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LE SOLEIL NOIR DE LA MÉLANCOLIE
VAN GOGH
Editorial
© BLANDINE TOP.
par Michel De Jaeghere
Il est bien vrai qu’il fut une âme de feu. Possédé par le désir de produire une œuvre qui, le hissant audessus du médiocre, le sauverait du désespoir. La volonté de réinventer une écriture qui, par-delà la surface des choses, donnerait à voir ce qui n’est visible que par le cœur. Dévoré par le projet de faire sentir, dans ses toiles, les convulsions qui animent la nature, d’y traduire la ferveur de ses émotions par la franchise du trait, le pathétique d’une touche lourdement appliquée, d’y explorer le fond des âmes. Vrai aussi que sa vie est fascinante, qu’elle accumule les caractères de l’artiste voué à la malédiction, tant la douleur y semble avoir été omniprésente, les échecs répétés, les zones de noirceur et d’ombre en singulier contraste avec le caractère solaire de quelques-unes de ses toiles : la pauvreté, l’alcool, la solitude, la faim, les crises d’aliénation, le suicide comme point final à un interminable chemin de croix. Et la gloire, posthume, arrivée trop tard pour consoler l’inconsolable. La spéculation désormais sans limites sur les œuvres d’un peintre qui n’avait,de son vivant, réussi à vendre qu’un seul de ses tableaux, et que poussa en définitive à la mort volontaire le sentiment d’être une charge pour les siens. «L’histoire des grands hommes ressemble à un drame, écrivit un jour Van Gogh à son frère Theo dans une lettre étrangement prémonitoire. Dans la plupart des cas, ils ont disparu au moment où on rendait publiquement hommage à leur œuvre, et de leur vivant ils ont été en butte à l’hostilité de leurs adversaires, ils ont dû surmonter bien des difficultés pour tenir le coup. Chaque fois que j’entends parler d’un hommage public aux mérites d’un tel ou d’un tel, je me représente nettement les figures effacées, sombres, de ces hommes qui avaient peu d’amis – et je les trouve ainsi, dans leur simplicité, plus grands et plus navrants. » N’empêche : avec Van Gogh, la légende finirait, si l’on n’y prenait garde, par occuper tout l’espace. Par nous faire oublier que ce qui compte, à l’épreuve du temps, ce n’est pas la tragédie de son existence, mais le talent visionnaire du peintre. Parce que sa peinture est brutale, dans sa volonté d’atteindre, par la naïveté,à la poésie de la vie quotidienne,parce qu’elle est immédiatement accessible,avec ses contrastes violents,ses couleurs éclatantes,on a brodé autour du roman noir de sa vie la plus trompeuse des fables : celle qui met en scène, en Van Gogh, un être fruste, un dément saisi par un génie qu’il aurait eu lui-même quelque peine à maîtriser et à comprendre.Sa folie,ses colères, ses désordres, son regard halluciné sur le tournoiement du ciel nous parlent violence et passion. Ils donnent à son destin un relief, un piquant, où notre curiosité trouve à s’attarder un instant. Nous n’avons que faire des témoignages qui le montrent curieux, jovial ou plein d’humour, de son sens aigu de l’observation, de sa facilité à se lier, de son honnêteté scrupuleuse, de sa générosité exemplaire. Nous ne nous intéressons pas aux goûts littéraires d’un homme qui parlait quatre langues, avait lu Hugo, Balzac, Zola, Michelet, Diderot ou Voltaire et se révèle, dans sa correspondance, comme un savoureux prosateur ; nous ne voulons rien savoir de l’empreinte en lui d’une religion sans pardon, rien entendre de ses protestations d’admiration pour Rembrandt, Hals, Chardin, Delacroix ou Rubens. Nous le voulons hagard, demi-fou, inventant un monde dans les transes d’une semi-inconscience.
On comprend que le musée d’Orsay ait choisi de donner pour fil rouge à la splendide exposition qu’il lui dédie aujourd’hui le court essai que lui avait consacré, en 1947, Antonin Artaud. Scandalisé par la lecture du commentaire du Dr Beer, qui avait diagnostiqué en Van Gogh, post mortem, une schizophrénie « du type dégénéré », Artaud, qui avait fait lui-même pendant neuf années l’expérience de l’enfermement parmi les aliénés, y avait pourfendu l’idée selon laquelle Vincent aurait été un peintre fou, dont la peinture ne nous fascinerait par son inventivité, sa puissance, que parce qu’elle serait, in fine, l’expression d’une maladie mentale. Dans un texte écrit d’un seul jet, une langue incantatoire, où les mots se bousculent pour scander la pensée, lui donner un tour passionné, oratoire ; où l’autoportrait perce jusque dans la chaleur du plaidoyer, il avait clamé avec une force, une violence qui n’avaient pas altéré en lui la finesse, le bonheur d’expression, que le ressort du génie de Van Gogh,ce peintre « le plus vraiment peintre de tous les peintres », résidait au contraire dans la « lucidité supérieure » qui lui avait fait voir « plus loin, infiniment et dangereusement plus loin que le réel immédiat et apparent des faits ». Qu’il avait été, avant tout, le poète de « la couleur roturière des choses », l’« organiste d’une tempête arrêtée », le seul qui ait « absolument dépassé la peinture, l’acte inerte de représenter la nature pour (…) faire jaillir une force tournante, un élément arraché en plein cœur ». Artaud ne s’était pas contenté,pourtant,de cette défense de l’œuvre peinte. En désignant Van Gogh comme « le suicidé de la société », il avait soutenu en outre qu’il avait été,à sa propre image,victime de contemporains incapables de mesurer l’ampleur de son talent, et dont la sottise et l’indifférence l’avaient conduit à sa fin. Vraie ou fausse, la thèse ne manquera pas de recueillir l’adhésion du grand nombre. Elle est pour nous d’autant plus séduisante qu’elle nous renvoie de nous une image rassurante. Les imbéciles n’avaient rien compris à un génie qui les dépassait de trop haut pour qu’ils soient capables d’en saisir le caractère novateur. Nous n’avons plus de ces aveuglements : nous lui parlons à hauteur d’âme. Le contraste nous offre l’occasion de nous rengorger de la supériorité que nous avons acquise, en un peu plus d’un siècle. Il nous justifie d’avoir transformé Van Gogh en produit de grande consommation. La question est de savoir si le peintre que nous admirons a quelque chose de commun avec celui qui signait de son seul prénom : Vincent. Sa sincérité et son exigence. Son goût du travail bien fait et son amour des humbles. « Plus j’y réfléchis, disait-il, plus je sens qu’il n’y a rien de plus réellement artistique que d’aimer les gens. » La formule l’aurait fait expulser des foires de l’art contemporain, elle aurait fait de lui la risée des plateaux de télévision. En tête du beau livre qu’il vient de consacrer au suicide de Van Gogh, Et Vincent s’est tu…, Benoît Landais place en exergue un autre passage de cette même correspondance : « Ce que Victor Hugo dit à propos d’Eschyle : “On tua l’homme, puis on dit : ‘élevons pour Eschyle une statue en bronze’” me revient à l’esprit chaque fois que j’entends parler d’exposition d’œuvres d’un tel, et je ne prête plus guère d’attention à la statue en bronze, non que je désapprouve l’hommage public, mais parce que j’ai alors une arrière-pensée : on tua l’homme. » Le moins que nous devions à l’œuvre de Van Gogh,c’est de ne pas la laisser éclipser par la statue de bronze que lui ont élevée les marchands.
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© PHOTO RMN-GÉRARD BLOT. © WWW.BRIDGEMANART.COM.
Ci-contre : Portrait de l’artiste, Paris, automne 1887 (Paris, musée d’Orsay). Dessous : Le Pont de Langlois à Arles, Arles, avril 1888 (collection particulière). Page de droite : Le Fauteuil de Gauguin, Arles, décembre 1888 (Amsterdam, Van Gogh Museum).
L’ABSENT « Gauguin, cet artiste curieux, cet étranger duquel l’allure et le regard rappellent vaguement le portrait d’homme de Rembrandt à la galerie Lacaze, cet ami qui aime à faire sentir qu’un bon tableau doit être l’équivalent d’une bonne action, non pas qu’il le dise, mais enfin il est difficile de le fréquenter sans songer à une certaine responsabilité morale. – Quelques jours avant de nous séparer, alors que la maladie m’a forcé d’entrer dans une maison de Santé, j’ai essayé de peindre “sa place vide”. C’est une étude de son fauteuil en bois brun rouge sombre, le siège en paille verdâtre et à la place de l’absent un flambeau allumé et des romans modernes. » LETTRE À ALBERT AURIER, SAINT-RÉMY-DE-PROVENCE, 9 OU 10 FÉVRIER 1890 « Je crois que Gauguin pensait que l’artiste doit rechercher le symbole, le mythe, agrandir les choses de la vie jusqu’au mythe, alors que Van Gogh pensait qu’il faut savoir déduire le mythe des choses les plus terre à terre de la vie. En quoi je pense, moi, qu’il avait foutrement raison. » ANTONIN ARTAUD
© PATRICE SCHMIDT/MUSÉE D'ORSAY DISTRIB.
9 journées de la vie d’un peintre
29 juillet 1890 Fin de partie
A bout de forces, à bout d’argent, Vincent se consume dans l’art. Dans la campagne, qu’il a hantée, il se tire une balle dans la poitrine.
© FONDATION BEYELER, RIEHEN/BASEL, BEYELER COLLECTION © MUSÉE D'ORSAY, DIST. RMN-GRAND PALAIS/PATRICE SCHMIDT.
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incent voudrait dormir.Il vient de si loin ! Il se sent plus seul et plus étranger que jamais,depuis sa dernière rencontre avec Theo.Ses tempes bruissent comme une ruche renversée. Theo lui a bien dit qu’il ne pourrait plus l’aider autant qu’il l’avait toujours fait.Vincent s’affole.Il se tourne et se retourne dans son lit.Il est maintenant définitivement seul.Groggy, Vincent espère un sommeil de brute. Pour oublier ce cauchemar. Il rassemble ses dernières forces.Oppressé de solitude,écrasé par les échecs de sa vie,Vincent se remet au travail. Il parcourt la campagne d’Auvers-sur-Oise, hantée par le souvenir de Daubigny,de Pissarro,de Cézanne,de Guillaumin,de Renoir,de Monet et de Daumier.De coteaux en chemins encaissés,il débouche sur une vaste plaine où s’étalent et foisonnent les derniers jours de juillet. Une grande paix, la paix des champs, transparente,magique,parcourt l’herbe verte,violette,des prairies.Elle reste suspendue entre blés et feuillages.Ne bouge plus.Des corbeaux passent en croassant.Le silence en devient plus profond. C’est le bonheur de l’été. Il s’en ira avec l’automne. Vincent se remet à peindre. Avec une énergie désespérée, il exécute « d’immenses étendues de blés sous des ciels troublés ». Oui, dit-il : « je ne me suis pas gêné pour chercher à exprimer de la tristesse, de la solitude extrême ». A chaque toile,Van Gogh repousse le mot fin. A titre provisoire. 14 juillet.Voilà cinquante-cinq jours que Vincent se trouve à Auvers.Le pays est en fête,la mairie pavoise.Vincent la peint avec ses lampions et ses drapeaux,mais désertée de présence humaine. Vincent s’énerve, s’emporte. Pour un rien. Il parle fort, lâche des bordées d’injures. Inquiet, sombre, dépressif,Vincent se confie, un soir, à Ravoux. Il n’en peut plus. Maintenant, il sait que la vie se moque du bonheur des hommes.Gentiment,doucement, l’aubergiste tente de le rassurer, de le réconforter. Van Gogh se consume dans l’art pur, pour satisfaire à l’exigence d’une vocation. Il y arrive. Mais dans quel état ! Une nouvelle fois,il peint les champs de blé,la plaine immense sur laquelle roulent des nuées grosses d’orage.Une fois encore, il peint un immense ciel bleu qui s’étale sans fin pour se confondre à l’or des blés. Un ciel, ivre de bleu, lacéré par le vol noir des corbeaux. Ce Champ de blé aux corbeaux est l’ultime message de Van Gogh. Son testament mélancolique. Vincent peint,sans tricherie,le mouvement obscur et immense des lames de fond d’une vie entière. Mais,Vincent se détache. Le temps s’arrête. Il ne tient plus au temps. Le 27 juillet,une silhouette trace son sillage dans les blés,près du château d’Auvers. Flottant entre deux vies,Vincent, ce raté,
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ce maudit,froisse dans sa poche la dernière lettre inachevée qu’il n’a pas envoyée à Theo. «Je voudrais bien t’écrire sur bien des choses, mais j’en sens l’inutilité. (…) Eh bien, mon travail à moi, j’y risque ma vie et ma raison y a fondu à moitié. » Vincent se fige brusquement. Il sort de sa poche un pistolet emprunté à Ravoux,appuie sur la détente.La silhouette chancelle.Van Gogh hurle sa détresse.Mais le croassement des corbeaux et l’haleine bleue du ciel lui volent son dernier cri. Encore raté ! Vincent est vivant ! Il est mortellement blessé. Il a encore la force de regagner sa chambre.Le Dr Gachet alerte Theo qui vient de rentrer de Hollande. Il accourt à Auvers. Il embrasse son frère : « Ne pleure pas, lui murmure doucement Vincent. Je l’ai fait pour le bien de tous. » Le 29 juillet 1890, à une heure et demie du matin,Vincent se crispe soudain. Il a cessé de vivre. Sans une plainte. Il avait trente-sept ans. Theo meurt en Hollande, six mois plus tard. Ses cendres seront transférées en 1914 au cimetière d’Auvers. Les deux frères reposent l’un à côté de l’autre. Réunis à jamais. J.-M. T.
LA CLEF DES CHAMPS
Ci-dessous : Champ de blé avec des bleuets, Auvers-sur-Oise, juillet 1890 (Bâle, Fondation Beyeler). A droite : Autoportrait, SaintRémy, septembre 1889 (Paris, musée d’Orsay). On compte plus de quarante-trois autoportraits de celui qui écrivait à son frère en septembre 1889 : «On dit – et je le crois fort volontiers – qu’il est difficile de se connaître soi-même, mais il n’est pas aisé non plus de se peindre soi-même.»
ENTRETIEN AVEC ISABELLE CAHN, COMMISSAIRE DE L’EXPOSITION « VINCENT VAN GOGH/
ANTONIN ARTAUD. LE SUICIDÉ DE LA SOCIÉTÉ ». PROPOS RECUEILLIS PAR ISABELLE SCHMITZ
Antonin Artaud clame la parfaite lucidité de Van Gogh et sa « terrible sensibilité » au monde. Face à une société corsetée qui, pour mieux l’oublier, l’a suicidé. Champ de blé aux corbeaux, Auvers-sur-Oise, juillet 1890 (Amsterdam, Van Gogh Museum).
© VAN GOGH MUSEUM, AMSTERDAM (VINCENT VAN GOGH FOUNDATION).
Le bal des vautours
© MUSÉE D'ORSAY DISTRIB. RMN-GRAND PALAIS/PATRICE SCHMIDT. © MERZBACHER KUNSTSTIFTUNG.
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’est sous un angle inattendu que le musée d’Orsay a choisi de faire redécouvrir l’œuvre de Van Gogh : en rapprochant le peintre maudit d’un artiste au destin également tragique, Antonin Artaud, auteur d’un texte majeur sur Van Gogh, qui en offre une vision totalement renouvelée. Van Gogh, le suicidé de la société est une réaction directe et sur le vif à un article du Dr François-Joachim Beer paru dans la presse sur la folie de Van Gogh, à l’occasion de l’exposition que lui avait consacrée le musée de l’Orangerie en 1947. A l’approche de cette exposition, le galeriste Pierre Loeb avait demandé à Artaud d’écrire sur Van Gogh, avec lequel il partageait la condition d’artiste interné pour troubles mentaux. Sorti de l’hôpital psychiatrique quelques mois plus tôt, après neuf ans d’enfermement, et désormais occupé à la parution de ses propres œuvres, Artaud n’avait pas semblé intéressé. Quand il entend la lecture de l’article du Dr Beer, Artaud s’offusque cependant du jugement de ce médecin qui décrète fou l’artiste génial qu’est Van Gogh. Il écrit aussitôt, presque d’une traite, une diatribe sur «le suicidé de la société». L’exposition d’Orsay, qui réunit quarante-six tableaux et neuf dessins de Van Gogh venant des plus grands musées et de nombreuses collections particulières, et plusieurs dessins et photos d’Artaud, présente les destins parallèles de ces deux artistes. La scénographie s’articule autour de quelques expressions frappantes et poétiques d’Artaud
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sur la peinture de Van Gogh. Plusieurs autoportraits du peintre dévoilent «une terrible sensibilité», qui porte sur sa vie quotidienne le regard d’un «convulsionnaire tranquille». Les motifs simples des paysages d’Arles et de Saint-Rémy donnent lieu à une peinture complexe, qui fait dire à Artaud que Van Gogh peignait «des choses de la nature inerte comme en pleines convulsions». La tension de sa peinture est visible également dans La Salle de danse à Arles, où Van Gogh compense le tourbillon humain par des lignes architecturales auxquelles il semble vouloir se raccrocher. «La couleur roturière des choses» regroupe essentiellement des compositions de natures mortes ou de scènes d’intérieur. Le Champ de blé aux corbeaux, longtemps considéré comme la dernière œuvre de Van Gogh avant son suicide, marque une césure. La figure d’Artaud apparaît dès lors explicitement à travers des photos de lui prises par Denise Colomb en 1947, des projections d’extraits de films de l’entredeux-guerres dans lesquels il a joué, avec un visage d’une incroyable beauté, qu’on a peine à reconnaître dans celui de 1947, rongé de souffrances. Un cabinet d’art graphique présente dessins et lettres de Vincent, avant le crépuscule de «L’orageuse lumière», qui réunit plusieurs représentations de ses champs peints à Auverssur-Oise, et ses «Paysages de convulsions fortes». Par la magie de la prose hallucinée d’Artaud, on croit découvrir Van Gogh, comme pour la première fois.
Van Gogh, l’obscure clarté
“Artaud récuse le discours sur la supposée folie de Van Gogh.”
© SOPHIE BOEGLY. © CENTRE POMPIDOU, MNAM-CCI, DIST. RMN-GRAND PALAIS/JACQUES FAUJOUR © ADAGP, PARIS 2014.
COMMENT AVEZ-VOUS CHOISI LE SUICIDÉ DE LA SOCIÉTÉ PARMI LA MULTITUDE D’ÉCRITS SUR L’ART DE VAN GOGH ? QUE DIT ARTAUD, FONDAMENTALEMENT, DU MOINS DANS LA PARTIE INTELLIGIBLE DE SON TEXTE ?
Le Suicidé de la société reste,à mon sens,l’un des plus beaux, si ce n’est le plus beau, textes sur Van Gogh.L’excès même des images et des formules d’Artaud nous emmène très loin. Ce texte dicté est une forme d’élan qui joue sur le souffle et la scansion, vibre par son rythme et ses fulgurances. Ecrire sur la peinture, c’est écrire avec des creux et des vides. Mais c’est un texte difficile, dont la forme fluide, qui n’a ni début ni fin, nous perd. C’est cette fluidité qui m’a guidée pour le parcours de l’exposition,dans des espaces qui communiquent entre eux, et dont certains sont sonorisés avec des enregistrements d’Artaud. Artaud récuse le discours sur la supposée folie de Van Gogh, et y voit une manière, pour la société, de mettre à distance la charge émotive intrinsèque à son art. Le succès posthume de Van Gogh vient, à ses yeux, d’un malentendu : on a créé, autour d’épisodes de sa vie comme celui de l’oreille coupée ou du suicide,la légende d’un peintre fou,dont la peinture serait une émanation de la folie. Le Suicidé de la société vient radicalement contrer cette idée en ne s’intéressant plus à la légende mais à l’œuvre elle-même. Artaud y clame la clairvoyance de Van Gogh sur le monde,le fait que les vérités dites par cette peinture sont d’« insupportables vérités » dont la société redoute l’expression. Selon lui, la société du temps de Van Gogh s’est défendue « de certaines lucidités supérieures dont les facultés de divination la gênaient » : il parle, je pense,des lucidités supérieures de l’artiste qui, par le regard qu’il porte,révèle sur son époque, sur la psychologie humaine, sur la nature ellemême,des vérités dérangeantes. «Je ne connais pas un seul psychiatre qui saurait scruter un visage d’homme avec une force aussi écrasante et en disséquer comme au tranchoir l’irréfragable psychologie », écrit-il. Il est clair qu’Artaud s’est énormément projeté dans son texte et a projeté sa propre vision
des choses et de l’art. Selon lui, la peinture de Van Gogh tord le cou au « destin névrotique des choses», qui désigne pourArtaud leur cours normal. Van Gogh en « tordant le cou » à cela va au-delà des apparences,de la bienséance de son époque,car son style ne ressemble à aucun autre. Il abat les cloisons, il franchit les frontières en s’épuisant à un point tel qu’il arrive aux limites de la folie.C’est donc cet artiste au bord du gouffre, qui sombre mais qui se reconstruit à travers sa peinture, qu’Artaud défend. Contrairement à Gauguin,qui va faire évoluer la peinture vers un style plus expressif et plus symboliste,Van Gogh travaille sur des motifs très simples de sa vie quotidienne : sa paire de chaussures, un panier de pommes, les paysans qu’il rencontre. Il transfigure cela par « la couleur roturière des choses » (Artaud). La peinture de Van Gogh est l’expression d’une vision du monde. Artaud parle de peinture à l’état « génésique », qui remonterait à l’origine du monde, et plaque ainsi sur cette peinture presque atomisée, qui montre un monde élémentaire en mouvement, un discours métaphysique.
POURQUOI ARTAUD APPELLE-T-IL VAN GOGH « LE PLUS PEINTRE DE TOUS LES PEINTRES » ?
Van Gogh est, aux yeux d’Artaud, exclusivement peintre. Artaud le voit comme le peintre le plus honnête de son temps, c’est-à-dire qu’il ne le soupçonne à aucun moment de vouloir juste illustrer et se plier à certaines modes représentatives.La peinture doit,selon lui,être l’émanation d’une intuition absolument sincère et non pas un métier permettant de plaire à des amateurs qui ont envie d’une décoration.Il écrit que la peinture linéaire, cette peinture de contours,d’apparence,trop réaliste,l’a toujours ennuyé. Avec Van Gogh, il a tout le contraire.
PARMI LES TABLEAUX DE VAN GOGH QU’IL COMMENTE, ARTAUD DISTINGUE LE CHAMP DE BLÉ AUX CORBEAUX, ET IL AFFIRME QUE VAN GOGH N’AURAIT RIEN PU PEINDRE APRÈS CELA. POURQUOI ?
Le Champ de blé aux corbeaux a longtemps été considéré comme la dernière œuvre du
ARTISTE MAUDIT
Ci-dessus : La Projection du véritable corps, par Antonin Artaud, 1946 (Paris, Musée national d’art moderne). En haut : Isabelle Cahn, commissaire de l’exposition, est historienne de l’art et conservateur en chef des peintures au musée d’Orsay en charge d’une partie de la collection post-impressionniste (Van Gogh, néo-impressionnisme, nabis). Page de gauche, à gauche : La Salle de danse à Arles, Arles, décembre 1888 (Paris, musée d’Orsay). Page de gauche, à droite : Pelouse ensoleillée. Jardin public de la place Lamartine, Arles, juillet 1888 (Küsnacht, Merzbacher Kunststiftung).
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© LIONEL PREAU/RESERVOIR PHOTO.
Van Gogh, l’obscure clarté
Qui a tué Vincent Van Gogh? PAR
BENOÎT LANDAIS
Une balle perdue, un mensonge pour couvrir l’assassin involontaire : la nouvelle thèse sur la mort de Van Gogh passée au crible des faits.
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Page de gauche : la chambre que Vincent a occupée pendant deux mois dans l’Auberge Ravoux à Auvers-sur-Oise. Cidessus : Johanna Van Gogh, la femme de Theo, avec le petit Vincent, né le 31 janvier 1890 et baptisé d’«après» son oncle et parrain. En haut, à droite : Gaston Secrétan à l’époque où, adolescent, il fréquenta Van Gogh à Auvers-sur-Oise. Octogénaire, il s’inventa un rôle de «copain» de Vincent et raconta que le peintre lui vola la vieille «pétoire» avec laquelle il mit fin à ses jours.
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VINCENT ET VINCENT
’imposante biographie Van Gogh, The Life, réputée « définitive », publiée en 2011 par Steven Naifeh et Gregory White Smith, suggère que Vincent ne se serait pas suicidé, mais aurait été victime d’une balle perdue tirée accidentellement par un gamin de seize ans. Cette «reconstruction hypothétique», de leur propre aveu, s’ancre sur le témoignage du gamin en question, René Secrétan, qui, devenu octogénaire, s’est inventé un rôle de «copain de Vincent», s’ingéniant à mystifier son voisin à Péronne, le naïf Dr Doiteau, auteur d’une funeste Folie de Van Gogh, à l’affût de détails sur le séjour d’Auvers-sur-Oise. Entre cent hâbleries et mythiques souvenirs, aucun ne résistant à l’examen, Secrétan a laissé entendre que Vincent aurait « barboté » dans sa musette de pêche une vieille « pétoire » capricieuse, le revolver avec lequel il a mis fin à ses jours. Naifeh et Smith rectifient et ajoutent une fantaisie à sa fable, ils supposent que, figure christique, Vincent prit sur lui le péché du môme qu’il couvrit en prétendant s’être suicidé. Pour eux, la balle avait été tirée à distance, car Vincent survécut au tir qui l’avait blessé, et ils bâtissent un roman, imaginant que Secrétan, déclaré fiable, s’est confessé au soir de sa vie, sans toutefois dire toute la vérité… qu’ils cuisinent à leur goût. Telle est, hâtivement résumée, la forme. Le fond est plus inquiétant.
La nouvelle théorie a paru vraisemblable. Elle a d’abord convaincu les commentateurs de la remarquable édition de la Correspondance, mise en ligne en 2009 par le Van Gogh Museum (www.vangoghletters.org), avant que le musée ne prenne ses distances et dise publiquement ses réticences. Jadis tout était simple. Vincent s’était suicidé en se tirant une balle dans la poitrine, le dimanche 27 juillet 1890, mais, mal tué, une côte ayant dévié la trajectoire, il avait survécu quelque trente-six heures avant de succomber, abandonné à son sort par les médecins : le Dr Gachet avait requis l’avis de Mazery, le médecin du village, «car il n’était pas sûr de lui-même », selon le témoignage de Theo au lendemain de l’enterrement. Le suicide d’un homme dont la renommée a crû jusqu’à personnifier l’Artiste a imposé une question : pourquoi? La folle lucidité d’Artaud lui a dicté un semblant de réponse : « De plus, on ne se suicide pas tout seul. Nul n’a jamais été seul pour naître. Nul non plus n’est seul pour mourir. Mais, dans le cas de suicide, il faut une armée de mauvais êtres pour décider le corps au geste contre nature de se priver de sa propre vie. Et je crois qu’il y a toujours quelqu’un d’autre à la minute de la mort extrême pour nous dépouiller de notre propre vie.» Comment le blâmer? Les lettres de Vincent sont un long
catalogue de récriminations contre ceux qui ne le comprennent pas, contre la condition qui lui est faite. Elles décrivent les chemins de traverse empruntés par cet « aventurier par destinée», «livré à tous les hasards», les efforts de perdu qui conduiront à peindre ou mourir. L’argent est le «quelqu’un d’autre». Le jour où il accepte l’aide de Theo qui le fera vivre dix ans, il sait le piège et, lucide, annonce la limite du supportable : «Si je dois sentir sérieusement que je suis une gêne ou un fardeau pour toi ou ceux de chez nous, un bon à rien, et que je doive continuer à me considérer par rapport à toi comme un intrus ou un inutile, de telle sorte qu’il vaudrait mieux que je ne sois pas là, et à
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Sur les pas de Van Gogh
PAR ELISABETH MARLOWE
Que reste-t-il des lieux dans lesquels Van Gogh a vécu, créé ou souffert, et des paysages qui l’ont tant inspiré? D’Arles à Saint-Rémy-de-Provence ou Auvers-sur-Oise, balade sur les traces d’un peintre tourmenté, fasciné par la couleur. «
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e crois donc qu’encore après tout l’avenir de l’art nouveau est dans le Midi», écrivait Van Gogh à son frère Theo en juin 1888. «Puissent les artistes se retrouver à Arles», poursuivait-il. Attiré par la limpidité de l’atmosphère de la Provence et par son insolente lumière, semblables à celles des estampes japonaises, Vincent s’installe en février 1888 dans le Midi. Pourtant, à son arrivée, ce n’est pas le soleil qu’il trouvera, mais un tapis de neige. Installé à l’hôtel, l’artiste inaugure une période de travail intense et
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passionnée. Son séjour arlésien sera l’époque la plus productive de sa vie. Van Gogh y compose plus de trois cents œuvres, les plus belles pages de sa création. Ses toiles sont inondées de chaleur et de soleil. De couleurs et de mouvement. Les yeux du peintre s’étourdissent de vergers en fleurs, de champs de blé ou d’oliviers, de soleils couchants, de lauriers-roses, du jaune des tournesols, du vert des cyprès, du bleu soutenu du ciel. L’intensité des couleurs retient davantage son attention que les beautés architecturales de la région.
Beaucoup seront tentés de marcher sur les pas de l’artiste pour retrouver les lieux qui l’ont inspiré.
DANS ARLES
Même si les lieux y ont parfois changé d’aspect, des panneaux signalent les emplacements où Van Gogh a posé son chevalet. Place Lamartine, la célèbre Maison jaune peinte par Van Gogh en septembre 1888, où il s’installa en mai 1888, louant pour quinze francs par mois aux Ginoux un appartement de quatre pièces, a malheureusement été bombardée en 1944. L’hôtel construit
à côté depuis a été baptisé Hôtel Terminus et Van Gogh. Un tournesol et un portrait en médaillon du peintre décorent la façade. La chambre qu’il occupait a été reconstituée minutieusement dans un bâtiment souvenir, au rond-point des Arènes. Une visite dans l’intimité du peintre où l’on retrouve chaque détail du célèbre tableau dont il existe plusieurs versions : l’une à Amsterdam, l’autre à Chicago, une troisième, plus petite, à Paris au musée d’Orsay. «Les murs sont d’un violet pâle. Le sol est à carreaux rouges. Le bois du lit et les chaises sont jaune beurre frais. Le drap
CENT ANS PLUS TARD…
© CHRISTOPHE BOISVIEUX/HOA-QUI/GAMMA. © COLL. KRÖLLER-MÜLLER MUSEUM, OTTERLO.
Page de gauche, en vignette : Le Pont de Langlois à Arles, avril 1888 (collection particulière). Le souvenir de ce pont, qui a été détruit en 1930, perdure grâce au pont Van Gogh (page de gauche), un exemplaire identique à celui peint par l’artiste. Autrefois installé à Fos-sur-Mer, cet ouvrage a été démonté et replacé à quelques kilomètres au sud du centre-ville d’Arles, sur le canal d’Arles à Bouc. Ci-contre : place du Forum, à Arles, il fait bon prendre un verre à la terrasse du café immortalisé par Van Gogh (ci-dessus, Terrasse du café le soir, place du Forum, Arles, septembre 1888, Otterlo, Kröller-Müller Museum) et rebaptisé de son nom.
et les oreillers citron vert très clair. La couverture rouge écarlate. La fenêtre verte. La table à toilette orangée, la cuvette bleue. Les portes lilas », comme il la décrit à Theo. Deux chaises, un lit, une table. Et c’est tout. Et au mur, des portraits et un miroir à l’aide duquel il peint son autoportrait. Plus loin, sur la place du Forum, la façade du Café le soir (rebaptisé Café Van Gogh), dans le quartier de la Cité, illumine toute la rue. Le vieux moulin de la rue Mireille, dans le quartier des Mouleyrès, existe toujours quoique très modifié, de même que le jardin public, boulevard des
Lices, et les arènes, bien sûr, immortalisées dans plusieurs toiles. La maison de santé où il fut interné après s’être coupé le lobe de l’oreille, fermée depuis les années 1970, est devenue l’Espace Van-Gogh. Il fait actuellement l’objet d’une vaste réhabilitation pour accueillir un espace culturel et universitaire d’envergure. Au bord du Rhône, on reconnaît l’escalier du Pont de Trinquetaille et, le soir venu, La Nuit étoilée sur le Rhône. Et, pour terminer le circuit, aux abords de la cité, les fameux Alyscamps, avenue bordée de tombeaux romains, qu’il peint en novem-
bre 1888, en compagnie de Gauguin. A quelques kilomètres de là, le pont Van Gogh, souvenir du pont de Langlois, a perdu ses lavandières. Créée en 1983, la Fondation VincentVan-Gogh inaugurera ses nouveaux locaux, au sein de l’hôtel Léautaud de Donines, en avril 2014. Dans l’esprit de la «maison des artistes» chère à Van Gogh, elle réunit un collectif d’artistes et organise des événements.
À SAINT-RÉMYDE-PROVENCE Ce séjour arlésien a fait de Van Gogh un géant de la peinture. Pourtant
l’artiste, désespérément seul, surtout après le départ de Gauguin, s’effondre. Après plusieurs crises, il demande lui-même, en mai 1889, à être interné à l’hospice de Saint-Rémy-de-Provence où il se remet à peindre nuit et jour avec la même frénésie. Dans ces Alpilles, c’est toujours l’harmonie des paysages et la lumière qui l’obsèdent. Plus de cent cinquante toiles et dessins en témoignent, dont les célèbres Iris, la Route avec cyprès et ciel étoilé, les Champs de blé ou les Oliveraies, où ses coups de pinceau tourbillonnants en disent long sur sa passion et ses tourments.
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Plaisirs et lectures
PAR JEANNE DE VILLIERS, ISABELLE SCHMITZ, LOUIS GUÉRY, BENOÎT LANDAIS ET MATHILDE PERRAULT
Vincent Van Gogh. Les lettres Edition critique complète illustrée Cette correspondance pourrait avoir pour titre Dans la peau de Vincent Van Gogh. Au fil de ses 902 lettres remarquablement écrites, Van Gogh n’épargne à son destinataire aucun détail de sa vie de pasteur ignoré, d’esthète inquiet, d’artiste souffrant, de malade halluciné. Il y apparaît tour à tour intelligent, cultivé, admiratif du talent de certains de ses prédécesseurs, opiniâtre, sanguin, idéaliste, ingénu, isolé, rongé par la douleur. On le découvre «lié au Christ par des liens indissolubles» depuis sa jeunesse, «abîmé d’ennui et de chagrin» lors de son séjour à l’asile, et lucide lorsqu’il confie à son frère dans sa dernière lettre : «Eh bien mon travail à moi j’y risque ma vie et ma raison y a fondu à moitié.» Chaque gravure, peinture, croquis ou simple esquisse, mentionnés par Van Gogh dans ses lettres, est reproduit, afin d’offrir un parfait tête-à-tête avec l’artiste. Un magnifique coffret de six volumes, réalisé sous les auspices du Van Gogh Museum d’Amsterdam et du Huygens Institute de La Haye, à découvrir absolument. JdeV Actes Sud, ouvrage relié sous jaquette, 6 volumes présentés sous coffret, 2 180 pages, 400,70 €.
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hors-série
Van Gogh, le suicidé de la société D’Antonin Artaud Quelles substances illégales avaient bien pu inspirer à Antonin Artaud cette prose poétique mouvante, hallucinée, d’une violence à la hauteur de celle qui fut faite au malheureux Van Gogh? Quelles injures nourrissaient cette indignation absolue? Principalement le fait que Van Gogh avait été déclaré fou, et tout comme lui, reclus dans un asile, par un de ces psychiatres ennemis de l’art et du génie. Dans cet inclassable essai, écrit d’une traite pour l’exposition Van Gogh de 1947, Artaud plaide pour la lucidité supérieure du peintre hollandais, pour sa «terrible sensibilité» qui lui fit percevoir la réalité des choses et l’envers du décor que la société voulait taire, cette dévorante vocation d’artiste qui pesa sur lui telle «cette pierre de meule que le pauvre Van Gogh le fou porta toute sa vie à son cou. La meule de peindre sans savoir pour quoi ni pour où». Nettement marqué par «le destin névrotique des choses», souvent abscons, le cri d’Artaud n’en est pas moins traversé de fulgurances, et d’une singulière acuité sur l’orageuse peinture de Van Gogh et sur son humanité sacrifiée. IS Gallimard, « L’Imaginaire », 96 pages, 7 €.
Van Gogh. Psychologie d’un génie incompris Du Pr François-Bernard Michel Van Gogh était-il fou? La question que l’artiste lui-même se posait avec angoisse dans les couloirs de l’hôpital d’Arles trouve une réponse d’exception dans le savoir médical de François-Bernard Michel, auquel s’ajoute un talent de poète et de romancier. Le président honoraire de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie des beaux-arts de l’Institut de France signe une enquête trépidante où s’entremêlent perles de correspondance, extraits de journaux de l’époque, témoignages postérieurs et rapports de médecins. Des dialogues fictifs inspirés des lettres de Van Gogh mettent en scène Gauguin, l’interne Rey, le Dr Peyron ou encore Mme Ginoux. Ils redonnent vie au peintre à travers cinq journées très éclairantes sur sa psychologie, à quelques mois de sa fin. L’énigmatique épisode de l’oreille coupée, les raisons de son internement ou les circonstances de sa mort sont autant d’occasion d’analyser le «cas Van Gogh», incompris des médecins de son temps. Voyage au cœur du monde étrange et complexe que fut l’âme de l’artiste. LG Odile Jacob, 176 pages, 19,90 €.
Van Gogh De Steven Naifeh et Gregory White Smith On entendrait presque l’herbe pousser dans le presbytère paternel. Le pavé de Steven Naifeh et Gregory W. Smith, encensé par la critique, rend compte de tout. Ils construisent un Vincent pas gâté, mystique, fanatique, imprévisible, outrancier, presque un enfant, et l’on se prend à regretter qu’ils n’aient pas été là pour le guider. Touchant. Les pensées naissent sous la plume. Ils livrent au lecteur ce qu’ils découvrent, comme si eux-mêmes l’apprenaient au fur et à mesure. Les vides sont comblés, puis les auteurs passent le tout au filtre, façon bio moderne : psy bon marché, bondieuseries, aune de la réussite. Ramasse tout, Naifeh et Smith naviguent entre les ragots posthumes des fameux témoins et la bien-pensance des ennemis de sa vie. Leur lorgnette retient de l’époque l’anecdotique et voit se débattre un égaré accessoirement peintre. Ils s’effarent devant un homme qui a sa seule conscience pour boussole. Un homme qui rue pour s’affranchir du carcan social, mettre sa peau dans la «sale peinture», braver l’ordre du monde. A l’inverse, cette biographie est propre sur elle, lisse, inodore. BL Flammarion, « Documents et essais », 1 235 pages, 39 €.
Van Gogh ou l’enterrement dans les blés De Viviane Forrester Biographie psychanalytique de Van Gogh, cet ouvrage examine la vie du peintre à la lumière d’un événement qui, à terme, l’aurait conduit au suicide : sa naissance un an jour pour jour après son frère, mort-né, portant le même prénom. Ce traumatisme fonde son récit dans la relation passionnelle avec son frère Theo, ses échecs sentimentaux, mais aussi dans une incapacité à vivre pleinement. Une vision d’un Van Gogh «devenu le remplaçant du premier Vincent» appuyée et peut-être un peu systématique. JdeV
qu’il se pliait à de nombreuses techniques : si, au début, il suivait les pas de ses semblables, il voulut travailler son propre style (peintures variées, poils de pinceaux particuliers ou influences diverses). Ce magnifique livre d’art en reprend le propos, sous la houlette de Marije Vellekoop, directrice du département Art du Van Gogh Museum, et fait plonger le lecteur dans la genèse des dessins et tableaux de Vincent. Un régal pour les yeux. JdeV Actes Sud, 306 pages, 55 €.
Seuil, « Fiction & Cie », 352 pages, 21,50 €.
Van Gogh à l’œuvre Sous la direction de Marije Vellekoop «Van Gogh s’est imposé une discipline de fer pour améliorer ses aptitudes techniques, se livrant à des expériences systématiques sur divers matériaux et se laissant inspirer par d’autres.» L’exposition qui a eu lieu en 2013 au Van Gogh Museum d’Amsterdam, montrait clairement que ce «faiseur d’art» n’était pas un réel autodidacte, mais
Van Gogh. Ecrits et pensées De Wouter Van der Veen Aéré et coloré, cet ouvrage «d’amateurs pour amateurs» présente l’artiste révélé par lui-même, dans des extraits de correspondance illustrés de ses œuvres majeures. Du marchand d’art au rêveur, en passant par le prédicateur, le dessinateur, ou encore le peintre, il y apparaît dans toute son humanité, sa curiosité et son extrême sensibilité, loin de l’archétype de l’artiste maudit. MP
Et Vincent s’est tu… De Benoît Landais Voilà vingt ans qu’il étudie Vincent Van Gogh, le vrai. Celui qui se dit «aventurier non par choix mais par destin», et qui parle de son art comme de sa «petite affaire de peinture», qui lui servira de «canot de sauvetage». Le littéraire passionné, le calviniste scrupuleux, l’artiste miséreux accablé par sa dette envers son frère : «Tu auras été pauvre tout le temps pour me nourrir, mais moi je rendrai l’argent ou je rendrai l’âme.» Benoît Landais s’intéresse ici à la mort tragique de Vincent, dont une récente biographie a remis en cause le caractère suicidaire. Dénonçant le classement erroné de la correspondance, qui condamne à ne plus comprendre l’engrenage fatal du suicide, Landais présente le «théâtre d’ombres d’un passé transformé en magasin libre service. (…) La Hollande rigide, obscurantiste et pharisienne aura perdu Vincent, mais elle récupérera, avec ses œuvres, le droit de réécrire sa vie, son œuvre et sa mémoire». Directement mise en cause, Johanna, l’épouse de Theo, qui recopia la correspondance tout en l’expurgeant des détails compromettants. L’on comprend que le chercheur se soit attiré quelques inimitiés, du côté des successeurs. Il n’en reste pas moins que la rigueur de l’argumentation, l’intelligence d’une époque, la perspicacité psychologique, servies par une écriture tour à tour incisive, inspirée, poétique et piquante, font de ce livre une rareté, à découvrir absolument. IS
Le Cherche Midi, 104 pages, 14,90 €.
En instance de publication.
Van Gogh. Le soleil en face De Pascal Bonafoux L’excellente formule des «Découvertes Gallimard», riche en illustrations et documents, est ici servie par la plume de l’historien d’art Pascal Bonafoux, spécialiste de l’impressionnisme. Ce récit clair et plaisant, fait découvrir de manière concise et agréable la vie du peintre : de l’incertitude du jeune Vincent à l’asile et la mort de l’artiste mélancolique. On appréciera d’autant plus les documents annexes, extraits de la correspondance et témoignages de Gauguin ou Artaud, «issus de la peinture, les mots qui éclairent la peinture». JdeV Gallimard, « Découvertes Gallimard », 176 pages, 13,20 €.
Van Gogh. Maître de la couleur De Gérard Denizeau Historien d’art et spécialiste du patrimoine, Gérard Denizeau restitue, pour chacun des quarantecinq plus grands chefs-d’œuvre de Van Gogh, les circonstances de réalisation et les techniques utilisées, tout en les éclairant d’une analyse assez personnelle : Van Gogh exprimerait sa volonté de se rattacher au réel par le jeu des mains des Mangeurs de pommes de terre ; La chambre à coucher serait une représentation du rêve brisé de l’artiste de trouver l’âme sœur; le désordre des fleurs des Tournesols, une analogie de la précarité de la vie. Un regard singulier, mais assez convaincant. JdeV Larousse, « Albums Art », 128 pages, 12,90 €.