Les Tudors

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LA VÉRITABLE HISTOIRE



Editorial

© BLANDINE TOP.

par Michel De Jaeghere

« Machiavel n’est, en général, pas lu sérieusement. » Il serait, selon Pierre Manent, victime des préjugés qu’inspire à nos contemporains le caractère extraordinairement concret de ses observations, en un siècle où les spécialistes de philosophie politique ont parfois quelque peine à prendre en considération ceux qui ne s’expriment pas dans leur jargon. En répudiant le vieil idéal de justice d’Aristote, l’illusion selon laquelle le but suprême de la politique n’est ni la volonté de puissance ni la richesse des nations, mais la mise en conformité des sociétés à l’ordre naturel du monde, il n’en avait pas moins jeté les fondations de l’Etat moderne. Lu, Machiavel l’avait été sans doute en son temps par le roi Henri VIII. Envoyé en ambassade auprès de Jules II, alors que le pape avait entrepris de reprendre par la force le contrôle des villes de ses Etats passées entre les mains de soldats de fortune, l’écrivain avait assisté à la prise de quelques forteresses par le souverain pontife. Il avait consacré à l’épisode un chapitre de ses Discours sur la première décade de Tite-Live. « Parvenu à Pérouse avec une intention et une décision connues de tous », écrit-il, Jules II « n’attendit pas la protection de ses troupes pour entrer dans la ville, mais y pénétra sans armes », bien que son ennemi Giovanpagolo Baglioni « fût à l’intérieur avec force soldats qu’il avait réunis pour se défendre ». Estomaqué par la furia de son adversaire, le seigneur de la guerre se laissa capturer par le pape, alors que celui-ci n’était accompagné que par une faible escorte. L’affaire donna à penser aux témoins, parmi lesquels se trouvait Machiavel. Ils se demandaient, dit-il, comment Baglioni, qui n’avait jamais été, par le passé, étouffé par les scrupules (il avait assis son pouvoir sur l’assassinat de ses neveux et de ses cousins, et il couchait avec sa sœur), avait pu laisser passer l’occasion d’« acquérir une gloire immortelle » en se saisissant du pontife et de ses cardinaux, et par là d’« accomplir une entreprise où chacun aurait admiré son courage et qui aurait laissé de lui un souvenir éternel », « une action dont la grandeur aurait dépassé l’infamie et les risques qu’elle pouvait impliquer ». Le livre de Machiavel parut, inachevé, quatre ans après sa mort, en 1531. Henri VIII en appliquerait, les années suivantes, les prescriptions à sa manière, en séparant définitivement l’Angleterre de la papauté, se proclamant chef d’Eglise, pillant et détruisant les monastères, vendant leurs biens immobiliers, envoyant au bourreau les récalcitrants. « Ne rien laisser intact dans le pays et faire en sorte qu’il n’y ait ni rang, ni magistrature, ni position, ni richesse dont les titulaires ne lui soient totalement redevables », tromper les hommes par la ruse en abjurant toute loyauté, « être renard pour éviter les pièges, et lion pour effrayer les loups », « s’ingénier que l’on perçoive dans ses actions de la grandeur » : le souverain anglais ne négligerait, pour régner, aucune des sulfureuses maximes du Florentin. Il serait l’illustration même d’une politique débarrassée de toute préoccupation morale, qui résume l’art du gouvernement à une technique de domination. D’une royauté encore féodale, et d’une Angleterre parent pauvre d’un équilibre européen que dominaient l’Espagne, le Saint Empire et la France, il ferait, à son école, une monarchie nationale étroitement associée aux élites sociales au sein du Parlement, en même temps qu’une puissance appelée à jouer l’un des tout premiers rôles dans le concert des nations.

La superbe exposition que la National Portrait Gallery de Londres a consacrée aux « Vrais Tudors » et qu’accueille aujourd’hui le musée du Luxembourg à Paris voudrait débarrasser Henri VIII et ses successeurs des caricatures dont les ont affublés leurs adversaires, et du bric-à-brac romantique qui a fait d’eux les personnages d’un conte pour empêcher les enfants de s’endormir : en montrant que leurs crimes ne furent que les douleurs de l’accouchement au terme duquel ils eurent le mérite de donner à l’Angleterre le visage qui allait lui permettre de traverser le temps. Lesdeuxapprochessontmoinscontradictoiresqu’ilnesemble.Carc’est enréalitéàunesalutaireréflexionsurl’Etatmodernequ’invitel’exemple des Tudors, et singulièrement celui de leur figure prédominante. En s’affranchissant en effet d’une tutelle romaine dénoncée comme une ingérence étrangère et en s’appuyant, contre elle, sur les décisions des conciles nationaux et du Parlement, réputés libres de faire la loi sans autre considération que le désir de la plier à la volonté présumée du peuple et à celle, affichée, du souverain, Henri VIII pouvait, à bon droit, se considérer comme un émancipateur des entraves qu’invoquant le droit naturel, les lois divines ou non écrites, la tradition antique et médiévale avait apportées à la liberté des gouvernants. Réputant dès lors pour autant de trahisons les tentatives d’opposer, à la législation régulièrement adoptée, les droits de la conscience, il imposa cette liberté nouvelle par la condamnation de ses contradicteurs à la peine capitale, l’imposition de la loi martiale, la corruption des parlementaires, les exécutions sommaires, les bûchers, les tribunaux d’exception. D’Edouard VI à Elisabeth, en passant par Marie Tudor, ses successeurs suivront ses traces au fil de leurs tâtonnements contradictoires entre protestantisme, réaction catholique ou retour au compromis anglican. En 1594, sous le règne de la « reine vierge », un prêtre fut encore pendu et éventré pour avoir exercé son sacerdoce sur le sol anglais. « Ce sont là, avait reconnu Machiavel, des moyens très cruels (…). Tout homme doit les fuir et préférer la condition de simple particulier à celle de roi, au prix de la destruction de tant d’hommes. Néanmoins, quiconque a écarté la voie du bien doit suivre celle du mal pour se maintenir ». « Le seul exemple d’Henri VIII, remarquera au XVIIIe siècle le grand Bolingbroke, suffirait à démontrer que nulle tyrannie ne saurait être aussi sévère que celle qui s’exerce de concert avec le Parlement. La volonté arbitraire peut être transformée en seule règle de gouvernement, même quand l’on conserve les noms et les apparences d’une constitution libre. Nul besoin d’abolir les Parlements pour que le prince ou son ministre deviennent des tyrans. » Le règne d’Henri VIII ne se réduit certes pas aux aventures de BarbeBleue, à ses six femmes et aux centaines de cadavres rangés dans ses placards. Il n’empêche : clouée sur ordre du roi sur le pont de Londres, la tête de Thomas More, exécuté pour s’être abstenu d’approuver la mainmise de l’Etat sur les âmes et sur la religion, vient nous rappeler qu’en conjuguant le respect formel des institutions représentatives et le mépris des lois qui échappent à l’arbitraire des volontés humaines, le roi Tudor fut tout à la fois celui qui mit en œuvre au plus près les principes de la science politique moderne, et l’une des plus parfaites incarnations du despotisme.


© BRIDGEMAN IMAGES.


Détail du roi Henri VII, artiste inconnu des Pays-Bas, 1505 (Londres, National Portrait Gallery).

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LES TRÈS RICHES HEURES DES TUDORS La légende les a parés du halo sombre qui entoure les souverains puissants et cruels. Elle a souvent occulté la magnificence de leur cour, l’épanouissement des arts et la prospérité de leur règne. La splendide exposition du musée du Luxembourg, qui prolonge celle de la National Portrait Gallery de Londres, dévoile le visage des rois et des reines Tudors, habiles metteurs en scène, magnifiés par leurs artistes.

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Once upon a time

ANNE ET LE ROI Ci-dessus : Médaille

d’Anne Boleyn, 1534, plomb (Londres, British Museum). Les initiales « A. R », pour Anna Regina, frappées dans la médaille célèbrent l’arrivée du deuxième enfant du couple royal. La reine fait finalement une fausse couche à l’été 1534, tandis que le roi attend désespérément un fils. Ci-dessous : Anne de Clèves, par Hans Holbein le Jeune, vers 1539 (Londres, Victoria & Albert Museum). Après l’annulation de son mariage avec Henri VIII, elle reçoit le titre de « sœur aimée du roi ». Conviée à la Cour à maintes reprises, elle aura la préséance sur toutes les femmes d’Angleterre, exceptées Catherine Howard, nouvelle épouse du roi, ainsi que ses filles. Page de droite : Henri VIII, par Joos Van Cleve, vers 1530-1535 (Londres, The Royal Collection).

POUR L’ÉTERNITÉ

Ci-dessus : Henri VII, moulage à mi-corps du gisant reposant sur le tombeau sculpté par Pietro Torrigiano, par Domenico Brucciani, Elkington & Co, 1870 (Londres, National Portrait Gallery). Premier souverain de la dynastie des Tudors, héritier de la cause des Lancastre, Henri VII mit fin à la guerre des Deux-Roses en épousant Elisabeth d’York en 1486.


© NATIONAL PORTRAIT GALLERY, LONDON/SCALA, FLORENCE. © THE BRITISH MUSEUM, LONDRES, DIST. RMN-GRAND PALAIS/THE TRUSTEES OF THE BRITISH MUSEUM. © WWW.BRIDGEMANIMAGES.COM. ROYAL C.OLLECTION TRUST © HER MAJESTY QUEEN ELIZABETH II, 2014./BRIDGEMAN IMAGES.


ROYAL COLLECTION TRUST © HER MAJESTY QUEEN ELIZABETH II, 2015/WWW.BRIDGEMANIMAGES.COM. © BRITISH LIBRARY BOARD/LEEMAGE. ROYAL COLLECTION TRUST. © HER MAJESTY QUEEN ELIZABETH II, 2014/WWW.BRIDGEMANIMAGES.COM.

PAR LA BARBE DU ROI

A gauche : François Ier, d’après Joos Van Cleve, vers 1530 (Londres, The Royal Collection). En 1520, sa rencontre avec Henri VIII au camp du Drap d’or ne suffit pas à confirmer le mariage du Dauphin de France avec Marie Tudor. Réputé pour son élégance et sa galanterie (« Une cour sans femmes, c’est comme un jardin sans fleurs. »), François Ier fut le grand rival d’Henri VIII, qui, pour l’imiter, s’était laissé pousser la barbe. En bas, à gauche : Fêtes en l’honneur de l’entrée royale de Marie d’Angleterre à Paris, par Pierre Gringore, 1514 (Londres, The British Library).

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ARIÉE TROIS MOIS Ci-dessus : Louis XII, atelier de Jean Perréal, vers 1514 (Londres, The Royal Collection). Page de droite : Portrait présumé de Marie d’Angleterre, sœur d’Henri VIII, par Michel Sittow, vers 1514 (Vienne, Kunsthistorisches Museum). A dix-huit ans, Marie devient la troisième femme de Louis XII, alors âgé de cinquantedeux ans. La nouvelle reine de France finit veuve trois mois après les noces.


Queen for a few days

© IMAGNO/LA COLLECTION.


PHOTOS : © THE BRITISH MUSEUM, LONDRES, DIST. RMN-GRAND PALAIS/THE TRUSTEES OF THE BRITISH MUSEUM. PHOTOS : © NATIONAL PORTRAIT GALLERY, LONDON/SCALA, FIRENZE.


LA CATHOLIQUE

Page de gauche : Etude pour un sceau de la reine Marie, artiste des Pays-Bas, vers 1558 (Londres, British Museum). Ci-contre : Médaille en bronze à l’effigie de Marie Ire, par Jacopo da Trezzo, vers 1556 (Londres, British Museum). Parent pauvre de la prestigieuse dynastie Tudor, Marie lutta pour rétablir le catholicisme en Angleterre. Les persécutions menées contre les protestants impliqués dans des conspirations lui ont valu le surnom de « Marie la Sanglante ».

FIANCÉE À CINQ ANS

A droite : Marie Ire, par le maître dit Master John, 1544 (Londres, National Portrait Gallery). Ce portrait marquerait sa réhabilitation aux yeux de son père, après des années de lutte pour réaffirmer sa légitimité et sa foi catholique. Le pendentif pourrait être la fleur aux cinq diamants qu’il lui offrit en 1542. Ci-dessous : Marie d’Angleterre, fille d’Henri VIII, attribué à Lucas Horenbout, vers 1521-1525 (Londres, National Portrait Gallery). Miniature réalisée du temps où elle fut fiancée en 1521 à Charles Quint, empereur romain germanique, de seize ans son aîné. L a promise porte une broche où il est inscrit « The Empour » en son honneur.

Bloody Mary


© NATIONAL PORTRAIT GALLERY, LONDON. © THE BRITISH MUSEUM, LONDRES, DIST. RMN-GRAND PALAIS/THE TRUSTEES OF THE BRITISH MUSEUM. © MARK FIENNES/BRIDGEMAN IMAGES.


The Virgin Queen

LE PLUS FIDÈLE DES PORTRAITS

Page de gauche : Elisabeth Ire, dit « Darnley Portrait », artiste des Pays-Bas, vers 1575 (Londres, National Portrait Gallery). Dans une lettre qui accompagne un de ses portraits adressé à son frère en 1550, elle écrit : « From the grace of the picture, the colour may fade by time. » (« De la grâce de l’image, la couleur disparaîtra peut-être avec le temps. »). Des analyses poussées ont donné raison aux dires d’Elisabeth : les pigments de couleurs du visage, décrété le portrait plus ressemblant de la reine, étaient à l’origine plus rosés qu’aujourd’hui.

SECRET RING

Ci-dessus : avers et revers d’une Médaille d’argent à l’effigie d’Elisabeth, par Nicholas Hilliard, 1589 (Londres, British Museum). Ci-contre : Bague d’Elisabeth Ire, renfermant son portrait et celui de sa mère, Anne Boleyn, vers 1575, anneau de nacre, rubis, diamant, perle, émail (The Chequers Trust). Le loquet de cette bague, qui fut retirée du doigt d’Elisabeth Ire le 25 mars 1603, au lendemain de sa mort, est orné de six diamants formant un E et un R en émail bleu.


© 2015. NATIONAL PORTRAIT GALLERY, LONDON/ SCALA, FLORENCE.


Détail du roi Edouard VI, artiste inconnu d’après Guillim Scrots, vers 1546 (Londres, National Portrait Gallery).

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9 JOURNÉES DE LA VIE D’UNE DYNASTIE Est-ce en voyant Richard III d’York affronter ses cousins Lancastre ou en entendant la plainte d’Anne Boleyn, deuxième épouse d’Henri VIII, condamnée à mort pour trahison que Shakespeare définit la vie comme « un récit plein de bruit et de fureur » ? Un conte tragique mais brillant, qui culmine avec le siècle d’Elisabeth, telle apparaît l’histoire de la dynastie des Tudors.

PAR IRINA DE CHIKOFF

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9 JOURNÉES DE LA VIE D’UNE DYNASTIE

13 février 1542 LA ROSE SANS ÉPINES

A cinquante ans, obèse et malade, Henri VIII n’a pas hésité à faire décapiter sa cinquième et avant-dernière épouse. Elle l’avait trompé.

© PHILIP MOULD LTD, LONDON/BRIDGEMAN IMAGES. © WWW.BRIDGEMANIMAGES.COM.

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el un vieil enfant boudeur et obèse, Henri VIII se terre dans sa résidence de Hampton Court. Il ne veut rien voir, rien entendre et surtout qu’on ne lui parle pas de la décapitation de Catherine Howard ! La sentence doit être exécutée ce matin. Il gèle à pierre fendre et le roi frissonne sous ses fourrures. Sa jambe, attaquée par un ulcère, le fait horriblement souffrir. Comme il est à plaindre ! Henri estime qu’il n’a jamais eu de chance avec les femmes. Catherine d’Aragon ne lui a donné qu’une fille, Marie, qui pendant des années lui a tenu tête refusant de reconnaître en lui le chef suprême de l’Eglise nationale. Anne Boleyn, qu’il fit couronner en grande pompe après bien des tribulations, ne lui a pas non plus donné d’héritier, juste une autre fille, avant de le tromper impudemment. Seul le souvenir de Jeanne Seymour apporte à Henri VIII quelque consolation. Elleétaitdouceettendre,maispeuaprèslanaissanced’Edouard, ce fils tant désiré, Jeanne est morte des suites de ses couches. Longtemps, Henri s’estfaitprierparsonConseiletleParlement pour prendre une nouvelle épouse. On lui en a proposé plusieurs. Il aurait bien voulu les faire venir, surtout les deux sœurs Guise, à Calais, pour choisir de visu la plus accorte, mais l’ambassadeur de France lui a vertement reproché de vouloir organiser un « marché aux bestiaux », à la suite de quoi pour son malheur et à cause de cet âne de Cromwell, il a choisi Anne de Clèves. « Mordieu ! » Quelle horrible déconvenue l’attendait ! Jamais il n’a pu honorer cette « jument des Flandres », et il en fut profondément humilié, lui qui était si fier de sa virilité. Il fallut répudier Anne. Henri déprimait et grossissait. Il avait atteint le poids fabuleux de cent soixante-huit kilogrammes. Sa santé s’en ressentait. Son humeur, de plus en plus sombre, également. C’est alors que le duc de Norfolk, oncle d’Anne Boleyn, lui a présenté une autre de ses nièces, Catherine Howard. Comme elle était jolie et délurée ! La coquette a su réveiller ses sens et Henri s’est mis au régime. Il est même retourné chasser pour se donner de l’exercice. Mais deux ans plus tard, torturé par son ulcère et exaspéré par les querelles qui opposaient ceux qui voulaient à toute force que l’Eglise d’Angleterre se déclare ouvertement protestante et ceux qui défendaient les rites catholiques anglicans, le roi s’est de nouveau isolé dans Hampton Court. Catherine y séjournait parfois, mais elle était toujours entourée de jeunes gens qui fatiguaient Henri presque autant que les vociférations des anabaptistes, des sacramentaux et autres luthériens. Le roi ne se sent nullement responsable de toutes ces discordes et criailleries. Certes, il a parfois dressé une faction contre

l nhors-série

l’autre selon le principe qu’il faut diviser pour régner mais jamais, Dieu lui en est témoin, il n’a voulu, en rompant avec Rome, que la sacralité de la religion soit bafouée par des hérétiques. Il en a brûlé quelques-uns à Smithfield. Il a également sévi contre les papistes qui fomentaient des insurrections. Le roi ne regrette rien. Ni l’exécution de Thomas More, ni celle de l’évêque de Rochester, John Fisher. Ils avaient eu l’audace de refuser de signer l’acte de Succession. Henri reste convaincu qu’il avait raison de fermer couvents et monastères et de confisquer leurs biens qui ont opportunément enrichi le trésor royal. Ce n’est pas de sa faute si l’immoralité gagne. Catherine aurait dû être sa consolation. Lorsque l’archevêque de Cantorbéry lui a révélé la trahison de la reine, Henri n’a pas voulu le croire. Il a exigé des preuves. Thomas Cranmer les lui a fournies. Deux des amants de Catherine, incarcérés à la Tour de Londres et torturés, ont avoué. Henri a pris sa lourde tête entre ses mains. Il entend aujourd’hui encore Catherine tambouriner à la porte de sa chapelle. C’était le 12 novembre 1541. Elle venait d’être arrêtée mais, ayant échappé à ses gardes, la reine le suppliait de l’entendre. Elle pleurait et jurait qu’elle était innocente. Henri a combattu sa bénignité naturelle qui l’aurait porté à accorder une ultime chance à celle qu’il avait surnommée sa « rose sans épines ». Il se connaît. Il aurait été ému aux larmes. Depuis, Catherine n’a cessé de demander à être admise auprès du roi. Heureusement, Thomas Cranmer veillait. Il lui a vivement déconseillédelarevoir.HenriVIIIs’estrenduàsesraisons.I.deC.

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LEUR COUPÉE A gauche : Portrait de lady, par un élève de Hans Holbein le Jeune, XVIe siècle (collection particulière). Il s’agirait de Catherine Howard. Coupable d’adultère, la « rose sans épines » fut décapitée moins de deux ans après son mariage avec Henri VIII. Page de droite : Henri VIII, d’après Hans Holbein le Jeune, 1540-1550 (West Sussex, Petworth House, National Trust).



© LEBRECHT/LEEMAGE.

La Famille d’Henri VIII ou Allégorie de la dynastie des Tudors, par Lucas de Heere, 1570-1575 (Winchcombe, Sudeley Castle). Henri VIII, au centre, est entouré de ses trois enfants : Marie, à gauche, avec son époux, Philippe II d’Espagne, et Mars, le dieu de la Guerre ; re, Edouard VI et Elisabeth Ire à droite, avec la Paix et l’Abondance.


Sous le manteau de Barbe-Bleue PAR CÉDRIC MICHON

Ce colosse monté sur le trône pour réconcilier les York et les Lancastre divisa l’Angleterre entière. Qui fut réellement Henri VIII, qui se maria six fois, fit exécuter deux de ses femmes, ainsi que ses ministres ? Un roi atteint de démesure, au propre comme au figuré.


© AKG-IMAGES/NIMATALLAH. © CHURCH COMMISSIONERS FOR ENGLAND .

La grande affaire du roi PAR BENOÎT SCHMITZ

Le divorce d’Henri VIII n’eut pas seulement des raisons sentimentales. Il s’explique par la fragilité de la dynastie.


RUPTURE

Henri VIII, par Hans Holbein le Jeune, 1540 (Rome, Palazzo Barberini). Catherine d’Aragon, anonyme, vers 1520 (en prêt à la National Portrait Gallery de Londres).


Le siècle d’Elisabeth

© AKG-IMAGES.

PAR MARTIN PELTIER

Elle a régné durant près d’un demi-siècle et a marqué durablement la civilisation britannique dans tous les domaines.


IMPÉRIALE

Elisabeth Ire, dit Portrait de l’Armada, anonyme, 1588 (version conservée à l’abbaye de Woburn, comté de Bedfordshire).



ORGUEIL ET PRÉJUGÉS

L’art politique des Tudors

ENTRETIEN AVEC CHARLOTTE BOLLAND ET CÉCILE MAISONNEUVE, COMMISSAIRES DE L’EXPOSITION TUDORS. PROPOS RECUEILLIS PAR ISABELLE SCHMITZ

La superbe exposition du musée du Luxembourg fait revivre les vrais Tudors en regard des légendes qu’ils ont inspirées.

© WWW.BRIDGEMANIMAGES.COM.

Comment transpose-t-on une exposition de la National Portrait Gallery au musée du Luxembourg ?

CécileMaisonneuve:Pour exposeràParis ce sujet tellement britannique, nous avons voulu l’aborder à partir de références familières aux Français. D’abord en montrant comment les liens avec la France des Valois se greffent sur l’histoire des Tudors. Ces deux dynasties se côtoient,secourtisent,s’affrontent: nous évoquons ces liens à travers les portraits de Marie d’Angleterre, sœur d’Henri VIII, mariée à Louis XII, à travers ceux des deux grands rivaux, François Ier et Henri VIII, portraiturés dans une tenue similaire par Joos Van Cleve. L’armure que portait Henri VIII au camp du Drap d’or rappelle, dans l’exposition, cette rencontre où la France et l’Angleterre rivalisèrent de magnificence à travers leurs jeunes souverains, et où il fut question, parmi les points diplomatiques abordés, de marier la fille d’Henri VIII, la future Marie Ire, avec le fils de François Ier. Il y eut par la suite d’autres projets d’alliance entre la France et l’Angleterre : Edouard VI sera fiancé à une fille d’Henri II, Elisabeth de Valois.

Elisabeth Tudor a eu aussi des prétendants français. Le deuxième axe de l’exposition est la dimension mythique, légendaire, des Tudors dans laculturefrançaise, évoquée essentiellement par des œuvres qui font apparaître le théâtre et la scène comme un fil rouge.

La scénographie de l’exposition distingue-t-elle l’histoire de la légende ?

CM : Le défi du scénographe était de trouver une manière d’articuler l’histoire à la légende, de ne pas les séparer de façon étanche mais de ne pas les confondre. L’histoire est distinguée par la moquette verte, l’une des couleurs héraldiques des Tudors ; le parme est la couleur de la légende. L’exposition fait entrer dans l’histoire, avec les portraits royaux, les objets personnels qui nous sont parvenus, avant de montrer quelle légende ont inspirée Henri VIII et ses descendants, en Angleterre et surtout en France. Le parcours est dessiné de telle sorte que le visiteur repasse, avant de sortir, devant les portraits des vrais Tudors, pour ne pas rester sur les Tudors de mascarade qu’ont créés le théâtre et le cinéma.

ON STAGE Le Procès de la reine Catherine dans Henri VIII de Shakespeare, acte II,

scène 4, par Henry Andrews, 1831 (Stratford-upon-Avon, Royal Shakespeare Company Collection). A partir du XIXe siècle, le mythe Tudor est mis en scène, en particulier par la célèbre famille Kemble qui diffusa le répertoire de Shakespeare.

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Tudors en séries

PAR MARIE-AMÉLIE BROCARD

Malgré quelques raccourcis, la remarquable série télévisée créée par Michael Hirst donne envie de s’immerger dans l’histoire.

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l fut un temps où les séries télévisées mettaientenscènelespersonnagesde notre vie quotidienne. S’il ne se passe plus aujourd’hui une saison sans que leurs adeptes se voient proposer un nouveau projet mêlant histoire et fiction, c’est probablement à Michael Hirst qu’on le doit. Diffusés de 2007 à 2010 sur Showtime – en France sur Canal+ puis Arte –, ses Tudors, feuilleton de quatre saisons et trente-huit épisodes, y ont grandement contribué. Il faut dire que la richesse du sujet et l’extravagance de la vie d’Henri VIII se prêtaient volontiers à l’exercice.

LE ROI CHEVALIER

Encore imprégné des idéaux de chevalerie médiévale, Henri VIII (Jonathan Rhys Meyers) rêve de conquêtes et de gloire militaire. La prise de Boulogne en fin de règne sera le bien maigre résultat de moyens démesurés mis en œuvre pour reconquérir « son » royaume de France.

On a beaucoup reproché à Michael Hirst les quelques inexactitudes de son scénario. Lui se défend d’avoir voulu faire un documentaire et assume entièrement la part de fiction que comporte sa création. La première saison suit la chute progressive du cardinal Wolsey, favori d’Henri VIII, en parallèle de la montée en influence d’Anne Boleyn et de sa famille. La deuxième voit la nouvelle reine tomber à son tour peu à peu en disgrâce jusqu’à son exécution capitale sans que cela mette pour autant de coup d’arrêt à la mise en place de la nouvelle Eglise d’Angleterre. La troisième se concentre sur les problèmes de politique

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© TM PRODUCTIONS LIMITED/COLLECTION CHRISTOPHEL.

LES TUDORS ET L’HISTOIRE

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