Figaro Histoire 15 :

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AOÛT-SEPTEMBRE 2014 – BIMESTRIEL – NUMÉRO 15

DE L’ATTENTAT DE SARAJEVO

À LA BATAILLE DE LA MARNE

BEL : 7,60 € - CAN : 14 $C - CH : 11 FS - DOM : 8 € - LUX : 7,60 € - MAR : 75 DH - NL : 8 € - PORT CONT : 8 €

LA SAGA DES BOURBONS D’ESPAGNE

1914 ÉTÉ MEURTRIER L’

SUR LA ROUTE DES CRISTEROS L’INSOUTENABLE

LÉGÈRETÉ DU GOÛT FRANÇAIS


© EDUARDO DIEGUEZ/PHOTOCALL 3000/SIPA/1406191717.


ÉDITORIAL

© BLANDINE TOP.

Par Michel De Jaeghere

LA SURPRISE DE LA MARNE

E

n juillet 1914, les lecteurs du Figaro se passionnaient surtout pour le procès de Mme Caillaux. Il est vrai qu’elle avait, par amour, assassiné le directeur de leur quotidien préféré, ce qui n’était pas rien. Ils n’avaient prêté qu’une attention distraite à la mort de François-Ferdinand : l’Empire austro-hongrois regorgeait, après tout, d’archiducs, et l’Europe balkanique n’en était pas à un anarchiste, à un attentat près. L’affaire n’avait pas fait longtemps la une. La Bosnie-Herzégovine, c’était loin et c’était compliqué. Quand le 25 juillet, le journal avait évoqué, pour la première fois, les risques d’un conflit armé, les vacances étaient bien engagées. Les estivants avaient gagné leurs propriétés de campagne, leurs hôtels, leurs villes d’eaux. Quant à la majorité de la population laborieuse, elle était occupée aux moissons. Lorsque le 3 août, l’Allemagne avait déclaré la guerre à la France, les villages en avaient été prévenus par le son du tocsin. C’était la deuxième fois en moins de cinquante ans. Cela ne serait pas la dernière. La mobilisation n’eut, sans doute, pas le caractère de kermesse qu’on lui a souvent prêté, sur la foi de quelques images d’archives – toujours les mêmes – indéfiniment rediffusées, illustrant l’inconscience d’une jeunesse sacrifiée. Les Français avaient eu l’occasion d’apprendre dans leur chair, en 1870, que la guerre avec les Allemands n’était ni joyeuse ni fraîche. Si comme l’observe François Cochet dans l’excellent petit livre qu’il consacre aujourd’hui aux Idées reçues sur la Première Guerre mondiale, la mobilisation de près de deux millions d’hommes se fit dans l’ordre et avec une extraordinaire rapidité, si les désertions furent tout à fait exceptionnelles, ce n’est pas parce que la guerre soulevait l’enthousiasme des intéressés. Bien plutôt parce que les Français communiaient alors dans le sens du devoir et de l’obéissance ; que l’Eglise et l’école les avaient également imprégnés de l’idée que chacun d’entre eux avait contracté, en naissant, une dette à l’égard de ceux qui les avaient précédés et leur avaient transmis le pays comme un patrimoine façonné par les siècles, qu’il leur appartenait, à leur tour, de remettre aux générations suivantes. Ils montèrent au front sans rire et sans chanter : simplement parce qu’il le fallait. On pensait que la guerre serait courte, il est vrai. On le pensait non par l’absurde présomption de détenir une écrasante supériorité militaire, mais parce que les progrès de la technologie des armes

avaient, dans les trente années précédentes, été tels, que les étatsmajors, les gouvernements, les experts savaient que les affrontements seraient terriblement meurtriers. Ils ne manqueraient pas de donner à celui qui manifesterait, sur le terrain, la supériorité de sa puissance de feu un tel ascendant sur son adversaire que celui-ci n’aurait d’autre choix que de demander au plus vite la paix. L’été fut, de fait, aussi meurtrier qu’on l’avait escompté. Les pertes se comptèrent, en quelques semaines, en centaines de milliers. Le plan Schlieffen prévoyait «l’extermination» de l’armée française. Il ne fut pas loin d’y parvenir. S’il échoua, on le dut à l’incapacité de Moltke, qui avait installé, à Luxembourg, son QG à 250 kilomètres de ses propres lignes, beaucoup trop loin pour contrôler l’action de ses subordonnés, confiant sans doute dans la feuille de route qu’il leur avait donnée ; à l’erreur de von Kluck, le chef de l’« aile marchante », qui infléchit contre les ordres son avancée vers le sud-est, présentant son flanc droit à une contre-offensive ; au coup d’œil de Joffre et de Gallieni, qui surent aussitôt exploiter la faute de l’adversaire. On le dut surtout à l’extraordinaire élan qui permit à une armée harassée et déjà presque défaite, qui n’avait cessé, depuis près de trois semaines, de reculer, de se retourner pour défendre, cette fois, sa terre, résister pied à pied : « Que des hommes couchés par terre, à demi morts de fatigue, puissent reprendre le fusil et attaquer au son du clairon, écrira von Kluck dans ses Mémoires, c’est là une chose avec laquelle nous n’avions jamais appris à compter. » Cette chose ne figurait pas dans le manuel. Elle était, pour l’étatmajor allemand, d’autant plus difficile à imaginer qu’au regard de la masse grise, uniforme, impeccable de leur propre armée, les troupes françaises lui paraissaient débraillées. Elle nous est devenue, aujourd’hui, tellement étrangère, que l’histoire de la guerre de 1914 ne nous est, trop souvent, racontée que sous les couleurs de l’absurdité ; que ses héros ne sont plus présentés que comme les victimes d’une tragédie inutile. Elle n’avait nul besoin, pour se manifester, de déclarations solennelles, de bruits de bottes, de chants guerriers. Elle s’était moins nourrie du désir de la revanche que de piété filiale, de sens de l’honneur, d’attachement à la terre des ancêtres. Elle a fait le miracle de la Marne en réunissant ce jour-là, contre l’invasion, l’instituteur et le curé, le bourgeois, le paysan et l’ouvrier. Elle s’appelle le patriotisme français.

CONSEIL SCIENTIFIQUE. Président : Jean Tulard, de l’Institut. Membres : Jean-Pierre Babelon, de l’Institut ; Marie-Françoise Baslez, professeur

d’histoire ancienne à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Simone Bertière, historienne, maître de conférences honoraire à l’université de Bordeaux-III et à l’ENS Sèvres ; Jean-Paul Bled, professeur émérite (histoire contemporaine) à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Jacques-Olivier Boudon, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Maurizio De Luca, ancien directeur du Laboratoire de restauration des musées du Vatican ; Eric Mension-Rigau, professeur d’histoire sociale et culturelle à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Arnold Nesselrath, professeur d’histoire de l’art à l’université Humboldt de Berlin, délégué pour les départements scientifiques et les laboratoires des musées du Vatican ; Dimitrios Pandermalis, professeur émérite d’archéologie à l’université Aristote de Thessalonique, président du musée de l’Acropole d’Athènes ; Jean-Christian Petitfils, historien, docteur d’Etat en sciences politiques ; Jean-Robert Pitte, de l’Institut, ancien président de l’université de Paris-IV Sorbonne, délégué à l’information et à l’orientation auprès du Premier ministre ; Giandomenico Romanelli, professeur d’histoire de l’art à l’université Ca’ Foscari de Venise, ancien directeur du palais des Doges ; Jean Sévillia, journaliste et historien.

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¡ ARRIBA LOS BORBONES !

AVEC PHILIPPE VI, L’ESPAGNE S’EST DOTÉE D’UN NOUVEAU ROI BOURBON. RETOUR SUR L’HISTOIRE MOUVEMENTÉE DES DESCENDANTS DE LOUIS XIV DE L’AUTRE CÔTÉ DES PYRÉNÉES.

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LE GLAIVE

ET LA CROIX

PERSÉCUTÉS PENDANT TROIS SIÈCLES, LES CHRÉTIENS SE FIRENT-ILS PERSÉCUTEURS © AISA/LEEMAGE.

© EMILIO NARANJO/EFE/SIPA/1406191533.

ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE

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À PARTIR DE LA CONVERSION DE CONSTANTIN ? MARIE-FRANÇOISE BASLEZ FAIT LA PART DE LA VÉRITÉ ET DE LA LÉGENDE.


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UN DIMANCHE À BOUVINES

SUCCÈS MILITAIRE

© AKG-IMAGES.

ET POLITIQUE DE PHILIPPE AUGUSTE, LA BATAILLE DE BOUVINES A 800 ANS. AU FIL DES SIÈCLES, L’HISTOIRE Y A MÊLÉ LE MYTHE POUR EN FAIRE UN SYMBOLE DE LA RÉCONCILIATION NATIONALE.

ET AUSSI LES TEMPS MODERNES DANS LA NUIT DES LUMIÈRES CÔTÉ LIVRES EXPOSITIONS SOLDAT BLANC, CŒUR NOIR

GÉOPOLITIQUE

DU POIS CHICHE

© D.R./THIERRY OLLIVIER.

JUSTICE AU POING


DE LA

UX ORIGINES RANDE GUERRE

PÉRILLEUX SYSTÈME D’ALLIANCES ET GUERRES DES BALKANS EXPLOSIVES : DEPUIS 1870, L’EUROPE DANSAIT SUR UNE POUDRIÈRE. L’ATTENTAT DE SARAJEVO NE FIT QU’ALLUMER LA MÈCHE.

LES

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CLÉS DU MIRACLE

FACE À L’AVANCÉE IRRÉSISTIBLE DE L’ARMÉE ALLEMANDE, LA SITUATION SEMBLAIT SANS ISSUE. PATIEMMENT, JOFFRE PRÉPARAIT SA CONTREOFFENSIVE. LE 6 SEPTEMBRE 1914, ELLE PRIT UN NOM : LA BATAILLE DE LA MARNE.

© WWW.BRIDGEMANART.COM.

© CAUDRILLIERS/EXCELSIOR-L’ÉQUIPE/ROGER VIOLLET.

EN COUVERTURE

46 GA


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LES HOMMES DE LA MARNE POLITIQUES ET MILITAIRES, FRANÇAIS ET ALLEMANDS : DES PRÉMICES DE LA GUERRE À LA BATAILLE DE LA MARNE, ILS ONT ÉTÉ LES HOMMES DE L’ÉTÉ MEURTRIER.

1914

ÉTÉ MEURTRIER

© GUILLAUME BERTELOOT POUR LE FIGARO HISTOIRE. © LÉON GIMPEL/COLL. SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE PHOTOGRAPHIE (SFP) .

L’

ET AUSSI

FRANÇOIS-FERDINAND, L’INCONNU DE SARAJEVO L’ATLAS D’UNE BATAILLE JOFFRE, LE COMBAT D’UN CHEF PÉGUY, SANS PEUR ET SANS REPROCHE LA GUERRE DES GOSSES LIGNES DE FRONT LOYALE ALBION


L’ESPRIT DES LIEUX

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SUR LA ROUTE DES CRISTEROS PACIFIQUE OU ARMÉE, LA LUTTE DES CRISTEROS

A LAISSÉ DES TRACES AU PAYS DE LA TEQUILA. QUATRE-VINGT-DIX ANS PLUS TARD, L’OUEST MEXICAIN BRUIT ENCORE DE CETTE ÉPOPÉE DE HÉROS ET DE MARTYRS.

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L’INSOUTENABLE LÉGÈRETÉ

DU GOÛT FRANÇAIS

QUAND LE LOUVRE MET DE L’ORDRE DANS SES OBJETS D’ART, C’EST UNE HISTOIRE DU GOÛT FRANÇAIS QUI SE DESSINE : PRÉCIEUX ET RAFFINÉ, SOMPTUEUX ET LÉGER.


© SECRETARIA DE TURISMO DEL GOBIERNO DE JALISCO. © CHRISTOPHE LEPETIT/LE FIGARO HISTOIRE.

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CHAUVET ET SON DOUBLE

© RMN-PHOTO MARTINE BECK COPPOLA/SERVICE DE PRESSE.

© ISA.

RAREMENT COPIE AURA ÉTÉ AUSSI DIGNE DE L’ORIGINAL. GRÂCE À LA RÉPLIQUE DE LA GROTTE CHAUVET, LE MYSTÈRE DE PEINTURES VIEILLES DE 36000 ANS SERA BIENTÔT SCRUTÉ PAR LE MONDE ENTIER.

ET AUSSI

BIBRACTE, ENTRE ROME ET LA GAULE HÊTRES, SAPINS ET ROCHERS NIMBENT BIBRACTE D’UN PARFUM DE CONTE. AU CŒUR DE LA BOURGOGNE, L’ANTIQUE VILLE CELTE ET ROMAINE CONSERVE INTACT LE SOUVENIR DE CÉSAR ET VERCINGÉTORIX. VISITE GUIDÉE.


À

L’A F F I C H E Par Philippe Nourry

Arriba los

!

Borbones!

A

lors que commence un nouveau règne en Espagne – le premier depuis la naissance d’Alphonse XIII à renouer dans des conditions normales le fil de la continuité monarchique – il est bon de rouvrir le grand livre de cette dynastie des Bourbons d’Espagne qui a, trois siècles durant, mais au prix de nombreuses crises et de plusieurs éclipses, présidé au destin du pays. A Juan Carlos, que les circonstances de son avènement ont contraint à jouer un rôle politique éminent et inédit dans les premières années de son règne, succède Philippe VI

© AISA/LEEMAGE. © THORTON/POOL/PPE/SIPA.

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par le simple jeu du principe héréditaire qui est l’essence même de la monarchie. Si préparé qu’il soit à ses nouvelles tâches, le nouveau roi est confronté à des défis majeurs : la résurgence dans le pays d’un sentiment républicain ravivé ces dernières années par les lois dites « mémorielles » du précédent gouvernement socialiste, et surtout la menace, à l’automne prochain, d’une sécession catalane qui ne manquerait pas d’être suivie par celle du Pays basque. Or, c’est précisément dans ce domaine que la couronne, gardienne de la Constitution et clé de voûte de l’unité du pays, devra montrer sa capacité à concilier et arbitrer. En évoquant dans son discours d’investiture du 19 juin «une monarchie rénovée pour des temps nouveaux », Philippe VI n’a pas voulu éluder le problème de la cohésion nationale d’un pays qui, faute sans doute d’une tradition étatique assez forte et continue, n’a jamais complètement transcendé sa diversité. Bien que longtemps en sommeil, l’histoire de ces tensions centrifuges puise en réalité ses racines dans la fusion jamais vraiment aboutie de deux royaumes aux formations différentes : un Aragon méditerranéen

et fortement décentralisé, s’étendant des comtés catalans au sud de l’Italie en passant par Valence, et une Castille (Andalousie incluse) plus puissante, plus peuplée et à vocation plus unitaire. En réunissant leurs couronnes en 1474, les rois catholiques Isabelle de Castille et Ferdinand II d’Aragon, encore empreints de culture médiévale, avaient négligé d’unifier réellement leurs Etats respectifs. Charles Quint, lui-même à la tête d’un vaste empire morcelé, ne prit pas la peine de régler la question. Ses successeurs Habsbourg s’y cassèrent les dents. Ainsi, quand, en 1700, le trône d’Espagne, devenu vacant par la mort sans héritier de Charles II, dernier souverain de la maison d’Autriche, échoit par testament royal au duc d’Anjou, petit-fils de Louis XIV et de la reine Marie-Thérèse d’Autriche, infante d’Espagne et plus proche parente du roi AVÈNEMENT Ci-contre : Philippe VI, qui succède à son père Juan Carlos, salue la foule après son investiture, le 19 juin 2014. A gauche : la cérémonie d’investiture dans le Palacio de las Cortes, à Madrid. En haut : réal espagnol de Castille, 1704.

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ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE

Malgré son histoire chaotique, la dynastie des Bourbons d’Espagne assure depuis trois siècles une unité nationale sans cesse menacée.


© EDUARDO DIEGUEZ/PHOTOCALL 3000/SIPA/1406191717.


© DEAGOSTINI/LEEMAGE. © THE ART ARCHIVE/MUSEO DEL PRADO MADRID/THE PICTURE DESK LTD.

ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE

TÊTES COURONNÉES A gauche : Portrait de Philippe V, roi d’Espagne, attribué à Jean Ranc, 1722-1735 (Reggia di Caserta, Palazzo Reale). Ci-dessus : Charles III, par Francisco de Goya, 1786 (Madrid, Museo del Prado). Page de droite : descendants de Louis XIV en ligne masculine, les Bourbons d’Espagne actuels se divisent en deux branches : la branche cadette a pour chef Philippe VI d’Espagne. A la tête de la branche aînée, Louis de Bourbon est considéré par les légitimistes comme le prétendant au trône de France.

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défunt, la réaction des Catalans et des Valenciens est prévisible. L’esprit centralisateur des Bourbons, bien accueilli par la Castille, se heurte à leurs autonomies. Barcelone et Valence prennent parti pour l’archiduc Charles d’Autriche, qui dispute son trône au jeune Philippe V. Une première guerre civile, doublant la guerre internationale de succession d’Espagne, ravage le pays. Elle ne prend fin que le 12 septembre 1714 avec la chute de Barcelone, à l’issue d’un long siège mené par les Franco-Castillans : une date héroïque mais victimaire, dont les Catalans d’aujourd’hui ont fait leur fête nationale. Le choix du dernier Habsbourg en faveur d’un Bourbon peut paraître étrange. Les intrigues de Louis XIV y jouèrent quelque rôle, mais les convoitises des cours étrangères sur l’Espagne et ses possessions d’Italie

et d’Amérique étaient si menaçantes que la crainte d’un démembrement du royaume avait convaincu le Conseil royal de donner la préférence à la dynastie la plus à même de préserver son intégrité. Le long règne de Philippe V (1700-1746), nostalgique d’un trône de France qui lui avait échappé de justesse mais consciencieux à la tâche, est de fait marqué, la paix revenue, par une vaste réorganisation administrative. Les frontières douanières intérieures sont abolies ainsi que les dernières prérogatives des Etats d’Aragon. Jusqu’au milieu du siècle suivant, on n’entendra plus parler de revendications catalanes, le castillan s’imposant même très naturellement comme langue de culture dans ces régions. Ferdinand VI (1746-1759), fils de Philippe V, étant mort sans héritier, le meilleur règne des Bourbons sera celui de son demi-frère

Charles III (1759-1788). Installé sur le trône de Naples où il s’était rendu très populaire par sa simplicité et sa bonne administration, il ne le quitta qu’à regret pour occuper celui d’Espagne, plus rétif à son esprit réformateur. Contemporain de Frédéric II, de Catherine de Russie et de MarieThérèse d’Autriche, il complète la galerie des « despotes éclairés » de son temps, mais avec la bonhomie que lui prête Goya dans son portrait en simple chasseur solitaire. Dévot mais libéral, il n’hésite pas à expulser les Jésuites qui menacent à ses yeux son pouvoir régalien. «Meilleur maire de Madrid », dont il planifie l’urbanisation, il s’emploie aussi à renouer ses liens avec la France, en concluant avec Louis XV un troisième « Pacte de famille ». Un an ne s’est pas écoulé après sa mort qu’éclate la Révolution française, déflagration


Elisabeth de France puis Marie-Anne d’Autriche

Louis de France ( le Grand Dauphin) 1661-1711

Philippe (Felipe) V de Bourbon 1683-1746 Louis (Luis) Ier 1707-1724

Ferdinand (Fernando) VI 1713-1759

Charles (Carlos) IV 1748-1819 Marie-Christine de Bourbon-Siciles

Marie-Louise de Savoie puis Elisabeth Farnèse

Charles (Carlos) III 1716-1788

Ferdinand (Fernando) VII 1784-1833

François de Paule d'Espagne 1794-1865

Charles de Bourbon 1788-1855

Isabelle (Isabel) II 1830-1904

François d’Assise de Bourbon

Alphonse (Alfonso) XII 1857-1885

Alphonse (Alfonso) XIII 1886-1941 Jacques de Bourbon 1908-1975 Alphonse 1936-1989

Louis de Bourbon 1974-…

Marie-Amélie de Saxe

Marie-Louise de Bourbon-Parme

Victoire Eugénie de Battenberg Jean (Juan) de Bourbon 1913-1993

Elena 1963-...

Marie-Christine d’Autriche

Charles de Bourbon 1818-1861

Jean de Bourbon 1822-1887

Charles 1848-1909

Alphonse-Charles 1849-1936

Mercedes de Bourbon

Juan Carlos Ier 1938-…

Sophie de Grèce

Cristina 1965-...

Entre-temps, il vient en effet d’apprendre le fameux soulèvement de Madrid du Dos de Mayo contre les troupes de Murat. Ce faisant, l’empereur, qui avait pu prendre la mesure de la lâcheté de Ferdinand, commet sans doute une grave erreur. L’eût-il confirmé cyniquement sur le trône d’Espagne que l’insurrection générale qui enflammait déjà le pays contre lui se serait calmée et qu’il eût pu compter, au moins un temps, sur un vassal et sur sa dévotion. Le vrai drame de cette guerre de cinq ans, si désastreuse pour ses armes et sa réputation, comme il le reconnut à Sainte-Hélène, fut qu’elle se fit au nom d’un roi dont les Espagnols firent un martyr, tandis qu’il

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Jacques de Bourbon 1870-1931

Philippe VI 1968-… Leonor 2005-…

Dans la tourmente

A Aranjuez, où la famille royale s’est installée, effrayée par la présence des troupes napoléoniennes en Espagne, les partisans de Ferdinand déclenchent le 17 mars une violente émeute. Le roi est contraint d’abdiquer sur-le-champ au profit de son fils. L’imbroglio dynastique se résout à Bayonne où Napoléon s’installe, attendant que les deux Bourbons tombent dans sa souricière. Le couple royal espère tout de l’empereur. Ferdinand est plus circonspect, mais il considère que dans son pays déjà occupé, il n’a de chance de se maintenir qu’avec son onction. Napoléon exige de lui qu’il abdique à son tour. Ferdinand croit le faire en faveur de son père, mais l’empereur s’empresse de remettre la couronne à son propre frère Joseph.

Prétendants carlistes

La famille royale d’Espagne

Louis de France 1682-1712 Louis XV roi de France

Branche aînée

Charles (Carlos) II de Habsbourg 1661-1700

Letizia Ortiz Rocasolano Sofia 2007-...

© IDÉ..

que n’est pas de taille à affronter l’étrange trio qui va bientôt exercer le pouvoir. Héritier de son père, Charles IV (17881808) n’est qu’un brave homme manipulé par une épouse scandaleuse, Marie-Louise de Parme. Bien vite, elle installe au poste de ministre le jeune Manuel Godoy, son amant depuis trois ans. Uni jusqu’à sa déchéance finale, ce ménage à trois cristallise contre le favori la haine du prince héritier, le futur Ferdinand VII, qui ne songe plus qu’à renverser son père. Au crédit de Charles IV, on peut porter ses efforts pour tenter de sauver son cousin Louis XVI et Marie-Antoinette, abandonnée par sa propre famille : il charge son ambassadeur en France d’aller jusqu’à corrompre les juges de son cousin, puis offre la neutralité de l’Espagne en échange de sa vie. La Convention réplique en mars 1793 en lui déclarant la guerre. Elle envahit la Catalogne et le Pays basque, qui résistent avec patriotisme aux sirènes annexionnistes. La paix conclue en 1795 au traité de Bâle refait de l’Espagne l’alliée contrainte d’une République apaisée par le Directoire. A la remorque d’une France consulaire puis impériale, l’Espagne connaît le début de ses malheurs. A Trafalgar, en 1805, elle perd aux côtés des Français la quasi-totalité de sa flotte. En 1808, éclatent simultanément deux drames qui précipitent la catastrophe.

Louis XIV de Bourbon, roi de France 1638-1715

Guerre civile

multipliait en réalité, depuis son exil chez Talleyrand à Valençay, des actes humiliants d’allégeance à Napoléon, jusqu’à quémander la main d’une quelconque de ses nièces! Cette guerre patriotique et populaire de toute une nation rassemblée reste « la grande école du désordre du XIXe siècle espagnol » dénoncée par le romancier espagnol Pérez Galdos. Elle est plus précisément l’origine d’un divorce absolu entre cléricaux, partisans de l’absolutisme royal, et libéraux, fidèles à la Constitution progressiste que la junte de Cadix avait adoptée en 1812 mais poussés, dans sa version extrême, à un anticléricalisme nourri par les répressions féroces de Ferdinand.

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Marie-Thérèse 1638-1683

Roi ou reine d’Espagne

Philippe (Felipe) IV de Habsbourg 1605-1665


© AKG-IMAGES/ERICH LESSING. © EDIMEDIA/WHA/RUE DES ARCHIVES. © MP/LEEMAGE.

ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE 12 PÉRIL EN LA DEMEURE La Famille de Charles IV, par Francisco de Goya, 1800 (Madrid, Museo del Prado). Charles IV d’Espagne et sa femme, Marie-Louise de Parme, entourés de leurs enfants. A gauche, en habit bleu, le futur Ferdinand VII. Derrière lui, dans l’ombre, Francisco de Goya s’est représenté lui-même. N’ayant rien appris ni rien oublié, le premier geste de ce dernier, à son retour sur le trône en 1813, est en effet d’abolir la Constitution de Cadix. S’ensuit en 1822 un soulèvement où le roi, prisonnier des révolutionnaires, ne doit sa libération et son retour au pouvoir qu’à cet inouï retournement de l’histoire : une nouvelle invasion de l’Espagne, sous le drapeau blanc des « Cent mille fils de Saint Louis », par les mêmes vétérans qui l’avaient envahie sous le tricolore de l’Empire… Peu avant sa mort, en 1833, Ferdinand VII abroge la loi salique datant de Philippe V afin d’assurer la couronne à sa fille unique, la future Isabelle II. Mais cette disposition ouvre un nouveau drame : don Carlos – le frère cadet de Ferdinand – et ses héritiers après lui n’ayant jamais accepté d’être exclus du trône, les guerres carlistes vont ravager périodiquement l’Espagne jusqu’en

1876. Bien que ralliant sous leur bannière légitimiste les provinces les plus traditionalistes (du Pays basque et de la Navarre à la Catalogne), hostiles au modernisme des cités, les carlistes ne défendent pas une idée de décentralisation du pouvoir royal. Jamais en effet n’a ressurgi depuis le XVIIIe siècle un désir de sécession de la part des Catalans et moins encore des Basques. Leur combat est celui du trône et de l’autel. Héritier de ces conflits dynastiques, le règne d’Isabelle II ne peut qu’épouser la cause « libérale », même si c’est dans sa version conservatrice. Mais il est chahuté par des pronunciamientos de généraux agissant en chefs de factions politiques et assumant tour à tour la réalité du pouvoir. Comme sa mère, la régente Marie-Christine, l’a été en 1840 par le général Espartero, Isabelle est contrainte à l’exil en 1868 par un coup d’Etat conduit par les généraux

Serrano et Prim et travesti en « révolution glorieuse ». C’est le début d’un intermède de six ans où l’histoire de l’Espagne prend des allures de mauvaise opérette. A la recherche d’un nouveau roi pour le pays (« tout sauf un Bourbon », déclarait-il), le Catalan Juan Prim, l’homme fort du duo, fait appel à un Hohenzollern puis au duc d’Aoste, second fils de VictorEmmanuel II. Celui-ci va régner dix-huit mois sous le nom d’Amédée Ier avant de jeter l’éponge, découragé par les obstacles que rencontre sa bonne volonté. Une Première République, d’inspiration fédérale, lui succède en 1873, bientôt incapable de mettre fin à l’anarchie qu’elle a déclenchée en ouvrant la boîte de Pandore des revendications identitaires : non pas de provinces constituées, mais de villes et parfois de villages s’érigeant en communes indépendantes et hostiles les unes aux autres. En moins d’un an, quatre éminents intellectuels se succèdent à la présidence, impuissants à maîtriser cette « révolution


cantonaliste » issue de l’utopie libertaire. Le général Manuel Pavia donne le coup de grâce à cette expérience en faisant irruption dans l’enceinte du Congrès et l’armée se charge, non sans mal, de mettre au pas les villes rebelles.

ADIOS Ci-contre : Isabelle II d’Espagne partant en exil, caricature parue dans Vanity Fair, en septembre 1869. Ci-dessous : Portrait de Ferdinand VII, par Francisco de Goya, 1814-1815 (Madrid, Museo del Prado).

Temps nouveaux

De 1923 à 1928, l’Espagne vit ainsi sous une dictature de fait, plus civile que militaire, tempérée par la nature bienveillante et dévouée au bien public de son protagoniste. D’incontestables progrès économiques et sociaux en résultent. Mais quand survient la crise de 1929 et que Primo de Rivera, lâché par l’armée, choisit de se retirer, le crédit du roi en pâtit plus encore : les uns ne lui pardonnent pas d‘avoir failli à la Constitution, les autres de ne pas avoir soutenu son dictateur préféré. En avril 1931, sous les coups de boutoir révolutionnaires d’une conspiration républicaine politico-militaire et à la faveur d’élections municipales où les grands centres urbains ont majoritairement donné leurs voix aux partisans d’une Marianne espagnole,

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A la fin de l’année 1874, l’Espagne est mûre pour un retour de sa dynastie traditionnelle. Celui-ci est bien préparé par un remarquable homme d’Etat, José Canovas del Castillo, qui, à Paris, a convaincu Isabelle II d’abdiquer en faveur de son fils unique, Alphonse XII. Le 14 janvier 1875, ce jeune homme de 18 ans fait son entrée dans la capitale. Un bipartisme à l’anglaise inventé par Canovas va dès lors régir les institutions espagnoles, assurant à Alphonse XII jusqu’à sa mort prématurée en 1885, puis à la régence de son épouse, des règnes que l’alternance régulière au pouvoir de « conservateurs » et de « libéraux » met à l’abri des conflits politiques sans entamer leur prestige. Enfant du miracle, né roi quelques mois après la mort de son père, Alphonse XIII a tout – élégance, sensibilité, cosmopolitisme – pour séduire son peuple lorsqu’il atteint sa majorité en 1902. Mais l’Espagne sort humiliée de la perte, quatre ans plus tôt, de ses dernières colonies. Le système mis en place par Canovas résiste de plus en plus mal à la crise de la conscience nationale, aux troubles sociaux, aux attentats anarchistes et à la résurgence d’un irrédentisme catalan puis basque, induit par le régionalisme culturel à la mode dans toute l’Europe mais tournant vite ici à une revendication identitaire de plus en plus politique. Dans ce contexte instable, le roi se croit autorisé à jouer un rôle plus personnel, qui flatte sa vanité mais le place trop souvent en première ligne. Un épisode tragique de la pacification du Maroc – le désastre d’Anoual, en 1921, où sa responsabilité paraît engagée – empoisonne le climat au point de déterminer le capitaine général de Catalogne, Miguel Primo de Rivera, à établir un régime autoritaire sur le modèle mussolinien, sans qu’Alphonse XIII cherche à s’y opposer.


© MONDADORI PORTFOLIO/RUE DES ARCHIVES.

ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE © ALBERT HARLINGUE/ROGER-VIOLLET.

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ADOUBÉ Ci-dessus : le prince Juan Carlos de Bourbon et le général Francisco Franco, à Madrid, dans les années 1970. En bas : Alphonse XIII d'Espagne (au centre) alors qu’il vient de remettre les pleins pouvoirs au général Miguel Primo de Rivera (à gauche), en 1923. Alphonse XIII, sans abdiquer, préfère prendre le chemin de l’exil plutôt que de sauver sa couronne au prix du sang. Mise en sommeil pendant les années de la Guerre civile (1936-1939), ce n’est que quinze ans après la mort d’Alphonse XIII, à Rome en 1941, que l’idée monarchiste reprendra quelque consistance. Elle est alors incarnée par don Juan, comte de Barcelone, seul et robuste rescapé de la famille royale, son frère Jacques, sourdmuet, ayant renoncé au trône. Dans une Espagne où la Seconde République (19311939), sectaire et conflictuelle, n’a pas laissé

de si bons souvenirs et où le régime du général Franco, qui lui succède en 1939, est mis au ban des Nations unies, l’héritier d’Alphonse XIII a toutes les raisons de se présenter comme un recours. Mais malgré ses efforts pour fédérer les éléments modérés de la diaspora socialiste, ni l’armée ni même les monarchistes de l’intérieur ne souhaitent le départ de Franco, consolidé par les tensions de la guerre froide. D’où le sacrifice qu’il s’impose et impose au jeune Juan Carlos, alors âgé de 10 ans, en acceptant en 1948 la proposition du rusé dictateur de l’accueillir en Espagne pour qu’il apprenne à bien connaître sa patrie, laquelle est devenue la même année, par une loi soumise à référendum, une «monarchie provisoirement sans roi ». Deux voies s’offrent, dès lors, aux Bourbons pour reconquérir un jour leur royaume. La première – la seule à laquelle don Juan voudrait croire – est qu’à la chute ou à la mort de Franco, lui-même réussisse à fédérer les Espagnols autour d’une nouvelle Restauration démocratique. La seconde implique que Franco assure luimême sa succession en la personne de Juan Carlos, ce qui suppose de sa part un passage douloureux mais obligé par la case franquiste. C’est ce qui advient en 1969, non sans provoquer la colère puis la tristesse résignée du prétendant en titre. La détermination de don Juan est telle qu’on peut penser que, si le jeune roi avait échoué à démonter le franquisme, son père eût, après la mort du Caudillo, de nouveau tenté sa chance.

A supposer toutefois qu’il y soit parvenu, un grave problème se serait posé dès la disparition de Franco : l’adhésion à la personne de don Juan, compromis à ses yeux par ses amitiés dans le camp républicain, d’une armée restée fidèle à son chef historique. En février 1981, quand Juan Carlos dut affronter seul une rébellion militaire, c’est à sa formation militaire en Espagne et aussi parce qu’il avait reçu en son temps l’onction de Franco qu’il parvint à se faire obéir. Les voix qui s’élèvent aujourd’hui contre la légitimité de cette monarchie «instaurée par une dictature » oublient trop volontiers que l’Histoire a ses arcanes et ne se juge qu’à l’aune de ses effets les plus heureux. Défraîchie sur le tard par une succession de scandales qui ont touché ses proches et concerné sa propre vie privée, l’icône du juancarlisme est-elle de nature à éloigner les Espagnols d’une institution que sa discontinuité n’a jamais rendue aussi familière et intouchable qu’elle peut l’être en GrandeBretagne ou dans d’autres pays européens? Aux yeux des moins oublieux, la couronne reste attachée à l’époque si fertile et consensuelle de la transition démocratique. Et si certains n’y voient qu’un régime par défaut, il n’est pas vrai, remarquait le Nobel Mario Vargas Llosa dans un article récent d’El Pais, que dans une nation comme l’Espagne, menacée de démembrement, la nature du régime compte pour peu : « Quand le problème de l’unité du pays est en jeu, la monarchie est une des rares institutions qui peut garantir cette unité dans la diversité. » Le coup de jeune qu’elle connaît aujourd’hui devrait pour le moins y aider. !

À LIRE de Philippe Nourry Histoire de l’Espagne. Des origines à nos jours Tallandier 800 pages 29,90 €


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