 d’entre eux furent massacrés. Sur les 300 000 rescapés, 150 000 périrent dans d’autres camps de Syrie en 1916 et les années suivantes. En 1915-1916, la disparition planifiée du peuple arménien provoqua l’effroi des milliers de missionnaires, militaires, diplomates allemands, autrichiens et américains présents à Istanbul, en Anatolie et en Syrie, qui furent témoins quasiment au jour le jour des déportations et des massacres. Tout au long de l’année 1915, l’ambassadeur des Etats-Unis, Henry Morgenthau, multiplia les interventions auprès du grand ordonnateur
La fin de l’Empire ottoman
Roy. d’Irak 1920
Fayçal Koweit 250 km
Population arménienne (avant le génocide de 1915) Population grecque (avant l’expulsion de 1922) x Mandats de la SDN Monarque arabe
du processus génocidaire, Talaat, proposant même d’accueillir les Arméniens aux EtatsUnis. Mais après quelques tentatives de dissimulation, Talaat finit par lui exposer sans détour son projet d’extermination. Cette révélation fut rendue publique en 1918 par Morgenthau, soucieux de faire connaître à l’opinion internationale le « crime contre l’humanité » conçu et exécuté par les autorités turques contre leur propre population civile (Mémoires de l’ambassadeur Morgenthau : vingt-six mois en Turquie, Paris, 1919). La position de Morgenthau en Turquie lui permit de saisir une autre dimension du crime : la complicité de l’Allemagne. Les autorités militaires allemandes approuvèrent, en effet, dès le début de 1915, le programme de déportation de leur allié, sans percevoir la menace mortelle que comportait ce déplacement de population. Durant l’été,ellesfinirentparcomprendrequ’ils’agissait bien d’un processus d’extermination et non de dérapages locaux, comme le gouvernement ottoman tentait de le faire croire. Mais, après mûre réflexion, l’Allemagne décida de ne pas compromettre une alliance stratégique, qui permettait de fermer les Détroitsetd’empêcherl’approvisionnement de la Russie par la flotte franco-britannique. Soucieuses de ne pas être désignées après la guerre comme complices des crimes
© IDÉ.
BULGARIE
ottomans, les autorités allemandes protestèrent pour la forme, tout en diffusant des consignes strictes à leurs officiers et diplomates de ne pas intervenir en faveur des déportés arméniens. Surtout, l’Allemagne continua à soutenir son allié exsangue par des livraisons d’armes et par une importante aide financière, sans chercher à obtenir la moindre contrepartie humanitaire. L’étendue de sa complicité connut une ultime démonstration lorsque les responsables ottomans les plus impliqués dans le génocide (Talaat, Enver, Shakir…) furent exfiltrés à bord d’un navire allemand le lendemain même de la capitulation de l’empire pour être cachés en Allemagne. Les gouvernements ottomans d’après-guerre eurent beau adresser des demandes d’extradition auxnouvellesautorités,ilsseheurtèrentàun refus poli. Cette complicité rend ainsi très problématique le refus actuel de l’Allemagne de reconnaître publiquement la dimension génocidaire des événements de 1915-1916 et sa responsabilité dans le processus.
Des procès entre ombre et lumière
Faute d’avoir été livrés par les autorités allemandes, les principaux responsables de la conception et de l’exécution du génocide furent donc condamnés à mort par contumace par une cour martiale ottomane à Istanbul le 5 juillet 1919. En 1919-1920, les procès des responsables jeunes-turcs, ordonnés par le gouvernement libéral qui leur avait succédé, étaient certes destinés à blanchir la Turquie d’après-guerre des crimes commis par les dirigeants d’un parti unique et dictatorial pendant le conflit, mais ils procédaient aussi d’une timide tentative de reconnaissance des crimes de masse commis contre les Arméniens. Ce fut d’ailleurs l’unique période dans l’histoire de la Turquie où le pouvoir en place, soutenu par la presse « libérale » hostile au régime jeune-turc, exprima sa condamnation publique du processus d’extermination. Ces procès permirent aussi de révéler les mécanismes employés par Talaat pour dissimuler les objectifs réels de la déportation. Une double chaîne de commandement était employée : l’une, publique, relayait par le biais de l’administration civile les ordres
de déportation des populations arméniennes ; l’autre, secrète, transmettait oralement des ordres de destruction des convois de déportés par une armée officieuse, « l’Organisation spéciale », composée de criminels endurcis, libérés de prison par le ministère de la Justice et armés par le ministère de la Guerre. L’absence de statut officiel de cette milicesecrèteavaitpourobjectifdedédouaner l’Etat de toute responsabilité. Malgré la valeur de ces révélations, le processus judiciaire ottoman de 19191920 connut de graves irrégularités liées à l’absence des principaux inculpés, à la présence de juges proches des Jeunes-Turcs et à la disparition organisée de pièces à conviction. Parallèlement, la France, l’Angleterre, l’Italie et les Etats-Unis étaient bien décidés à lancer une procédure judiciaire internationale, comme ils en avaient formulé la menacedèsle24mai1915.Maisdèslemilieu de l’année 1919, la Grande-Bretagne se retrouva seule à vouloir ce procès de Nuremberg avant l’heure, tandis que les autres Etats oublièrent leur promesse en raison du péril bolchevique. La domination militaire sur l’Anatolie des nationalistes « kémalistes », nouvel avatar des Jeunes-Turcs après la guerre, entravant radicalement le processus judiciaire en cours à Istanbul, c’est donc, une nouvelle fois, l’impunité à la fois individuelle et collective qui s’imposa comme la règle pour les crimes de masse que perpétrait l’Etat ottoman depuis les années 1890 contre ses populations arméniennes.
Un siècle de négationnisme turc
L’objectif recherché par la mouvance jeuneturque, qui consistait à conserver à tout prix l’Anatolie aux mains des musulmans, fut finalement atteint, puisque, malgré la défaite de l’Empire ottoman en octobre 1918, la nouvelle réalité de cette région, vidée de ses populations arméniennes, rendait impossible l’avènement d’une Arménie ottomane. Celle-ci était pourtant prévue par le traité de Sèvres d’août 1920, signé avec le sultan Mehmed VI, qui organisait le partage de l’empire entre les Alliés, dont la Grèce, et les minorités arméniennes et kurdes. Mais la France et la Grande-Bretagne, exsangues après la Grande Guerre, refusèrent d’intervenir
RETOUR EN FORCE Page de gauche : le traité de Sèvres (1920), signé entre les Alliés et l’Empire ottoman, fut rejeté par Mustafa Kemal et ses nationalistes, qui se lancèrent dans une guerre d’indépendance. Leur victoire aboutit au traité de Lausanne (1923), bien plus avantageux pour la Turquie, qui privait l’Arménie des quatre provinces que lui avait octroyées le traité de Sèvres et effaçait ainsi la possibilité d’une Arménie anatolienne.
EXPOSITIONS Le génocide des Arméniens en 1915 - Stigmatiser, exclure, détruire
Le mémorial de la Shoah consacre une exposition à l’événement qui préfigure les meurtres de masse du XXe siècle, en mettant aussi en exergue le déni dont il continue à faire l’objet. Du 27 mars au 30 septembre 2015, mémorial de la Shoah, 17, rue Geoffroy-l’Asnier, 75004 Paris. www.memorialdelashoah.org
Arménie 1915 : centenaire du génocide
Organisée à l’occasion du centième anniversaire du génocide des Arméniens, cette exposition présente, à travers les collections du muséeinstitut du Génocide arménien d’Erevan, un état des connaissances sur l’événement, illustrant à la fois les violences de masse commises contre les populations civiles ainsi que leurs conséquences. Du 29 avril au 4 juillet 2015, Hôtel de Ville de Paris, 5, rue Lobau, 75004 Paris. Entrée libre.
La collection Kalfayan : sur le chemin de la mémoire
Avec plus de 170 objets d’art et d’artisanat (manuscrits, textiles, céramiques, porcelaines, orfèvrerie) du XIVe au XIXe siècle appartenant à la famille Kalfayan, de Thessalonique, l’exposition propose de partir à la découverte de la culture et des traditions
du peuple arménien tout en dévoilant les affinités entre la Suisse et l’Arménie. Du 17 avril au 20 septembre 2015, musée des Suisses dans le monde, domaine de Penthes, Genève. www.penthes.ch
Les Arméniens. Images d’un destin 1906-1939
Collectés ou pris par des missionnaires jésuites présents sur place dès 1881, ces clichés inédits de ruines, de déportés ou d’orphelins dans les centres de réfugiés d’Alep ou de Beyrouth permettent de mettre un visage sur ce peuple, de découvrir ses conditions de vie avant 1915 et ses tentatives de reconstruction dans l’exil. Jusqu’au 17 mai 2015, musée de la Photographie de Charleroi, 11, avenue PaulPastur, 6032 Charleroi. www.museephoto.be
Avant la nuit. Les Arméniens en Turquie à la veille du génocide
A partir d’une importante collection de cartes postales éditées au début du XIXe siècle dans l’Empire ottoman, l’exposition présente la vie des Arméniens, leurs églises, écoles, manufactures et cafés. Témoins de la présence arménienne sur ses terres ancestrales, elles soulignent l’ampleur de la perte et du vide laissés par le génocide. Jusqu’au 24 mai, Centre du patrimoine arménien, 14, rue Louis-Gallet 26000 Valence. www.patrimoinearmenien.org
15 h
© ANTOINE AGOUDJIAN/LE CRI DU SILENCE/FLAMMARION.
ACTUALITÉ DE L'HISTOIRE 16 h
LA MÉMOIRE DANS LA PEAU Ci-dessus : 19 janvier, 15 heures. Tirée du Cri du silence, cette photo illustre les funérailles du journaliste turc d’origine arménienne, Hrant Dink, assassiné par un ultranationaliste turc, le 19 janvier 2007. A droite : Tsitsernakaberd, le mémorial du Génocide arménien, à Erevan, capitale de l’Arménie. Chaque 24 avril, des milliers de personnes viennent y déposer une fleur. militairement pour l’imposer, ce qui fit le jeu du général Mustafa Kemal, membre du parti jeune-turc depuis 1908, qui avait été désigné dès 1919 pour reprendre le flambeau de la lutte indépendantiste contre l’occupation européenne. Ses armées remportèrent contre la Grèce des victoires décisives, qui lui permirent d’obtenir, par le traité de Lausanne de 1923, bien plus avantageux pour la Turquie, tous les territoires anatoliens que les Jeunes-Turcs avaient eu l’ambition de « turquifier » pendant la Grande Guerre : la jeune république d’Arménie, passée sous la coupe soviétique, perdait tout espoir de recouvrer les quatre provinces que le traité deSèvresluiavaitoctroyéesengrandepartie troisansplustôt.QuantàlaGrèce,elledevait céderSmyrne(et,enEurope,laThraceorientale) et évacuer l’Asie Mineure. Les 1,5 à 2 millions de Grecs qui y vivaient en 1914 en avaient ainsi entièrement disparu en 1924. En 1919-1920, Mustafa Kemal donna l’impression de condamner le génocide comme «unacte honteux», maisilcherchait en réalité à ne pas s’aliéner les vainqueurs de la guerre et à dissocier son image de celle des Jeunes-Turcs. Quand la domination des nationalistes fut assurée sur l’Anatolie et la république de Turquie proclamée (1923), lui et ses partisans ne dissimulèrent plus leur approbation du processus d’extermination et d’expulsion des chrétiens ottomans. Pire :
l’Etat préleva même sur les biens arméniens «abandonnés»desmaisonsetdespensions qu’il attribua aux familles des trois fonctionnaires subalternes condamnés à mort dans le cadre des procès d’Istanbul, ainsi qu’aux familles de Talaat, de Shakir et d’autres personnalités condamnées à mort par contumace et assassinées par des militants arméniens. Dès lors, les principaux responsables de l’extermination des Arméniens furent traitésenhérosdelaluttedelibérationnationale par l’Etat turc et son historiographie. A partir des années 1970 et jusqu’à aujourd’hui, la Turquie a étendu sa propagandenégationnisteàl’étrangerpours’opposer aux demandes d’une reconnaissance internationale par la diaspora arménienne. C’est alors que furent financées des publications négationnistes qui reprenaient l’argumentaire jeune-turc des années de guerre 1915-1918. Mais là où ce discours négationniste ne trompait personne en Europe et aux Etats-Unis entre 1915 et les années 1930 parce que les élites européennes, y compris nazies, avaient une bonne connaissance du processus d’extermination des Arméniens, le négationnisme nouveau des années 1970 et 1980 sema le trouble dans les médias et parmi les leaders d’opinion en raison de l’oublidanslequelcettehistoireétaittombée. En 2002, l’arrivée au pouvoir des islamistes, ennemis jurés des kémalistes, put laisser
espérer une position plus transparente des autorités turques à l’égard de leur histoire. Mais, malgré quelques gestes symboliques comme les « condoléances » présentées, en avril 2014, aux descendants des victimes arméniennes de l’Empire ottoman, les gouvernements islamistes ont repris à leur compte le discours négationniste officiel. Dansl’intentionévidentedefairepasserau second plan le 24 avril 2015, jour anniversaire du centenaire du génocide commémoré à Erevan, en Arménie, le président Erdogan avait ainsi invité le président arménien Serge Sarkissian et une centaine d’autres chefs d’Etat à se joindre aux festivités organisées ce jour-là en Turquie en mémoire de la bataille des Dardanelles. Cette longue bataille, qui vit l’armée turque repousser l’assaut franco-britannique sur les Détroits et où s’illustra Mustafa Kemal, n’avait pourtant commencé que le… 25 avril 1915. Les autorités turques ont finalement été contraintes d’annuler cette célébration,desdizainesdechefsd’Etat,dont le président français, ayant accepté l’invitationdel’Arménie.Silamanœuvren’atrompé personne, elle souligne combien, cent ans après 1915, la Turquie moderne est encore aux prises avec ses démons intérieurs.2 Mikaël Nichanian est historien, conservateur à la Bibliothèque nationale de France et chercheur associé au Collège de France.
A lire
Mikaël Nichanian Une synthèse historiographique d’une remarquable clarté, assortie d’un essai d’interprétation générale sur le génocide arménien, sur les conditions qui l’ont rendu possible et sur la question des responsabilités dans l’immédiat après-guerre, depuis les massacres perpétrés de 1894 à 1896 sous le règne du sultan Abdülhamid II jusqu’au traité de Lausanne (1923). Indispensable. PUF, 276 pages, 21 €.
Le Cri du silence. Traces d’une mémoire arménienne
Antoine Agoudjian En 1989, le photographe Antoine Agoudjian revient sur les traces de ses ancêtres arméniens persécutés pour immortaliser la mémoire d’une population exterminée dans le secret. De la douleur des souvenirs à la ferveur mystique des cimetières et des pèlerinages, une puissance esthétique inouïe se dégage de ses clichés en noir et blanc, qui montrent les blessures encore à vif de l’antique Arménie. Flammarion, 160 pages, 65 €.
Le Rêve brisé des Arméniens
Gaïdz Minassian Sous la plume d’un journaliste spécialiste de l’histoire de l’Arménie et du Caucase, ce récit retrace l’histoire du génocide à travers celle d’un groupe de jeunes trentenaires arméniens qui en furent victimes. De l’idéalisme national à l’humiliation collective, le lecteur suit avec ferveur ces hommes assoiffés de liberté et prêts à tout pour la reconnaissance de leur identité. Flammarion, 360 pages, 23 €.
© YVAN TRAVERT/AKG-IMAGES.
Détruire les Arméniens. Histoire d’un génocide
Comprendre le génocide des Arméniens. 1915 à nos jours
Hamit Bozarslan, Vincent Duclert et Raymond H. Kévorkian Cet essai d’interprétation du génocide arménien mené dans une perspective comparative avec les autres crimes contre l’humanité est dû aux meilleurs spécialistes français de l’Arménie et de la Turquie. Il affine la connaissance d’une Turquie qui a toujours refusé d’accorder une légitimité aux différences ethniques, linguistiques, confessionnelles et politiques de sa société. Tallandier, 396 pages, 19,90 €.
Chroniques de massacres annoncés. Les Assyro-Chaldéens d’Iran et du Hakkari face aux ambitions des empires, 1896-1920 Florence Hellot-Bellier
Rigoureuse étude d’archives diplomatiques et de documents inédits, cet ouvrage met en lumière les événements et les conditions qui aboutirent au massacre de la communauté assyro-chaldéenne de l’Empire ottoman, elle aussi touchée par un génocide qui fit 250 000 victimes. Un travail minutieux qui permet de comprendre la situation de ces chrétiens d’après l’évolution politique et religieuse des sociétés ottomane et iranienne. Geuthner, 698 pages, 55 €.
Mémorial du génocide des Arméniens
Raymond H. Kévorkian et Yves Ternon L’ouvrage de ces deux spécialistes éclaire la réalité du génocide, région par région, à partir d’une sélection de documents d’époque : ordres et comptes rendus d’officiers ou de fonctionnaires ottomans, récits de témoins, notamment de religieux occidentaux installés en Turquie, rapports de diplomates et de journalistes étrangers. Un recueil fondamental pour la compréhension des ressorts du génocide arménien. Seuil, 514 pages, 30 €.
Nous avons vu l’enfer. Trois dominicains, témoins directs du génocide des Arméniens
Présenté par Jean-François Colosimo En 1914, trois frères dominicains sont pris en otage par l’armée turque à Mossoul. Ils passent deux ans à l’évêché syriaque catholique avant d’être déportés vers Konya, en Turquie, en novembre 1916. Témoins exceptionnels des massacres, ils les racontent dans trois chroniques poignantes et impartiales, à verser au dossier du déni du génocide. Cerf, 280 pages, 24 €. Parution le 15 avril 2015.
17 h
Accès aux ministères des Affaires étrangères et de la Propagande
Salle à manger
Accès à la nouvelle chancellerie
Sanitaires
Cuisine et cellier
Appartements de la famille Goebbels
VO RB (1 UN 93 K 6) E R
Chambre d’Eva Braun
Bureaux
Mur de protection (2,20 m d’épaisseur)
Sanitaires
Salon de Hitler
Chambre de Hitler
Tour de ventilation
Salle des cartes Bureau de Hitler
Dortoirs et réserves Salle des machines
© IDÉ.
Escalier entre les 2 bunkers
FÜ HR E (19 RBU 44) NK ER Salle des machines Bureau de Docteur (générateur, Goebbels
42 F
ventilation)
Salle de conférence
Sortie sur le jardin Chambre de Goebbels
ÜHRERDÄMMERUNG
LE 16 AVRIL 1945, LES TROUPES SOVIÉTIQUES SE RUENT À L’ASSAUT DE BERLIN. HITLER S’EST RETRANCHÉ DANS LE BUNKER DE LA CHANCELLERIE, AVEC UN PETIT CERCLE D’INTIMES. LA FIN EST PROCHE. LES JOURS LES PLUS LONGS COMMENCENT POUR LUI.
80
LE MENSONGE
ET LA TRAGÉDIE
LA LIBÉRATION DES CAMPS DE LA MORT A PROVOQUÉ UN CHOC INOUÏ. ET POUR CAUSE : LE PROGRAMME D’EXTERMINATION DES JUIFS CONÇU PAR HITLER AVAIT
FAIT L’OBJET D’UN SECRET SAVAMMENT ORCHESTRÉ, À COUPS DE MANIPULATIONS ET DE DISSIMULATION.
© FRANK SCHUMANN/DPA/CORBIS.
EN COUVERTURE
Salle de réception de la chancellerie
© AKG-IMAGES.
64
HITLER À BOUT DE SOUFFLE
ALORS QUE S’ACCUMULAIENT LES REVERS QUI LE CONDUISAIENT À LA CHUTE,
HITLER EST RESTÉ JUSQU’AU BOUT FIDÈLE À SES OBSESSIONS IDÉOLOGIQUES.
HITLER
LES DERNIERS
ET AUSSI SECRETS DE FAMILLE
LES FANTÔMES DU CRÉPUSCULE COMMENT HITLER A PERDU LA GUERRE ALLEMAGNE ANNÉE ZÉRO UNE SAISON EN ENFER HITLER PILE ET FACE LA CHUTE DU IIIE REICH
© JEAN-EMMANUEL VERMOT-DESROCHES.
JOURS
CAPTURE VIDÉO ÉTAT ISLAMIQUE.
A MÉSOPOTAMIE À L’ÉPREUVE DU JIHAD
APRÈS LES EXÉCUTIONS HUMAINES, L’ÉTAT ISLAMIQUE S’ESSAIE À LA TERREUR CULTURELLE. EN DIX JOURS, LE MUSÉE DE MOSSOUL ET LES PLUS BEAUX SITES ARCHÉOLOGIQUES D’IRAK ONT ÉTÉ PASSÉS AU MARTEAU-PIQUEUR ET AU BULLDOZER. AVEC EUX ONT DISPARU LES TRÉSORS INESTIMABLES DES EMPIRES D’ASSYRIE ET DE BABYLONIE.
114
DANS LES PAS
DE JEANNE D’ARC À ROUEN ELLE EST RESTÉE LA PUCELLE D’ORLÉANS, MAIS C’EST À ROUEN QU’ELLE FUT JUGÉE, BRÛLÉE PUIS RÉHABILITÉE. L’OUVERTURE DE L’HISTORIAL JEANNE-D’ARC OFFRE
L’OCCASION RÊVÉE D’UNE PROMENADE SUR SES PAS DANS LA VILLE NORMANDE.
© JOSSE/LEEMAGE.
L’ESPRIT DES LIEUX
106 L
RETROUVER
LES THRACES
ORPHÉE OU SPARTACUS, ON CONNAÎT
SURTOUT D’EUX QUELQUES-UNS DE LEURS HÉROS. LA MAGNIFIQUE EXPOSITION
DU LOUVRE LÈVE LE VOILE SUR LA CULTURE
THRACE, DONT L’HISTOIRE TRÉPIDANTE ET L’ART RAFFINÉ N’ONT RIEN À ENVIER À SES VOISINS MIEUX CONNUS DE LA
GRÈCE CLASSIQUE ET HELLÉNISTIQUE.
© INSTITUT NATIONAL D’ARCHÉOLOGIE ET MUSÉE-ABS/IVO HADJIMISHEV..
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ET AUSSI
SA SILHOUETTE ÉLANCÉE ET SON VOL PALPITANT EN FONT L’UNE DES PLUS CÉLÈBRES © 2014 MUSÉE DU LOUVRE/A. MONGODIN.
STATUES DU LOUVRE. L’HISTOIRE
DE LA VICTOIRE DE SAMOTHRACE, DEPUIS SA DÉCOUVERTE EN 1863, SE CONFOND AVEC CELLE DE SES RESTAURATIONS SUCCESSIVES.
CELLE QUI VIENT DE LUI DONNER UN LUSTRE INÉGALÉ EST UNE INVITATION À REDÉCOUVRIR CE CHEF-D’ŒUVRE ENCORE ENTOURÉ DE MYSTÈRE.